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VENANCOURT, Daniel de (1873-1950) : Hégésippe Moreau (1903). Saisie dutexte : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndré Malraux de Lisieux (24.I.2015) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire (Bm Lisieux:n.c) du numéros 4 (avril 1903) de la Revue LePenseur, 3ème année. Hégésippe Moreau par Daniel de Venancourt ~ * ~Sil'on a raison de glorifier les écrivains sublimes, il est justed'honorer les écrivains charmants, et surtout ceux qui moururent enpleine formation, avant l'âge où leur talent aurait pu grandir jusqu'augénie. Ainsi pour Hégésippe Moreau. La fidélité avec laquelle lesgénérations successives ont conservé sa mémoire, cette tendre fidélitéparait aisément explicable. Même quand soixante, cinq annéesont passé, la fin douloureuse d'un jeune poète continue d'exciter dansl'âme du lecteur, non seulement unetristesse profonde, mais encore un amer regret. Et, pour rétrospectivequ'elle soit, la désolation est bien légitime, lorsqu'on songe quel'oeuvre si vite interrompu avait eu un si beau commencement. Tous les vers d'Hégésippe Moreau tiennent dans un mince volume, àpeine grossi par l'adjonction de ses contes. Mais comme le livre estdélicieux ! En vérité, il n'a pas vieilli ; il demeure infinimentaimable et touchant, en sa grâce le plus souvent modeste et pure. Onne saurait l'appeler un chef-d'oeuvre, car il ne forme pas précisémentun tout et les morceaux qui le composent offrent peut-être trop devariété dans l'inspiration. A tout le moins, il suffisait, il a suffipour immortaliser son auteur ; et il nous permet de penser, par manièrede consolation, qu'un tempérament véritable, qui a pu s'exprimer unefois, laisse toujours assez de lui pour durer. On se rappelle que le Myosotisparut en 1838, quelques mois seulementavant la mort d'Hégésippe Moreau. Le poète était né à Paris en avril1810. Dès ses premières années, il avait été emmené à Provins par sonpère, qui fut professeur dans cette ville et qui le laissa bientôtorphelin. Pour vivre, sa mère dut se placer chez une dame, Guérard.Celle-ci, femme de grand coeur, prit l'enfant en affection ; elle lemit au collège de Provins, puis au petit séminaire de Meaux et à celuid'Avon, près de Fontainebleau. Hégésippe Moreau venait de terminer sesétudes quand il perdit sa mère. Sans autres ressources que lesbienfaits de Mme Guérard, il se décida à entrer en apprentissage dansl'imprimerie Lebeau : c'est la fille de ce patron provinois qu'ilnommait plus tard sa sœur en lui dédiant les Contes. A dix-huit ans, il connut Lebrun, dont la famille habitait Provins, et il lui fit lire des vers juvéniles. L'auteur de Marie Stuartconseilla au petit ouvrier d'adresser à Didot l' « Épître surl'Imprimerie ». L'année suivante, Hégésippe Moreau était admis commecompositeur dans les ateliers Didot, mais il n'y resta guère. Tour àtour reprenant et quittant le métier de typographe, entre temps sefaisant maître d'études ou devenant rédacteur au Journal des jeunes personnes,il eut, à partir de 1830, une existence extrêmement précaire, dont lesmeilleurs instants furent, hélas ! ceux qu'il passa à l'hôpital. Ildisait « L'hôpital, mais c'est du luxe pour moi ! » Il devait ysuccomber. En 1838, comme il venait de découvrir enfin un éditeur pourson livre, la maladie le força de rentrer à la Charité, où il mourut le20 décembre. Dans sa fatale affliction, il avait eu une souveraine joie. Un article publié par Félix Pyat au National, avait fait vendre en une journée toute l'édition du Myosotis. Mais Paris vit s'éteindre cette nouvelle lumière aussitôt qu'elle eut commencé de briller. * * * Lorsqu'on lit Hégésippe Moreau et qu'on songe à quelle époque ilécrivait, on s'étonne de ne rencontrer dans son oeuvre aucune trace desgrandes idées romantiques, alors en complet épanouissement. D'où vientque ce poète, esprit sensible et enthousiaste, semble avoir ignoré leslutteslittéraires de son temps ? A une telle demande il n'est point nécessaire de chercher bien loin laréponse. Hégésippe Moreau n'était pas absolument ce que nous appelonsun homme de lettres. Simple chanteur, il n'avait nulle ambition, si cen'est d'être écouté par des gens simples comme lui. Il ne devait pasêtre susceptible de conceptions transcendantales, ni philosophiquement,ni esthétiquement. Qu'il plaisante ou qu'il s'attendrisse, voire qu'ildéclame un peu, toujours il cherche à exprimer de façon claire dessentiments et des pensées qui sont dans un domaine très accessible. Iltient à la précision dans le langage ; c'est là son principal souci. Etpuis, les difficultés de sa vie ne lui laissaient guère le loisir de serenseigner à fond sur les plus récentes formules poétiques. S'il avait ressenti un goût personnel pour l'innovation, il eûtcertainement pris assez vite sa place parmi les romantiques de secondordre. Il se contenta d'écrire comme avaient écrit les maîtres qu'ilconnaissait le mieux. C'était d'abord Béranger, ce Béranger en quiaujourd'hui nous ne voyons plus qu'un chansonnier, mais que HégésippeMoreau, d'accord là-dessus avec ses contemporains, estimait pour ungrand aède : Il faut, viennent les représailles, Vienne un Juillet ou l'étranger, UnTyrtée aux champs de batailles !... Ah Dieu ! si j'étais Béranger. C'était ensuite Barthélemy, dont la Némésis l'avait enthousiasmé, et àl'exemple duquel il composa le journal rimé intitulé Diogène qu'ilessaya de faire paraître à Provins en 1833 : Pour être, jeune encor, vieux au métier de sage, Il m'a fallu subir unrude apprentissage. Comme Barthélemy, rapsode marseillais, Dont la voixm'a troublé lorsque je sommeillais Dans la brise soufflant de la Grèce ou de Rome Je n'ai point respiré depoétique arome, Et, né loin du Midi, je n'eus pas même, enfant, A défaut de soleil, unfoyer réchauffant... André Chénier, il l'adorait, cela va sans dire. Et il affectionnaitplusieurs poètes nouveaux, restés à demi classiques, Brizeux parexemple, à qui il a emprunté un distique pour l'épigraphe de « La Soeurdu Tasse ». Ayant vécu dans les milieux plébéiens, Hégésippe Moreau a employévolontiers des formes poétiques très familières. Beaucoup de sesstances sont à refrains ; et d'ailleurs, il a souvent fait deschansons. Il composait aussi des élégies et des épîtres. Somme toute,il accordait en lui la sincérité populaire avec la culture classique,car ses études avaient été excellentes. Il ne ressemble aux romantiques que par son sens de la rime. Sur cepoint-là, il montre beaucoup d'habileté. Toutes les rimes dont il sesert ont la consonne d'appui, à moins d'impossibilité absolue. Lesalexandrins qu'on a lus plus haut, prouvent bien ce goût très vif pourla sonorité harmonieuse dans la fin des vers. En voici d'autres, queBanville eût réclamés comme siens avec joie : Les tribuns précurseurs dont le nom nous est cher, Dans leur fortepoitrine avaient un coeur de chair : Danton, l'ours montagnard,souffrant qu'on le muselle, Grognait d'amour, charmé par des yeux degazelle ; Louvet, dans les déserts où la loi le traqua, Comme la libertépleurait Lodoïska; Un ange blond veillait au chevet de Camille. Vergniaud. pour parer unsein de jeune fille, Condamné, détachait de son sein de martyr Lamontre qui tintait le moment de partir ; Et quand Chénier frappait satête volcanique, Que livrait à la hache un tribunal inique, Sentantbattre son coeur qu'une image brûla, Il pouvait dire aussi : « J'aiquelque chose-là ». Quant à son inspiration, elle est de nature triple politique,badine, élégiaque. Toute la lyre, ou à peu près ! Sa muse politique, disons sa muse héroïque, est une bonne républicaine.Il n'avait que dix-huit ans quand il écrivait déjà le poème dont chaquestance débute par le cri : Vive le roi ! et finit par celui-ci, qui estune réplique : Vive la liberté ! Plus tard, dans le Diogène, ilinterpellait Joseph Bonaparte, le sommant de renoncer à tout espoird'une restauration impériale. Au comte de Chambord enfant, à l'exiléqui ne fut jamais Henri V, il contait l'histoire de l'Aiglon ; puis ils'écriait avec une belle éloquence : Mais que sert d'embrasser une vaine chimère ? Ils sont perdus tous deux pour la France, leur mère. Dans la grande cité qui leur donna son lait, Ma pitié caressante en vain les rappelait : L'un ne peut soulever la pierre sépulcrale, L'autre, inhumé vivant dans sa pourpre royale, Grelotte comme lui sous les brouillards du nord. Je parlais à deux sourds : l'égoïsme et la mort. Dans le ton badin, il a composé les plus aimables choses du monde. Ilva quelquefois jusqu'à une grivoiserie fort peu hypocrite ; mais, engénéral, ses pièces légères sont de charmantes fantaisies, trèsélégantes, très spirituelles, avec une finesse de langage et unesouplesse de facture réellement incomparables. Telles l' « Amant timide», les « Modistes hospitalières », le « Joli costume ». Ce poète, qu'on se plaît à considérer comme le type du langoureux,était, en maints circonstances, un compagnon fort enjoué. Il fallut lamaladie et la misère pour lui faire une âme mélancolique. Ses élégies sont célèbres. Il en est deux au moins que chacun connaît :la « Voulzie » et « l'Isolement ». On admire, non sans raison, la «Fermière », cette jolie romance d'une si fervente tendresse ! La «Fauvette du Calvaire » est un délicieux fabliau. Il ne faut pas oublierles « Souvenirs d'enfance », dont le thème a été souvent repris avecsuccès, ni surtout les « Deux amours » : Pourquoi donc, jeune Laïs, Rêveuse au bord de ma couche, Sur mes amours au pays M'interroger bouche à bouche ? J'ai pour eux, dans nos déserts, Chantésur toutes les notes... Mais, à propos de mes vers, Faites donc vospapillottes. Vous soupirez, et pourquoi ? Riez vite, Vous soupirez, et pourquoi ?Ma petite ; Riez vite, et baisez-moi... Hégésippe Moreau ne semble jamais plus touchant que lorsqu'il souritdans sa douleur. Quelle pénétrante et lyrique émotion est contenue dansles vers suivants ! Bien qu'aux mansardes logés tous L'Espérance nous reste ; De plain pied elle entre chez nous.Habitante céleste, Sous la tutelle Marchons unis : Encore un jour, dit-elle ;De l'immortelle Demain les roses fleuriront, Demain vos Christs du tombeau sortiront.Demain les vignes mûriront, Tant d'accent marque un tempérament des mieux doués. Sainte-Beuvedisait : « Moreau est un poète, il l'est par le cceur, parl'imagination, par le style ; mais chez lui rien de tout cela,lorsqu'il mourut, n'était tout à fait achevé et accompli .Ces troisparties essentielles du poète n'étaient pas arrivées à une pleine etentière fusion. Il allait, selon toute probabilité, s'il avait vécu,devenir un maître, mais il ne l'était pas encore. » Il était, à coupsûr, un homme,dont l'oeuvre et la mémoire méritent tout respect. Cependant Sainte-Beuve le soupçonnait d'avoir manqué de principes etde caractère. On se demande quelle étrange querelle le grand critiquecherchait à ce pauvre poète, mort sur un lit d'hôpital à vingt-huitans. Puis, il le blâmait d'avoir eu l'âme fière et, en même temps, illui reprochait certaines défaillances sentimentales. Que Hégésippe Moreau ait abusé du souvenir de Gilbert en l'évoquant àplusieurs reprises, est-ce là chose si étrange ? En pleurant sur sondevancier, le poète du dix-neuvième siècle se désolait de sa propremisère : cela est naturel, et c'est le contraire qui serait faux. Hégésippe Moreau avait le pressentiment qu'il mourrait jeune etmalheureux. Son pressentiment s'est réalisé. Aujourd'hui, on doitrendre hommage aux esprits généreux qui ont fait de leur culte pourlui une sorte de réparation. Le zèle tout particulier des ouvrierstypographes a permis l'érection au cimetière Mont-Parnasse du beaumonument qui a été inauguré le 5 avril et dont les auteurs sont MmeLaure Coutan-Montorgueil, une des rares femmes-sculpteurs de talent, etM. Henri Guillaume, l'architecte distingué. En honorant l'auteur du Myosotis, organisateurs et artistes ont grandement servi la poésie française. DANIEL DE VENANCOURT. |