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TURENNE, Colonel-comte Pierre Josephde (17..-18..) : Résumé de laquestions des haras et des remontes,suivi de quelques expériences et d'un nouveau système d'éducation deschevaux.- Paris : J. Dumaine, 1844.- VII-107 p. ; 22,5 cm.
Numérisation : O. Bogros pour la collection électronique delaMédiathèque André Malraux de Lisieux (11.IV.2016)
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RESUMÉ

DE LA
QUESTION DES HARAS
ET DES
REMONTES,
SUIVI
De quelques Expériences et d'un nouveau Système
D'ÉDUCATION DES CHEVAUX.
PAR LE
COMTE JOSEPH DE TURENNE,
Ancien Officier supérieur d'état-major.
____________________________

TROISIÈME PARTIE.

Exposé du nouveau Système à suivre.

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

Nous croyons avoir rigoureusement établi dans les deuxpremières parties les points suivants : Il y a insuffisance de chevauxde remonte, et conséquemment il y a péril pour le pays.

Cette insuffisance, avouée aujourd'hui par les haras eux-mêmes, n'estpas numérique, puisque les naissances se sont élevées de 169,000 à230,000 environ. Elle provient de la dégénération générale des espèces.

Cette dégénération a été la conséquence inévitable et nécessaire de lanégation de nos belles races, de la préférence donnée par la mode auxchevaux anglais et du délaissement du cheval de luxe français.

Le cheval de remonte n'est pas une espèce distincte ; le cheval deremonte n'est qu'un cheval de luxe, auquel il manque un certain degréd'harmonie et de perfection dans sa conformation extérieure, mais quidoit posséder toutes les qualités du cheval de luxe, la force,l'énergie, l'agilité et la souplesse.

En cessant de produire le cheval de luxe, faute de débouché, la Francea cessé de produire le cheval de remonte. On fait beaucoup de chevaux ;mais les types étant mauvais, les produits restent de plus en plus enarrière ; en sorte que le cheval de remonte, qui tenait autrefois lemilieu de l'échelle, tient à peu près le haut aujourd'hui, et estdevenu aussi rare que l'étaient autrefois les chevaux parfaits. Lereste de la production chevaline est tombé si bas, de proche en proche,que le prix moyen du cheval est au-dessous de 150 fr.

Cette dégénération des espèces devient évidente, si on considère que,nonobstant les progrès de l'industrie et l'invention de machines, et devéhicules qui décuplent les forces et rendent beaucoup de chevauxinutiles, le rapport du nombre des chevaux à la population s'est élevéd'un douzième ; ce qui prouve moins de travail et de forces utiles dela part des chevaux existants.

Elle ne vient pas de la substitution, dans les usages et les habitudes,du cheval de trait au cheval de selle ; car, la multiplication desespèces de trait, qui a augmenté de beaucoup les forces, aurait dûdiminuer le rapport des chevaux à la population, et il a augmenté.Ainsi, plus les espèces de trait ont pris faveur et se sontmultipliées, plus grande a été leur part dans le travail général ;moindre a été proportionnellement la part des autres espèces. Celles-ciont donc perdu en forces et en qualités.

Elle ne vient pas de ce que les mœurs rejettent absolument le cheval deselle, puisque le commerce demande chaque année 20,000 chevaux de cetteespèce à l'étranger.

Elle vient donc de l'insuffisance et de la fausse direction des moyens de production.

L'administration des haras a prétendu améliorer l'espèce chevaline parla tête ; et elle a abandonné le gros de la besogne à l'industrieparticulière. Ce système aurait pu réussir, si les chevaux françaisavaient conservé leur place dans la faveur publique ; car la vente ducheval de luxe est le plus puissant stimulant de l'amélioration. Maisla mode des chevaux anglais ayant prévalu et ayant fait porter enAngleterre toutes les sommes, au bout desquelles se trouve un bénéficenet et une suffisante rémunération des frais et des hasards del'élevage, on a vendu les belles juments, les pouliches améliorées,pour n'en tenir que de médiocres. On recommence donc sans cesse, et onne passe pas le premier degré d'amélioration.

L'industrie, de son côté, a décliné la part qu'on lui avait réservée,et s'en tient à l'élève des chevaux de trait. La grande masse de lapopulation chevaline est ainsi abandonnée aux étalons rouleurs. Cesystème est sans issue ; c'est le cercle de Popilius.

Le système inverse, dans tous les temps le plus efficace et le plusprompt, est le seul praticable aujourd'hui. Il consiste à prendre lesespèces chevalines par en bas et à les amener par une améliorationsuccessive, c'est-à-dire en deux ou trois générations, à un degré derégénération suffisant, pour que l'industrie puisse se charger de lescontinuer. Il ne faut, pour atteindre le but, qu'un nombre suffisantd'étalons.

Si on ne consultait que le chiffre des naissances, il est certain que,pour subvenir aux besoins de notre production actuelle, 6,000 étalonsau moins seraient nécessaires. Mais comme l'effet à cette régénérationen masse sera de substituer, à des chevaux misérables et infirmes, deschevaux sains et forts, capables d'un travail beaucoup plusconsidérable, le nombre des chevaux diminuera immanquablement tout enprocurant une masse égale ou supérieure de travail.

Ainsi, 4,000 étalons paraissent devoir suffire. Ce serait 1,000 étalons de plus qu'avant la révolution.

L'administration des haras, qui, avec une dotation annuelle de2,000,000 de fr. et de beaux et vastes domaines, ne parvient àentretenir que 900 étalons, ne saurait songer à aborder un tel systèmequ'elle a appelé gigantesque.L'administration de la guerre, pouvant disposer de l'immense ressourcede ses cadres, peut seule entreprendre une telle œuvre avec succès etéconomie. La première condition de réussite est donc la réunionimmédiate du service des haras au département de la guerre.

Ce point une fois établi, des mesures sont indispensables, afin de pourvoir :

1° A ce qui touche au matériel même de la production ;
2° A un système d'encouragements et de récompenses propres à stimuler l'émulation des éleveurs ;
 3° A l'introduction d'un mode d'éducation moins lent, moins coûteux et plus sûr ;
4° Aux modifications législatives, principalement à la loi de douanes,que commandent l'état actuel des choses, et les nécessités à venir del'industrie chevaline.


§ I
MESURES A PRENDRE DANS L'INTÉRÊT DE LA PRODUCTION.

La réunion de 4,000 étalons assortis aux exigences présentes de laproduction, demandant un temps et des dépenses considérables, il nepeut être question de se les procurer immédiatement ; mais on devraagir dans le but d'approcher, le plus possible et dans le plus brefdélai, du nombre normal.

Etalons.

Aucune race ne doit être recommandée d'une manière exclusive. Lesespèces grossières et pesantes des pays de plaine, dépourvuesentièrement de sang et de distinction, demanderont des formes légères,principalement à l'avant-main, et des allures énergiques.

Les espèces plus légères des pays de montagnes, chez lesquelles ontrouve encore quelques restes de sang, mais qui manquent de taille etd'ampleur, devront être remaniées dans le sens d'un développementmusculaire, qui ne leur ôte pas cependant leur souplesse et leuragilité. A celles-ci, on affectera des étalons robustes, énergiques,mais élégants et propres à leur communiquer la taille et l'étoffequ'elles n'ont pas, sans nuire à l'élégance qui fait leur mérite.

Le sang étant le principe dominant dans toute amélioration, on devra lerechercher partout où il se trouve. Nous n'entendons pas par là, qu'ilfaille, au début, opérer avec des chevaux provenant des familles lesplus nobles de l'Orient. On manquerait même le but en agissant ainsi ;la première opération devant consister à ébaucher ou plutôt à disposerle bloc d'où l'étalon de sang devra faire sortir plus tard un chevalparfait. Le cheval de pur sang arabe ne donnerait pas l'ampleurnécessaire, et ne produirait que des figurines sans utilité Nousestimons, en conséquence, que des chevaux demi-sang, d'Auvergne, duMorvan, de Normandie, de Deux-Ponts, de Mecklembourg conviendront mieuxpour la première génération.

On s'étonnera peut-être de ne pas nous voir recommander les étalonsanglais. Nous avouons que les chevaux de cette race n'ont pas notreprédilection. Pendant une carrière de quarante ans, nous avons euoccasion de monter des chevaux de presque toutes les races connues.Nous avons monté des chevaux anglais d'une rare beauté. Ce ne sont pasceux qui nous ont le plus satisfait. Nous parlons froidement et sansnous laisser dominer par la pensée du mal que les chevaux anglais ontfait aux nôtres. Nous sommes rempli d'admiration pour la beauté, lanoblesse et la majestueuse harmonie de leur structure ; mais noussommes resté convaincu, après bien des épreuves, que le cheval anglaisn'est pas et ne sera jamais le type du cheval de selle. Le cheval deselle doit être ardent quoique docile, gai, dispos, énergique et prompt; mais tellement souple, qu'il semble autant deviner la pensée de soncavalier qu'obéir à sa main. Le cheval anglais, est vite sans légèreté,rapide dans sa course directe et lent dans ses autres mouvements, lourdà la main, froid des épaules, dépourvu de souplesse et de vivacité.A-t-il quelques velléités de gaîté ; il les manifeste par des sauts demouton, des contretemps ou des ruades. Il fatigue sans occuper et sansdistraire. Nous avons vu souvent des propriétaires passionnés dechevaux anglais finir par les atteler ; et, à vrai dire, c'est làsurtout qu'ils brillent sans rivaux. Mais c'est ce qu'on ne voyait pasde nos bons chevaux français, qu'on usait à la selle jusqu'à ladernière fibre. On s'est trop préoccupé de leur fonds et de la facultéqu'ils ont de fournir une course rapide de quelques minutes. Le fondstient certainement à la race, en cela qu'un cheval de mauvaise race enmanque toujours. Mais à cela près, c'est une qualité qui s'acquiert etqui dépend en majeure partie de la nourriture, du régime, de la natureet de l'habitude du travail, et de ce qu'on appelle l'entraînement.Le cheval anglais n'est admis dans l'armée anglaise, que dans lacavalerie de réserve. Il est rejeté de la cavalerie légère, qui abesoin d'être plus maniable, et qui, pour cette raison, est entièrementmontée en chevaux irlandais et hanovriens.

Des hommes, qui semblent croire le cheval créé pour le Bois de Boulogneou pour les landes de New-Markett et de Chantilly, ont demandégravement ce que nous entendons par le cheval de guerre. Pour celui quicroit que le cheval a été fait pour travailler et pour combattre, laréponse est facile : le cheval de guerre est un compagnon auquell'homme confie ce qu'il a de plus cher, son honneur et sa vie.Le cheval de guerre doit donc être robuste et dur à la fatigue et auxprivations, ardent, courageux, agile, souple et rapide dans sesmouvements, docile et prompt à suivre l'indication de la main et desaides. Le type du cheval de guerre est sans aucun doute le chevalarabe, souche de toutes les autres races de chevaux. Mais commel'influence des climats divers modifie tous les êtres de la nature, lecheval arabe a subi les mêmes influences que l'homme dans chaqueclimat. Il est ardent, passionné, sauvage, sombre, hautain dans lescontrées brûlantes de l'Orient, où la vie est plus énergique, pluspleine, plus indépendante, mais jamais sans souffrance. Sous le climattempéré de la France, son courage, sa fierté sont les mêmes ; mais il apris de la gaîté, de la grâce, de l'amabilité. Sous le ciel brumeux del'Angleterre, il a acquis une taille et un port majestueux ; mais ilest froid et dépourvu de vivacité. Nous reconnaissons volontiers en luile chef-d’œuvre d'une science qui n'a connu que les bornes mêmes de lanature. Mais ces bornes sont infranchissables. Nous ne rejetons pascependant l'étalon anglais, qui peut être très précieux pour la racenormande, souche de la race anglaise, avec laquelle elle a beaucoupd'affinité ; mais nous pensons qu'on doit en être avare avec la plupartdes autres, et le rejeter entièrement pour nos chevaux du midi et despays de montagnes.

Nous sommes tenté de reprocher à l'administration des haras, de n'avoirpas cherché à profiter de plusieurs circonstances des derniers temps,pour se procurer un bon nombre d'étalons orientaux. Ainsi, il nousparaît difficile de croire, que la guerre des Grecs contre les Turcs,guerre de postes, d'embuscades, de surprises, à la suite desquelles ily avait toujours des prises de chevaux, n'ait pas offert maintesoccasions de faire d'excellentes acquisitions. M. Max. Raybaud a vuvendre, à 20 fr. pièce, de magnifiques chevaux après la prise deTripolitza. La guerre de Syrie doit avoir eu des phases semblablesQuelques agents habiles et adroits, envoyés sur les lieux, n'eussentpas coûté beaucoup et auraient pu faire de précieuses remontes pour lesharas. Notre colonie d'Alger, le bey de Tunis, qui nous doit bienquelque reconnaissance pour l'appui que nous lui donnons,n'auraient-ils pas pu nous venir en aide? L'administration a-t-ellefait quelques démarches pour rechercher des sources nouvelles ? Nousavons eu occasion de voir des chevaux venus de Sénégambie, qui nous ontfrappé par leur admirable conformation. Ces chevaux sont issus de larace arabe dont ils portent le cachet profondément empreint ; mais ilsont plus de taille et sont plus étoffés. La charpente est admirable,les muscles et les tendons fortement prononcés, les membres, lesépaules superbes, le rein droit, l'attache de la queue soutenue, legarot bien sorti, l'encolure hardie, la tête arabe, le chanfrein un peurenversé, la lèvre supérieure dépassant un peu l'inférieure ;d'ailleurs, des mouvements vifs, rapides et énergiques. Leur taille,d'environ neuf pouces, est celle de nos dragons. Mais la vigueur et lapuissance de leurs formes les rendraient propres à monter noscuirassiers. Frappé de ces formes si belles et qui nous étaient tout àfait nouvelles, nous nous informâmes près de M. de Fleuriau, capitainede vaisseau qui avait commandé notre colonie de Sénégal pendantplusieurs années. Il nous dit connaître parfaitement ces chevaux, quiappartiennent à des tribus mauresques établies sur la rive droite duSénégal proche de notre colonie. Il a souvent visité ces tribus amiesde la France ; et à son retour à Saint-Louis, les cheiks et lesprincipaux lui ont fait les honneurs d'une nombreuse escorte. Il amonté leurs chevaux, qui sont parfaitement bons. Les Maures, passionnéspour leurs chevaux, comme tous les peuples de leur race, en prennent ungrand soin. Ils consentiraient difficilement à les vendre pour del'argent, mais bien à en faire un objet d'échange contre les choses quileur manquent. Pour une pacotille de 1,200 fr. en siamoises etcotonnades dont ils s'habillent, on aurait le choix parmi leurschevaux. Nous ne pouvons donner que ces renseignements qui datent déjàde quinze ans  mais si les choses ne sont pas changées, nousdéclarons ne connaître aucune race aussi propre à créer une magnifiqueespèce de chevaux de guerre.

Nous avons déjà établi la nécessité de poursuivre le plan tracé par lacommission de remontes, en attachant à chaque dépôt de remonte un dépôtd'étalon, comme aussi à chaque dépôt d'étalons un dépôt de remonte,afin de placer partout le débouché à portée de la production. Nousn'hésitons pas à reproduire ici une idée que nous avons proposée en1825 au ministre de la guerre, celle d'attacher un certain nombred'étalons à chaque régiment de troupe à cheval.

Les régiments de cavalerie sont obligés d'entretenir pourl'instruction, quelques chevaux d'une vigueur extraordinaire, quin'entrent pas dans le rang et ne servent qu'au manège. Ces chevauxseraient très utilement remplacés, pour l'instruction, par des chevauxentiers, qui, pendant la belle saison, c'est-à-dire à l'époque dutravail des troupes au champ de manœuvres, pourraient faire la montedans un rayon fixé autour de chaque garnison. On logerait ainsi et onentretiendrait, presque sans frais, 8 à 900 étalons, qui, avec les 300que le ministre a arrêté d'attacher aux dépôts de remontes et les 900de l'administration des haras, porteraient à plus de 2,000,c'est-à-dire à plus du double des ressources actuelles, le nombre desproducteurs, sans augmentation de dépense, sauf cependant le prixd'achat. On pourvoirait plus tard au surplus des besoins.

Nous avons déjà dit, page 63, combien il est à désirer que le systèmedéfectueux des stations soit promptement remplacé par celui destournées. Nous pouvons attester que les étalons saillissent, dans lesstations, jusqu'à trois fois par jour ; car, nous avons eu pour nosjuments, tantôt le saut du matin, tantôt le saut du soir et quelquefoiscelui de midi. On peut juger de la fatigue qu'éprouvent les étalons,sous un tel régime prolongé pendant trois mois. Aussi sont-ils exténuéset inféconds. Le système des stations n'est pas non plus sansinconvénients pour les éleveurs. Ainsi, nous avons eu à payer, pourdeux juments envoyées à la station de Vervins l'année dernière, pour lesaut 18 fr. 50 c, pour quatre voyages 40 fr., plus 12 journées decheval perdues ; et nous n'avons pas eu de poulains. Quant au prix dela saillie, on ne le justifie pas, en disant qu'il permet deproportionner le mérite de l'étalon à la fortunede l'éleveur ; car, ce n'est pas de cela qu'il s'agit, mais bien deproportionner l'étalon au mérite de la jument. Le propriétaire qui paieachète le droit de choisir ; or que ce choix soit déterminé par uncaprice ou par un calcul d'économie, deux motifs également sujets àtromper, le propriétaire est censé mauvais juge. La saillie gratuitedonnera à l'officier le choix des accouplements et celui non moinsimportant d'exiger la représentation des pouliches à la saillie, ce quiassurera un second degré d'amélioration. Le principe de la sailliegratuite doit donc être adopté.

Nous n'avons pas besoin de dire que les haras proprement dits devrontêtre entièrement consacrés à l'élève des étalons de pur sang, qu'onchoisira autant que possible, non plus parmi les sujets disposés àdisputer les palmes de l'hippodrôme, mais parmi les plus robustes etles plus remarquables en qualités, afin de subvenir aux remplacementssuccessifs, et de préparer des moyens plus purs pour les degréssuivants d'amélioration.


§ II.
DES ENCOURAGEMENTS A DONNER A LA PRODUCTION.

Les encouragements que nous proposons d'établir consisteraient :

1° En prix et primes ;
2° En achats de produits ;
3° D'autres attachent une grande importance aux courses.

Ainsi, nous traiterons ce sujet à part.

Prix et Primes.

Les prix et les primes ont pour but trois objets distincts :

1° D'encourager les particuliers à entretenir et à consacrer à la production, des étalons approuvés par l'administration ;
2° De déterminer les propriétaires de juments de mérite à les conserver à la production ;
3° De récompenser et d'encourager les éleveurs, en distribuant des prix aux plus beaux produits.

Les primes décernées aux étalons approuvés n'ont pas besoin d'êtrejustifiées. L'administration en distribue un certain nombre qui variede 100 à 300 fr. Plusieurs conseils généraux doublent ces primes ; etcependant, il n'y a guère que 300 étalons approuvés, presque tous detrait. Quelle que soit cette dépense, comme elle est infiniment moindreque celle qu'entraîneraient les étalons, il y a utilité et avantage àla continuer. Seulement, on pourrait retirer la prime à un bon nombrede chevaux de labour percherons, que les convenances de l'agricultureprotègent assez, et la réserver pour l'espèce carrossière.

Les primes accordées aux juments poulinières sont un indice dumisérable état de nos herbages ; car, s'il y avait avantage à faire debeaux élèves, si les sujets distingués trouvaient un placement certainet un prix encourageant, on n'aurait pas besoin de pensionner lesjuments, pour déterminer les éleveurs à les garder ; ils lesrechercheraient assez d'eux-mêmes. Le système que nous proposons,renfermant en lui tout ce qui peut reconstituer et encouragerl'industrie chevaline, nous proposerons de supprimer ces primes, sinontout de suite, au moins lorsque l'expérience aura fait connaîtrequ'elles ne sont plus nécessaires.

Il n'en est pas de même des prix accordés à la perfection des produits.Ces prix sont à la fois une récompense honorifique et pécuniaire. Ilconvient qu'ils soient assez considérables, pour renfermer uneexcitation puissante. Nous pensons que dans chacun des arrondissements,qui seront déterminés et divisés en deux classes, selon l'étatd'avancement de l'industrie chevaline, il devra être délivré trois prixpour les chevaux de cinq ans, et autant pour les juments ; savoir


ARRONDISSEMENT DE 1re CLASSE.
Chevaux de cinq ans. ARRONDISSEMENT DE 2e CLASSE.
1er prix
1200 fr

600 fr
2° prix
500 fr
250 fr
3° prix
200 fr
100 fr
Juments de 5 ans, pleines ou suitées des étalons royaux.
1er prix
500 fr
300 fr
2° prix
200 fr 150 fr
3° prix
100 fr 75 fr

Plus quelques prix pour les poulains d'un à deux ans, depuis 150 fr.jusqu'à 25 fr. Quelques milliers de francs distribués ainsi produirontd'heureux fruits, en excitant une grande émulation chez les éleveurs.

Achats des Produits.

Il est généralement admis que la consommation ou le débouché des produits est le nerf et le véhicule de la production.

Le département de la guerre, en sa qualité de principal etpresqu'unique consommateur de chevaux de selle, possède seul la facultéd'ouvrir partout le débouché à côté des sources mêmes de la production.Cette faculté réside dans ses dépôts de remonte.

Ainsi, attacher un dépôt de remonte à chaque dépôt d'étalons, pourrecueillir les produits sortis de ces étalons ; attacher un dépôtd'étalons à chaque dépôt de remonte ; faire que l'officier, qui présideà la production, ait à recueillir les produits ; que celui qui fait lesachats, ait à créer les chevaux qu'il doit acheter, voilà tout lesystème, système dont on ne peut méconnaître la puissance.

Ce ne sera pas seulement le cheval de remonte, dont la vente seraassurée par ce système. Les dépôts de remonte, comme nous l'avons vu,assureront à nos éleveurs la fourniture de tous les chevaux d'officiersde l'armée. Mais lorsque ces officiers, qui ont tant de peineaujourd'hui à se pourvoir de chevaux et qui les gardent soigneusement,lorsqu'ils les rencontrent passables, sauront qu'ils peuvent toujours,avec certitude et économie, remplacer un cheval, il s'établira desrelations entre eux et les amateurs des villes de garnison ; en sortequ'il se vendra peu de chevaux de luxe qui ne sortent de nos herbages.On peut donc espérer que l'engouement pour les chevaux étrangerscessera, si non tout à fait, au moins en grande partie.

Indépendamment des chevaux faits, les dépôts de remonte auront sansdoute, pendant quelque temps encore, à acheter des poulains de 18 à 24mois pour soulager les petits cultivateurs de nos provinces du Centreet du Midi, et y provoquer la production des poulains. Nous avonsexprimé notre opinion sur les dépôts de poulains déjà existants. Nousreviendrons tout à l'heure sur cet important sujet, et sur le partiqu'on peut tirer de ces établissements, circonscrits dans de sageslimites pour le progrès de l'industrie chevaline.

Des Courses.

Lorsqu'eurent lieu les premières courses de chevaux, les concurrentsqui se présentèrent le firent de bonne foi ; et les prix furent lepartage des meilleurs chevaux ou des plus heureux. Mais on ne tarda pasà s'apercevoir, qu'après l'épreuve, le cheval vainqueur acquérait unevaleur d'opinion supérieure à sa valeur réelle, et que les vaincusperdaient une partie de la leur. Ce déplacement de choses cadrait malavec les allures tranquilles et régulières du cultivateur. L'annéesuivante, les joueurs se présentèrent seuls. On s'observa ; et onpartagea les prix avant de courir. Dès lors, les courses furent jugées,et on les abolit. M. Decazes, étant ministre de l'intérieur, lesrétablit ; mais dans un but tout politique.

On vante aujourd'hui les courses, comme épreuve de la bonté deschevaux. Nous ne croyons pas que cette épreuve soit toujourssignificative. Un mauvais cheval peut, avec l'art des préparations,être mis en état de fournir une carrière de quelques minutes, et n'envaloir qu'un peu moins après l'épreuve. Il y a une vingtaine d'annéesqu'une petite jument, achetée 160 fr. à un bijoutier de Limoges, obtintle prix de la course. Il s'était formé à cette époque une société, quienlevait tous les prix de course distribués dans le Midi. Les associésavaient l'art d'apprécier, d'après la conformation d'un cheval, sesfacultés pour la course ; et ils couvraient tous les hippodrômes, nonpas de leurs élèves, mais de leurs acquisitions. Ils présentaient troischevaux au moins à chaque course. Les meilleurs n'étaient jamaisengagés, qu'en cas d'insuffisance des médiocres, et restaient, pendantl'épreuve au 2e ou au 3e rang. Au moyen de ce stratagème, le mêmecheval pouvait être successivement présenté dans toutes les courses,prêt à enlever les prix trop fortement disputés, ou excitant le courageet les efforts d'un coureur médiocre, lorsque celui-ci pouvait suffire.Ce manège, une fois connu, personne ne voulut plus se commettre dansdes épreuves toujours inutiles, et ils restèrent maîtres de la carrière.

A Paris, les courses sont un jeu pour un certain nombre d'amateurs,toujours les mêmes. Ce jeu n'est pas dépourvu d'art et de finesse. Ilfaut avoir de grandes fortunes, un train considérable d'hommes et dechevaux, pour s'y livrer. Ce lot d'un petit nombre, n'est surtout pascelui du cultivateur. Les courses sont un spectacle pour le public desvilles, une spéculation pour les octrois et les cabaretiers, un appâtpour les maquignons ; mais point un encouragement pour les éleveurs.

Les courses provoquent à la production d'une espèce de chevaux, ou aumoins au développement de certaines de leurs facultés qui n'ont pasd'application. En partant du principe que nous avons posé, que lecheval est fait pour la guerre et pour le travail, nous demanderons àquoi peut servir la super vitesse d'un cheval de course, autre part quesur l'hippodrôme ? L'extrême vitesse de la course directe ne peuts'obtenir, qu'aux dépens des autres facultés locomotives du cheval. Lerégime, l'entraînement auxquels on le soumet et qui entrent pour une siforte part dans le développement de ses facultés, n'ont pas non plusd'application dans la vie usuelle. Les courses tendent donc à faire,d'un bon cheval, un être inutile. Un cheval vigoureux et bien conforméa toujours assez de vitesse pour tous les usages auxquels on peutl'employer. Il a, de plus que le cheval de course, une entière libertéde mouvements divers et contraires, et cette souplesse, qui lui permetde se prêter à toutes les indications de son cavalier. Quant à nous,nous sommes persuadé que tous les défauts qu'on peut reprocher auxchevaux anglais, sont dus à la direction imprimée à leur système deproduction, dirigé en vue des courses de chevaux, et à l'adoption, chezles producteurs, de certaines formes qui favorisent leur vitesse.

L'épreuve des courses n'a pas, selon nous, la signification qu'on luiattribue. L'art et le savoir-faire y apportent souvent trop du leur,pour qu'on puisse y avoir une entière confiance. Avec si peu de bonschevaux que nous avons, n'y at-il pas dommage public de faire courirdes poulains, et d'en ruiner quelquefois neuf à la gloire du dixième,qui n'en vaut pas beaucoup mieux. Les courses arrivent naturellement,quand elles sont la conséquence de la multiplication des bons chevaux.Elles sont pour lors en leur place ; mais ce sont les amateurs et leslocalités qui doivent en faire les frais. Nous pensons donc que legouvernement ne doit y entrer que pour une faible part, et réserverpour des encouragements plus efficaces, la majeure partie des sommesqu'elles absorbent sans profit.

Une grande exhibition des chevaux qui auraient gagné les premiers prixdans tous les arrondissements de France, et qui viendraient disputer àParis deux grands prix d'honneur, nous paraîtrait préférable. Ceschevaux seraient soumis, dans un lieu public, à l'examen desconnaisseurs et promenés en triomphe devant le peuple. Ilsparaîtraient, non plus amaigris et semblables à des ficelles,mais dans tout l'éclat de leur beauté et de leur mâle ardeur. Le publicapprécierait les progrès de l'amélioration, et leur vue ramèneraitl'opinion à l'idée de la supériorité des chevaux français.


§ III.
MODIFICATIONS AU SYSTÈME ACTUEL D'ÉDUCATION.

Il est temps d'aborder un des objets les plus importants que nous noussoyons proposés, celui d'indiquer les changements qu'il est nécessaired'apporter au mode actuel d'éducation, et, par suite, dans l'économiede la production. Nous avons exposé tout ce qu'on va lire dans unmémoire remis au ministre de la guerre en 1825 ; mais ce qui n'étaitalors qu'une déduction logique, a pris depuis toute la rigueur d'unfait. Nous avons élevé une quarantaine de chevaux par cette méthode ;et le succès a été si constant et si manifeste, que l'expérience esttout à fait décisive.

Le Comice hippique (pages 35, 36 et 37) résume la pensée de ce systèmedans une comparaison fort judicieuse entre le cheval élevé à la pâtureet le cheval élevé à la ferme. « Chez le premier, dit-il, on retrouverarement les qualités du cheval sauvage, et toujours ses défauts». Enélevant le cheval à la ferme. « Ce que le midi aura fait naître pourraêtre nourri dans le nord. Le jour où ces notions seront devenuespratiques chez les cultivateurs, la production chevaline aura doublé enFrance ». Nous sommes heureux de nous rencontrer ici avec le Comicehippique ; et si quelques dissentiments nous séparent encore, lajustesse de vues dont il a fait preuve dans ce chapitre, nous faitespérer à bon droit qu'une étude plus approfondie de toute la questionchevaline, prise surtout au point de vue où il faut se placer pourl'embrasser, le ramènera tout à fait à notre opinion.

Cheval d'herbages.

Dans les pays de pâtures, les chevaux sont tenus constamment surl'herbage, sauf quelques mois d'hiver. Ils sont gras, luisants ; ilsprennent toutes les apparences de la santé. Cependant une nourritureaqueuse, peu substantielle et d'un volume relatif très considérable,relâche la fibre et les viscères. Ils contractent un tempérament mou,lymphatique et humoral, qui, plus tard, devient la source d'une foulede maladies. Le développement du cheval est lent sous l'influence d'untel régime ; et ses forces sont retardées. A cinq ans, il a communémenttoutes les apparences extérieures de la santé et de la vigueur. Mais cen'est qu'après 18 mois, quelquefois deux ans d'usage d'une bonnenourriture sèche, et surtout d'avoine, qu'il est en état de suffire àla fatigue et au travail.

Si, avant cette espèce d'initiation, il tombe en des mains imprudentesou parcimonieuses, qui mesurent leurs exigences sur les apparences ducheval, celui-ci, ne pouvant pas suffire au travail qu'on lui demande,perd ses aplombs et est bientôt ruiné ; ou bien il se défend et devientvicieux. Les gourmes arrivent vers cinq ans, épreuves toujoursdangereuses, qui en emportent quelques-uns et laissent des tares àbeaucoup d'autres. Enfin, cinq ans de liberté développent un caractèrevolontaire, capricieux, indocile, que l'éducation parvientdifficilement à réduire et dont il reste presque toujours quelquestraces.

Le poulain est assez sage sur l'herbage jusqu'à 18 ou 20 mois ; maisles passions se développent à cet âge, il devient alors turbulent,inquiet, folâtre. Il est souvent victime d'accidents nombreux qu'ils'attire par sa pétulance : et, dans tous les cas, il détruit etgaspille bien plus qu'il ne consomme ; en sorte que cette éducation esttrois fois coûteuse et par sa durée, et par ses énormes consommations,et par les pertes de sujets.

Cheval élevé au sec.

Dans les pays de plaine, au contraire, et de grande culture, leschevaux mis, dès le sevrage, au régime sec et au grain, acquièrent plusvite leur développement et leurs forces. On peut, dès l'âge de 30 mois,les soumettre à un travail modéré, qui paie une partie de leur dépenseet brise leur volonté, avant qu'elle soit formée. A trois ans et demi,ils gagnent leur vie et ils peuvent être montés. A quatre ans, ils sontformés tout à fait et en service ; et ils sont incontestablement plusavancés à cet âge que les chevaux d'herbage ne le sont à six ans, aprèsun an de grain. L'éducation est donc beaucoup plus facile et moinscoûteuse. Toutefois, il faut faire entrer en ligne de compte la pertedu travail de la mère pendant six mois, perte considérable dans lesfermes, où toutes les heures ont leur destination et leur prix. Cetteperte ne peut pas être évaluée à moins de 200 fr., et augmente d'autantle prix du poulain. Cette perte n'est qu'apparente dans les pays depâture, parce qu'il y a, dans une métairie ou petit domaine, une foulede cas qui exigent une heure, deux heures, un quart de jour de travailde la jument ; et qui la rendent indispensable sans l'occuper. Mais ilest vrai de dire, que le fourrage sec est plus coûteux que celui pris àla pâture; et que l'économie n'existe que dans la moindre durée del'éducation. D'un autre côté, l'éducation des pays de plaine n'estguère praticable que pour des chevaux carrossiers ou de gros trait,parce que des juments d'espèce fine n'ayant pas d'emploi dans laculture, il faudrait les nourrir toute l'année à ne rien faire ; etcette dépense serait considérable.

Dans le département de l'Aisne, où nous avons opéré, les cultivateurs,adoptant le principe du Comice hippique, qu'il faut nourrir fortementpour avoir de bons produits, gorgent leurs élèves de fourrages et degrain dès la première année. Ceci est une fausse route et le principeci-dessus, excellent pour les bœufs et les moutons, n'est pasapplicable aux chevaux. Le bœuf et le mouton sont élevés en vue duproduit qu'ils doivent donner en viande, en suif, en laine, etc., pluson les engraisse, même au détriment de leurs forces, plus on gagne. Lecheval, au contraire, ne paiera que de son travail. Il faut donc qu'iltrouve une nourriture substantielle, mais réglée, répondant auxexigences de sa croissance et rien au-delà. Les poulains, avancés parune nourriture abondante, deviennent trop vigoureux et embarrassants.On remédie à cet inconvénient par un contre-sens. On leur retirel'avoine, qu'on remplace par du trèfle et de la luzerne, donnés sansdiscrétion. L'animal s'empâte plus encore qu'à la pâture. Il prend ungros ventre, des jambes grasses, un tempérament mou.

Il devient replet, ventru, lourd et lâche. Il mange beaucoup, suefacilement et travaille peu. Le cheval, ainsi nourri, coûte moins quele cheval d'herbage mais il ne le vaut pas : car, celui-ci peut êtrecorrigé par un engrainement bien conduit ; tandis que l'autre demeuretoujours mou, d'un entretien coûteux et tirant ses forces plutôt de sonpoids que de son énergie.

Cheval élevé à la paille et à l'avoine.

Nous avons employé un système opposé ; et les fruits que nous en avonsrecueillis nous permettent de le recommander comme le meilleur. Dèsl'âge de six semaines, nos poulains commencent à manger l'avoine avecleur mère. A trois mois, ils ont la dent faite et sont sevrés sansinconvénient. A partir de cette époque, ils sont mis à l'avoine et à lapaille pour toute nourriture. A l'âge de trente-trois mois ou troisans, l'animal est aussi fort et aussi développé qu'un poulain de cinqans élevé sur l'herbage. On l'accoutume alors au travail léger de laherse, d'autant plus facilement, qu'il n'a contracté encore aucunehabitude et qu'il n'a pas de volonté. A trois ans et demi, on le monte,s'il est destiné à la selle. A quatre ans ou quatre ans et demi il estfait, dressé et plus capable de travail, que le cheval de six ansretiré de la pâture seulement depuis une année.

Les frais de ce mode d'éducation sont peu considérables ; car, ils seréduisent à la valeur de l'avoine consommée. La paille, devant êtreconvertie en engrais dans une ferme, ne doit pas être comptée, puisqueles animaux, qui la consomment en partie, ne font que la livrer à sadestination. Nous n'avons donc qu'à supputer la quantité et le prix del'avoine consommée, pour apprécier le revient d'un cheval.

Nous sommes parti de la ration du cheval de cavalerie légère. On donneaux chevaux de cette arme six litres deux tiers d'avoine par jour, Nousavons calculé qu'un poulain de trois ans, qui ne travaille pas, pouvaittrès bien subsister avec six litres d'avoine. Cette quantité a donc étéprise pour maximum de sa consommation. De trois mois à un an, nousdonnons trois litres ; d'un an à dix-huit mois, quatre litres ; dedix-huit mois à deux ans, cinq litres ; enfin de deux ans à trois, sixlitres. La paille à discrétion ; c'est-à-dire, pendant le cours del'éducation, de six à dix kilogrammes par jour. Réglé ainsi, le poulainnous coûte à trois ans quarante-six hectolitres d'avoine, qui, à 5 fr.ou 6 fr., prix ordinaire de notre pays, valent de 230 à 275 fr., plus200 fr. que nous avons comptés pour la perte du travail de la mère.

Maintenant, si au lieu de faire faire des poulains par nos juments,nous étions allé les acheter en Auvergne ou en Limousin, dans la Marcheou le Morvan, nous aurions, très certainement, eu pour 200 fr. mieuxque ce que nous pouvons produire, et si cette industrie s'établissait,on trouverait des poulains  en aussi grande quantité qu'on levoudrait, à 150 fr. pièce. Ainsi, 40 fr. de frais de voyage et l'avoineconsommée depuis l'âge de dix-huit mois jusqu'à trois ans, valant de150 à 180 fr. ; voilà tous nos frais de revient : c'est-à-dire que lecheval de trois ans nous coûterait de 390 à à 420 fr.

Cette spéculation ou plutôt cet utile enseignement, nous devionsl'entreprendre de concert avec M. C., excellent cultivateur et maîtrede poste à Saint-Quentin, qui avait parfaitement saisi notre pensée.Nous devions acheter de compte à demi 24 poulains en Auvergne et enLimousin, les faire arriver en un seul convoi et les élever dans nosfermes. Mais des obstacles nous firent retarder l'entreprise : etdepuis lors, il a quitté le pays et nous avons cessé de cultiver. Nousne pouvons que regretter beaucoup de n'avoir pu achever une expérience,qui aurait eu sans doute des imitateurs et d'utiles conséquences (1).

Les poulains que nous avons élevés d'après cette méthode provenaientpour la plupart de juments de labour et d'un cheval de même espèceacheté dans les Ardennes belges, assez beau, fort, courageux et trèsdoux. Nous l'avons gardé quinze ans. Il avait les jambes un peugrasses, mais qui pourtant ne se sont jamais entamées. Ses premierspoulains, élevés d'après la méthode du pays, ont eu des eaux aux jambeset des grappes ; et nous fûmes obligé, pour ce motif, d'en vendretrois, fort beaux et d'une force remarquable. Mais, dès le moment quenous eûmes mis nos poulains à la paille, cette affection a disparu etne s'est plus représentée.

Nous n'avons jamais eu qu'un seul exemple de gourmes dans notre écurie. Encore le cheval fût-il à peine malade.

Nous citons celui-ci, parce que les glandes sous-maxillaires furentengorgées et que l'une d'elles s'abcéda. Quant aux autres, les gourmes,si on peut leur donner ce nom, se bornèrent à un flux nazal de quelquesjours, accompagné dans quelques cas d'un peu de toux, sans qued'ailleurs on ait été contraint de recourir à aucun remède, et sans quele travail et le régime habituel aient été interrompus.

Les chevaux ainsi élevés ont présenté constamment une supériorité desanté, de puissance et d'allures, qui avaient donné une certainerenommée à nos écuries. Nos réformes se vendaient presque au prix desjeunes chevaux. Il y a encore dans le village et les environs deschevaux réformés chez nous qui travaillent vaillamment à l'âge devingt-quatre et vingt-cinq ans. On appréciera la force de nos chevaux,lorsqu'on saura que nous avons charrié 66,000 briques du poids régulierde deux kilogrammes et demi, en trente voitures, attelées de sixchevaux et par trois lieues de traverse. C'est 2,200 briques et 5,500kilogrammes par voiture. La charge ordinaire du pays est de 1,500briques. Six chevaux nous ont ramené un jour, aussi par la traverse,quatre mètres de sable pesant 7,000 kilogrammes. Lorsque nous avonscessé notre culture, il y a quatre ans, nous avons vendu lesvingt-quatre chevaux de notre écurie. Ces chevaux existent encoreautour de nous et passent, à bon droit, pour les meilleurs et les plusrobustes du pays.

Nous avons, pendant plusieurs années, envoyé trois, quatre et jusqu'àcinq juments aux étalons royaux. Nous aurions dû avoir quarantepoulains : nous n'en avons eu que huit ou neuf. Plusieurs sont devenusaveugles, ce que nous attribuons à un assez bel étalon du dépôt deBraisne, dont nous avons eu quatre poulains, entre autres une superbejument gris pommelée, fille de cet étalon et d'une belle jumentnormande. Cette charmante bête, malgré sa complète cécité, étaittellement adroite sûre, et attentive à la main, que nous l'avons montéetrès longtemps, et que nous la préférions à deux autres bêtes de selle,quand les chemins étaient très mauvais et dangereux.

Si nous eussions pu disposer de la cour de notre ferme, toujoursembarrassée de pierres, de briques, de bois de charpente, pendant cesexpériences, nous y aurions élevé un petit hangard, afin d'abriter lesrâteliers et les mangeoires, et nous aurions abandonné nos poulainsdans la cour, pour s'y ébattre et s'y développer. Mais nous bâtissionset nous ne l'avons pas pu ; ils ont donc été constamment enfermés etattachés au râtelier, ne sortant que pour aller boire. Cettecirconstance, dont nous n'avons jamais méconnu le désavantage, auraitdû nuire aux allures de nos élèves, aux épaules surtout, qui n'ont puqu'en être moins libres, et cependant, ils ont eu sans exception desallures franches et le pied tellement sûr, qu'ils ont vécu, qu'ilsmourront, exactement parlant, sans avoir fait une faute , et que nousn'avons trouvé nulle part ailleurs la même solidité. Nous avions encorel'hiver dernier une de nos élèves âgée de treize ans, fille d'unejument de labour et de Familier, élevée comme les autres à la longe.Nous n'avons jamais trouvé, parmi les nombreux chevaux que nous avonsmontés, plus d'énergie, d'ardeur, de légèreté, de souplesse,d'agrément, des allures plus franches, des aplombs plus parfaits, uneadresse plus soutenue dans les plus mauvais chemins et par tous lestemps. Nous l'avons vendue à un de nos amis, à Cambray. Elle y a battules nombreux chevaux anglais du pays.

Nous possédons encore deux de nos élèves, l'un aveugle âgé de treizeans, d'une adresse remarquable, au cabriolet, à la calèche, autombereau et d'une force extraordinaire ; l'autre, que nous venons dereprendre à la voiture pour la monter, et qui le cède peu à celle dontnous venons deparler.

Cette expérience, continuée sur quarante sujets environ, suffit pourdémontrer, qu'avec notre système, on peut très bien élever dans lespays de grande culture et obtenir, avec une notable économie, deschevaux plus précoces, plus forts, plus sûrs et ayant à un haut degrétoutes les qualités qui s'obtiennent à la pâture. Ce qui estremarquable, c'est que nous n'avons réussi à persuader à aucun de nosvoisins de nous imiter ; et qu'ils ont attribué la supériorité reconnuede nos élèves à des causes, peut être à quelque secret que nous leurcachions. Ils continuent donc à donner aux leurs les gros fourrages,qui les empêchent d'égaler les nôtres.

Nous nous sommes souvent demandé, pendant ces expériences, ce que nousn'eussions pas dû en attendre, si au lieu de chevaux de labour communs,nous avions opéré sur des auvergnats et des limousins de premièreespèce. Nous ne doutons pas que nos poulains n'eussent conservé toutesles qualités de leur race, qu'ils n'eussent pris plus de charpente, detaille, de membres et d'étoffe ; et qu'ils n'eussent atteint le plushaut degré de beauté et de noblesse dont ils soient susceptibles.

Division de l'Industrie chevaline en deux Industries distinctes.

Nous croyons avoir réussi à prouver qu'on peut faire à très bon comptedes poulains excellents dans le pays de pature, et qu'on ne peut yfaire des chevaux parfaits, que très difficilement et très chèrement ;que, d'un autre côté, on ne saurait facilement faire des poulains deselle dans les pays de plaine, ou, au moins, que cette production yoffre des inconvénients résultant de l'inoccupation des mères, tandisqu'on peut, avec toute certitude, y achever l'éducation des poulainsfaits ailleurs ; la production se trouve tout naturellement divisée endeux industries distinctes ; l'industrie des poulains, réservée auxpâtures et l'industrie des chevaux faits, réservée aux pays de plaine.Que ces notions deviennent pratiques, comme le demande le Comicehippique, et la production sera doublée et triplée. Mais de grandesexpériences peuvent seules rendre ces notions pratiques, expériencesqui doivent avoir des proportions suffisantes pour frapper vivementl'attention du cultivateur : et ces expériences, le gouvernement et leministre de la guerre seuls peuvent les faire. Nous voudrions doncqu'il fût établi des dépôts de poulains dans des contrées riches encéréales, telles que la Picardie, le Soissonnais, la Champagne, leBerry, le Languedoc, et que des poulains, achetés dans le Midi ou lescontrées montagneuses du Centre, y fussent élevés en public, sous lesyeux des cultivateurs et avec leur concours, selon la méthode que nousindiquons. Il est douteux, le gouvernement achetant tout, que ceschevaux lui coûtassent plus cher que le prix de la remonte (2) Maisquelle différence pour la bonté ! et, d'ailleurs, il s'agit ici defonder des ressources immenses pour l'avenir ; et pour un tel but, onne doit pas craindre de faire quelque dépense. Nous sommes convaincuque les cultivateurs, qui démêleront promptement tout ce qu'ils peuventgagner sur le gouvernement, ne tarderaient pas à adopter cetteindustrie, qui au reste n'aurait rien d'étrange et d'insolite ; puisquedéjà, ils tirent de la Franche-Comté les bœufs qu'ils engraissent dansle Nord et dans l'Aisne ; et que le Poitou, la Bretagne et le Boulonaisfournissent beaucoup de poulains à la Normandie.


§ IV.
DES MODIFICATIONS A FAIRE A LA LÉGISLATION.

Police du Roulage.

Nous avons indiqué une modification essentielle à faire à la nouvelleloi sur la police du roulage. Cette loi a pour but de substituer lecheval léger au cheval de gros trait. La disposition, qui prescrit unconducteur pour chaque voiture à deux chevaux, appliquée au petitchariot, le rend inapplicable à l'agriculture, et maintient lacharrette et le gros cheval en possession de leur préférence actuelle.Si on veut atteindre le but de la loi, il faut autoriser un charretierà mener deux petits chariots à deux chevaux. Il faudrait même accorderdes avantages aux cultivateurs qui donneront l'exemple d'adopter cetexcellent mode d'attelage.

Nous ne proposerons aucune disposition contre les étalons rouleurs,d'abord parce qu'on ne peut les proscrire avec justice, qu'en enprocurant d'autres à la culture ; et puis, parce que la sailliegratuite tuera cette industrie sans retour.

Droits d'importation.

On a vu, dans tout ce qui précède, la conviction profonde où noussommes, que les désastres de l'industrie chevaline en France doiventêtre exclusivement attribués à la mode des chevaux anglais Laperfection de la loi de douanes serait donc à nos yeux dans uneprohibition absolue de ces chevaux, et, en général, do l'importationétrangère;  et comme des considérations politiques ne permettentpas d'adopter ce remède radical, au moins doit-on s'efforcer d'enapprocher le plus possible. Mais il y a des motifs puissants quidoivent faire adopter une forte augmentation de droits ; et la matièreest tellement grave et importante, que nous demandons la permission denous y arrêter un moment.

Il résulte du relevé officiel fourni par la commission de remontes, quedès 1825, il existait entre les remontes tirées d'Allemagne et cellesachetées en France, une différence de 70 fr. pour la cavalerie de ligneet de réserve, et de 30 fr. pour la cavalerie légère, le droit payé.Or, les chevaux n'ont pas augmenté de prix en Allemagne depuis cetteépoque. L'agriculture protégée et libre dans ce pays y a faitd'immenses progrès. Tous les produits agricoles se sont multipliés etont baissé de valeur : et la concurrence générale qu'ils font auxnôtres nous dispense d'autres preuves. Nous avons cité plus haut unfait important, l'achat de dix chevaux hongrois charmants au prix de250 fr. (3).

En France aussi, presque tous les produits agricoles ont baissé de prix; et, cependant, le prix des chevaux a considérablement augmenté.

Ainsi le département de la guerre paie 750 fr. le cheval qu'il payaiten 1825, 570 fr. Il paie. 650 fr. celui qu'il payait. 490 fr. Et ilpaie. 500 celui qu'il payait. 390 fr.

Et comme il y avait déjà en 1825 une différence de 70 fr., et de 30fr., différence qui n'a pas été effacée depuis ; il y a aujourd'hui, enfaveur de l'importation, une prime de 250 fr. pour le cheval decavalerie de réserve. De 230 fr. pour le cheval de cavalerie de ligne.Et de 140 fr. pour le cheval de cavalerie légère.

On voit par là quelle immense incurie préside à nos affaires, et quelleétourderie on a commise, en réclamant sans cesse l'augmentation desprix de la remonte, sans augmenter dans la même proportion le montantdu droit; quels avantages énormes on a fait aux importateurs ; etquelles armes on a mises aux mains des maquignons, pour achever ladestruction de nos races par les moyens mêmes adoptés pour les relever! Comprend-on maintenant la signification des pétitions de prétenduséleveurs, demandant la suppression des dépôts de remontes, qui achètentaux propriétaires, pour nous replacer sous le régime des marchésgénéraux ou des marchés particuliers avec les régiments ?

On nous objectera que, néanmoins, l'industrie chevaline est en perte.Ce n'est pas là la question. Nous ne pensons pas qu'il y ait eu jamaisprofit à élever ; mais il y a plaisir, il y a habitude ; et lorsquel'espoir de vendre un cheval 3, 4, 6. 10,000 fr. soutenait un éleveur,cet espoir lui faisait élever beaucoup de chevaux sur lesquels ilperdait peut-être encore. Aujourd'hui que les gros lots de cetteloterie sont réservés pour l'Angleterre, il ne veut plus y mettre.

Telle est, qu'on en soit assuré, la cause de la cherté des chevauxfrançais. Ils sont chers, parce qu'ils sont rares ; et si le ministèrede la guerre ne les achetait pas de 140 fr. à 250 fr. au-dessus ducours, on n'en ferait pas du tout, et le commerce s'enapprovisionnerait uniquement hors de France.

Qu'on se hâte donc de mettre fin à la situation inintelligente, absurdeoù nous ont placés des hommes inexpérimentés et irréfléchis, quiignorent tout et qui, pourtant, réglementent tout dans notre patrie ;ou les dernières espérances de l'avenir auront bientôt disparu sansretour.

Qu'on augmente donc les droits d'importation d'une quotité égale àtoutes les augmentations qu'ont successivement obtenues les prix de laremonte ; et ces augmentations deviendront un encouragement puissantpour notre agriculture, au lieu d'être une source de spéculationscoupables chez quelques individus, qui sacrifient l'agriculture et lepays aux calculs de leur cupidité.

Puissions-nous avoir fourni notre tâche de manière à faire passer notreconviction dans les esprits. Le bien se fait si laborieusement enFrance, que nous passerons peut-être à certains yeux pour un utopiste.Et, cependant, ce que nous proposons s'est fait ailleurs. Nous neciterons pas les haras autrichiens. Nos adversaires ne veulent pasqu'ils soient militaires ; et cependant ils le sont : car la commissiondes remontes l'atteste ; et il n'est au pouvoir de personne d'ébranlerun fait garanti par sept officiers généraux (4). Citons donc les harasde Prusse. Ceux-ci sont-ils militaires ? nous ne savons ; mais ce n'estpas de cela qu'il s'agit.

Or donc, lorsqu'en vertu du traité de Vienne, la Prusse eut cédé à laRussie les provinces Polonaises d'où elle tirait ses remontes, le roisentit l'urgence de créer, dans ses états héréditaires, les ressourcesqu'il n'avait plus. On ne s'était jamais occupé des chevaux du pays,petits, sans force ni figure, ressemblant à nos chevaux lorrains etqu'on attelait, comme eux, avec des vaches. Le roi demanda un travailau ministre de la guerre. Celui-ci en chargea un major de cavalerie,son aide de camp. Le travail fut remis au roi, qui l'approuva et enconfia l'exécution à l'auteur. Il est inutile d'entrer dans lesdétails. Il suffit de dire que l'amélioration projetée ne reposait passur la coopération d'un Jokay-Club, ni sur des courses ; mais sur despaysans, sur des tournées d'étalons, sur le saut gratuit et sur l'achatdes sujets pour la remonte. Quinze ans après, la Prusse avait remplacéses pertes ; et l'amélioration avait marché de telle manière, que leroi choisissait, dans les remontes de sa garde, les chevaux qu'ilréservait pour sa personne, ou qu'il donnait en cadeau à de hautspersonnages, comme marques d'une satisfaction ou d'une bienveillanceparticulière.


APPENDICE

Notre travail fini, on nous remet une nouvelle brochure sous le titre de Vingt pages à lire,par M. le général comte de Girardin et M. le marquis de Torcy. Nous yretrouvons les connaissances militaires de l'officier général,auxquelles nous sommes heureux de nous soumettre, et les doctrineséconomiques du conseiller d'agriculture. Nous allons examiner cesdernières.

Constatons d'abord que la vérité se fait jour. Nous avions déjà l'aveuque les ressources actuelles ne permettent pas à la France de passer dupied de paix au pied de guerre. Les auteurs accordent que cetteimpossibilité est toute la question ; et ils ne prennent même pas lapeine de discuter les ressources du pied de paix. C'est un nouveau pasvers la vérité.

Encore un aveu. On accorde que l'action des haras est extrêmement restreinte, et se réduit en une action purement amélioratrice.Or, comme il est démontré que l'action amélioratrice sur la tête desespèces est nulle, puisque le commerce et le luxe rejettent noschevaux, il faut conclure que les haras ne peuvent rien du tout.

Que faire donc? Changer les haras, qui ne peuvent rien ; changer lamarche qui n'a abouti à rien, après trente-huit ans d'effortsdispendieux ! Non! il faut changer les institutions et les mœurs. Lecheval de trait, protégé par tout ce qui détermine les hommes, lesintérêts et les jouissances, a mis deux cents ans, à se substituer aucheval de selle. Il faut que le cheval à deux fins se substitue à sontour au cheval de trait, que défendent plus que jamais les intérêts,les aises, les habitudes devenues des besoins. Mais combien de tempsfaudra-t-il pour opérer cette révolution ? Et la France, placée dansune situation dont on reconnaît tout le danger, devra-t-elle attendre,pour en sortir, que cette révolution soit achevée?

Certes, nous approuvons, comme moyen subsidiaire, concourantimmédiatement au but proposé, une loi sur le roulage, plus intelligentesurtout que la mosaïque élaborée pendant la dernière session. Mais celane nous suffit pas. Il nous faut des moyens plus prompts et pluspuissants. Il faut agir sur les deux tiers de notre populationchevaline, qui restent en dehors du domaine de nos ressources de guerre.

Que manque-t-il à M. le marquis de Torcy, homme d'esprit et de sens,pour être du même avis que nous ? Il ne lui manque, que de s'élevercomme nous à un point de vue dominant les réalités. Placé en quelquesorte à cheval sur les deux belles provinces de la Normandie et duPerche, il croit que le reste de la France offre le spectacle deprospérité qu'il a sous les yeux, et qu'on n'y fait que des carrossiersnormands ou des chevaux de poste percherons. Mais qu'il parcoure lereste de nos provinces, et il n'y verra sur les routes, dans les relaisde poste ou de diligence, que des chevaux normands, boulonais,percherons, ou poitevins. Les autres contrées font pourtant un grandnombre de chevaux, mais si misérables, que le commerce les rejette,comme incapables de payer leur entretien. Partout, il trouvera deschevaux en grand nombre, mais à peine un sur cent capable d'un bonservice, Et, cependant, beaucoup de ces provinces ont des racesestimables ou susceptibles de le devenir. Que faut-il pour créer làd'immenses ressources pour l'armée et le pays ? Des étalons, destournées et le saut gratuit. Procurez ce bienfait aux habitants, de laBresse, du Morvan, de la Camargue, du Limousin, de l'Auvergne, duQuercy et du Rouergue, de la Lorraine, etc., et avant dix ans, vousaurez à choisir vos remontes sur 150,000 naissances annuelles. Il encoûtera des millions ! Cela n'est pas douteux. Mais, ces millionstripleront et quadrupleront un immense capital, et produiront une plusvalue annuelle supérieure de beaucoup à leur importance (5). C'est pourdes dépenses productives de cette nature, qu'un grand état doit semontrer prodigue. Et plût au Ciel qu'on n'en fît pas de plus malplacées.

C'est une erreur soigneusement répandue par les haras qu'il n'y avaitplus de chevaux en 1814 ; et, par conséquent, que le peu qui en existeaujourd'hui est dû à leur coopération. M. de Torcy, qui partage cetteerreur, est trop jeune pour savoir ce qui se passait il y a trente ans.Nous, qui avons vu les choses de près, nous pouvons rectifier ses idéesà cet égard. La France ne manquait pas de chevaux. La guerreoccasionnait une grande consommation ; mais les éléments de laproduction étaient ménagés et on ne vendait pas les bonnes juments. Leschevaux de mérite trouvant toujours un placement avantageux, on étaitexcité à produire et on produisait beaucoup d'excellents chevaux et àfort bon compte, parce que les hauts prix des chevaux de luxe servaientde soulte à tous les frais de la production. Ainsi, nous avons achetéune belle jument du Mellerault pour trente louis, en 1807. On nous aoffert, en 1810, un très bon cheval, à Limoges, pour vingt-cinq louis :Un autre charmant petit cheval, pour seize louis. Il est connu que leprix auquel les jeunes officiers se montaient, à cette époque, variaitde vingt à trente louis selon les armes. Notre frère, aide de camp dugénéral Dupont, ministre de la guerre, a acheté au commencement de 1814une superbe jument normande pour cinquante louis, et un très beau etvigoureux cheval de cabriolet pour trente-cinq. Nous parlons, comme onvoit, de ce qui nous touche et de ce que nous avons vu. Il y avaitalors de très bons chevaux et à bon marché, comme il y en auratoujours, quand les chevaux au-dessus de 2.000 fr. à 2,500 fr. serontrecherchés. Ce n'est que depuis la paix de 1814, et la mode des chevauxanglais, que les choses ont changé de face. Nous avons fait honneur decette prospérité à l'administration des haras d'alors. Mais peuimporte. Ce qui suffit à notre argumentation, c'est que l'abondance etle bon marché existaient, parce que le placement était assuré ; et quetout s'est évanoui plus tard, quand les débouchés se sont fermés. Or,les choses restant les mêmes, la régénération par la tête resteimpraticable. Il faut donc prendre les races par en bas : et ledépartement de la guerre possède seul les moyens d'entreprendre cetteœuvre.

M. le marquis de Torcy paraît croire qu'une augmentation radicale, de50 pour % sur le prix des chevaux de remonte pourrait avoir uneheureuse influence sur l'industrie chevaline. Nous dirons, en premierlieu, que ce serait une dépense annuelle de deux millions et demi, dontl'effet ne se ferait sentir qu'à la longue. Mais que M. de Torcy prennela peine de réfléchir attentivement sur ce que nous disons dans notretroisième partie. Il verra que dès 1825, les chevaux étrangers seprésentaient concurremment avec les nôtres à la remonte, avec une primede 30 à 70 fr. tous droits acquittés ; que, par les augmentationssuccessives accordées par le ministère, cette prime s'est élevée à 140fr. pour la cavalerie légère, à 230 fr. pour la cavalerie de ligne, età 250 fr. pour la cavalerie de réserve ; que ces primes énormesconstituent un tel encouragement à la fraude, qu'il est impossible,malgré le zèle et les connaissances locales des officiers de remonte,que beaucoup de chevaux étrangers ne leur soient pas livrés commechevaux français ; que tout nouveau surhaussement des prix de laremonte, serait un appât nouveau et plus puissant pour l'introductiondes chevaux étrangers ; qu'on a commis une faute très préjudiciable ànos éleveurs, en augmentant les prix de la remonte, sans augmenter lesdroits d'une quotité égale ; et que toute nouvelle augmentation deprix, qui ne serait pas accompagnée d'une augmentation égale du droit,serait également préjudiciable.

Jusqu'ici, nous avons considéré les augmentations du prix de la remontecomme encouragement à l'agriculture. Mais, considérées sous un point devue purement commercial, nous affirmons qu'elles ont passé la limitedes prix du commerce. Nous avons assisté, il y a quelques années à lafoire de Gamaches, lieu où se vendent les chevaux du Vimeux, quiservent à remonter les trains de bateaux sur les rivières. Ce sont detrès beaux et forts chevaux. Il s'en vendit environ deux cents à cemarché, depuis 300 fr. jusqu'à 520 fr. Le plus beau de tous, que nousmarchandâmes, nous fût offert à 550 fr. C'était un cheval d'une beautéet d'une force remarquables (6).Or. lorsque l'agriculture vend à cesprix des chevaux d'élite et d'une espèce recherchée, il est impossibled'admettre qu'elle ne fasse pas ses frais aux prix de 500, de 650 et de750 fr. payés pour les chevaux de remonte. Si donc, le gouvernement netrouve pas ses remontes en France, ce n'est pas que ses prix soientinsuffisants, mais bien, parce que le commerce des chevaux étrangers etla fraude ont anéanti l'élevage des chevaux de selle ; et l'on peutêtre assuré qu'on n'en élève que pour lui et en vue des prix élevésqu'il en donne.

Ces considérations suffiront pour faire apprécier l'injustice etl'imprudence des plaintes contre les dépôts de remonte. Si les dépôtsde remonte n'existaient pas, il ne se ferait plus en France un seulcheval de selle ; car, les marchés généraux ou les marchés particuliersavec les corps ne donneraient plus que des chevaux étrangers. Lors mêmeque les corps feraient acheter par des officiers, ce que nous avons vun'être pas praticable, ces officiers étrangers au pays ne recevraientque des chevaux allemands. Et voilà pourquoi les maquignons ou leursdupes poursuivent les dépôts de remonte d'attaques si persévérantes.

On dit : « Les officiers acheteurs n'opèrent que dans leurcirconscription : le monopole exercé par ces officiers se greffe sur lemonopole des dépôts et sur celui du gouvernement ». Si les officiersachetaient hors de leur circonscription, les éleveurs du Calvados nemanqueraient pas de dire qu'ils dédaignent les chevaux qu'ils ont sousla main, pour en aller acheter au loin. Les Chambres et la Cour desComptes tolèreraient-elles cette concurrence des agents de la mêmeadministration, enchérissant les uns sur les autres, dans le seul butd'exagérer les dépenses publiques ? et dans cette enchère, dont letrésor seul paierait les frais, où devrait-on s'arrêter ? Legouvernement achète seul nos chevaux de selle ; il les paie beaucoupplus cher que le commerce, qui en tire du dehors 20,000 chaque année ;et l'on appelle cela un monopole. C'est vraiment abuser des mots. Et sil'illustre fondateur de Roville, qu'on nous oppose, a pu se méprendre àce point, qu'il ait écrit, il y a dix ou douze ans, que le cheval de selle est le moins utile de tous et celui dont la France a le moins de besoin, concluons que la question des haras exige des vues et un horizon élevés, où peu de personnes ont su se placer jusqu'ici. Ab uno discite omnes.

La tâche que notre patriotisme s'est tracée, est remplie. C'est augouvernement et aux chambres à remplir la leur. Ils savent maintenant(car nos adversaires ne le contestent plus), que la France ne satisfaitplus à ces nécessités de la paix, et à plus forte raison, aux exigencesde la guerre : situation grave et périlleuse ; car, un état, qui neproduit pas les choses nécessaires à sa défense, n'existe que par lacondescendance de ses voisins, et n'est plus un état indépendant Ilssavent que cette situation est née et s'est constamment aggravée depuisvingt-huit ans, par l'absence de vues et de direction ; et que quinzeautres années d'une action sage, persévérante et exempte decatastrophes sont nécessaires, pour y mettre fin. Nous les adjurons, aunom des intérêts sacrés du pays, de secouer cette fatale insouciancequi a toujours accueilli la question des haras, l'une des plus arduesde la politique et des plus dignes de leurs méditations. Puissions-nousavoir fait comprendre enfin que cette question implique la sûreté etl'honneur du pays; et que ce serait assumer une étrange responsabilité,que de lui refuser une attention sans limites et une investigationconsciencieuse.


NOTES :
(1)Depuis que ceci est écrit, on nous a remis un mémoire fort remarquablede M. Texier, vétérinaire du dépôt d'étalons de St.-Maixent. Cet habilepraticien, a fait ce que nous proposons, sur plusieurs centaines depoulains de race limousine, qu'il a amenés en Poitou, pour y acheverleur éducation. Il résulte de celte expérience, faite sur une grandeéchelle, que la transplantation a toujours réussi ; et que les poulainstransplantés sur un sol meilleur, ont pris plus de taille, de membres,d'étoffe ; que les aplombs défectueux de quelques-uns ont été rectifiés; et qu'ils ont conservé la distinction et l'énergie inhérentes à leurrace. Que n'obtiendrait-on pas de cette opération, pratiquée dans lespays de grain ?
(2)
Achat du poulain à 18 mois. 200 f. 200 f.
Trente-un hectolitres d'avoine consommés pendant 18 mois. 186 186
900 bottes de paille de 6 kilog. moitié déduit pour les fumiers. 90
Soins et voyage du poulain. 50
Les pertes ont été nulles pour nous.
TOTAL.
526
(3) S'il y avait besoin d'une autre preuve, la gendarmerie nous lafournirait. La gendarmerie est presque exclusivement montée en chevauxallemands ; et pourtant elle est placée de manière à ne pas laisseréchapper un cheval français. Donc pour une somme donnée, elle trouveplus beau et meilleur en Allemagne. 
(4) Décidément, une vérification nouvelle faite sur les lieux, nepermet plus aucun doute. Depuis le général directeur jusqu'au dernierbouvier, tout le monde est militaire dans les haras autrichiens. MM.des haras le savaient ; car l'un d'eux avait le premier consigné lefait dans un rapport officiel. Mais on s'avisa plus tard de l'argumentqui ressortait de ces haras militaires et néanmoins en état deprospérité ; et on nia ce qu'on avait soi-même constaté. En vérité, iln'y a que cette administration, où les choses se passent ainsi.
(5) Un bon étalon donnera facilement 100 fr. de plus à-value à sestrente produits. Cela fait 3,000 fr. Il ne coûtera pas cela d'achat.
(6) Faisons observer en passant, qu'à côté des chevaux de trait et dansun local à part, il se tenait un second marché de chevaux ordinaires.Il y en avait plusieurs centaines dont le plus cher fut vendu à unloueur de la ville d'Eu, pour 220 fr. Il y en avait beaucoup de 30 à 50fr. On voit que, même dans les lieux de production, tout n'est pasparfait.