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VERARDI,Pierre Boitard pseud.Louis (1789-1859): Almanach de la politesse - Nouveauguide pour se conduire dans lemonde.- Paris : Passard, libraire-éditeur, 1853.- 192 p. ; 14cm.
Saisie dutexte : S. Pestel pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (17.V.2011)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque(BM Lisieux : n.c. ).
 
Almanach de lapolitesse
Nouveau guide pour se conduire dans le monde
par
M. Louis Verardi

~ * ~

CHAPITRE1er.
DE LA POLITESSE.

Voltaire a dit :

        La politesse est àl’esprit,
        Ce que la grâce estau visage ;
    De la bonté du cœur elle est la douceimage,
        Et c’est la bontéqu’on chérit.

Duclos dit que la politesse est l’expression ou l’imitation des vertussociales.

Labruyère prétend que l’esprit de politesse est une certaine attentionà faire que, par nos paroles et nos manières, les autres soientcontents de nous et d’eux-mêmes, et ceci est vrai.

La politesse, selon nous, comprend : La morale, les bienséances,l’honnêteté, la civilité, et, en un mot, toutes les douces vertus quiforment les liens les plus puissants de la société civilisée ; c’est, àproprement parler, la morale en action.

1. La politesse est l’expression de la bonté de la morale et du cœur,abstraction faite de toute vanité mondaine et d’égoïsme.

Il n’est point de véritable politesse sans morale, sans bonté, sansbienveillance, et sans une certaine sensibilité.

2. Elle est uniquement fondée sur l’amour du prochain ou sur l’envie des’en faire aimer comme on l’aime soi-même. C’est l’envie de plaire.

3. Avec les gens que l’on n’aime pas, il est fort difficile d’être polisi l’usage du monde ne vient à votre secours.

4. L’usage du monde est le plus puissant auxiliaire de la politesse.

5. Si la politesse n’est qu’un masque, comme disent les mauvaisphilanthropes, mettez ce masque, car il vaut mieux, dans tous les cas,se faire aimer que se faire haïr : tout le monde y gagne.

6. Si vous parvenez à vous faire aimer, le masque tombera et vousfinirez par aimer vous-même. Quelles que soient vos bonnes qualités,vous y gagnerez plus que les autres.

7. Les gens impolis sont de grossiers personnages qui ne peuvent avoirdes amis sincères.

8. Ne fréquentez dans l’intimité que des gens polis, car les bonnes etles mauvaises passions sont également contagieuses.

9. Les gens les plus grossiers, les détracteurs les plus acharnés debonnes manières, affectent souvent, autant qu’ils le peuvent, lesformes de la politesse : donc ils reconnaissent implicitement lasupériorité de la politesse sur le mauvais ton.

10. La politesse consiste à être aussi bon, aussi aimable avec lesautres que nous voudrions que les autres le fussent pour nous, et à nejamais choquer les usages reçus dans le monde.

11. Elle se reconnaît à cette attention continuelle, sans affectation,de rendre les autres contents de nous et d’eux-mêmes.

12. Rendre les autres contents d’eux-mêmes en faisant adroitementvaloir leur mérite, est le nec plus ultra de la politesse, car il n’ya pas de moyen de plaire plus séduisant.

13. Pour cela, effacez-vous pour les faire paraître dans tout leurbrillant, et l’on ne verra que vous.

14. Ne voyez les faiblesses et les défauts de personne ; soyez prudent,discret, réservé et surtout indulgent ; car qui n’a pas besoind’indulgence ?

15. La vraie politesse n’est embarrassante pour personne, elle met toutle monde à son aise, et laisse la liberté à chacun.

Il faut être poli et honnête avec tout le monde, même avec les hommesles plus brutaux et les plus grossiers, car c’est le vrai moyen de lesfaire rougir de leur brutalité, et quelquefois de les corriger.

16. La politesse ne s’offense de rien, pas même de la contradiction.

17. C’est surtout lorsqu’on est obligé de refuser un service, unegrâce, ou de faire une réprimande fâcheuse, qu’il faut redoubler depolitesse.

18. La politesse ne fait jamais déroger, quelle que soit l’élévation durang que l’on occupe. – Au château de Versailles, Louis XIV passe seuldans un appartement peu fréquenté, et il y aperçoit un ouvrier qui,monté sur une échelle, détachait une magnifique pendule. Comme leparquet ciré était très-glissant, le grand roi tint le pied del’échelle pour l’empêcher de tomber, et ne crut pas déroger le moins dumonde. Le fâcheux de l’aventure est que le prétendu ouvrier n’étaitqu’un hardi voleur, qui emporta la pendule et ne reparut plus.

19. Pour mériter la réputation d’homme poli, il faut l’être toujours,dans toutes les circonstances de la vie, et partout.

20. Les hommes égoïstes et méchants, ne pouvant être aimés de personne,cachent leurs vices sous le masque aimable et séduisant de lapolitesse, donc ils sentent eux-mêmes la nécessité d’être polis.

21. Ne confondez pas la politesse avec l’usage du monde. La politesseest uniquement le langage du cœur : le premier est une civilité deconvention, que l’on acquiert par la fréquentation de la bonne société.

POLITESSE DE FAMILLE.
1° DE LA POLITESSE DES ENFANTS AVEC LEURS PARENTS.

1. Méfiez-vous de celui qui dépose le masque de la politesse enrentrant chez lui, et qui cesse alors d’être bon et indulgent : c’estun égoïste.

2. Celui qui est despote et tyrannique chez lui, ne peut que mettre lemasque de la bonté et de l’indulgence chez les autres. C’est unhypocrite qui manquera de franchise avec ses amis, comme il en manquedans le monde.

3. L’homme véritablement aimable le sera plus encore chez lui, aumilieu de ses parents, entre sa femme et ses enfants, qu’il ne l’estdans le monde.

4. Vous devez aimer, honorer, respecter votre père et votre mère, telsque Dieu vous les a donnés ; il a dit : « Tu honoreras ton père et tamère. »

5. Il en est de même de vos grands parents.

6. Celui qui rougit de la simplicité de manière de ses parents, de leurpauvreté, de leur manque d’usage, est un sot aussi vaniteux et aussiridicule que celui qui se fait une gloire de l’illustration de sesaïeux, mais il est plus méprisable.

7. Celui qui méprisera ses parents sera méprisé dans le monde.

8. Vous trouverez dans le monde beaucoup de gens qui en agissent malavec leurs parents : ceux-là seront les premiers à vous jeter la pierresi vous faites comme eux.

9. Comment voulez-vous que quelqu’un croie à la sincérité de votreamitié, quand il apprendra que vous n’aimez pas vos parents ?

10. Comment voulez-vous que le monde croie à la sincérité de vos bonnesmanières, quand il saura que vous êtes dur et grossier avec vos parents?

11. Comment voulez-vous qu’un étranger vous oblige, quand il apprendraque vous êtes ingrat, même envers ceux auxquels vous devez la vie ?

12. La femme doit aux parents de son mari les mêmes égards que s’ilsétaient les siens. Il en est de même du mari pour les parents de safemme.

13. Aimer des parents qui le méritent est un devoir bien aisé ; mais lesublime de la vertu consiste à les aimer lors même qu’ils ne leméritent pas.

14. Vous devez faire à vos parents l’application de toutes les règlesde politesse enseignées dans cet ouvrage. Vous leur devez, en plus, vosrespects et vos hommages.

15. Aimez-les d’un amour pur, dégagé de tout intérêt personnel.

16. Cherchez à leur complaire en tout ce qui vous sera possible.

17. Occupez-vous d’eux constamment et ne les contredisez jamais quelorsque vous y serez forcé pour les intérêts de la famille ; mais alorsfaites-le poliment et avec le plus grande douceur.

18. Entrez franchement dans leurs goûts et leurs plaisirs ; soyezsensible à leurs chagrins et faites vos efforts pour les en consoler.

19. Ayez pour eux toutes les complaisances possibles.

20. Supportez patiemment toutes les infirmités de leur âge, et ayezl’air de ne pas vous apercevoir des incommodités qu’elles pourraientvous causer.

21. Ne leur parlez jamais de leur âge.

22. Tâchez, par votre amabilité et votre gaieté, d’éloigner d’eux lapensée de la mort.

23. Tutoyez-les, s’ils vous tutoient ; s’ils ne vous tutoient pas, neles tutoyez pas.

24. Il n’y a qu’un homme bas et vil qui peut mépriser ses parents parcequ’ils sont dans la pauvreté.

25. Il n’y a qu’un sot méprisable qui peut rougir de la simplicité demœurs et du manque d’usage de ses parents.

2° DE LA CONDUITE DES PARENTSAVEC LEURS ENFANTS.

1. La première règle de bienséance à observer avec ses enfants est dene jamais leur donner de mauvais exemples, soit en actions, soit enparoles.

2. Les premières impressions de l’enfance ne se passent jamais ; ellessont les premiers matériaux qui forment le caractère bon ou mauvais del’individu.

3. Un enfant ne doit pas être témoin des contestations qui s’élèvententre son père et sa mère, encore moins de leurs querelles.

4. Un enfant a le sentiment inné de la justice ; si vous le punissezinjustement, vous le démoraliserez.

5. N’accordez pas à un autre ce que l’un avait droit d’obtenir.

6. Ne manifestez pas un sentiment de préférence injuste à l’un audétriment de l’autre, ou vous semez dans son cœur les semences d’unvice, la jalousie.

7. Soyez bon, affable avec eux ; reprenez-les avec douceur, mais quevotre bonté ne dégénère pas en faiblesse.

8. Maintenez-les rigoureusement dans les devoirs qu’ils doivent à vouset à leurs autres parents ; mais ne le faites pas avec brutalité, caril ne faut pas qu’ils vous craignent.

9. Un effet naturel de la crainte est d’étouffer l’affection, et ilfaut que vos enfants vous aiment.

10. Ce qu’ils feront par affection sera toujours bien fait ; ce qu’ilsferont par la crainte le sera toujours mal.

11. Habituez-les dès leur première enfance à parler purement français.

12. Évitez de leur apprendre le langage puéril des nourrices, qu’ilsseront obligés d’oublier plus tard ; ce serait user leur mémoireinutilement.

13. Apprenez-leur le plus tôt possible les règles sévères de lapolitesse, non-seulement avec les étrangers, mais encore avec tous lesmembres de la famille et avec les domestiques.

14. N’employez jamais avec eux les corrections corporelles, elles nesont faites que pour les animaux.

15. Punissez-les sévèrement quand ils feront souffrir un animal, car ons’habitue à la cruauté tout aussi bien qu’à autre chose.

16. L’enfant cruel pour les animaux, le sera plus tard avec les hommes.

17. Si, par faiblesse, vous passez sur leurs caprices, leurs fautes etleurs sottises, vous perdrez bientôt toute l’autorité que vous aviezsur eux, et ne vous en prenez qu’à vous s’ils deviennent de mauvaissujets.

18. Ne négligez rien, pas une occasion, pour leur former le cœur àtoutes les vertus morales, telles que la bonté, la charité labienveillance, l’indulgence, etc., etc.

19. Ce sont là, selon moi, les meilleures règles de politesse  etde bon ton que vous puissiez leur donner, car tout le reste se composede formules faciles à apprendre : il ne faut pour cela qu’un peu demémoire.

20. Apprenez-leur à ne se pas taquiner ni se quereller entre eux ; às’obliger et s’aimer mutuellement ; à ne se pas dénoncer les uns lesautres.

21. Inspirez-leur l’horreur du mensonge, et de tout ce qui estcontraire à l’honneur et à la probité.

22. Habituez-les à maintenir une sévère décence dans leur costume,leurs paroles et leurs actions ; à fuir l’oisiveté et les vices qu’elleengendre, tels que la paresse, le commérage, la médisance, etc.

23. A fuir la mauvaise société, et à mettre beaucoup de circonspectionet de prudence dans le choix de leurs amis.

24. Empêchez les sots et les imprudents de jeter dans leur esprit legerme abrutissant de toutes les superstitions, telles que les croyancesaux revenants, loups-garous, sorciers, divination, magnétisme animal,homéopathie, et autres niaiseries de ce genre, inventées par despauvres d’esprit ou par des faiseurs de dupes.

25. Surveillez leurs passions à mesure qu’elles se développent dansleur jeune cœur, afin d’étouffer les mauvaises et d’encourager lesbonnes.

26. Interdisez-leur sévèrement la lecture des mauvais livres.

27. J’appelle mauvais livres non-seulement ceux qui blessent les bonnesmœurs, mais encore ceux qui ne laissent rien dans l’esprit après lesavoir lus.

28. Interdisez, à vos filles surtout, la lecture des romans. Lesmeilleurs de tous ne donnent que des idées très-fausses du monde et dela vie positive.

29. Une jeune fille est tout à fait désappointée parce qu’elle netrouve pas dans son mari le héros de roman auquel ses lecturesl’avaient fait rêver si longtemps. Il peut en résulter son malheur, etquelquefois sa honte.

30. Faites scrupuleusement observer à vos enfants, dans votre salon, ladécence, les convenances et la politesse qu’ils doivent porter plustard dans la société.

31. Ce qu’on appelle dans le monde une bonne éducation n’estnullement l’éducation du collège ou du pensionnat, mais bien celle dontje viens d’esquisser quelques règles et qui ne s’acquiert que par lafréquentation de la bonne compagnie.

32. Ne mettez vos enfants au collège ou au pensionnat que quand vous nepourrez pas faire autrement, et souvenez-vous de ce proverbe : « Il nefaut qu’une brebis galeuse pour infecter tout un troupeau. »

POLITESSE ENTRE LE MARI ET LAFEMME.

1. Une femme doit faire autant de frais pour plaire à son mari, qu’elleen faisait pour cela avant son mariage.

2. Il en est de même du mari à l’égard de sa femme.

3. Ni l’un ni l’autre ne doivent se blesser dans leur amour-propre, carces blessures-là sont les plus douloureuses et les plus difficiles àcicatriser.

4. Telle femme très-élégante et très-gracieuse avant son mariage, senéglige jusqu’à la malpropreté et devient maussade, quand elle estmariée : si son mari cesse de l’aimer, elle a perdu le droit de seplaindre.

5. Ceci doit s’appliquer au mari comme à la femme. Il est clair quelorsque l’on quitte les charmes séduisants qui nous ont fait plaire, ondoit s’attendre à cesser de plaire.

6. Il est rare de posséder une vertu assez ferme pour nous faire aimer,par devoir, ce qui a cessé d’être aimable.

7. Quand, entre deux époux, il ne reste plus que le lien de l’estime,ce lien est bien près de se rompre, et adieu les douces joies du ménage.

8. La franchise que se doivent les époux ne doit jamais aller jusqu’àse reprocher les défauts physiques que l’on doit à la nature ou à unaccident irréparable.

9. Les époux, même dans les moments de la plus grande intimité, doiventconserver la pudeur.

10. La pudeur, a dit un sage, est le plus beau fleuron de la couronned’une femme vertueuse.

11. Sous le rapport de la décence, jamais un mot hasardé ne doit sortirde la bouche d’une honnête femme, n’y eût-il même que son mari pourl’entendre.

12. Il doit en être de même du mari.

13. Un mari assez stupide pour débaucher l’esprit de sa femme, a perdule droit de se plaindre si elle vient à se mal conduire.

14. Les lois divines et humaines ont dit : « Femme, tu obéiras à tonmari. » Elle doit donc mettre dans ses paroles et ses actions le plusde douceur possible, et de la soumission si cela est nécessaire.

15. Mais cette soumission ne doit jamais aller jusqu’à la faiblesse etla lâcheté.

16. La soumission doit cesser quand le mari exige des choses injustes,contre les mœurs, la vertu ou la probité, et les saints devoirs de lafamille.

17. Dieu a donné la femme à l’homme pour faire la joie et le bonheur dela famille ; elle doit donc accepter ce rôle de bonne grâce.

18. Une femme acariâtre, colère, grondeuse, toujours rechignée et demauvaise humeur, est la peste de la société ; elle se fait détester deson mari, de ses enfants et de toute sa famille. Où pourra-t-elle allerchercher le bonheur ?

19. Une femme sera constamment respectée tant qu’elle pourra, aux yeuxde tous, se couvrir du manteau de respect que son mari a pour elle.

20. Le mari doit comprendre que sa femme est son égale devant Dieu etdevant la nature ; il ne prendra donc pas ce ton de supériorité et dedespotisme qui ne prouve, chez lui, qu’un manque d’éducation.

21. Tout individu qui affiche devant des étrangers son despotismedomestique, n’est qu’un sot digne de mépris et de pitié.

22. Un mari doit toujours être bon, doux, affable, plein d’indulgenceet d’affection pour sa femme, et il la forcera ainsi à s’en rendredigne.

23. Si une femme montre un peu trop de goût pour la dépense, c’estsouvent par la faute du mari qui ne l’a pas suffisamment éclairée surla position financière de leur maison.

24. Si, après l’en avoir instruite, son goût pour la toilette et lesplaisirs l’emportait au-delà des bornes du budget du ménage, c’est aumari à faire intervenir son autorité de chef de maison, pour fairecesser le désordre.

POLITESSE AVEC SES AMIS.

1. Si vous avez un secret, gardez-le pour vous et ne vous avisez pasd’aller, dans un élan sentimental, le confier à votre ami, parce qu’ilen abusera pour vous perdre quand il sera devenu votre ennemi.

2. Gardez-vous de prêter de l’argent à votre ami, car il se brouilleraavec vous pour ne pas vous le rendre et deviendra votre ennemi. Si voustenez à le conserver, donnez-lui la moitié de votre bourse, de votrefortune même si cela vous convient, mais ne lui prêtez ni cent sous, nicent francs, ni cent mille francs.

3. Épanchez dans le sein de l’amitié les confidences de votre cœur, vosdésirs, vos passions, vos espérances, vos faiblesses mêmes, mais dansles limites qui vous permettraient de faire sans danger ces confidencesau public.

4. Deux brigands peuvent s’associer dans leurs intérêts et se traitermutuellement en amis ; mais l’amitié vraie ne peut exister qu’entregens qui s’estiment réciproquement. Choisissez donc votre ami parmi leshonnêtes gens ; estimez-le, mais ne le laissez jamais se tropfamiliariser ni avec votre femme, ni avec votre fille.

5. Tâtonnez longtemps et allez lentement dans le choix d’un ami.L’amitié qui vient au trot s’en retourne au galop.

6. Vous pouvez parler tant que vous voudrez de vos défauts à votre ami,mais ne lui parlez jamais des siens, sous peine de vous brouiller pourtoujours.

7. Faites-lui toutes les révélations qui peuvent lui être utiles, maisseulement autant qu’elles ne seront pas nuisibles à des tiers.

8. L’amitié de salon est de nos jours fort tolérante : elle se permetl’artifice, la dissimulation, les petites ruses, les grandes rivalités,un peu de perfidie, et rien ne la ravive plus qu’un coup d’épée donnéou reçu au bois de Boulogne. Edmond et Henri sont cités à Paris pourl’intimité de leur amitié ; et quatre fois ils ont été sur le terrainpour se couper la gorge ; rejetez de tels amis.

9. Ne tutoyez jamais vos amis. Le tutoiement engendre la familiarité,la familiarité amène les querelles, les querelles enfantent la haine.

10. L’amitié est impossible entre un grand et un petit, fort difficileentre un jeune homme et une jeune femme. Entre deux jolies femmes,c’est une fiction poétique.

11. « Tra gli amici mi-guardi, Iddio ; che dé nemici me guradere ben’io, » dit un poëte italien dont Voltaire rend ainsi la pensée : – « MonDieu, délivrez-moi de mes amis ; je me charge de mes ennemis. »

12. Soyez sincère avec vos amis, mais mettez-y beaucoup decirconspection. Dites-leur toujours la vérité, mais pas toute la vérité.

Le duc de *** répétait à qui voulait l’entendre qu’il ne savait paslire. Un de ses amis lui dit un jour qu’il était un ignorant ; M. leduc le fit jeter à la porte par ses domestiques, et il fit bien.

13. Ne vous familiarisez avec votre ami que jusqu’au point où il sefamiliarisera avec vous, et ne dépassez pas cette limite. Auguste alladîner chez un citoyen romain qui se vantait d’être son ami et qui, enconséquence, lui donna un repas sans cérémonie. En sortant de table,l’empereur ne se plaignit pas, mais il dit à son hôte : « Par Jupiter !je ne savais pas que nous fussions si familiers. »

14. Si vous croyez que vous avez des amis véritables, attendez, pourles juger, que l’adversité vous ait frappé.

15. Il n’y a pas de plus douce, de plus innocente erreur que celle decroire à l’amitié.

16. Si vous obligez vos amis, faites-le de bonne grâce, car : « c’estenchérir sur le don que d’épargner à un homme l’humiliation dedemander, » disait le prince de Conti.

Un homme de lettres rencontre un jour dans la rue un individu quil’aborde, en lui disant : « Bonjour, mon cher ami, comment te portes-tu? – Bien, mon cher ami, comment te nommes-tu ? » lui répond l’homme delettres.

DE LA POLITESSE EN GÉNÉRAL.

1. L’excès en tout est un défaut ; mais l’excès en politesse, telridicule qu’il puisse être, ne vous fera jamais que des amis.

2. Le seul excès que vous devez craindre en ce genre, est celui quivous conduirait à une lâche servilité, même avec les dames.

3. Cependant, que votre politesse ne soit jamais affectée au pointd’être ridicule.

4. Le raffinage de telle chose que ce soit lui fait perdre de son poids.

5. Ne soyez pas timide dans la société, si vous pouvez vous en empêcher; mais aussi, donnez-vous bien de garde vous y mettre tellement à votreaise, que votre aplomb puisse passer aux yeux de certaines gens pourquelque chose approchant de l’effronterie.

6. Pour jouer impunément le rôle de M. Sans-Gêne, il faut avoirquarante ans, quarante mille francs de rente et être à marier.

7. A moins de ça, M. Sans-Gêne cesse d’être un aimable original pourdevenir un grossier personnage.

8. Dans tous les cas, ses manières prouvent qu’il a plus d’estime poursa personne que pour la personne des autres.

9. Il manque totalement d’éducation et ne comprend pas la politesse.

10. Je vous le répète, la politesse est dans le cœur. Un homme quimettra constamment en pratique ces deux axiomes, vieux comme lacivilisation, sera toujours un homme poli : « Ne faites pas à autrui ceque vous ne voudriez pas qu’on vous fît, et faites-lui le bien que vousvoudriez qui vous fût fait. Aimez, et l’on vous aimera. »

11. La bonté est la vertu qui vous fera le plus chérir dans le monde etdans la famille.

12. Elle fournit le moyen le plus puissant pour désarmer l’envie et lamédisance.

13. Elle porte avec elle un charme indéfinissable qui attire tous lescœurs.

14. Elle a une telle puissance sur le cœur humain, qu’un seul de sesactes peut faire pardonner bien des actions douteuses.

15. Une personne douée d’une grande bonté ne peut jamais manquer depolitesse, car la politesse n’est que l’expression de la bonté.

16. Le masque de la bonté est celui avec lequel les hypocrites font leplus de dupes.

17. Les jeunes personnes doivent donc se défier du masque de la bonté,et, encore plus, de la bonté de leur propre cœur.

18. Ce n’est que par des actes et non par de vaines paroles que l’onpeut s’assurer que les gens qu’on ne connaît qu’imparfaitement ontvéritablement de la bonté.

19. Avec la bonté du cœur vous pourrez manquer à l’usage du monde sanstirer à conséquence ; mais toutes les fois que vous consulterez votrebon cœur, il est impossible que vous manquiez à la politesse.

20. Soyez indulgent, très-indulgent, avec les personnes qui débutentdans le monde, et, si l’occasion s’en présente, aidez-les dans la voiedifficile de la société en leur tendant une main secourable.

21. Soyez tolérant avec tout le monde, même avec les méchants.

22. L’homme qui, dans le monde, se plaît à étudier les gens pourdémasquer les méchants et les dénoncer à la société, fait un peu, selonmoi, le métier de mouchard ; il vaut mieux laisser les êtres vicieux sedévoiler eux-mêmes, et c’est ce qu’ils ne manquent jamais de faire.

23. Ne devenez le bienfaiteur que de ceux qui le méritent, afin de nepas jeter au vent le bon grain qui pouvait être utile.

24. Si vous ne voulez pas éprouver de déceptions dans vos bienfaits,n’en cherchez pas la récompense dans la conscience de vos obligés, maisseulement dans votre propre conscience et dans l’estime des honnêtesgens.

25. Obligez les gens comme si vous saviez d’avance que vous obligez desingrats.

26. Les cœurs les plus secs peuvent vous pardonner le bien que vousleur avez fait ; mais ils ne vous pardonneraient jamais s’ils pensaientque vous pouvez vous en souvenir.

27. L’excès en tout est un défaut ; de là, trop de bonté peut dégénéreren bêtise.

28. Saignez-vous s’il le faut pour nourrir les malheureux de votre sang; mais ne vous laissez jamais tondre la laine sur le dos.

29. Enfin, soyez un homme bon, et non pas un bonhomme.

POLITESSE A TABLE.

L’abbé Cosson était un célèbre professeur de belles-lettres au collègeMazarin, et l’un des hommes les plus érudits du siècle dernier. Un jouril fut invité à dîner chez l’abbé de Radonvillers, et il se trouva làavec des gens de la plus haute société, cordons bleus, maréchaux deFrance et autres, qui avaient encore conservé un vernis des usagespolis du siècle de Louis XIV. Le bon abbé Cosson avait la faiblesse dese croire très-habile dans la connaissance de l’étiquette et du bonton, et en sortant de table il se vantait à l’abbé Delille d’en avoirparfaitement rempli les usages pendant le dîner.

- Vous ? lui répondit Delille, pour le taquiner, vous vous trompezgrossièrement, car vous n’avez pas cessé de faire des incongruités.

- Cela n’est pas possible, dit l’abbé Cosson tout effrayé, car, enfin,j’ai fait comme tout le monde.

- C’est votre présomption qui vous le faire croire ; le vrai est quevous n’avez rien fait comme les autres !

- Vous vous trompez.

- Je vais vous le prouver. Voyons, comptez sur vos doigts :

1° Vous avez déployé votre serviette, vous l’avez étendue sur vous etattachée par un coin à votre boutonnière. Il n’y a que vous qui voussoyez permis cette inconvenance. On n’étale pas sa serviette, on secontente de la mettre sur ses genoux.

2° Vous avez mangé votre soupe avec votre cuillère d’une main et votrefourchette de l’autre ! une fourchette pour manger sa soupe, grand Dieu!

3° Vous avez mangé un œuf, et vous avez laissé la coquille, sans labriser, sur votre assiette.

4° Vous avez demandé du bouilli, tandis qu’on doit demander du bœuf.

5° Vous avez aussi demandé de la volaille, malheureux ! au lieu dedemander du poulet, du chapon ou de la poularde. Mais ne savez-vousdonc pas qu’on ne parle de volaille que dans la basse-cour ?

6° Avant de demander à boire, vous avez soufflé dans votre verre etvous l’avez essuyé avec votre serviette ! mais, misérable, queferiez-vous donc de plus dans une gargote où vous vous méfieriez de lapropreté de la maison ? Vous avez rappelé à tout le monde ces vers deBoileau :

    Et lesdoigts des laquais, dans la crasse tracés,
    Témoignaient par écrit qu’on les avait rincés.


N’était-ce pas très-flatteur pour le maître de la maison et sesconvives !

7° Vous avez ensuite demandé aux personnes qui en avaient devant elles,du bordeaux et du champagne ? Vous ignorez donc que l’on doit dire,dans ce cas, du vin de Bordeaux, du vin de Champagne ?

8° Vous avez été très-malhonnête avec M. le baron de R... et moi, touten voulant faire l’officieux. Chaque fois qu’on vous offrait à boire,vous vous avisiez de prendre nos verres et de les faire remplir avantle vôtre, sans que nous vous en ayons prié. Et qui vous disait que nousvoulions boire ? qui vous avait dit que nous désirions boire plutôt duvin que de l’eau, plutôt tel vin que tel autre vin ? Commentpouviez-vous savoir si, par une faveur spéciale, le maître de la maisonne nous avait pas destiné, à l’un ou à l’autre, une bouteille unique duvin pour lequel il nous sait une préférence ? Dans un dîner de la plusmince bourgeoisie, on ne se permettrait pas une telle inconvenance.

9° Au lieu de rompre votre pain, ce qui doit toujours se faire, vousl’avez coupé avec votre couteau.

10° Au dessert, vous avez mis les bonbons dans votre poche, croyantsans doute que cela ne tirait pas à conséquence. C’est une chose trèsinconvenante.

11° Vous êtes enrhumé du cerveau, dites-vous, mais ce n’était pas uneraison pour placer, après vous être mouché, votre mouchoir sur le dosou sur le bras de votre fauteuil, ce qui est pis qu’une impolitesse,car c’est une malpropreté.

12° Comme vous mangez très-lentement et que vous n’avez pas eu laprécaution de vous faire servir des portions plus petites que cellesdes autres, il en est résulté que chaque fois qu’il fallait servir unnouveau plat, on était obligé de vous attendre ; trouvez-vous celatrès-poli ?

13° On vous a servi du café très-chaud : vous l’avez versé par petitesparties dans votre soucoupe et l’avez bu à chaque fois, ce qui ne sefait jamais. Tout le monde le boit dans sa tasse et ne le verse sousaucun prétexte dans sa soucoupe.

14° Enfin, pour comble d’infamie, en vous levant de table, vous avezplié votre serviette, comme si vous pensiez qu’on en pouvait faire unusage quelconque avant qu’elle ait passé chez la blanchisseuse !

Vous voyez, mon cher Cosson, ajouta Delille, que vous êtes bien loin devotre compte, et que vous n’avez rien fait comme les autres. Le pauvreabbé resta confondu ; il comprit que le grec et le latin ne suffisentpas pour être homme du monde, et que l’éducation ne s’acquiert pas dansles collèges.


1. On ne présente jamais quelqu’un dans une maison à l’heure dudéjeuner ou du dîner, et l’on ne s’y présente jamais soi-même, à moinsd’une invitation formelle.

2. On ne mène jamais un chien avec soi dans une maison, soit qu’on yaille pour dîner, pour rendre visite ou pour toute autre cause.

3. On ne conduit jamais ses enfants pour dîner chez quelqu’un, à moinsqu’ils aient plus de huit ans, et que, dans ce cas, ils aient étéexpressément invités. Il en est de même pour les visites et soirées.

4. Les hommes doivent arriver à l’heure juste indiquée par le billetd’invitation, jamais plus tard. Mais, si l’on veut, huit à dix minutesplus tôt.

5. Il n’y a que les grands seigneurs et les malotrus qui se fontattendre.

6. Une dame qui se fait attendre plus d’un quart d’heure est une femmequi veut faire de l’effet, mais qui s’y prend maladroitement ; si,avant d’entrer, elle pouvait écouter à la porte, elle en serait plusque convaincue.

7. Lorsqu’on annonce que le dîner est servi, ne vous précipitez pasdans la salle à manger. Attendez que le maître ou la maîtresse de lamaison vous aient donné le signal d’entrer.

8. Offrez le bras gauche à une dame et conduisez-la dans la salle àmanger.

9. En conduisant votre dame, vous passez le premier et votre dame voussuit sans vous quitter le bras. Dans toute autre circonstance, passeravant une dame est une malhonnêteté.

10. S’il n’y a pas de dames, entrez le dernier si vous pouvez.

11. Laissez entrer les premiers vos supérieurs, et en général toutesles personnes qui, dans le monde, occupent un rang plus élevé que levôtre.

12. Le maître de la maison entre ordinairement le dernier et lamaîtresse la première.

13. Si quelqu’un se retire de la porte en vous disant de passer lepremier, arrêtez-vous et rendez-lui sa politesse ; mais s’il insiste,passez en le saluant. Toutes ces cérémonies de la porte sont dessimagrées qui, aujourd’hui, sont devenues ridicules.

14. Attendez, pour vous approcher de la table, que l’on vous aitdésigné votre place, à moins qu’il y ait des cartes déposées sur lesserviettes. Dans ce cas, vous vous approchez de la place dont la carteporte votre nom.

15. Attendez, pour vous asseoir, que le maître de la maison en aitdonné le signal en s’asseyant lui-même.

16. Dans tous les cas, attendez que les dames soient placées avant devous placer vous-même.

17. Ne vous asseyez jamais ni trop loin, ni trop près de la table.

18. S’il est inconvenant de se mettre à table le premier, il ne l’estpas moins de déployer sa serviette avant les autres.

19. Ne déployez pas entièrement votre serviette ; bornez-vous àl’étendre sur vos genoux.

20. Il est permis aux dames d’attacher leur serviette avec des épinglescomme elles le voudront.

21. Ne relevez pas les manches de votre habit, comme si vous alliezvous laver les mains.

22. Ne vous dandinez jamais sur votre chaise, ne vous balancez pas, nevous tenez pas renversé contre le dossier ; en un mot, prenez uneattitude aisée, mais décente.

23. Évitez surtout de gêner vos voisins et de leur donner des coups decoude dans la vivacité de vos mouvements.

24. Toute gesticulation forcée est incommode ou inconvenante.

25. Ne promenez pas vos pieds sous la table.

26. Ne mettez jamais les coudes sur la table.

27. N’élevez pas la voix comme si vous parliez à des sourds.

28. Si la conversation est générale, parlez assez haut pour êtreentendu de tout le monde ; s’il y a plusieurs conversationsparticulières, parlez assez bas pour ne pas gêner la conversation devos voisins.

29. Si vous demandez un verre, un couteau, ou du pain, au domestiquequi est au buffet, ne l’appelez pas garçon, comme on fait chez unrestaurateur, mais par son nom, dont vous vous informez si vous ne lesavez pas. Le mieux est de lui faire un signe sans l’appeler.

30. Ne dites et ne faites jamais rien qui puisse amener une discussionpolitique ou religieuse.

31. Quand le maître ou la maîtresse de la maison servent eux-mêmes etqu’ils vous font passer une assiette, ne la faites jamais passer à unautre ; ce serait une impolitesse.

32. Dans un dîner, serait-ce même à une table d’hôte, vous ne devezjamais ni demander, ni indiquer le morceau que vous préférez.

33. On ne tend jamais son assiette pour être servi le premier.

34. On ne souffle pas sur sa soupe quand elle est trop chaude ; onattend qu’elle se soit refroidie.

35. On ne porte pas son assiette à sa bouche pour boire son bouillon ;on le boit avec la cuillère.

36. Ne vous servez pas de votre fourchette, concurremment avec votrecuillère, pour manger votre soupe.

37. Il n’y a que les charretiers qui versent du vin dans leur bouillonpour le boire.

38. Laissez votre cuillère dans votre assiette à soupe, quand ledomestique vient enlever cette assiette.

39. Otez, au contraire, votre fourchette de votre assiette plate, quandvous avez mangé ce qu’on vous avait servi, à moins que vous ne soyezdans une grande maison où l’on change de couteau et de fourchette àchaque nouveau mets, comme en Angleterre.

40. On ne mord pas sur son pain ; on ne le coupe pas en morceaux paravance. On le casse en petits fragments, à mesure, et on porte cesfragments à sa bouche avec les deux doigts.

41. On n’étend pas le beurre, les confitures, etc., sur des tranches depain coupé en tartines ; cette règle n’a d’exception pour le beurre quelorsqu’on prend du thé.

42. Ne coupez votre viande en morceaux qu’au fur et à mesure que vousla portez à votre bouche.

43. Ne mangez pas avec avidité et ne vous remplissez pas trop la bouche.

44. Prenez du sel avec la pointe de votre couteau ou la cuillère à sel; il n’y a que les gens des plus grossiers qui mettent les doigts dansla salière.

45. N’essuyez pas la sauce de votre assiette avec de la mie de painpour la manger ensuite.

46. Ne flairez jamais la viande qu’on vient de vous servir.

47. Ne jetez pas vos os sous la table, ni dans la salle ; posez-les surle bord de votre assiette.

48. Ne rongez pas un os de trop près ; vous ressembleriez à un chacal.

49. Si vous trouvez dans votre assiette une chose malpropre, comme uncheveu, une chenille, etc., passez votre assiette à un domestique, maisdonnez-vous de garde de le dire, afin de ne pas dégoûter les convives.

50. Ne prenez votre couteau que pour vous en servir, et replacez-le surla table aussitôt après.

51. Évitez de renverser la salière, de mettre votre couteau en croixavec votre fourchette, de placer votre couteau le tranchant de la lameen haut, etc., il peut y avoir parmi les convives des personnessuperstitieuses qui s’en effraieraient. Il faut respecter les personnesjusque dans leurs plus ridicules faiblesses.

52. Ne critiquez jamais les mets que l’on vous sert, et ne faitesjamais comparaison d’un mets avec un mets pareil, mais meilleur, quevous auriez mangé ailleurs.

53. Si l’on sert un poisson, une pièce de gibier, ou autre chose un peutrop avancée, n’en mangez pas, et donnez pour prétexte que vous n’aimezpas cette espèce de poisson ou de gibier ; mais ne dites jamais quec’est parce que vous la trouvez trop faite.

54. Ne parlez jamais la bouche pleine, de crainte des éclaboussures.

55. En mangeant ne faites jamais de bruit ni avec vos lèvres, ni avecvos mâchoires, et surtout mangez avec une extrême propreté.

56. N’essuyez pas vos doigts à la nappe, mais à votre serviette. LesAnglais les essuient, ainsi que leur couteau, à un morceau de pain,mais en France ce n’est pas l’usage.

57. Ne portez jamais votre viande à la bouche avec vos doigts, maisavec votre fourchette.

58. Quand vous avez mangé un œuf à la coque, ne laissez jamais lacoquille entière sur votre assiette, mais écrasez-la avec votre couteau.

59. Quand on vous fait passer un plat, ne remplissez jamais votreassiette, comme font les maçons, mais servez-vous avec discrétion, vousavez toujours le temps d’y revenir.

60. Ne vous servez jamais avec votre fourchette, mais avec celle quiest dans le plat ; tenez votre fourchette de la main gauche si vousvoulez être du dernier genre ; il en résulte que vous n’aurez pasbesoin de changer à tout instant votre couteau et votre fourchette dela main droite à la main gauche, à mesure que vous couperez votreviande pour la porter à votre bouche, car on tient le couteau de lamain droite.

61. Ne demandez jamais du bouilli pour du bœuf ; de la volaillepour du poulet, du chapon ou de dinde : du champagne ou du bordeauxpour du vin de Champagne ou du vin de Bordeaux.

62. N’essuyez pas votre verre avec votre serviette avant de demander àboire, car c’est une accusation tacite de malpropreté que vous portezcontre la maison où vous êtes.

63. Évitez de laisser de l’eau ou du vin dans votre verre, surtoutquand vous sortez de table.

64. Ne prenez jamais le verre d’un voisin ou d’une voisine pour luifaire verser à boire, ou l’on croira que vous avez appris le bon ton aucabaret.

65. Ayez soin que les dames placées à côté de vous soient toujoursservies convenablement, qu’elles ne manquent de rien, et, si vous lepouvez ou savez le deviner, prévenez jusqu’à leur moindre désir.

66. Au dessert ne mettez jamais dans votre poche ni fruits, ni gâteaux,ni bonbons ; si vous en preniez l’habitude, on finirait par vous fairemanger avec des couvert en Ruolz.

67. Ne coupez jamais vos fruits avec un couteau d’acier, mais avec lecouteau à lame d’or ou d’argent que l’on vous donne pour cela.

68. On ne pèle pas une poire avant de l’avoir coupée longitudinalementen quatre quartiers, que l’on pèle ensuite à mesure qu’on les mange.

69. N’offrez pas à une dame de partager avec vous un fruit que vousavez sur votre assiette, ou que l’on vous offre. Cette familiarité estde mauvais ton ; il n’y a guère qu’une dame déjà d’un certain âge quipuisse se permettre une offre pareille, surtout à un monsieur.

70. Cependant, s’il n’y a pas de fruits pour tout le monde et qu’ilfaille partager, vous aurez le soin de présenter à une dame le quartierle plus gros, auquel vous auriez laissé la queue de la poire.

71. On ne trinque plus à table ; si vous vous avisiez de le faire, onvous prendrait pour votre grand-père. On ne porte de tosts ou toasts,que dans les repas de corps ou dans les grands dîners de cérémonie.

72. Ne mangez pas trop vite pour ne pas presser les autres, ni troplentement pour ne pas vous faire attendre.

73. Si vous avez le hoquet, éclipsez-vous un moment et ne revenez àtable que lorsqu’il est passé.

74. Si vous éternuez, couvrez-vous la bouche avec votre serviette pouréviter les éclaboussures à vos voisins.

75. Si vous vous mouchez, remettez de suite votre mouchoir dans votrepoche.

76. S’il arrivait à un convive un de ces petits accidents inhérents àla misère de la nature humaine, n’ayez pas l’air de vous en apercevoir,et surtout ne vous avisez pas de demander une prise de tabac à unvoisin.

(Autrefois, dans le bon vieux temps, nos pères avaient toujours unchien sous la table, et lorsque pareille petite misère arrivait, onavait soin de pourchasser le chien, ou d’en faire le semblant ; mais ils’est trouvé tant de convives qui abusaient de cette prévoyance del’amphitryon, que la mode des chiens lévriers et des danois est tout àfait tombée ; c’est tout au plus si l’on admet à présent sous la tabledes riches un bichon ou une petite levrette. C’est moins commode pourcertains tempéraments.)

77. Essuyez-vous la bouche avec votre serviette avant de boire, carrien n’est ignoble comme de graisser son verre avec ses lèvres.

78. Avoir l’air de flairer son vin, et le boire à petite gorgée, commeun dégustateur, est une chose grossière qui n’est permise qu’à uncabaretier qui va acheter du vin à la Rapée.

79. Faites jeter par la fenêtre, comme un insolent mal appris, l’hommequi s’aviserait de boire dans le verre d’une dame sous le sot prétextede deviner ce qu’elle pense.

80. Il serait malséant de porter une santé, un toast, avant le maîtrede la maison, à moins que ce ne soit à lui que vous portiez le toast.

81. Si l’on vous a porté un toast répondez-y ; mais point de phrases,cela trouble la digestion des jaloux et des envieux.

82. Il n’y a que les gens les plus grossiers qui, après avoir porté untoast, jettent et cassent leur verre pour grimacer l’enthousiasme. Celasent le dîner de garnison.

83. Lorsque quelqu’un porte un toast au maître ou à la maîtresse demaison, videz votre verre entièrement, libre à vous de n’y avoir verséque peu de vin.

84.  A cause de l’animation qui suit le vin de Champagne, unredoublement de gaieté est permis au dessert, pourvu que cette gaieténe soit ni bruyante, ni gesticulante.

85. Évitez surtout ces ricanements prolongés, sans cause apparente, sivous ne voulez pas qu’on vous délivre un brevet de bêtise etquelquefois d’insolence.

86. Ne vous avisez pas de jeter à quelqu’un des boulettes de pain, sivous ne voulez pas passer pour un paysan sans éducation.

87. La grossièreté des manières et des mœurs dénonce toujours lagrossièreté de l’intelligence et du cœur.

88. Quand vous sentez que vous avez assez bu, arrêtez-vous, quelles quesoient les instances qu’on puisse vous faire ; sans cela vous pourriezagir et parler comme un ivrogne, et l’ivrognerie est le plus crapuleuxde tous les vices.

89. Ne renversez pas votre verre vide sur la table ou votre assiette,pour montrer que vous ne voulez plus boire, il suffit de refuser avecfermeté.

90. Ne parlez pas à l’oreille, ou à voix basse, ou d’un air mystérieux,à votre voisin ou à votre voisine, parce que les gens susceptiblespourraient croire que vous parlez d’eux.

91. Si vous parlez de quelqu’un, nommez-le, mais ne le désignez pasavec le doigt, car c’est ce que vous pourriez faire de plus malhonnête.

92. Quand on vous sert du café, laissez-le refroidir dans votre tassesi vous le trouvez trop chaud ; mais ne le versez dans votre soucoupesous aucun prétexte.

93. Il serait extrêmement indiscret à un convive de prier quelqu’un dechanter au dessert, et ce serait manquer complètement d’usage que dechanter soi-même sans en être prié. Les maîtres seuls de la maison onle droit d’en prier quelqu’un.

94. Mais cet usage de chanter à table était si mortellement ennuyeux,qu’heureusement il est passé de mode.

95. Néanmoins, si par quelque circonstance particulière, on vous inviteà le faire, chantez sans vous faire prier davantage, car les simagréesne sont plus tolérées que chez les petites filles de huit ans.

96. Si vous vous faites prier, ne chantez pas et tenez ferme, car sivous cédiez, votre résistance d’auparavant serait une grandeimpolitesse.

97. D’ailleurs, après votre première excuse, les gens de bon tonn’insisteront pas.

98. Dans tous les cas, une chanson à boire, chantée à table devant lesdames, prouve un absolu manque de tact.

99. Lorsque, dans une maison arriérée, on vous apportera la tranche decitron et le bol d’eau tiède pour vous rincer la bouche et vous laverles mains, servez-vous-en le moins malproprement possible sans tropdégoûter vos voisins, et cela se peut, et souvenez-vous de lacaricature des gorets.

100. Ne vous levez pas de table avant que  le maître ou lamaîtresse de la maison en aient donné le signal en se levant eux-mêmes.

101. En vous levant, déposez votre serviette sur la table, mais sans laplier. Ne la jetez pas sur le dossier d’une chaise ou d’un fauteuil.

102. Offrez le bras aux dames pour les conduire au salon, et ne montrezaucune préférence pour l’offrir plutôt à celle-ci qu’à celle-là.

103. Il serait malhonnête de se retirer aussitôt que l’on est sorti detable. La politesse exige que l’on reste une heure au moins au salonaprès le dîner.

Ici finit le résumé de Mme Badouillard, qu’elle me remit, en ajoutant :« Avec cela, mon cher philosophe, et en observant scrupuleusement cepeu de préceptes, ne vous gênez pas ; mettez-vous à votre aise commechez vous, dînassiez-vous même chez un ministre. »

Je me permettrai d’ajouter un seul précepte à ceux de cette dame, et levoici :

104. Pour peu que vous ayez d’esprit, n’affectez jamais d’avoir plus desavoir-vivre que vos hôtes et leurs convives en ont eux-mêmes ; car,eussiez-vous appris par cœur les cent trois axiomes de Mme Badouillard,vous n’en seriez pas moins fat et impoli. L’art du monde ne consistepas seulement à hurler avec les loups, mais encore à hurler comme euxet sur le même ton, quand vous y êtes. Cela signifie qu’il faut savoiret vouloir faire comme les autres, quel que soit le ton de la sociétéoù vous vous trouvez. Par exemple, et ceci est d’une haute importance :dans un dîner du quartier Saint-Germain, vous vous servirez de saladequand la dame de la maison vous présentera le plat ; dans le quartierLaffitte, vous ferez servir la dame avant vous ; dans la rueSaint-Louis, au Marais, vous vous servirez avant elle, parce que là,ainsi que dans la petite bourgeoisie, une ancienne tradition dit que la politesse est restée au fond dusaladier.

Quoi qu’il en soit, dans les trois quartiers que je viens de citer,comme partout, on vous pardonnera quelques infractions aux usagesreçus, si vous montrez de la bonté, de l’obligeance, de l’envie deplaire et un grand fonds d’indulgence.


CHAPITREII.
POLITESSE DES MAITRES DE MAISON.

DU LOGEMENT CONFORTABLE.

1. Choisissez un appartement qui soit en rapport avec votre fortune etvos goûts.

2. Qu’il y ait de l’air, du soleil, et pas d’humidité, si vous tenez àvotre santé et à celle des vôtres.

3. Qu’il ne soit pas trop haut, si vous avez de vieux amis.

4. Ayez un bon propriétaire, mais faites toujours un bail dans lequelvous vous efforcerez de tout prévoir.

5. Tâchez que vous ne puissiez pas vous rencontrer sur l’escalier, niavec des lions, ni des lionnes, ni des rats, ni des lorettes, encoremoins des ivrognes.

DU SERVICE DE TABLE ET DUCOUVERT.

1. Offrez à vos convives, sans considération de rang ni d’importance,les mets aussi délicats que votre bourse vous le permettra, et qu’ilssoient servis en quantité suffisante pour tous. Abondance sansprofusion.

2. Si vous avez admis un maçon à votre table, vous lui devez autantd’égards qu’à vos autres convives, sauf les places d’honneur.

3. Si vous n’avez que des hommes, vous pouvez vous abstenir de faireservir des sucreries, c’est la seule différence qu’il doit y avoir avecun dîner où il y a des dames.

4. Que les mets soient variés autant que possible.

5. Ayez un beau linge et surtout parfaitement blanc.

6. Dans un dîner d’apparat, la mode est passée de couvrir la nappe avecun napperon.

7. Le vin ne se sert plus dans des bouteilles, mais dans des carafes decristal, au désespoir des véritables gourmets. On n’a donc plus besoinde porte-bouteilles, ni même de rafraîchissoirs, si ce n’est pourfrapper de glace le vin de Champagne. Les connaisseurs espèrent quecette mode stupide, qui dépouille le vin d’une partie de son arôme, netiendra pas longtemps.

8. On placera devant chaque convive trois ou quatre verres : 1° unverre à pied pour le vin ordinaire ; 2° un petit verre pour le madèresec ; 3° un verre à vin de Bordeaux ; 4° un verre à vin de Champagne.

9. Le vin de Champagne se prend quelquefois dès le commencement durepas. Dans ce cas les bouteilles sont déposées à l’avance dans desrafraîchissoirs en argent contenant de la glace, et placés sur la table.

10. Depuis l’invention Ruolz, il faudrait être bien cancre pour ne passe donner un buffet garni de magnifique argenterie.

11. Les réchauds seront donc en argent, et chauffés avec une bougie ouà l’esprit de vin ; un réchaud sous chaque plat.

12. Comme tous les plats doivent presque se toucher, il y a desamphitryons qui trouvent économique de placer au milieu de la table, etmême quelquefois aux quatre coins, des plateaux portant des corbeillesou des vases de fleurs, etc., etc. ; il est beaucoup mieux de remplacerles fleurs par des pyramides de pâtisseries, bonbons, confituressèches, que l’on ne démolit qu’au dessert.

13. Ne vous avisez pas d’éclairer la table avec une lampe antiquesuspendue, c’est passé de mode. Mais il est très-confortable de laremplacer par un beau lustre de cristal.

14. Il est plus ordinaire de n’éclairer la table qu’avec descandélabres à trois branches. Dans ce cas il en faut au moins un parsix convives. C’est-à-dire que quatre candélabres peuvent suffire pourune table de vingt-quatre convives ; mais il est mieux d’en avoir uncinquième au milieu, en face de la maîtresse de la maison.

15. Le bœuf bouilli ne doit jamais paraître dans un grand dîner.

16. Il est bien d’avoir à offrir deux sortes de potages.

17. La maîtresse de maison doit veiller à ce que, à chaque service, lesplats soient placés avec la plus élégante symétrie.

18. Dans peu de maisons on est servi entièrement en vaisselle plate,mais dans beaucoup les plats sont en argent.

19. Jadis les rois de France se faisaient servir dans des plats en or.Tout le monde ne connaît pas l’aventure de Dominique à ce sujet.

Louis XIV donnait à la famille royale un repas d’apparat, et la fouledes courtisans circulaient autour de la table pour admirer la grâceavec laquelle Sa Majesté avalait une cuisse de faisan. Le célèbrearlequin Dominique, comédien du roi, s’était glissé dans la foule, etses yeux ne quittaient pas de dessus un plat en or, dans lequel étaientdeux perdrix très-appétissantes. Le roi s’en aperçut, et il dit : «Qu’on donne ce plat à Dominique. – Quoi ! Sire, et les perdrix aussi ?» répliqua l’arlequin. Sa Majesté stupéfaite hésita un instant, puisenfin elle ajouta, en riant de l’effronterie du drôle : « Soit, et lesperdrix aussi. »

20. Un dîner confortable peut ne se composer que : 1° des potages et deleurs menus ; 2° d’un premier service ; 3° d’un second service ; 4°d’un dessert.

21. Une grande question est de savoir, dit Mme Celnart, si l’onapportera les cuillères en massesur des assiettes pour servir lescrèmes, ou si l’on servira une cuillère d’entremets à chaque convive.Il paraîtrait, toujours selon le même auteur, que ce dernier usage estle plus distingué.

22. Jamais un dîner d’apparat ne doit être servi par des femmes, maisexclusivement par des hommes. Écoutons encore l’auteur déjà cité : «Quand les convives entrent dans la salle à manger, les domestiques, engants blancs, en tenue soignéeou en livrée, la serviette sur lebras, font cercle debout, à quelque distance de la table. »

23. Dans un dîner de gens d’esprit, sans morgue et de bon ton, on peutse permettre de faire servir par un domestique et une bonne.

24. Dans le dîner d’apparat, il faut indispensablement un écuyertranchant en costume, c’est-à-dire : Habit noir à la française, giletet cravate blancs ; culotte courte en drap de soie noire ; bas de soienoire et escarpins.

25. L’écuyer tranchant lève les plats les uns après les autres dedessus la table, les pose sur un buffet à côté et les découpe. Si c’estune pièce estimée, comme un faisan, par exemple, il replace tous lesmorceaux coupés comme ils étaient quand l’animal était entier, sansoublier de remettre en position la tête et la queue conservées en plumepar le cuisinier, et il place le plat devant le maître ou la maîtressede la maison, qui, dans ce cas, se chargent de servir, ainsi qu’ils lefont pour tous les plats recherchés.

26. Si l’écuyer tranchant découpe un plat ordinaire, il faut qu’il aitle talent de faire autant de parts égales qu’il y a de personnes àtable, et il peut, s’il y a été autorisé par l’amphitryon, envoyer uneportion à chaque convive par un des domestiques servants, ou, sur unsigne du maître, faire passer le plat à la ronde.

27. Les domestiques servants doivent veiller à ce que chaque convive nemanque de rien. S’ils aperçoivent quelqu’un qui n’a plus de pain, ilslui présentent l’assiette où le pain est coupé en morceaux pesantchacun environ deux onces.

28. Les maîtres de la maison n’en restent pas moins chargés de fairecirculer et de distribuer les hors-d’œuvre.

29. Nos aïeux avaient l’habitude d’interrompre leur dîner pour boire unverre d’absinthe, la plus détestable et la plus dangereuse desliqueurs. On offre aujourd’hui un verre de madère, ou un coup demadère, comme dit Mme Celnart. Il faut espérer que cette misérablehabitude tombera en désuétude. Dans tous les cas, ce sont les maîtresde maison qui offrent et qui versent le coup de madère.

30. Ce sont les domestiques servants qui versent aux convives les vinsfins. Ils se présentent derrière vous et vous disent d’une voixmielleuse : « Monsieur, lequel préférez-vous, côte-rôtie, mercuré ougrave ? » Et ils vous empoisonnent le plus souvent avec du vienne, duromanèche ou du bordeaux.

31. Du reste, vous serez heureux si dans un dîner de deux heures ils seprésentent trois fois, les scélérats ! et cela parce que la maîtressede la maison a de l’ordre et de l’économie !!!

32. Il vaut mille fois mieux ne jamais donner de grands dîners, que delaisser apercevoir aux convives qu’on y met de l’économie.

33. Au second service, l’officier tranchant se fait apporter les rôtspour les découper, pendant que les amphitryons servent les entremets delégumes et primeurs, servis en plats couverts.

34. Choisissez un officier tranchant bien pénétré de la hauteimportance de ses fonctions. Qu’il se moule à ce sujet sur les opinionsde ce malheureux Vatel.

Vatel était le premier officier de bouche de Louis XIV. Il plaît unjour au monarque d’aller dîner à Versailles, et Vatel n’en fut avertique quelques heures auparavant. Aussitôt il se hâte de donner sesordres aux fournisseurs du château ; il met à leur disposition tous lesfourgons de la cour ; il ordonne, prie, supplie et offre de payerdouble si l’on est exact ; puis il monte à cheval et vole à Versaillesfaire allumer les fourneaux.

Hélas ! zèle superflu ! l’heure de se mettre à table arrive ; les rôtsmanquent et la marée n’est pas encore arrivée. Vatel, dans le dernierdésespoir, se regarde comme déshonoré à tout jamais. Il va, il vient,il court, tous les supplices de l’enfer sont dans son cœur, et la maréen’arrive pas ! Enfin, cédant à sa douleur, il monte dans sa chambre etse passe son épée au travers du corps. Un grand seigneur qui l’entendgémir pénètre dans sa chambre pour lui porter secours : « Monseigneur,dit Vatel en expirant, l’honneur m’est plus précieux que la vie et jel’ai perdu ! Les rôts ont manqué, et la marée n’est pas encore arrivée! »

34. Après les rôts, on sert le poisson (car la salade n’ose plus semontrer dans les dîners de cérémonie), et c’est encore l’écuyertranchant qui le découpe avec la truelle d’argent. Puis viennent lesentremets sucrés, qui sont servis par les amphitryons.

35. Les honneurs du dessert se font comme ceux de la table.

DU MAITRE ET DE LA MAITRESSE DEMAISON

A TABLE.

1. Ne donnez jamais de dîner sans façon qu’à vos intimes amis, etencore est-ce le moyen de les congédier.

2. Ne donnez de grands dîners de cérémonie que lorsque vous êtes assezriche pour faire grandement et honorablement les honneurs de votretable.

3. Il n’y a rien d’aussi mesquin, d’aussi ridicule que ces dîners où lavanité emploie tous les moyens pour masquer la pauvreté.

4. Que votre table soit assez grande pour que tous vos convives ysoient à l’aise. Point de petite table à côté de la grande, car lespersonnes que vous y placeriez seraient en droit de se regarder commeles parias de votre société.

5. Désignez la place que chacun doit occuper à table, soit verbalement,soit par étiquette sur chaque couvert.

6. Dans les dîners où il n’y a que des hommes, chacun se place où ilveut, après cependant que le maître et la maîtresse de la maison ontfait placer les personnes qu’ils veulent distinguer aux placesd’honneur.

7. Les places d’honneur sont à droite de la maîtresse et du maître dela maison.

8. Ne vous gonflez pas trop si la maîtresse de la maison vous faitplacer à sa droite, car cela pourrait bien n’être que par hasard, commecela m’est arrivé assez souvent. Mais ne vous gendarmez pas pour être àsa gauche, par la même raison, surtout si vous dînez chez des parvenus.

8. Les personnes qui méritent la place d’honneur, sont : 1° lesvieillards ; 2° les dames ; 3° les grands personnages de l’État ; 4°les grands littérateurs ou artistes ; 5° les hommes qui ont acquis dela célébrité en tel genre que ce soit ; 6° les étrangers (non Français).

9. N’admettez jamais à la table vos enfants, s’ils ont moins de dix àdouze ans.

10. Surtout, n’allez pas vous ingérer de leur faire une petite table àcôté de la grande ou dans la même salle, si vous ne voulez pas passerpour un épicier parvenu. Les enfants doivent être relégués dans unappartement séparé, jusqu’à ce qu’ils soient en âge de se comporterdiscrètement à table.

11. En votre qualité d’amphitryon, vous avez la suprême puissance àtable ; usez-en pour mettre tout le monde à son aise, et ne permettezaucune infraction aux règles sévères de la décence et de la bienséance.

12. Ne laissez passer, sans donner un signe de désapprobation, ni uneméchanceté, ni une médisance, ni un bon mot rocailleux, ni uneconversation décoletée.

13. Le maître et la maîtresse de la maison se placent au milieu descôtés les plus longs de la table, afin de pouvoir observer plusfacilement le service.

14. L’amphitryon ne vantera jamais les mets qui paraissent sur sa table.

15. Il serait bien plus ridicule s’il s’excusait sur le mauvais dînerqu’il donne.

16. Il est de très-mauvais ton de presser les convives de manger et desurcharger leur assiette. La politesse ne va pas jusqu’à faire creverles gens ! L’amphitryon, après une très-légère insistance, doit cesserses prévenances, à moins qu’il ne croie qu’on le refuse par simplediscrétion.

17. On reconnaît les amphitryons de bon ton à la manière gracieuse,aisée surtout, avec laquelle ils s’acquittent de ces mille petitsdétails, sans peine, sans fatigue, sans prendre un air soucieux etaffairé.

18. Faire convenablement les honneurs du dessert, est également unechose qui exige du savoir-vivre.

19. Après avoir fait brosser la nappe sur ses bords, un domestiqueservira les assiettes de dessert, avec le couvert de vermeil et lescouteaux à lame d’argent placés dans l’assiette, mais non en croix pourne pas éveiller les opinions superstitieuses de quelques vieilles damesdu grand monde.

20. On commence par le fromage, que le maître de la maison divise enmorceaux avant de faire passer le plat.

21. Viennent ensuite les fruits que la maîtresse de la maison choisitet fait passer à chacun sur une assiette. C’est là, surtout, qu’ilserait de la plus grande grossièreté de faire passer à un voisin, oumême à une voisine, le fruit que la maîtresse de maison a choisi exprèspour vous, bon ou mauvais.

22. Les compotes viennent après les fruits, et avant le petit four etles fruits glacés, puis les pâtes d’ananas, de coings, etc., lesbonbons, etc., etc. Mme Celnart dit que les bonbons-pétards neviennent qu’en dernier ; je ne l’affirme pas, parce que je n’en aijamais vu que chez les confiseurs.

DISSECTION DES VIANDES.

Du bœuf bouilli. Coupez-letoujours en travers des fibresmusculaires, en tranches ni trop minces, ni trop épaisses, et servezaux dames un morceau entrelardé ou qui ait un peu de gras. Si c’est dela poitrine, divisez vos portions de manière à pouvoir donner un os àchacune, car ils forment la partie la plus délicate.

Du bœuf à la mode. Découpezcomme j’ai dit, avec le soin que leslardons soient coupés en travers. Tous les morceaux sont présentables.

Du carré de veau. Levez lefilet, que vous coupez en morceaux.Séparez les côtes, après lesquelles il faut qu’il reste de la chair etun peu de rissolé. Servez ces côtes aux dames avec un morceau durognon. Surtout ne faites pas comme Mme D. Elle reçoit un jour à dînerM. V. B., et on sert un carré de veau rôti. La dame lève le rognon etdit à sa bonne : « Marie, serrez cela, ce sera pour faire une omelettedemain. » La bonne l’emportait, lorsque M. V. B. la rappelle, prend leplat de veau, le lui tend et lui dit : « Tenez, emportez encore cela :ce sera pour faire une blanquette demain. »

De la tête de veau. Servezchaud, servez même très-chaud. Servez auxdames, d’abord les yeux, que vous levez à la cuillère, puis lesbajoues, ensuite les tempes, les oreilles, et enfin la langue. Joignezà chaque portion un morceau de cervelle. Surtout ne vous avisez pas detoucher à la cervelle avec votre couteau. Je n’ai pas besoin de vousdire que la tête de veau doit toujours être servie avec sa peau, àmoins qu’un habile artiste en cuisine n’ait métamorphosé cette peau enune farce et garniture composée de crêtes, riz-de-veau, mauviettes,anguilles, écrevisses, laitances de carpes, pigeons à la cuillère,truffes, godiveau, champignons, olives farcies, etc., etc. Hélas !hélas ! que sont devenues les têtes de veau du Puits-Certain !!

Du gigot de prés-salés.N’allez pas le couper selon l’ancienneméthode, on dirait que vous êtes rococo, absolument comme si vousserviez un gigot dont le manche fût coupé. Prenez le manche de la maingauche et coupez vos tranches longitudinalement sur le côté extérieurde la cuisse, en tranches aussi minces qu’une carte à jouer, si celaest possible. Servez aux dames les tranches levées le plus près des os.

Du cochon de lait.Servez très-chaud. Tranchez la tête aussitôt sivous voulez que la peau reste croquante. Levez-la de manière à ce qu’ilreste un peu de chair dessous, coupez-la en morceaux carrés, et servezles dames. Le reste de l’animal ne vaut pas grand’chose.

De l’agneau.Tranchez-le en deux quartiers, puis divisez chaquequartier en côtelettes ; séparez les deux cuisses et coupez les gigotspar tranches. Les côtelettes s’offrent aux dames.

Du chevreau. Mêmeschoses ; mais offrez aux dames les tranches desgigots.

De la poule au pot et duchapon au gros sel. Le morceau le plusprésentable est la cuisse.

Du dinde rôti. Il y atrois manières de le découper, disent lesdoctes dans la science gastronomique, mais la méthode la plus employéechez les gens du bon ton consiste à ne lever aucun des membres, mais àcouper les blancs en filets, comme on fait au canard, à cettedifférence qu’on ne les coupe pas sur la longueur, mais sur la largeur.Les tranches les plus près des ailes sont les plus présentables.

La méthode la plus économique, celle qui se pratique le plus dans lapetite bourgeoisie, consiste à lever les deux ailes et à briser lecorps sur le dos. Les cuisses et le croupion forment ce qu’on appellela mître d’évêque. Lesconvives polis devinent l’intention dudécoupeur et ne manquent jamais de dire qu’il ne faut pas l’attaquer,que le devant suffira, etc. On les prend au mot, et les hôtes du logisy gagnent le déjeuner ou le dîner du lendemain. Pouah !

Un jour, M. Lah... est invité, chez des avares, à aller manger unedinde du Mans. On découpe la pièce de cette manière. Déjà la mître estsur une assiette, et la maîtresse de logis cherche des yeux ledomestique pour la lui faire enlever, lorsque M. Lah..., qui s’étaitaperçu de l’intention de la dame, tourne et retourne tous les morceauxdu plat qu’on lui avait fait passer pour se servir lui-même ; puisenfin, s’adressant à la maîtresse du logis : « Mon Dieu, Madame, luidit-il, j’ai la vue extrêmement basse, et vous m’obligeriez beaucoup sivous étiez assez bonne pour me servir vous-même. – Bien volontiers,Monsieur, quel morceau préférez-vous ? – J’ai honte de vous avouer magourmandise, mais vous faites si noblement les honneurs de votre table,que je n’hésite pas : dans la dinde, je ne mange jamais que lessot-l’y-laisse. »

La dame, désappointée, fit revenir la mître, et on la disséqua pourservir M. Lah..., qui, en vrai sournois, riait sous cape de sa malice.

La meilleure façon de découper une dinde est de lever d’abord lescuisses et les ailes, ensuite les sol-l’y-laisse (ou os du bassinau-dessus et de chaque côté du croupion), puis les blancs, et l’onbrise la carcasse et le croupion. Ce sont ces dernières parties, ycompris les sot-l’y-laisse, que l’on offre aux dames. Le dindonneau sedécoupe de même, à cette différence qu’on lève les ailes sans lescouper en filets.

De la poularde et du chapon.On lève les deux ailes, les deuxcuisses, et l’on divise la carcasse. Les ailes et les blancs sont lesmorceaux les plus présentables. On est dans l’habitude de laisser tousles morceaux dans le plat que l’on fait passer à la ronde, avec le soinde faire servir les dames les premières.

Du poulet. Il sedécoupe comme nous venons de dire, mais on donne auxdames le choix de l’aile ou du croupion.

De l’oie. On enlèveles filets longitudinalement, avec assezd’adresse pour en avoir quatre de chaque côté. Ce sont les meilleursmorceaux de l’animal.

Des canards et des sarcelles.On les découpe par aiguillettes, puison lève les ailes et les cuisses comme dans un poulet. Les aiguillettesse présentent aux dames.

Du lièvre rôti. Onoffre aux dames le râble ou la partie supérieuredes cuisses. Le râble se lève longitudinalement, depuis l’épaulejusqu’à la naissance de la cuisse.

Du perdreau rôti.Après avoir enlevé les deux ailes et les deuxcuisses, on coupe le corps en deux, longitudinalement. L’aile est lapartie la plus délicate, mais la cuisse a plus de fumet. Néanmoins oncommence par offrir l’aile.

Le pigeon rôti secoupe en deux longitudinalement outransversalement. Quand il est gros on peut le couper en quatre. Onoffre, dans ce cas, ainsi que lorsqu’il est coupé en travers, le côtédu croupion.

La bécasse se coupecomme le poulet. L’aile est le morceau le plusdélicat.

La bécassine, quandelle ne se sert pas tout entière, se coupelongitudinalement, ainsi que la caille, la grive, etc.

Les mauviette, ortolan,becfigue, et autres petits oiseaux, seservent entiers.

Nous arrivons aux poissons. Ici, pour découper, abandonnez le couteauet la fourchette ; remplacez-les par une truelle. Il est bon d’en avoirdeux, une en acier pour trancher la tête aux gros poissons, une enargent ou en vermeil, très-forte, et toutes deux très-tranchantes.

De la truite. Le dosest la partie la plus délicate ; on doit lelever en partant du bas des ouies et suivant la ligne médiane du corps,ligne qui est marquée plus ou moins distinctement sur presque tous lespoissons longs.

Du brochet. Avec latruelle on sépare la tête du tronc. C’est unmoment très-délicat, que l’on sert très-volontiers aux dames. On tireune ligne profonde sur le dos, de la tête à la queue, et on enlèvel’arête ; puis on divise les morceaux de manière à ce que chacun d’euxcomprenne une partie de dos et une de ventre. Les portions du milieu ducorps sont les plus présentables.

Un beau brochet, ainsi qu’un saumon, se servent, quand ils sont assezgros pour cela, sur une planche recouverte d’un linge bien blanc, avecquelque verdure autour.

Le saumon se sertabsolument comme le brochet ; mais la tête nes’offre pas.

Fontenelle aimait beaucoup ce poisson. Un jour il dînait chez madame duD., où se trouvaient plusieurs convives peu lettrés. Comme ilretournait une seconde fois au saumon, l’un d’eux lui dit d’un air unpeu trop goguenard : « Hé ! hé ! monsieur de Fontenelle, je ne savaispas que les philosophes aimassent autant les bons morceaux. –Probablement, répondit-il sèchement, que Monsieur s’imaginait que Dieun’avait fait les bonnes choses que pour les sots. »

Le barbeau se détailleabsolument comme le brochet. Les œufs de l’unet de l’autre sont très-dangereux, et peuvent quelquefois empoisonner.Ils doivent être jetés et ne jamais paraître sur la table.

De la carpe. Oncommence par couper la tête que l’on présente à unedame, car c’est le morceau le plus délicat, la langue surtout. On lèveensuite la peau et les écailles que l’on met de côté, puis on la divisecomme la truite, en observant que le dos est le morceau le meilleur.

Le turbot. Avec latruelle d’argent on décrit une croix sur le ventredu turbot, en tranchant jusqu’à l’arête, après quoi on tire des lignestransversales depuis le milieu jusqu’aux barbes, et l’on sert ainsi leventre, qui est la partie la plus délicate. On lève l’arête, et onprocède de même pour servir le dos. Les barbes s’offrent aux dames.

L’esturgeon. Rarementil se présente entier sur une table. Cependant,quand le cas arrive, on le sert comme le saumon.

Il s’est élevé une grande et importante polémique entre les savantspour savoir si Athénée, dans son conte du Gourmand, a voulu parler d’unesturgeon ou d’un turbot. Mais il me semble que la Fontaine, le moinsbonhomme des auteurs de son temps, quoi qu’on en ait dit, a tranchécette difficulté dans ce petit conte que tout le monde sait par cœur :

           A son souperun glouton
            Commande quel’on apprête
            Pour lui seulun esturgeon.
            Sans enlaisser que la tête.
            Il soupe ; ilcrève : on y court,
            On lui donnemaints clystères.
            On lui dit,pour faire court,
            Qu’il metteordre à ses affaires.
            Mes amis, ditle goulu,
            M’y voilà toutrésolu ;
            Et puisqu’ilfaut que je meure,
            Sans fairetant de façon,
            Qu’onm’apporte tout à l’heure,
            Le reste demon poisson.


L’empereur Napoléon, quand il donnait un grand dîner d’étiquette,restait à table trente minutes, ni plus ni moins, et dans les dînersordinaires quinze minutes seulement ; aussi ne manquait-on jamais de selester convenablement l’estomac avant d’aller s’asseoir à sa table.Hélas ! cela prouve qu’il n’y a pas d’être parfait sur la terre, et queles plus grands hommes sont ceux qui, souvent, commettent les plusgrandes erreurs. Napoléon ne connaissait pas la puissance de la dindetruffée pour raviver le patriotisme et accélérer le dévouement.Ajoutez-y le vin d’Aï et le moka, et avec cela vous soumettrez le mondeentier ! Mais il est entendu que pour atteindre ce but, vous resterezsix heures à table.

Dans un dîner donné par des gens qui ne portent pas leur vue aussihaut, deux heures à table fournissent un temps suffisant aux convivespour satisfaire à tous les sentiments de bien-être qu’on est venuchercher. Vous verrez le sourire du contentement se dessiner sur toutesles lèvres grasses, et le vermillon du plaisir enluminer toutes lesjoues. C’est le moment précis que l’amphitryon doit saisir pour porterun toast, si telle est son intention, car s’il attendait un moment plustard, celui, par exemple, où les nez commencent à s’enluminer, chacunvoudrait lui rendre raison à son tour, faire l’orateur, et ce serait àn’en plus finir.

Un dîner de deux heures me paraît fort raisonnable ; cependant, il peutarriver, en raison du genre de convives que l’on a invité, qu’il dureun peu plus ou un peu moins longtemps. Quand l’amphitryon, après avoirconsulté la boussole dont je viens de parler, voit que le moment précisest arrivé, moment très-critique pour lui, il a l’air de consulter sesconvives avant de commettre cette action capitale. « Messieurs,dit-il, en jetant sa serviette sur la table, si nous passions au salonpour prendre le café ? » Il se lève alors, prend le bras d’unedame,tout le monde l’imite et l’on rentre au salon.

Dans certaines maisons, on reprend l’habitude de nos pères, consistantà placer dans un coin perdu de la salle à manger ou dans une pièceattenante, une fontaine et sa cuvette, des bols d’eau tiède, desverres, de l’eau, etc., où chacun va se rincer la bouche et se laverles mains, s’il a mangé avec ses doigts. Il en résulte que l’on n’aplus besoin de vomir en présence de ses voisins, comme cela se faisaitil y a peu de temps.

Dans un chapitre suivant, nous traiterons de l’art d’offrir le café, lethé et les liqueurs.

DU CAFÉ.

L’infusion de café est un excitant très-énergique, tant qu’on n’y estpas habitué. Son action s’exerce ordinairement sur le cerveau, etcependant, chez certaines personnes elle semble porter plusspécialement sur d’autres organes. Il n’est pas rare, par exemple, dele voir agir comme diurétique, et même comme purgatif.

En 1669, Mahomet IV envoya Soliman-Aga en ambassade à Louis XIV ; ilfit à Paris un séjour de dix mois pendant lesquels son esprit et sagalanterie firent tourner la tête à toutes nos grandes dames. « Quoi,disaient-elles, monsieur est Turc ? C’est vraiment bien original qued’être Turc ! » Et toutes s’empressaient de lui rendre visite. Il leurfaisait servir du café, selon l’habitude de son pays. Des esclavesrichement vêtus le versaient dans de superbes tasses de porcelaineentourées de serviettes à franges d’or. Un air d’élégance inconnueaccompagnait ce service, rendu plus piquant encore par l’aspectétranger des meubles et des habillements, et par la singularité d’êtreassis sur de magnifiques carreaux et de parler au maître de la maisonau moyen d’un interprète. Tout cela était bien fait pour séduire lesdames ; aussi mirent-elles à la mode Soliman et, par contre-coup, soncafé. Voici comment cette boisson, aujourd’hui si répandue, s’estintroduite en France, où elle est devenue un objet de premièrenécessité.

Après le dîner, lorsque tout le monde est rentré au salon, undomestique apporte le café qu’il dépose sur une console. La maîtressede la maison s’empare de la cafetière et emplit les tasses auxconvives, chacun à son tour, en commençant par les dames, puis passantaux messieurs. S’il y a beaucoup de monde, ce sont deux domestiques quisont chargés de ce soin. L’un porte la tasse sur un plateau, l’autre lesucrier.

Généralement les messieurs prennent le café debout. Ceux qui veulentfaire un gloria trouvent une bouteille d’eau-de-vie de Cognac sur laconsole, ainsi que des petits verres. Les amphitryons fontordinairement les honneurs des liqueurs fines.

Il y a des gens qui, pour faire un gloria, versent de l’eau-de-vie surun morceau de sucre qu’ils placent au-dessus de leur café au moyen deleur cuillère qui le maintient, puis ils y mettent le feu. C’est, mafoi, une très-bonne chose, mais qui ne se fait qu’au cabaret et àl’estaminet.

1. Le café que l’on sert après un dîner de cérémonie doit être de lameilleure qualité possible ; c’est nommer le moka.

2. Il doit être, au moment où on le sert, clair, fort et très-chaud.

3. Quand il en reste dans la cafetière, il n’y a point d’indiscrétion àen offrir encore un peu à un convive qui a fini sa tasse, mais il yaurait impolitesse à en redemander.

4. Ne mettez jamais les doigts dans le sucrier ; servez-vous de lapince à sucre pour en prendre.

5. Prenez-en modérément, afin qu’il y en ait pour tout le monde.

6. Quand vous avez fini de prendre votre café, reportez votre tasse surla console et ne la posez jamais sur un autre meuble, encore moins surla cheminée.

7. Ne faites jamais brûler ni eau-de-vie ni gloria dans votre tasse,car, outre l’impolitesse de ce procédé, vous risque de gâter ou casserune porcelaine qui peut être plus ou moins précieuse.

8. Vous pouvez accepter un petit verre d’eau-de-vie plein, sans tirer àconséquence. Si vous en acceptiez un second vous paraîtriez avoir undéfaut.

9. Jamais un maître ou une maîtresse de maison ne doivent se mêler del’hygiène de leur convive en le rationnant ni sur l’eau-de-vie ni surautre chose.

10. Mais quand un convive refuse, ils ne doivent pas insister.

11. Les dames ne doivent jamais accepter d’eau-de-vie, mais seulementun demi-petit verre de liqueur fine.

12. Les messieurs, dès qu’une dame a fini son café, doivent prendre satasse et la porter sur la console, afin de lui éviter la peine de sedéranger.

13. Il n’est permis de se retirer, qu’une heure au plus tôt après avoirpris le café.

14. Les amphitryons laissent aller la conversation digestive pendantune demi-heure après le café, puis ils peuvent inviter au jeu.

15. J’ai dit une demi-heure pour prendre un terme moyen, car les gensd’esprit trouveront le temps trop court, et les sots le trouveront troplong.

DU DINER BOURGEOIS.

Remarquez bien que je ne reconnais que trois classes de dîner : 1° dîner d’apparat, ou degrande cérémonie, que la classe très-richepeut seule donner ; 2° le dînerbourgeois ou de cérémonie,quiappartient à une honnête aisance ; 3° et enfin le dîner de famille,qui peut s’arranger avec la médiocrité de fortune.

Il y a encore le banquet,où Dieu me permette de ne jamais mettre lespieds, car je ne veux m’empoisonner ni le corps avec le vin bleu et lesvieilles graisses, ni l’esprit avec les bavards ignorants et les hommesde parti. D’ailleurs je regarde tout dîner par souscription comme unemonstruosité antigastrosophique, pour parler comme Fourier, qui voulaitque le respect et le service du ventre passassent avant le respect etle service de Dieu. Les repas decorps, où l’on n’est guère mieuxtraité, et où l’ennui et la boursouflure jouent les rôles les plusimportants.

Nos pères avaient encore le pique-nique,où chacun apportait sa partde mets, sa part d’esprit, et sa part de gaieté ; où les convives sechoisissaient, car qui ne peut exister ni dans le banquet ni dans le repas de corps. Hé ! hé !cela me séduirait assez, si ce n’étaitqu’on ne peut pas servir chaud.

Donc, revenons-en au dîner bourgeois, et, pour ne pas jeter mon lecteurdans une funeste erreur, disons-lui que DANS UNE MAISON BIENTENUE, LADÉPENSE DE LA TABLE NE DOIT PAS EXCÉDER LE TIERS DU REVENU, SOUS PEINEDE SE RUINER. Cette règle, d’une exactitude rigoureuse,s’applique auxriches comme aux pauvres. C’est malheureux pour les gastronomes, maisc’est vrai.

Adieu donc à l’écuyer tranchant, à la valetaille dorée, au lustre decristal et à la vaisselle plate ! Adieu donc aux suprêmes de volaille,noix de veau en bedeau, hachis à la turque, escalopes au velouté,églefin au soleil, œufs à l’aurore, grenade en turban, purée de gibieren croustade à la turque, cardes à l’essence, manchon d’esturgeon ;adieu aux sauces à l’ébène, à l’ivoire, à la pluche, à l’arlequin,etc., etc. C’est tout au plus si nous nous permettrons quelques jus aubœuf, veau, carotte et oignon.

Au total vous allez voir que vous pouvez encore avoir un bon dîner decérémonie, et je le prouve. Votre dîner se compose de sept espèces demets et de leurs nombreuses variétés, savoir : 1° la soupe ; 2° le bœuf; 3° les hors d’œuvre chauds ou froids ; 4° les entrées ; 5° les rôts ;6° les entremets ; 7° le dessert. La quantité des variétés de ces metss’étend ou se restreint suivant le nombre des convives. Mais pour vousfixer là-dessus, prenons une base de huit ou dix personnes. Le serviceest bien suffisant quand il se compose de la soupe ou autre potage, dubœuf, de deux entrées, de deux hors-d’œuvre chauds, d’un rôti, dequatre plats d’entremets, savoir : deux de légumes, une salade, despots de crêmes ou quelques pâtisseries froides, et n’oubliez pas lebrillat-savarin ; enfin d’un dessert de sept ou neuf plats, car leservice exige un nombre impair.

1. Si vous dépensez deux mille francs pour donner un gala,attendez-vous à être critiqué (peut-être moqué) par plus de la moitiéde vos convives.

2. Si vous donnez un modeste, mais bon dîner bourgeois, où vous n’aurezinvité que des convives choisis, soyez sûr qu’ils vous en sauront gré.

3. Votre bonne et un domestique, fût-il d’emprunt, peuvent suffire auservice d’un dîner bourgeois de cérémonie.

4. La dinde truffée engage souvent la conscience dans un dînerd’apparat ; elle n’engage que l’amitié dans le dîner bourgeois.

5. Si vous aimez la politesse et le bon ton, n’allez pas vous embourberdans un banquet ou un repas de corps.

6. Si vous aimez la pastorale et le vin trouble ; la campagne et lepoulet froid ; la verdure et le café en bouteille ; l’idylle et lapoussière ou la crotte ; les prés fleuris et les crapauds, proposez unepartie de pique-nique à la campagne, et portez-y les vers de Delille sivous voulez achever d’assommer votre monde.

7. Que les amphitryons d’un dîner bourgeois n’oublient jamais que lachose la plus séduisante qu’ils puissent offrir à leurs convives est cequ’on appelle la bonne mine de l’hôte.

8. Le dîner bourgeois est essentiellement le dîner de l’hospitalité,quand l’occasion se présente.

9. Dieu vous préserve, et moi aussi, du dîner sans façon.

DES INVITATIONS.

1. Les invitations à dîner, à une soirée, à un bal, peuvent se faireverbalement ou par écrit.

2. S’il s’agit d’un bal masqué, vous écrivez sur le corps du billet : on sera reçu en habits costumés.

M. R., très-connu par ses cent mille francs de rente et son avarice,est un ancien maître d’école qui n’a pas oublié la grammaire. Sa femme,qui voyait la bonne société  et qui s’efforçait de décrasser sonmari, le détermine à donner une soirée. Elle lui fait une formuled’invitation qu’il copie lui-même à cent cinquante exemplaires, pouréviter le frais de copiste. Mais quand il arriva à cette phrase « Onsera reçu en habits costumés,» il trouve là une faute de français etla corrige ainsi : « on ne sera reçuqu’en costume décent. » Sur centcinquante invités il en vint quatre, curieux de connaître le résultatde cette singulière invitation, et j’étais un des quatre.

La soirée devait commencer à neuf heures, et à onze heure et demie nousn’étions toujours que quatre, et pas une dame, si ce n’est la maîtressede la maison, qui se mordait les lèvres jusqu’au sang. Elle faisaitmille suppositions extravagantes, lorsqu’enfin, par pure charité, jelui montrai du doigt le passage corrigé de la main de son mari sur monbillet d’invitation. Elle devint furieuse contre M. R., qui, pours’excuser, lui dit qu’avant tout il fallait écrire en français. «Enfin, ma femme, je suis grammairien ! - Vous, monsieur ? Vous n’êtesqu’un imbécile, et rien autre chose. » Ici, mes trois amis et moi noustrouvâmes que la dame avait tort, parce que nous savions pertinemmentque son mari était encore autre chose.

3. Si votre intention est d’accepter l’invitation, vous pouvez vousabstenir de répondre ; dans le cas contraire, répondez de suite.

4. Ne faites jamais imprimer ni lithographier un billet d’invitation,cela sent la circulaire. Écrivez de votre main aux personnes que vousvoulez particulièrement honorer ; faites écrire aux autres par unsecrétaire ou copiste, et signez.

5. Rien n’est de plus mauvais ton que de se faire prier pour finir paraccepter une invitation verbale.

6. Le bon ton consiste, quand on n’a pas beaucoup de monde à inviter, àrendre à chacun une visite d’invitation. Cependant il vaut mieux écrirequand vous ne voulez avoir qu’une personne d’une famille.

7. N’invitez jamais ensemble que les personnes qui peuvent se plairemutuellement.

8. Ne mêlez jamais des gens grossiers et mal élevés avec des personnespolies et qui ont de l’éducation.

9. Envoyez vos billets d’invitation au moins quatre ou cinq jours àl’avance.

10. Dans la grande société, on n’affranchit pas les lettresd’invitation.

DES SOIRÉES.

Il y a quelques années que l’anglomanie avait amené à Paris la mode dessoirées nombreuses, peu choisies, mêlées, où vous pouviez rencontrer laduchesse de votre premier étage, l’avoué de votre troisième, l’épicierde votre quatrième et l’écrivassier du cinquième. Le tohu-bohu de cesassemblées hétérogènes se nommait un raoutet ressemblait à unechambre de représentants de 1849, ou à une grande soirée deLouis-Philippe. Grâce au ciel, cette stupide mode est passée et lasociété commence à se choisir. On ne connaît aujourd’hui que les petites soirées, et lesgrandes soirées musicales ou dansantes.

On se permet quelquefois la danse dans les petites soirées, maisseulement quand un monsieur ou une demoiselle veulent bien prendre sureux de toucher le piano, et que la danse vient comme par impromptu,comme par hasard. Alors il n’est question ni de grande toilette, ni deprétention, ni d’étiquette. Une gaieté, un vrai plaisir en font tousles frais, et, à mon avis, ce sont là les soirées les plus agréables.

Les soirées dansantes, ou grandes soirées, exigent une toilettebeaucoup plus élégante.

Les résumés que nous donnons dans cet ouvrage, particulièrement celuidu chapitre des Visites, suffisent pour apprendre à se montrer du bonton dans une soirée ordinaire ; mais pour les bas, ou grandes soiréesdansantes et les concerts, il nous reste quelques conseils à donner.

1. Pour le bal ou concert, faites des invitations au moins huit jours àl’avance, afin que les dames aient le temps de préparer leur toilette.

2. Les maîtres de maison doivent s’arranger de manière à ce que toutesles dames et demoiselles, jeunes ou vieilles, laides ou jolies, soientinvitées à danser.

3. Pour y parvenir, il faut faire quelques invitations hasardées, à unpetit nombre de jeunes gens encore peu répandus dans le monde.

4. A ceux-là, le maître ou la maîtresse de la maison pourront, sansinconvénient, mais discrètement, recommander les tapisseries.

5. La recommandation que ferait un maître ou une maîtresse de maison àun homme de quelque importance, de faire danser Madame ou Mademoiselleune telle, serait presque une impertinence.

6. Dans une simple soirée où tout le monde se connaît, une vieillefemme et un homme ayant plus de cinquante ans peuvent se permettre dedanser pourvu qu’ils le fassent gaiement et sans prétention. Dans unbal de cérémonie ils se donneraient un ridicule ineffaçable.

7. Les gens qui ne dansent pas en mesure doivent s’abstenir.

8. Mettez dans votre danse la plus grande décence.

9. N’affectez pas de faire danser exclusivement ou plusieurs fois desuite la même dame, si vous ne voulez pas que l’on vous prenne pour unfat ou pour un sot.

10. Vous pouvez vous abstenir de causer avec votre danseuse ; et vousferez bien, si vous ne pouvez pas vous en abstenir, de le fairetrès-discrètement.

11. Votre danseuse fût-elle votre sœur, n’affectez pas le ton de lafamiliarité pendant que vous dansez avec elle.

12. Ne faites pas le beau dans un bal, si vous ne voulez pas qu’on vousprenne pour un vaniteux et un niais.

13. Dansez comme tout le monde, ni mieux ni plus mal.

14. Quand la contredanse est finie, reconduisez votre dame à sa place ;remerciez-la, mais ne vous arrêtez pas auprès d’elle  pour fairela conversation.

15. Surtout ne vous emparez pas du siége voisin qui était occupé parune dame.

16. Une demoiselle ne doit jamais regarder effrontément son cavalier endansant.

17. S’il lui adresse la parole, elle doit répondre honnêtement, mais demanière à ne pas entamer une conversation.

18. Sa danse doit être simple et modeste.

19. Une dame, ou demoiselle, ne peut refuser aucune personne qui lademande, quelle que soit cette personne, à moins qu’elle ait étéretenue par une autre qu’elle nomme ou qu’elle indique.

20. Si elle refuse sans être retenue, elle ne doit plus danser de lasoirée.

21. Elle peut déclarer qu’elle est retenue pour une, deux ou même troiscontredanses, mais jamais plus, par la raison qu’elle ne doit pas enpromettre davantage. Pour cela elle s’excuse poliment sur lesconséquences que pourrait avoir un manque de mémoire.

22. Dans les bals très-bourgeois, j’ai vu des demoiselles assez niaisespour tenir à la main un carnet et un crayon, afin d’inscrire les nomsdes danseurs auxquels elles avaient promis ou devaient promettre.

23. J’ai vu aussi quelquefois les jeunes gens, en apercevant le carnet,conspirer pour le laisser en blanc.

24. Ils disaient que cette invention était malhonnête, parce que lademoiselle pouvait venir au bal avec son carnet rempli, si elle voulaitdonner l’exclusion à certaines personnes.

25. Une demoiselle ne doit se présenter dans un bal qu’accompagnée deson père ou de sa mère, ou de ses grands-parents.

26. Si elle n’a pas sa mère ni sa grand’mère, ni une tante, elle doits’asseoir à côté d’une dame de sa connaissance et d’un âge respectable.

27. La mode du carnet (toujours dans la bourgeoisie) a passé des damesaux messieurs. Chaque cavalier inscrit, dès le commencement du bal,toutes les dames qui veulent bien lui accorder une contredanse, fût-cela vingtième.

28. Il en résulte que les dames et les messieurs qui viennent un peutard n’ont plus qu’à regarder danser les autres.

29. Cette mode bizarre s’est répandue dans les salons à peu près à lamême époque que la polka : l’un vaut l’autre.

30. Les mamans sont tout étonnées de voir leurs filles, quoiquechangeant de cavaliers, danser dans des quadrilles toujours composésdes mêmes jeunes gens. Dieu bénisse les mamans ainsi que l’honnêteinvention du carnet !

31. Une jeune personne ne doit jamais permettre qu’on la reconduise àun autre siége qu’à celui où elle était quand on l’a invitée.

32. Ne laissez jamais valser ni polkervotre femme ni votre fille, sivous ne voulez pas ressembler à un fou qui met lui-même le feu à samaison et se plaint ensuite de ce qu’elle est brûlée.

33. Une fille qui danserait avec son père, ou une femme avec son mari,ferait une chose assez bizarre dont on rirait.

34. Nulle personne ne doit danser sans être gantée. Les gants doiventêtre blancs, pour ne pas déteindre sur les robes.

35. Jamais les dames ne peuvent se présenter à la buvette ou au buffetsans être accompagnées d’un cavalier.

36. Pour inviter une danseuse, n’attendez pas que l’orchestre aitcommencé à jouer.

37. Si une dame vous refuse, n’invitez pas celle qui est à côté, carcelle-ci serait en droit de penser que vous la prenez pour un pis-aller.

38. Si la maîtresse de la maison danse, et qu’elle ait des demoiselles,des nièces et des cousines, c’est par la maîtresse que doiventcommencer vos invitations, puis sa famille, et enfin vos connaissances.

39. On offre le bras et non la main à sa danseuse pour la conduire auquadrille et la ramener à sa place.

40. Si une dame, en dansant, est embarrassée de son éventail et de sonmouchoir, laissez-la dans l’embarras, car ce serait un manque d’usagequi vous ferait les lui demander à porter.

41. Retirez-vous d’un bal avant le jour si vous ne voulez perdre lesplus douces illusions sur la fraîcheur de la figure et de la toilettedes dames.

42. Je conseille aux jeunes dames, même aux plus jolies, de ne jamaisse montrer à la lumière du jour en sortant d’un bal.

43. Quant au concert, s’il n’y a pas bal après, les dames peuvent yaller en toilette de simple soirée.

44. La moitié des gens va au concert pour voir et être vue, l’autremoitié pour entendre.

45. Si c’est un concert d’amateurs, allez-y pour le premier motif, maisnon pour le second.

46. Ne battez pas la mesure si vous ne voulez pas passer pour unpaysan, et gardez le plus profond silence pendant que l’on exécutechaque morceau.

47. Soyez très-sobre d’applaudissements.

48. Si vous tenez le piano pour accompagner quand une dame ou unamateur chante, ne vous inquiétez nullement de la mesure. Dans ce cas,le beau talent d’un accompagnateur est, le plus ordinairement, desavoir attendre ou courir après le chanteur sans qu’il y paraisse.


CHAPITREIII.
DE LA POLITESSE DANS LES RUES.

1. Donnez le haut du pavé, c’est-à-dire le côté des maisons, à la dameque vous avez sous le bras, comme à toute autre personne pour laquellevous avez de la considération.

2. Cependant arrangez-vous de manière à offrir votre bras gauche toutesles fois que cela est possible ; on conçoit qu’une femme marche plusaisément lorsqu’elle donne le bras droit à un cavalier que lorsqu’ellelui donne le gauche.

3. Si vous êtes seul et que vous voyiez venir une personne sur letrottoir où vous êtes, donnez le haut du pavé, en vous détournant, à unhomme chargé d’un lourd fardeau, à un prêtre de telle religion que cesoit, à une dame, à un homme élevé en dignité, à un vieillard et à uninfirme.

4. Si une voiture arrêtée gêne la circulation, quelque pressé que voussoyez, ne rudoyez personne pour passer plus promptement, et attendezpatiemment votre tour.

5. Si, après un orage, il faut traverser le ruisseau sur une planche,laissez passer les vieillards et les dames les premiers.

6. Dans ce cas, ne vous avisez pas d’offrir votre main à une dame quine vous la demande pas, car vous feriez de la galanterie de commis encalicot.

7. Évitez les grandes foules et, si vous y êtes pris, retirez-vous-enle plus tôt possible, car vous pourriez être forcé de devenir égoïstepour n’être pas écrasé, et de jouer des coudes plus ou moinscruellement.

8. Ne fumez jamais dans la rue.

9. Ne sortez que dans un costume propre et décent.

10. En marchand, faites tout ce que vous pourrez pour n’éclabousserpersonne, et prenez-y garde surtout si vous avez une femme sous le bras.

11. Une dame ne doit jamais relever sa robe plus haut que la chevilledu pied, et toujours avec la seule main droite.

12. Évitez de toucher les passants avec les coudes, et, pour cela,marchez, s’il le faut, de côté comme un crabe.

13. Évitez de froisser les passants et d’en être froissé.

14. Si vous portez un parapluie ouvert, tenez-le de manière à voirdevant vous, afin de ne crever les yeux de personne et de ne pasheurter les parapluies qui viennent à vous.

15. En cas de très-grande averse, un homme peut offrir, sans tirer àconséquence, de partager son parapluie avec une dame inconnue qui n’ena pas. Mais, pendant qu’ils marchent ensemble, il ne doit lui faireaucune question.

16. Dans aucun cas, une femme ne doit faire une pareille offre à unhomme et encore moins lui demander un abri sous son parapluie. Elle atoujours la ressource, en pareil cas, d’entrer dans une boutique ;nulle part on ne lui refusera l’hospitalité jusqu’à ce que l’orage soitpassé.

17. Si vous vous égarez dans les rues et que vous demandiez polimentvotre chemin à un commissionnaire ou à un marchand, on vous l’indiquerasans jamais vous tromper.

18. Découvrez-vous, soit en demandant votre chemin, soit en l’indiquantà une personne qui vous le demande.

19. Si vous regardez une femme sousle nez dans la rue, vous êtes unimpertinent ; si vous lui adressez avec politesse des propos galants,vous êtes un fat ; si vous la suivez, vous êtes un sot ; si vous faitesainsi sa connaissance, vous êtes un imbécile, et vous le reconnaîtrezpar les suites.

20. Toute femme qui sourit, ou répond, ou se laisse suivre dans la rue,est une femme sans mœurs, un peu moins qu’une femme galante, ou elleest tout près de le devenir.

21. Si vous rencontrez un ami dans la rue, vous le saluez et vousremettez votre chapeau sur la tête, même en vous arrêtant à causer aveclui.

22. Si c’est un supérieur ou une dame, vous conservez votre chapeau àla main jusqu’à ce qu’on vous ait prié de vous couvrir.

23. L’entretien doit être très-court, et c’est à la personne la plusâgée ou la plus considérée à le rompre la première en prenant congé.

24. Il est de mauvais ton de parler ou de faire des signes d’unefenêtre à une personne qui est dans la rue.

25. Il est également de mauvais ton, quand on est en voiture, de fairearrêter ses chevaux pour causer avec un piéton.

26. Dans ce cas, on se borne à se saluer réciproquement en passant, ou,s’il y a de la place, on fait monter la personne à côté de soi pourcauser, mais il faut alors diriger les chevaux au pas vers le lieu oùse rendait le piéton. Il est plus poli de l’y conduire tout à fait.

POLITESSE A LA PROMENADE.

Promenades en voiture.

1. Si vous avez un équipage, offrez aux dames le fond de la voiture etprenez le rebours.

2. N’y eût-il qu’une dame, vous devez prendre le rebours dans votrevoiture, jusqu’à ce qu’elle vous ait engagé à vous asseoir à côtéd’elle, ce qu’elle fera toujours si elle a un peu d’usage ou depolitesse.

3. Agissez de même avec vos supérieurs.

4. Placez toujours les prêtres et les vieillards dans le fond,dussiez-vous prendre le rebours.

5. Reconduisez jusqu’à leur porte les personnes de considérationauxquelles vous aurez offert une place dans votre voiture.

6. Si vous êtes à pied et que quelqu’un vous fasse monter dans savoiture, prenez le rebours et insistez s’il y a d’autres personnes quevous pour prendre le fond.

7. Quand vous montez en voiture, il est de la politesse de faire monterles autres personnes avant vous. Si ce sont des dames, offrez-leur lamain pour les aider à monter ; si ce sont des vieillards, soutenez-lespar le bras.

8. Si on veut vous faire monter le premier dans une voiture, refusezd’abord ; mais si on insiste, montez, fût-ce dans la voiture de votresupérieur.

Promenades à cheval.

9. Ne montez jamais à cheval avant une dame, et quand elle est enselle, donnez-lui sa cravache qu’elle vous a confiée.

10. Donnez-lui le pied pour l’aider à se mettre en selle, si elle vousle demande.

11. Ne partez jamais avant elle, et laissez-lui régler le pas deschevaux.

12. Marchez à côté d’elle, à sa droite, mais que la tête de votrecheval ne dépasse jamais les épaules du sien.

13. Ne l’incitez pas à pousser son cheval plus vite qu’elle ne ledésire.

14. S’il y a de la poussière et du vent, quittez sa droite s’il lefaut, et placez-vous de manière à ce qu’elle ne reçoive pas lapoussière que votre cheval fait lever. Restez plutôt derrière si celaest nécessaire.

15. Tenez-vous constamment prêt à lui porter secours, et jetez de tempsà autre les yeux sur l’harnachement de son cheval, pour vous assurerque rien ne se dérange.

16. S’il y a de la boue, tenez-vous à distance pour ne pasl’éclabousser.

17. Si vous montez à cheval avec un homme, et que cet homme soit votresupérieur, laissez-le monter le premier et tenez-lui l’étrier s’il n’ya personne là pour le faire.

18. La place d’honneur est à droite ; si vous êtes plusieurs personnespour accompagner un homme important, cédez la place d’honneur à lapersonne d’un rang plus élevé que le vôtre.

19. Si vous êtes avec un homme d’un rang très-élevé, la tête de votrecheval ne doit pas dépasser la croupe du sien ; et même, s’il est votregénéral, par exemple, vous devez marcher tout à fait derrière lui,jusqu’à ce qu’il vous appelle à ses côtés.

20. Si vous n’êtes pas le subordonné de celui que vous accompagnez,mais qu’il ait un rang plus élevé que le vôtre, il suffit que soncheval dépasse le vôtre d’une longueur de tête.

Promenades à pied.

21. Ne prenez jamais une attitude majestueuse et un air important enmarchant à la promenade ou dans la rue, si vous ne voulez pas qu’onvous prenne pour un sot. N’ayez pas une démarche sautillante.

22. Il n’y a que les fous qui gesticulent, parlent haut ou déclamentdans la rue.

23. Chanter dans la rue, rire aux éclats, est le fait des ivrognes dela plus basse classe.

24. Affecter de lire un ouvrage en marchant, est le cachet d’unevaniteuse pédanterie. Enfin, à la promenade, comme partout, on doitconserver le plus rigoureux décorum de la décence.

25. Lorsque vous donnez le bras à une dame, la politesse n’exige pasabsolument que vous portiez son ombrelle ou son châle ; mais si vousêtes galant, faites-le.

26. Réglez votre pas sur le sien et ne la faites pas marcher trop vite.

27. Ayez le soin de lui faire éviter tous les mauvais pas.

28. S’il s’agit de passer un ruisseau, offrez-lui la main pour l’aiderà le franchir ; mais, si vous ne voulez pas passer pour un franccampagnard, ne vous avisez pas de la porter de l’autre côté.

29. Il n’y a que dans la classe la plus grossière du peuple qu’on peutvoir une femme donner le bras à deux hommes, l’un à droite, l’autre àgauche.

30. Aux dames seules appartient le droit de décider où l’on ira sepromener ; les messieurs n’ont que voix consultative.

31. S’il y a plus de dames que de messieurs, les hommes bien élevésoffrent leur bras à la plus âgée, ou à la plus élevée par sa positionsociale, ensuite aux femmes mariées, puis aux demoiselles, ce sont lesplus jeunes, parmi ces dernières, qui restent sans cavaliers.

32. Il est permis à un cavalier de conduire au bras deux dames à lafois ; mais cela se fait rarement.

33. Rien ne flatte plus un vieillard que de voir son bras accepté parune jeune dame.

34. Il n’y a aucun inconvénient pour une jeune dame, ou même pour unedemoiselle, à demander le bras d’un vieillard.

35. Je n’ai pas besoin de dire que s’il n’y a pas suffisamment  desièges pour que tout le monde puisse s’asseoir, dans une promenade,c’est aux hommes à rester debout.

36. Une dame qui ferait asseoir son fils ou sa fille, quand ilmanquerait de siége pour les autres dames, serait une impertinence.

37. Il est convenu que les hommes payent tout et partout : les chaisesdans les jardins, les petites gourmandises pour les enfants, lesbouquets, les oranges, les voitures s’il survient un orage, etc. ; etnos dames acceptent tout cela !!!

38. Ne devancez jamais la personne que vous accompagnez à la promenade,et si elle s’arrête pour examiner quelque chose, arrêtez-vous avec elle.

39. Si vous vous promenez avec deux personnes d’un rang plus élevé quele vôtre, ne prenez pas le milieu, mais mettez-vous à leur gauche.

DE LA POLITESSE ÉPISTOLAIRE.

1. Tout individu capable d’écrire une lettre anonyme pour nuire àquelqu’un est un lâche et un infâme.

2. Tout individu capable d’écrire une lettre pseudonyme pour nuire àquelqu’un est un faussaire.

3. Tout individu qui écrit une lettre contenant des injures ou desmalhonnêtetés est un grossier personnage, sans ombre d’éducation.

4. Si vous recevez une injure, verbalement ou par écrit, répondez-y parle mépris, et n’écrivez pas. Si par quelques circonstancesparticulières vous étiez forcé de le faire, écrivez avec fermeté, maispoliment.

5. N’écrivez jamais si vous n’avez pas un sujet pour écrire, à moinsque ce soit à un ami intime ou à un parent.

6. Si vous recevez une lettre, répondez le plus prochainement possible.

7. Écrivez de votre propre main aux personnes que vous honorez ouauxquelles vous devez du respect.

8. Écrivez proprement, correctement, sur beau papier neuf et sanstache. Écrivez à moitié marge pour les ministres et grands protecteurs.

9. Ne poudrez jamais votre lettre avec du tabac, car c’est une grosseimpolitesse dont on pourrait s’apercevoir.

10. Quand vous écrivez à un parent ou à un ami, écrivez-leur vous-même,tel que vous pensez, et ne vous faites aider par personne.

11. Si vous écrivez à un supérieur pour lui demander quelque chose,faites-vous faire un brouillon de lettre par quelqu’un qui entend mieuxque vous les formules à suivre, et recopiez-le.

12. Si votre lettre s’adresse à un chef d’administration, faites-larecopier par une personne qui ait une belle écriture.

13. Quand on écrit à un ministre, à un prince ou à une autre personned’un rang très-élevé, on écrit à mi-marge, et le commencement de lalettre doit être vers le milieu de la longueur du papier. La feuille depapier doit être in-folio, dite papier-ministre.Dans ce cas, suivezexactement le formulaire que nous allons vous enseigner dans cetarticle.

14. Que votre style soit toujours approprié 1° à la circonstance ; 2° àla personne ; 3° à vos propres sentiments ; 4° éloignez-en l’emphase,le prétentieux, et tout ce qui sent le chercheur d’esprit.

15. Le style le plus simple, le plus naturel, est le cachet de l’hommequi a véritablement de l’esprit.

16. Du reste, conformez-vous en tout point aux règles adoptées parl’usage de la bonne société.

Toute lettre écrite sans but, sans sujet, est un bavardage inutile, quine prouve souvent que la vanité pour le style épistolaire. On écrit àun ami, pour lui faire part d’un événement heureux ou malheureux quinous est arrivé, pour s’informer de sa santé, etc., etc. On écrit pourfaire une invitation, des remerciements, des félicitations, des lettresde faire part, et dans mille autres occasions qu’il est inutiled’énumérer. Sous peine d’impolitesse grossière, on doit répondre desuite, ou du moins dans le plus bref délai, à toute lettre qu’on areçue.

Dans tous les cas, quand on écrit à quelqu’un, si ce n’est pas unelettre d’affaires, vous devez l’écrire de votre main, et non la faireécrire par un secrétaire ou toute autre personne en vous bornant à lasigner ; ce serait une grave impolitesse. Ecrivez lisiblement,proprement, sans ratures, sur une feuille entière et non sur unedemi-feuille. Choisissez du papier très-blanc, fin, très-beau, sansvignettes ni autres ornements, ce qui est de très-mauvais ton.

Mais il y a des hommes qui ont assez de mauvais goût pour écrire à desfemmes d’une vertu suspecte. Dans ce cas, ils doivent employer dupapier doré sur tranche, parfumé, encadré de vignettes à jour oucoloriées de couleurs tendres. « La première page, dit un auteur, estpresque un tableau, tant l’encadrement est étendu ; les dessins sont ouroses, ou bleu-ciel, ou vertnaissant, ou perse, ou ils représententdes petits sujets coloriés d’après nature, et mélangés d’ornements etfilets d’or ou d’argent. Une arabesque accompagne la devise, le nom debaptême, ou les initiales du nom de famille, qui doivent être impriméesen gaufrage, en tête du papier. » J’ajouterai au texte de cet auteurque la orette de caserne et l’élégant pioupiou, parmi toutes lesvignettes, préfèrent le cœur enflammé ou percé d’une flèche ; du reste,c’est à eux que l’on doit l’invention du genre.

Une lettre se plie en quatre et s’envoie sous enveloppe ; cependantceci n’est pas rigoureux pour les lettres d’affaires.

Ce serait faire une grossièreté impardonnable que d’écrire une lettresur un papier où se trouverait déjà quelque chose d’écrit, ou sur lerevers d’une autre lettre ; ou enfin, à moins qu’il n’existe une grandefamiliarité entre les personnes, d’écrire deux sur la même feuille depapier.

On affranchit les lettres d’affaires, celles que vous adressez à unsupérieur pour lui demander quelque chose, etc. Mais il seraitmalhonnête d’affranchir celles que vous écrivez à vos connaissances, àvos amis, et principalement à ceux qui sont moins riches que vous, àmoins que ce soit un billet d’invitation ou un billet de faire part, etencore, dans la haute société, ils ne s’affranchissent pas. C’est cequ’on appelle de la civilité économique. Du reste, le plus honnête,dans tous les cas, est de faire porter sa lettre par un domestique.

Lorsque vous écrivez, servez-vous de votre esprit et jamais de l’espritdes autres. Surtout gardez-vous bien de copier une lettre dans unformulaire ou un autre ouvrage ; car, si par hasard la personne àlaquelle vous écrivez venait à découvrir le plagiat, elle ne manqueraitpas de vous donner un brevet d’incapacité.

Le véritable style épistolaire consiste à écrire absolument comme sil’on parlait ; il en résulte que si vous parlez bien, vous écrivez bien; et que si vous parlez comme un sot, vous écrirez comme un sot ; Vousaurez beau étudier l’esprit des autres, lire les lettre de Mme deSévigné, qui, par parenthèse, seraient aujourd’hui d’un style tropprétentieux et beaucoup trop maniéré, vous aurez beau étudier la formede toutes les correspondances possibles, si vous n’avez pas d’esprit,vous deviendrez encore plus sot, et si vous en avez vous risquerez dele gâter :

L’esprit qu’on veut avoirgâte celui qu’on a.

Tâchez d’écrire le plus proprement et le plus correctement que vouspourrez. Si vous n’êtes pas sûr de votre orthographe, faites relirevotre lettre, avant de l’envoyer, et corrigez-la. Si vous ne faisiezque quelques fautes, il vaudrait mieux les laisser, car, écrireparfaitement l’orthographe est, dans le monde, un si mince mérite,qu’il n’y a que les pédants et les maîtres Lourdé qui puissent s’enscandaliser.

Que votre style épistolaire soit simple, concis, clair, tout à faitsans prétention, sans phrases à effet, sans verbiage inutile, et ilsera toujours bien ; qu’il soit respectueux avec vos supérieurs enrang, avec les vieillards et avec les femmes. Remarquez bien que je nedis pas seulement les dames,mais les femmes. Qu’il soitfamilieravec vos amis ; en un mot, qu’il prenne le ton que vous prendriez avecles personnes si vous leur parliez.

Les négociants, quand ils s’écrivent entre eux, emploient desabréviations dans les mots ; elles vous sont défendues par lapolitesse, surtout dans les titres. Par exemple : il serait impolid’écrire Mr ou Mme pour Monsieur ou Madame ; V. T. H. S. pour votretrès-humble serviteur. Lorsque vous parlez d’un tiers, si ce tiers estun parent de la personne à laquelle vous écrivez, vous mettez Monsieur ou Madame en toutes lettres : Monsieur votre père, Madamevotre tante, etc. Mais s’il s’agit d’un étranger, vous pouvezemployerl’abréviation : Mr Félix me charge,etc. Si vous tutoyez l’ami auquelvous adressez votre lettre, il serait ridicule de mettre Monsieur tonpère, Madame ta mère, vous retranchez les mots de Monsieur etdeMadame. Les nombres s’écrivent en toutes lettres, si ce n’est quand ils’agit d’une date ou d’une somme d’argent, dans ces deux cas seulementon emploie des chiffres ; dans une lettre d’affaire une somme d’argents’écrit en toutes lettres.

La date se met en haut de la page dans les lettres d’affaires et decommerce. Cependant quelques négociants et gens d’affaires commencent àprendre l’habitude de la mettre après le corps de la lettre ; elle semet en bas, contre la marge gauche, dans toutes les autres. Si l’onécrit à un homme d’un rang élevé, sur grand papier ou papier ministre,vous mettrez en haut de la page les titres et le nom de la personne àlaquelle vous écrivez.

Par exemple :

       A son éminence Monseigneur lecardinal de...
    A sonexcellence Monsieur l’ambassadeur de...
   
A trois largeurs de doigts vous écrivez en dessous :

Monseigneur ou Monsieur, selon le rang de lapersonne. Puis vouslaissez en dessous trois doigts de blanc avant de commencer le corps devotre lettre, vous remarquerez que plus la personne est d’un rangélevé, plus ce blanc doit avoir de largeur.

Si vous écrivez à une personne qui a un titre honorifique, vous lementionnez : Monsieur le baron,Monsieur le comte. Si c’est à unhomme non titré, Monsieur.Quand on écrit à une femme, depuis lareine jusqu’à la bergère, le titre de Madameou Mademoisellesuffit. A un père ou à une mère, moncher père, ma bonne mère,l’adjectif ad libitum,pourvu que ce ne soit pas monhonoré, matrès-honorée, ce qui sent l’éducation des frères ignorantins. Cherpapa ou chère mamanest puérile pour les jeunes gens quand ils ontpassé douze ans ; les demoiselles se le permettent jusqu’à vingt-cinq,et ce n’est pas ce qu’elles font de mieux. A une personne avec laquelleil n’y a que commencement de familiarité, Monsieur et ami ; avec uncollègue en administration, mon chercollègue ou Monsieur et chercollègue ; mon cher camarade avec un camarade de classe oud’armée : Monsieur et cher camarade, Monsieur et cher ami ne peuvent pas sedire. Cela me fait penser à Bobineau, qui écrivait à Colombine, Mademoiselle et chère amante,etc., etc.

La suscription de la lettre est la chose la plus difficile ; il s’estélevé là-dessus trois polémiques de la plus haute importance. Lesdémocrates farouches, ceux qui font aux mots une guerre tellementterrible qu’ils n’ont pas le temps de remarquer les choses, voulaienten raison de la liberté et de l’égalité, que la suscription se bornât àces mots : Salut et fraternité; ou bien, liberté, égalité,fraternité. Les moins féroces ajoutaient votre dévoué.

Les gens polis disent : je suisvotre très-humble serviteur. Les gensplus polis disent : je suis avecrespect, ou, avec le plusprofondrespect, votre très-humble serviteur, etc. Les gens très-polisdisent: j’ai l’honneur d’être, Monsieur,votre très-humble et très-obéissantserviteur, etc. Ne remplacez jamais le respect ou le profondrespect par un dévouementou parfait dévouement,parcequ’aujourd’hui on sait trop combien vaut l’aune des dévouementsparfaits ; l’estime et l’amitié ne jettent pas de poudreaux yeux; et la parfaite considérationest devenue style d’administration,

Mme Celnart prétend que j’ail’honneur d’être est moins respectueuxque je suis. Les gens quiont fréquenté les salons du bon ton disentle contraire ; moi je ne dis rien, si ce n’est qu’il faut consulter soncœur et les convenances, et que tout le reste est niaiserie. Un jeunehomme qui écrit à un vieillard, une dame ou un supérieur, je suis avecconsidération, est un sot ; celui qui écrit avec la considération laplus distinguée, est encore plus sot ; un vieillard, une dameou unsupérieur peuvent fort bien se passer de la considération d’un jeunehomme, d’un blanc-bec ou d’un commis. Quand on m’a fait, ou prié defaire à quelqu’un, des complimentsempressés, j’avoue que je n’aijamais compris à cette phrase. Recevezmes salutations est par tropleste, et ne peut s’adresser qu’à un inférieur que l’on veut molester.Et, à ce propos, je vous dirai que l’on ne doit molester personne, nipar lettres, ni autrement. Si vous écrivez à votre ennemi le pluscruel, fût-ce pour lui proposer un duel, employez encore les règles dela politesse.

Je suis avec la plus parfaiteconsidération et la plus haute estime,d’un supérieur à un inférieur, serait presque une insolence si cen’était une fatuité, etc. En résumé, le respect, l’affection, etl’amitié doivent fournir lefond de toutes les suscriptions : le respect pour les supérieurs,les vieillards, les dames et les parentsles plus proches ; l’affectionpour les parents les moins proches,les pères aux enfants, etc., l’amitiépour les amis et camarades.

Pour les personnages d’un rang élevé, la suscription se coupe en deuxparties ; exemple :

    J’ai l’honneur d’être, avec le plusprofondrespect,
        MONSEIGNEUR,
           votretrès-humble et très-obéissant serviteur.

Cette formule convient parfaitement, surtout quand on veut obtenirquelque chose. Dans ce cas, on peut encore mettre ceci :

    J’ai l’honneur d’être, avec le plusprofondrespect,
        DE VOTRE ALTESSE(ou de votreexcellence, etc.),
           le très-humbleet très-obéissant serviteur.

Si vous êtes un rigide démocrate, ces formules pourraient bienoffusquer un peu votre fierté républicaine, et vous me direz commeBenoît.

Benoît est un brave garçon, qui a fait la guerre en Afrique pendantsept ans, et s’en est revenu avec une jambe de moins et une pension enespérance. Les deux bras et une jambe qui lui restent lui permettant detravailler utilement, il est entré chez un fermier en qualité de valet d’écurie. Un jour, ilme prie de relire une pétition qu’iladressait au ministre de la guerre. J’y ajoutai la suscriptionordinaire. Benoît, en lisant la dernière période, votre très-humble ettrès-obéissant serviteur, devint rouge comme un coq d’Inde encolère.

- Monsieur, me dit-il fièrement, je suis valet d’écurie et démocrate,c’est vrai ; mais je ne suis serviteur de personne !

Ce fut avec la plus grande peine que je parvins à lui faire comprendreque ces mots qui le choquaient ne constituaient qu’une simple formulede politesse, sans autre valeur, et qu’en l’employant avec un ministre,il n’en restait pas moins libre, comme un valet d’écurie.

Et puis, je vais révéler ici un petit secret d’administration quiconvertira les plus fiers : c’est que le chef de bureau chargé dedécacheter les lettres d’un ministre regarde d’abord la suscription. Sielle est malhonnête et hors d’usage, il en conclut naturellement que lalettre vient d’un homme grossier, sans éducation, et il la jettetrès-tranquillement dans le panier aux rebuts, sans la lire.

Toute lettre cérémonieuse ne doit pas avoir de post-scriptum. Recevezl’assurance des sentiments distingués avec lesquels etc., eston nepeut plus collégien.

Vous ne pouvez charger d’une commission pour un tiers que les personnesavec lesquelles vous êtes intimement lié. Il serait fort incivild’écrire à votre supérieur ou à tout autre individu dont la positionsociale est plus élevée que la vôtre : Veuillez bien vous charger,Monsieur le Duc, d’assurer de mes respects Monsieur, etc.

Quant à l’intérieur d’une lettre, finissons-en. J’en ai déjà trop ditpour les gens d’esprit, et je n’en dirai jamais assez pour ceux quin’en ont pas. Venons-en à la manière de mettre l’adresse. Votre lettresous enveloppe, en forme de carré long, est cachetée avec de la cire,ce qui est plus respectueux et plus distingué, ou avec des pains àcacheter, faute de cire. Vous la retournez et écrivez d’abord en hautdu carré, à droite, Monsieurou Madame, en retranchant lapréposition à. A la secondeligne vous répétez le mot Monsieur,etvous ajoutez le nom à la suite. C’est tout ce que cette ligne doitcontenir, à moins qu’il n’y ait un titre qui puisse se placer devant lenom, comme Monsieur le duc, Monsieurle baron, etc. La troisièmeligne contient les qualités ; la quatrième le nom de la rue et lenuméro de la demeure ; enfin la cinquième le nom de la ville où demeurela personne. Exemple :

                      Monsieur,

            Monsieur leMarquis de Champauchou,
                 professeur decivilité puérile et honnête,
                        ruedes Marmousets, 30.
                       Paris.

Le célèbre médecin Boerhaave se vantait d’avoir une réputation siétendue, qu’il suffisait, pour qu’une lettre lui parvînt, d’y mettrecette suscription : à Boerhaave, enEurope ; et en effet il en reçutune d’un lettré chinois qui ne portait que cette adresse. Nous avonspas mal de petits grands hommes qui sont bien enchantés quand pareilleaventure leur advient. Ainsi donc, quand vous écrivez de Paris, vouspouvez vous abstenir de mettre Paris,que vous remplacerez par enville. Si c’est à un homme excessivement connu, comme Lamartine,Victor Hugo, vous pouvez vous abstenir de mettre la rue et lenuméro ;il est cependant prudent de les mettre sur une adresse lorsque lalettre a quelque importance. Nos bons aïeux mettaient le numéro aprèsle nom de la rue, ainsi n° 35 ou autre. Le progrès français n’a été quejusqu’à retrancher l’antécédent n°. Les Anglais, qui perfectionnenttoutes nos découvertes, ont imaginé de faire une inversion un peu bête,il est vrai, mais qui a le mérite d’être neuve : ils placent le numéro,sans n, devant le nom de larue, ainsi :

                   35, rue Saint-Honoré.

Vous sentez bien que cet effort d’intelligence a séduit nos dandys etnos jolies femmes, d’où il résulte qu’il y a aujourd’hui deux campsdans la société : le camp qui veut le numéro avant, et celui qui leveut après. Sur ce point, je vous conseille de faire comme vous voudrez.

Si vous confiez une lettre à une personne qui veut bien se charger dela remettre à un tiers, vous la lui donnez ; mais la personne doit lacacheter elle-même, en votre présence, en la prenant de vos mains, souspeine de la plus grande impolitesse.

Quant aux lettres de faire part, pour mariage ou enterrement, je vousconseille de ne pas en abandonner la rédaction à votre lithographe,sous peine d’y trouver force inconvenance. Par exemple, les personnesqui font part, c’est-à-direqui écrivent collectivement le billetd’enterrement, je suppose, ne doivent pas être tous les membres de safamille indistinctement, mais seulement les plus proches parents, ou, àdéfaut de parents, les héritiers. Il est du dernier ridicule de voirfigurer, dans certaines lettres, une kirielle de noms, de quoi peuplertout un village, et surtout ceux de bambins de deux à trois ans. Quandle mort a encore son père et sa mère, ce sont eux, et ses frères etsœurs seulement, qui doivent fairepart. S’il n’y a pas d’ascendants,les enfants seuls figurent dans le billet. Les frères, sœurs et neveux,cousins et cousines, ne doivent y placer leurs noms que lorsqu’ils sonthéritiers, s’il n’y a pas d’enfants.

La vanité ne doit jamais montrer le bout de l’oreille dans ces sortesde billets, surtout dans ceux d’enterrement. « N’est-ce pas pitoyable,en effet, dit un homme d’esprit, d’y voir annoncer que l’un des parentsest membre de plus plusieurs sociétés savantes, ou chevalier de laLégion d’honneur ?... Comment la vanité ose-t-elle se montrer siimportante, quand la tristesse doit occuper le cœur et l’esprit ? »

J’ai entre les mains, au moment où j’écris ceci, une lettre de fairepart des plus curieuses. J’y trouve que M. L. est notaire ; M. C.,avocat ; M. N., huissier ; M. D., marchand de nouveautés ; M. D.,fabricant de bougies, etc. Il n’y manque absolument que les adressespour devenir de la politesse industrielle.


CHAPITREIV.
DU MONDE ET DE L’ÉTIQUETTE.

1. Vous allez dans le monde pour y chercher une distraction, ou leplaisir, ou pour y servir votre ambition.

2. Pour y trouver une distraction, il faut qu’il vous plaise, mais pourcela il faut que vous lui plaisiez vous-même, sans quoi il resterafroid et maussade pour vous.

3. Pour y trouver le plaisir, soyez aimable et bon ; et la société seraaimable et bonne pour vous.

4. Pour y trouver des protecteurs, aimez, l’on vous aimera et l’on vousprotègera, car le monde n’est pas aussi diable qu’on le fait noir.

DE L’ÉTIQUETTE.

Il y a deux sortes d’étiquette ; celle de la cour, et celle de lasociété, ou des salons. Le but commun de toutes deux est d’opérer sanssecousses, sans tiraillement, et sans offenser personne, le triage dela société. En effet, si par hasard un homme grossier et sans éducations’est fourvoyé dans un salon du bon ton, il s’y trouvera si mal àl’aise, qu’il ne sera pas tenté d’y revenir. Quant à l’étiquette decour elle est indispensable pour maintenir la hiérarchie des rangs.

1. L’étiquette existe plus ou moins dans tous les salons, mais à desdoses plus ou moins fortes. C’est à vous à étudier ces doses, et à vousy conformer.

2. Dans une première visite, il vaut mieux pécher par trop que par troppeu d’étiquette ; cela vous donnera le temps d’étudier la dose.

3. L’étiquette n’est ni de la raideur ni de la froideur ; mais de laprudence.

4. Elle consiste non-seulement dans la décence du costume, la gravitédu maintien et la discrétion dans la conversation, mais encore dansl’observation stricte de toutes les règles de la politesse, desconvenances et du bon ton.

5. Si vous ne voulez pas perdre votre autorité sur vos inférieurs, nevous familiarisez jamais trop avec eux.

6. La familiarité engendre le mépris, dit un vieux proverbe populairequi est très-vrai.

7. Mais un supérieur ne doit pas oublier que la politesse et la bonténe sont pas de la familiarité, et qu’elles engendrent le dévouement.

8. Quand vous rendez une visite d’étiquette, prenez le costume le plusélégant et le plus décent à la fois. L’habit noir est de rigueur. Sivous êtes militaire, vous endossez le grand uniforme.

9. Donnez à votre voix et à vos gestes, toute la gravité convenable.

10. Il faut néanmoins se présenter avec une figure gracieuse, sans sepermettre le rire, ou même le sourire trop prononcé.

11. N’affectez jamais avec vos supérieurs une allure dégagée et tirantsur la familiarité, surtout en public, cette familiarité existât-ellemême entre vous dans l’intimité du tête-à-tête.

12. Observez rigoureusement les règles de préséance et choisissez lesplaces selon la hiérarchie des rangs.

13. Ne passez jamais devant votre supérieur.

14. Ne questionnez jamais le haut personnage que vous visitez, etbornez-vous à parler quand il commence lui-même la conversation.

15. En entrant, après avoir fait vos salutations respectueuses, vousrestez debout jusqu’à ce qu’on vous ait prié de vous asseoir.

16. La visite d’étiquette ne doit durer que de dix à quinze minutes ;quant au reste, voyez le chapitre VI, article des Visites.

DE LA DÉCENCE RELIGIEUSE.

Les règles de la politesse et du savoir-vivre sont applicables à tousles cultes, à toutes les religions, parce qu’elles respectent, avanttout, la liberté de conscience ou, pour mieux dire, qu’elles n’ontaucun point de contact avec les dogmes répandus sur la surface de laterre. L’homme bien élevé se conduira dans le temple élevé à Brahma, àJehova, à Mahomet, à l’Eatooa, ou au christianisme de telle secte quece soit, avec la même décence que dans un temple de sa propre religion,parce qu’il ne respecte pas seulement Dieu, mais encore les hommes.

Cependant, comme la religion catholique est la plus généralementrépandue en France, et que c’est pour des Français que j’écris,j’insisterai plus ou moins dans les détails, sur la décence que l’ondoit observer dans les églises ainsi que dans tout autre temple.

Si vous voyagez, souvenez-vous que la politesse et le bon ton sont detous les pays, et que ces qualités sont appréciées même par les peuplesqui nous paraissent les plus barbares. En effet, elles sontl’expression de la bonté, de la charité, et ces deux vertusappartiennent à toute l’espèce humaine. Si, donc, vous entrez dans untemple, ne manquez pas de vous informer, avant, des usages habituelsdans ce temple, et conformez-vous scrupuleusement à ce que l’on vousenseignera, en tant que cela ne blessera en rien votre conscience, etsi cela vous paraissait contraire à votre foi, renoncez à y entrer. Enun mot, respectez les préjugés régnant dans le pays où vous êtes, etfaites tout pour vous conformer aux usages reçus, si ces usages n’ontrien d’immoral.

C’est une chose sérieuse et grave que les cérémonies religieuses cheztous les peuples. Si vous êtes admis à y assister, oubliez la légèretéet la gaieté qui sont le caractère spécifique de la nation française,et mettez dans vos gestes, dans vos paroles, la plus grande gravité.Si, par ignorance des coutumes, vous êtes embarrassé sur la manièredont vous devez agir, faites absolument ce que vous verrez faire auxautres. S’ils s’agenouillent, agenouillez-vous, s’ils se lèvent,levez-vous, s’ils s’asseyent, asseyez-vous. Surtout conservez avec laplus grande sévérité une décence rigoureuse.

Il n’y a rien de plus brutalement grossier qu’un homme qui vient dansun temple ou une église pour y afficher un cynisme d’impiété ou dephilosophie. Il n’y a que les derniers imbéciles qui osent venir ainsise donner en spectacle, faire du scandale, et vouer de gaieté de cœurau mépris des honnêtes gens. En résumé :

1. Vous devez respecter les prêtres de toutes les religions etprincipalement ceux de la vôtre.

2. Ailleurs comme à l’église vous devez leur céder le pas.

3. Il n’y a qu’un sot qui fasse parade de son incrédulité.

4. Comportez-vous avec la plus grande décence et avec graviténon-seulement à l’église, mais encore dans toute assemblée religieuse.

5. Si vous entrez dans une église, accomplissez rigoureusement toutesles pratiques exigées par le culte dans chaque circonstance.

6. Sous peine de passer pour un imbécile, ne vous permettez nicritique, ni raillerie, ni ricanement, ni chuchotement à l’oreille dequelqu’un.

7. Si vous voulez jouir de votre liberté de conscience, laissez cettemême liberté aux autres.

8. N’affectez pas de rester assis quand les autres s’agenouillent, devous tenir debout quand il faut être assis, etc.

9. N’affectez pas non plus un rigorisme qui, souvent, dénote plusd’hypocrisie que de véritable piété.

10. Ne condamnez pas si vous ne voulez pas être condamné.

11. Que ces paroles de Jésus-Christ, couvrant la femme adultère de sonmanteau, ne sortent jamais de votre mémoire : « Que celui qui n’a paspéché lui jette la première pierre !!! »

12. Fussiez-vous athée, vous ne pouvez ignorer que la religion est labase de la morale publique.

13. Une nation d’athées serait la nation la plus dépravée qu’il y aitsur la terre ; mieux vaudrait le plus absurde fétichisme.

DÉCENCE DANS LA TOILETTE.

Toilette des Hommes.

1. L’extrême propreté est la première qualité de l’homme du monde. Onvous pardonnera plutôt un habit râpé, si vous êtes homme de lettres ouartiste, qu’une tache de graisse sur votre gilet.

2. Quant à la propreté du corps, c’est une chose tellementindispensable, même pour la santé, que je n’ai pas besoin de vous larecommander ici.

3. Avant le mariage, un jeune homme doit suivre la mode en tout ce quin’est pas ridicule. L’homme marié doit également la suivre, mais deplus loin.

4. L’un et l’autre ne doivent regarder une mode comme obligatoire quelorsqu’elle est généralement reçue par la bonne société.

5. Choisissez les meilleurs tailleurs, bottiers et autres marchands,car, si vous les payez comptant, ils ne vous vendront pas plus cher queles autres. Avec un peu d’usage de la société, vous acquerrezfacilement l’élégance, qui gît plus dans la manière de porter sesvêtements que dans les vêtements eux-mêmes.

6. Jamais un homme de bon sens ne se fait remarquer par l’excentricitéde son costume.

7. Il laisse la moustache aux militaires, les longs cheveux aux paysanset aux romantiques, la grande barbe aux boucs et aux hommes de parti.

8. Un chapeau bien noir et bien brillant, des bottes ou des bottinesbien faites et bien vernies, des gants propres, non déchirés, sont lesprincipales choses sur lesquelles vous ne devez jamais transiger.

9. Dans une soirée dansante ou un bal, les gants blancs sont derigueur, parce que ceux de couleur pourraient déteindre et tacher lecorsage des danseuses.

10. L’habit noir de drap fin, le pantalon de même étoffe, le gilet etla cravate blancs, constituent le reste d’une toilette de bon ton.

11. Le gilet de satin noir convient mieux à la gravité du magistrat quele gilet blanc.

12. Le gilet et le pantalon de couleur, quoique moins habillés, peuventse porter en visite chez des personnes de connaissance.

13. Se présenter chez un supérieur ou une personne d’un rang élevé enredingote ou en paletot, serait une grossière incivilité.

14. Dans tous les cas, avant d’entrer dans un salon, on doit quitterson paletot ou tout autre surtout, dans l’antichambre.

15. Une tabatière, une montre, un lorgnon si on a la vue basse, le touten or, sont les seuls bijoux qu’un homme raisonnable puisse sepermettre.

16. Les bagues, les chaînes, les breloques, etc., ne sont plussupportables que chez les Mondors de l’ancien répertoire comique.

Toilette des femmes.

Alphonse Karr termine une de ses diatribes par cette cruelle phrasequ’il souligne : « La femme est unanimal qui s’habille, babille et sedéshabille. »

Certainement cette critique est fort exagérée, et les femmes qui fontexception à ce portrait sont très-nombreuses ; mais néanmoins, avec lemeilleur vouloir on ne peut se dissimuler qu’il est vrai en général. Etcomment pourriez-vous croire qu’il en fût autrement, quand vous voyezla manière dont les parents élèvent  leurs enfants. A peine unepetite fille commence-t-elle à marcher qu’on lui dit : « Si tu es biensage on te mettra ta belle robe. Si tu apprends bien on te donnera unbeau tablier de soie. » Puis, à mesure qu’elle grandit : « Soisaimable, et tu auras un beau chapeau, une belle parure, etc., etc. »Viennent ensuite les amies qui s’extasient devant sa toilette : « Commeelle est charmante avec cette belle robe ! comme ce chapeau est de bongoût et la fait gentille ! » Et mille pauvretés pareilles qui segravent profondément dans les habitudes de l’enfant, gonflent sa vanitéet l’impressionnent en corrompant son esprit. On le sait, les premièresimpressions ne s’effacent jamais, et les habitudes, les préjugés denotre enfance constituent absolument notre nature morale. La cire mollede l’enfance se pétrit avec la même facilité pour mouler le bien ou lemal, le vice ou la vertu ; mais avec l’âge, cette cire si ductiledevient plus dure que l’acier sur lequel le meilleur burin ne peutmordre.

1. La première des parures c’est la propreté. Celle du corps consiste àprendre des bains une fois par mois ; à se laver tous les jours ; à senettoyer les dents, les oreilles et les ongles chaque matin ; à serincer la bouche après avoir mangé.

2. Une femme mal peignée a toujours l’air sale ; arrangez vos cheveuxdès le matin ou cachez-les sous un bonnet d’une élégante simplicité.

3. Montaigne a dit que pour sentir bon il faut ne rien sentir. Ne vousparfumez donc jamais, et laissez aux femmes galantes ce moyen de sefaire remarquer.

4. D’ailleurs, les parfums sont entièrement passés de mode dans labonne société.

5. Il n’y a plus que les femmes arriérées et les femmes galantes qui secoupent les ongles à la chinoise, c’est-à-dire en pointe. Les lionneselles-mêmes ne veulent plus avoir de griffes.

6. N’employez jamais aucune poudre pour vous nettoyer les dents, cartoutes, sans aucune exception, ne les blanchissent momentanément qu’enen usant l’émail, ce qui les fait jaunir et finit par les gâter.

7. N’employez jamais la brosse rude pour vous nettoyer les dents, souspeine de les déchausser. Vous pouvez attribuer à cette cause lalongueur des dents de certaines jeunes femmes.

8. Les belles dents sont blanches et carrées, c’est-à-dire aussi largesque longues, mais petites.

9. Soyez toujours parfaitement chaussée. Dans le monde on peuttransiger sur beaucoup d’objets de parure, mais jamais sur la propretéde la chaussure.

10. La femme la plus élégamment mise ressemblera toujours à unesouillon si elle est mal chaussée.

11. Ne portez jamais des souliers trop étroits si vous ne voulez pasmarcher comme un canard sauvage. Ne les portez jamais trop larges nonplus. Le soulier qui va le mieux est celui qui est exactement sur lamesure du pied.

12. La femme qui veut faire petitpied paye sa vanité par des cors,des durillons et une démarche guindée qui lui donne un air fortdésagréable.

13. Les femmes grecques et romaines, qui ont fourni les plus beauxmodèles à la sculpture antique, ne portaient point de corset. Ellessoutenaient leur gorge au moyen de large bandelette de toile de lin.

14. Les quatre cinquièmes des jeunes femmes de Paris qui meurentpoitrinaires, se sont assassinées elles-mêmes en voulant faire finetaille au moyen de leur corset.

15. Quand vous verrez à une femme des maux d’estomac, le nez rouge, leteint vergeté, la respiration oppressée et une voix aigre et grêle,vous pouvez être certain qu’elle le doit à l’habitude de se serrer trop.

16. Beaucoup de parents, et de mère surtout, sont complices de ce genred’assassinat, pour la seule vanité d’avoir une fille faite comme unearaignée ou une guêpe.

17. Si les honnêtes femmes savaient que la fine taille et la crinolinene peuvent plaire aux hommes que par une arrière-pensée de débauchehonteuse, je pense qu’elles y renonceraient.

18. Une femme qui a la taille trop fine et les hanches trop larges estune femme mal faite, difforme. Comparez-la à la Vénus de Médicis quidepuis vingt siècles passe pour le type le plus parfait de la beauté,et vous en jugerez comme moi.

19. Puisque la mode est plus forte que la raison, portez des corsets ;mais ne vous serrez pas.

20. J’ai connu une femme très-coquette qui n’a fait que des enfantsestropiés, parce qu’elle les estropiait elle-même dans son sein, pourfaire fine taille.

21. Jamais une femme qui se respecte ne doit adopter les modes quichoquent la décence et la pudeur.

22. Que votre parure soit toujours en harmonie avec votre fortune et lerang que vous occupez dans le monde.

23. Trop de simplicité pourrait passer pour avarice ; trop de luxepourrait passer pour prodigalité, vanité et défaut d’ordre.

24. Évitez dans votre costume les couleurs éclatantes, le bariolage demille teintes tranchantes ; en un mot, tout ce qui sent le mauvais goût.

25. Que tout ce que vous porterez soit beau en étoffe, et fait par lesmeilleures ouvrières.

26. Ne vous surchargez pas de chiffons, de dentelles et de rubans, pourne pas ressembler à une douairière.

27. Évitez la profusion des bijoux, chaînes, breloques, flacons etautres brimborions dorés que chacun est maître de prendre pour du faux; une montre et un lorgnon, voilà tout.

28. La devise de la femme de bon ton doit être : bon goût etsimplicité, et qui n’exclut nullement l’élégance.

29. Je vous recommande surtout d’assortir votre toilette à votre âge,car rien n’est plus ridicule qu’une femme de cinquante ans mise commeune jeune personne, si ce n’est une jeune fille habillée comme unevieille femme.

30. Variez votre toilette en raison des circonstances. Celle du matindoit être la plus simple, même pour rendre des visites ; celle poursoirées doit être la plus riche ; celle pour bals doit être la plusélégante.

31. La toilette d’une demoiselle sera toujours plus modeste que celled’une femme mariée, parce que la vraie manière de se choisir un mariest de paraître avoir les goûtssimples.

32. J’ai connu dix maris que leurs femmes ont ruinés par leur luxe, etqui cependant ne les avaient épousées que parce qu’elles avaient lesgoûts simples.

33. Pour qu’une demoiselle ait lesgoûts simples, il faut qu’elle aithorreur des cachemires et des riches fourrures, et le plus profonddédain pour les bijoux de prix et les diamants... jusqu’à ce qu’elleait trouvé un bon mari.

34. Si elles font autrement, dit Mme Celnart, elles passent pour avoirun amour effréné du luxe, etelles se privent du plaisirderecevoir ces parures de la main d’un époux.

35. Le goût exige impérieusement que tout ce qui compose la toilettesoit parfaitement assorti.

36. Rien de plus ridicule qu’une très-belle toilette avec des bas salesou un chapeau flétri.

37. Avec une coiffure, une chaussure et des vêtements simples, mais debon goût, et le tout frais et parfaitement fait, une femme peut seprésenter partout.

38. Depuis longtemps déjà, la mode des tours de cheveux et desperruques est entièrement passée, et les dames qui ont des cheveuxblancs ne craignent plus de les montrer. C’est un immense progrès.

39. La perruque n’est plus permise qu’aux dames qui ont perdu leurscheveux à la suite d’une maladie.

40. Une femme de bon sens suit les modes, mais sans les exagérer etsurtout sans les devancer.

DES SALUTATIONS.

Nous ne traiterons pas ce chapitre comme un maître de danse, et nousengagerons même nos lecteurs, hommes et femmes, à oublier tout à fait,quand ils seront dans le monde, les leçons de ce digne professeur. Etcependant, remarquez bien que de prime abord on reconnaît au salutl’homme de bon ton et l’homme sans éducation. Le salut est d’uneextrême importance quand on veut arriver à quelque chose dans le monde,et Dieu sait combien d’individus ont manqué d’être préfets ou ministrespour n’avoir pas eu l’échine assez souple et avoir manqué de tact dansle salut.

1. Quand vous saluez un grand protecteur, votre colonne vertébrale doitfaire, avec vos jambes, un angle droit.

2. Si votre protecteur vous rend deux ou trois saluts pour un,inscrivez sur vos tablettes que vous n’en obtiendrez rien, et n’yretournez pas.

3. S’il ne répond à votre salut qu’en vous tendant la main, espérez :mais ne vous y fiez pas, et lisez mon chapitre de l’eau bénite decour.

4. Si vous rencontrez dans la rue une de vos connaissances seule,saluez-la le premier.

5. Si elle est en compagnie, attendez qu’elle vous ait salué lapremière.

6. Si c’est une dame et qu’elle ne vous salue pas, ayez l’air de ne pasla voir.

7. Si c’est un homme et qu’il soit avec une femme, passez comme si vousne les connaissiez pas.

8. Dans ces trois derniers cas saluez par un léger signe de tête, maisne vous arrêtez pas.

9. Si l’on vous arrête, dites quelques paroles honnêtes, maisinsignifiantes, et passez outre.

10. On salue ses amis d’un geste de la main.

11. Une dame salue d’un signe de la tête.

12. Si une conversation s’engage avec les personnes que vousrencontrez, gardez votre chapeau à la main jusqu’à ce qu’on vous priede vous couvrir.

13. Quand vous rencontrez une femme seule, attendez pour la saluerqu’elle ait paru vous reconnaître.

14. Ne pas rendre un salut à quelqu’un est la plus grande grossièretéque l’on puisse faire.

15. Le rendre légèrement, avec un air protecteur, est le fait d’un sotredoublé de fatuité.

16. Les poignées de main, lorsqu’on se rencontre, témoignent d’unecertaine familiarité qui ne peut exister qu’entre amis ou camarades.Quelquefois un supérieur vous donne cette marque d’estime ; mais uninférieur ne doit jamais se permettre de présenter sa main à sonsupérieur.

17. J’ai vu des fats avoir l’impudence de présenter un ou deux doigts àla personne qui leur tendait la main ! D’égal à égal ce n’est guèrequ’une insolence risible ; d’inférieur à supérieur c’est une stupidité; de supérieur à inférieur c’est une marque de mépris.


CHAPITREV.
POLITESSE DANS LA CONVERSATION.

1. Évitez toute polémique sérieuse, surtout en politique et en religion.

2. Eussiez-vous mille fois raison, cédez de bonne grâce quand vousvoyez qu’une discussion devient irritante et peut dégénérer en querelle.

3. Parler politique devant des femmes, c’est prouver que l’on manque àla fois de tact et de politesse.

4. Il n’y a qu’un sot qui soutient obstinément son opinion.

5. Est encore plus sot celui qui vous dit : « Si j’étais ministre, sij’étais gouvernement, je ferais ceci, je ferais cela, etc. »

6. Cela fait penser au berger Jeannot qui disait : « Si j’étais roi, jen’irais garder mes vaches qu’à cheval. » L’homme d’esprit sait toujoursrester dans sa sphère.

7. Tel homme qui n’a jamais su gouverner ni sa fortune, ni sa femme, nises enfants, a la stupidité de se croire capable de gouverner l’État.

8. Si vous avez une opinion prononcée en politique, il est inutile d’enfaire parade en société, et intolérant de vouloir la faire adopter parles autres.

9. Il n’y a que Dieu qui soit infaillible : il n’y a que les imbécilesqui croient l’être.

10. L’homme d’esprit doute de lui-même : le sot ne doute de rien.

11. Si, dans la conversation, vous voulez vous faire remarquer,gardez-vous bien de faire de l’esprit.

12. L’esprit est un charme qui a d’autant plus de puissance qu’on necherche pas à le gaspiller à tout propos.

13. L’homme d’esprit doit être modeste, ou le paraître. S’il agitautrement, il se met au-dessus de son esprit.

14. L’esprit de la conversation consiste bien moins à montrer celuiqu’on a qu’à faire paraître l’esprit des autres.

15. Celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit,est tout aussi content de vous.

16. Lorsque quelqu’un parle, écoutez-le avec la plus grande attention,ou du moins ayez-en l’air.

17. Savoir écouter est presque aussi indispensable que savoir parler,et c’est particulièrement là que l’on reconnaît l’homme de bon ton etde bonne compagnie.

18. Si vous voulez qu’on vous écoute, écoutez les autres, ou au moinsayez-en l’air.

19. La distraction conduit à toutes sortes de sottises dont on peut serepentir, surtout au jeu.

20. Elle annonce volontiers un esprit lourd, épais, qui ne peut passecouer les chaînes d’une première idée pour en embrasser vivement uneseconde.

21. La distraction est une preuve d’ignorance ou de bêtise quand c’estun homme instruit ou un homme d’esprit qu’on écoute.

22. C’est, dans tous les cas, une impertinence qui ne se pardonne pasdans le monde.

23. Quel que soit l’esprit de celui qui parle, celui qui sait l’écoutermontre autant d’esprit que lui.

24. Il n’existe pas d’homme assez peu maître de lui pour ne pas chasserla distraction de son esprit, quand il en a la ferme volonté.

25. Rien n’est plus impertinent que d’interrompre celui qui parle, soitpour relever une erreur de faits ou de date, soit pour aider à samémoire ou lui souffler un mot qu’il paraît chercher.

26. Couper la parole à quelqu’un pour finir une histoire qu’il acommencée bien ou mal, est de la dernière grossièreté.

27. Lorsque quelqu’un parle, il est de la plus grande impudence debâiller, fredonner un air, se curer les dents, battre du tambour avecles doigts sur quelque meuble, chuchoter à l’oreille de quelqu’un,tirer une lettre de sa poche et lire, regarder l’heure qu’il est, etc.

28. Lorsque la conversation est générale, chacun prend la parole à sontour, et jamais deux ou plusieurs personnes ne doivent parler à la fois.

29. Ne prenez jamais un ton tranchant ou même trop animé, et que votrelangage soit toujours aimable, doux, honnête, sans affectation desupériorité.

30. Mettez-vous toujours à la portée des personnes qui vous écoutent,et, sous peine de pédanterie, ne leur parlez que de choses qu’ellespeuvent comprendre.

31. A moins qu’on ne vous en prie, ne parlez jamais de vos étudesparticulières, ni des occupations qui font votre spécialité, si vous nevoulez pas endormir d’ennui votre auditoire.

32. Ceci est l’écueil contre lequel vient se briser la politesse deshommes de loi, des financiers, des grands négociants, etc. Il n’y aguère que les gens de lettres, les artistes et les aimables paresseuxqui savent éviter ces malencontreux écueils.

33. Évitez également le ton grave et le ton trop léger.

34. Dans une discussion orageuse, ne prenez parti ni pour ni contre, etne vous en mêlez que si vous pensez pouvoir mettre les parties d’accord.

35. Ne gesticulez que très-peu en parlant, si vous ne voulez pasressembler à un mauvais comédien.

36. Ne faites jamais recommencer quelqu’un qui parle, sous prétexte quevous n’avez pas entendu.

37. Il n’y a rien d’inconvenant comme ces questions : Commentdites-vous ? je ne vous ai pas entendu ; seriez-vous assez bon pourrépéter ? etc.

38. Il est malhonnête, pendant une conversation générale, de tirer àpart une personne pour lui parler en particulier.

39. Il est encore plus impoli d’écouter deux personnes qui causent àpart. Vous devez, dans ce cas, vous éloigner d’elles sans affectation.

40. Soyez le plus bref possible dans vos récits, surtout quand ils’agit de choses de peu d’importance, et point de digressions inutiles.

41. Soyez extrêmement patient pour écouter jusqu’à la fin de leursrécits les vieillards qui aiment à parler longuement.

42. Parlez de vous le moins possible, et n’en dites ni bien ni mal.

43. Ce serait une sottise que de faire vous-même votre éloge ; mais ceserait plus sot encore de découvrir vos défauts, car ce serait uneimprudence.

44. Dans une conversation générale, ne hasardez jamais une plaisanterieavec un de vos supérieurs, quelque innocente qu’elle soit.

45. Si vous souffrez qu’on vous loue, soyez certain que l’on croira quevous aimez la flatterie.

46. Dans la société, ne comparez jamais le mérite de deux personnes,n’y en eût-il qu’une de présente, car toute comparaison est oiseuse ouodieuse.

47. Quelle que soit l’absurdité d’une histoire que l’on raconte, sil’individu qui la dit en affirme la vérité, vous devez faire semblantde la croire, c’est-à-dire ne donner aucun signe d’incrédulité.

48. Un signe ou une parole d’incrédulité, dans ce cas, est un démenti,et un démenti est une très-grave offense.

49. Enfin (si ce n’est par bonté, que ce soit par prudence),abstenez-vous rigoureusement de tout ce qui est mensonge, méchanceté,calomnie, médisance, et en général de tout ce qui peut nuire à desabsents.

50. J’ai connu une dame très-spirituelle, ayant un excellent cœur, quise laissait emporter à dire une méchanceté plutôt que de laisser passerl’occasion de faire briller son esprit par un bon mot ou une épigrammebien tournée. Elle est morte sans avoir un seul ami pour lui fermer lesyeux.

51. Toute conversation est interdite aux personnes qui ne parlent paspurement leur langue.

52. Il est de très-mauvais ton de jurer pour donner plus d’énergie àson discours.

53. La bonne société ne vous passera pas le morbleu, parbleu,corbleu, etc., etc., pas même le ventre-saint-gris.

54. Jurer dans un salon, c’est montrer qu’on n’a pas l’habitude d’yentrer.

55. Je n’ai pas besoin de dire que tout propos rocailleux ou simplementéquivoque ne doit jamais sortir de la bouche d’un homme bien élevé.

DES LOCUTIONS VICIEUSES.

Certains mots, quoique très-français, ont été rejetés du répertoire dela conversation, parce que, par quelques circonstances fortuites, qu’ilserait inutile de rapporter ici, ils ont été entachés de ridicule. Parexemple : le verbe empoigner ne se dit ni ne s’écrit depuis plus detrente ans ; il n’y a plus que les épiciers qui disent mon épouse,mon amante, pour ma femme, ou ma maîtresse ; mon grand’père etma grand’mère pour mes grands parents, etc., etc.

Quand vous entrez pour la première fois dans un salon, dites à lamaîtresse Madame la baronne,si elle est baronne, ou Madame lamarquise, la duchesse, etc., j’ail’honneur de vous saluer. Si vousy retournez souvent, il s’établit une certaine familiarité de bon tonqui vous permet de dire bonjour,Madame. Mais Dieu vous préserve,quoi qu’il arrive, de dire bonjour,baronne, bonjour, marquise ! Onvous prendrait pour un fat du commencement du dix-huitième siècle.

Quelque noble que vous soyez, si vous ne voulez pas passer pour unarrière-cousin de la comtesse d’Escarbagnas, ne dites pas le comte moncousin, la duchesse ma sœur, mon frère le baron, mon fils le préfet,mon neveu le pair de France. Fi donc ! cela sent à pleinebouche lecuisinier et la marchande de pommes du temps de l’Empire ; ces bonnesgens avaient presque toujours ces mots là à la bouche, et ils l’ontmême encore un peu à présent.

Si vous parlez de votre père ou de votre mère, ne dites pas Monsieurmon père, madame ma mère ; cette locution, intronisée en FranceparMarie de Médicis, n’est plus tolérable qu’en Italie, où elle s’estconservée : il signor mio padre ; lasignora mia madre.

Il y a des personnes qui, à chaque phrase, s’interrompent pour vousdire : Comprenez-vous ? vouscomprenez bien ? vous m’entendez bien ?comprenez ce que je vous dis. C’est absolument comme si ellesdisaient: « Etant bien convaincu que vous êtes un sot, je me crois obligé devous faire ces questions afin de m’assurer si votre pauvre intelligencepeut aller jusqu’à me comprendre. »

Y a-t-il rien de plus impertinent que cette locution : si ce que vousdites est vrai, si Madame dit vrai, je crois que, etc. On nepeut pasdonner un démenti plus désobligeant. Pourquoi ne pas s’exprimer ainsi : d’après ce que vous dites, je croisque, etc.

Un article de la civilité puérile et honnête vous a appris que les mots oui et non doivent toujours être suivisde Monsieur, Madame ou Mademoiselle.

Les pronoms lui, elle, il,sont très-malhonnêtes quand on cite unepersonne présente. Ne dites donc pas jelui ai dit ; elle m’a dit,mais : j’ai dit à Monsieur, Madame m’a dit.

La Julie, la Joséphine ne se dit que desfilles.

Une femme bien élevée, en parlant de son mari, dit mon mari ; si elledit Monsieur un tel, onpourra croire qu’elle n’est pas mariée, ouque son mari n’est pas aimé d’elle et en subit les conséquences.

Si vous demandez à M. Badouillard comment se porte sa femme, dites-lui: Comment se porte Madame ?sans rien ajouter que son titre si elleen a un, comme Madame le duchesse,la comtesse, la marquise ou labaronne.

 Quand vous n’avez pas entendu une question, ne répondez pas hein? mais : Comment ? Je vousdemande pardon, je n’ai pas entendu ? Vousplairait-il de recommencer votre question ? etc. M. Badouillarddit : plaît-il ? parce que M.Badouillard ne tient pas à une faute defrançais de plus ou de moins.

Si quelqu’un vous heurte violemment ou vous écrase un doigt de pied, ilvous demandera pardon et vous dira ensuite : Oh ! mon Dieu, je vous aifait bien mal, Mademoiselle. Ne répondez pas, ce n’est rien, rien dutout, ou, au contraire,Monsieur, ce qui revient au même ; maisexcusez-le avec politesse.

Ne dites pas voilà une affaireconséquente, un établissementconséquent, une fortune conséquente, pour une affaireimportante, unétablissement qui a de la valeur, une grande fortune, parce que, avanttout, il faut parler français.

1. Malgré tout ce que je viens de vous dire, il n’y a pas une locution,pas un mot, si surannés qu’ils soient, que vous ne puissiez employerd’une manière pittoresque et piquante, dans de certaines occasions.

2. Dans tous les cas ne mettez jamais d’affectation dans votre langage.

3. Pour bien parler, il faut parler comme tout le monde.

4. N’affectez pas, par exemple, de dire une cuiller pour une cuillère; c’est plus français, mais trop prétentieux.

5. Si vous faites des cuirs, prenez un maître de grammaire, etgardez-le jusqu’à ce que vous n’en fassiez plus. Jusque-là ne vouslancez pas dans le monde.

6. Rien ne déconsidère un homme dans la société comme de fairehabituellement des cuirs.

7. Une faute très-grossière de langage peut échapper à l’homme le plusinstruit dans le feu de la conversation. S’il en rit lui-même, vouspouvez en rire avec lui.

8. S’il ne rit pas de sa faute, faites semblant de ne pas vous en êtreaperçu.

9. Agissez-en de cette dernière manière avec l’homme coutumier du fait.

10. Il est de très-mauvais ton d’affecter de faire des cuirs, quand onpeut faire autrement. C’est de la plus basse bouffonnerie.

11. Parlez correctement votre langue, si vous pouvez, mais ne soyez pastrop sévère sur la manière dont les autres la parlent.

12. La langue française est tellement difficile qu’il n’y a peut-êtrepas dix hommes à Paris qui puissent se vanter de comprendreparfaitement les participes.

13. En société, ne reprenez jamais celui qui fait une faute defrançais, sous peine de passer pour un pédant malhonnête.

14. Évitez autant que vous le pourrez les temps des verbes quifinissent en asse et en isse.

15. Quand un mot est généralement compris par le public et qu’il peintbien votre pensée, servez-vous-en dans la conversation sans trop vousinquiéter de l’Académie. Ainsi dites amatricecomme J.-J. Rousseau, utiliser comme Chabot, puriste et purisme comme les écrivains, gamin comme tout lemonde, etc., etc.

16. Ce sont les écrivains  et le public qui ont seuls le droit decréer de nouveaux mots. L’Académie n’est là que pour les enregistrer,et les définir quand elle le peut, ce qui ne lui arrive pas toujours.

17. Cependant, n’adoptez pas un mot populaire quand il a un sens bas,trivial ou indécent.

18. Ne l’adoptez pas non plus quand notre langue possède un mot qui ale même sens.

19. Employez le moins que vous pourrez les mots techniques d’un art,d’une science ou d’un métier. Servez-vous plutôt d’une périphrase afinde vous faire comprendre de tout le monde.

20. Ne vous moquez jamais d’un étranger qui parle mal notre langue,car, si vous savez la sienne, vous êtes malhonnête, si vous ne la savezpas, vous êtes un sot ; c’est l’aveugle qui se moque du borgne.

21. Si une suite de mots, comme « ila tort envers elle » vous offrequelque chose de dur dans la prononciation des liaisons, ne faites pasde velours, mais escamotez la liaison et dites comme si l’on écrivait « il a tor enver elle. »

22. L’affectation du purisme est la plus sotte que l’on puisserencontrer dans la société.

LE CHERCHEUR D’ESPRIT.

1. Gardez-vous des chercheurs d’esprit si vous ne voulez pas vousennuyer ; gardez-vous de le devenir vous-même, si vous ne voulez pasennuyer les autres.

2. Le farceur peut amuser un moment ; mais le plus souvent c’est de luiqu’on rit et non de ce qu’il dit.

3. Dans le monde on accueillera bien par hasard, et de temps à autre,un calembour, mais non le calembouriste.

4. Le calembouriste et son bagage ennuyeux ne sont plus de mise quedans la petite bourgeoisie.

5. Encore faut-il pour qu’un calembour fasse rire, que l’on puisse dire: « Dieu ! que c’est bête ! »

6. Remarquez bien ici que la bêtise dont on accuse le calembour est unbrevet adressé à celui qui l’a fait.

7. Donc, si vous voulez obtenir un brevet de bêtise, faites descalembours.

8. Les chercheurs d’esprit sont plus exposés que les autres à dire desbêtises. L’expérience le prouve tous les jours.

9. L’homme le plus spirituel devient bête quand il veut faire le beauparleur.

10. La phrase tue l’esprit.

11. Le beau parleur est ordinairement bavard, et il ne faut que cesdeux qualités pour assommer une société tout entière.

12. La plupart des beaux parleurs manquent d’esprit ; tous manquent dejugement.

13. Si vous voulez plaire, parlez simplement, mais dites des chosesaimables.

14. La société repousse tous les gens prétentieux, parce qu’ils lablessent ou l’ennuient.

15. L’homme qui s’admire dans ce qu’il dit n’est que bien rarementadmiré par les autres.

16. Le beau parleur n’est rien autre chose qu’une variété du pédant.

LE BEL ESPRIT.

1. Le bel esprit a le ton plus rogue et plus élevé que le chercheurd’esprit.

2. Il déteste le bon mot et le calembour, que souvent il ne comprendpas.

3. Il a horreur de toute bouffonnerie. C’est un profond littérateur etun grand poëte... ignoré et incompris.

4. Il a donné des conseils très-utiles à tous les grands écrivains.

5. Il porte toujours dans son portefeuille une lettre de Lamartine, unede Béranger et une de V. Hugo.

6. Un jour il bouleversera et réformera la littérature française par lapublication de ses œuvres immortelles. Il n’attend, depuis bienlongtemps, qu’une chose pour cela, c’est d’avoir trouvé... un éditeur.

7. Si vous ne voulez pas passer pour un sot ridicule et pédant, nefaites pas le métier de bel-esprit.

LE BAS-BLEU.

1. Le rôle de bas-bleu est le pire qu’une femme honnête puisse jouerdans le monde, quand le bas-bleu y est reçu.

2. Le bas-bleu est héritier en ligne directe des femmes savantes deMolière ; le monde a peu d’estime pour lui.

3. C’est une espèce d’hermaphrodite qui n’a gardé de la femme que lesdéfauts, et qui n’a pris de l’homme que l’enflure de la vanitélittéraire, les ridicules et quelquefois les mauvaises habitudes.

4. La femme qui a un grand et véritable talent perd le nom de bas-bleupour prendre celui d’homme delettres, d’auteur,d’écrivain. Il ya quelques-unes de ces femmes, mais elles sont rares et ce n’est pas àelles que ce chapitre s’adresse.

5. Il n’y a pas chez elle d’hermaphroditisme, mais métamorphose. C’estune femme dont l’esprit et le talent ont fait un homme. Voilà pourquoi,en parlant d’elle, on dit : Cette dame est homme de lettres, et non pasfemme de lettres.

6. Malgré cela, il est plus honorable pour une femme de jouer dans lemonde le rôle de bonne mère de famille et de femme d’ordre, que celuide femme auteur. Cette dernière n’est qu’un contresens de la nature.

7. La femme la plus estimable est celle dont on parle le moins, et laplus parfaite celle dont on ne parle pas du tout.

8. La femme auteur se met trop souvent au dessus des préjugés. Pourfaire étalage d’une philosophie qu’elle n’a pas, elle se fait souventparaître plus mauvaise qu’elle n’est.

9. L’homme doit se mettre au-dessus des préjugés, et la femme s’ysoumettre, a dit Mme Necker.

10. Rien de si rare que la femme homme de lettres, et pourtant tous lesbas-bleus prétendent à ce titre.

11. Il y a plus de bas-bleus par vanité que par conviction de leurtalent.

12. La femme incomprise est une aspirante au bas-bleu.

13. Elle est l’héritière en ligne directe des précieuses ridicules deMolière. C’est une pauvre femme à laquelle la vanité a fait perdre latête.

14. Le bas-bleu politique est, par le temps qui court, l’espèce la plusméprisable de toutes.

15. Le bas-bleu politique est essentiellement immoral, envieux,vaniteux, sot, et sans l’ombre de jugement. Posez-lui telle questionque vous voudrez, vous êtes sûr qu’il la résoudra dans le sens le plusridicule.

16. Si une femme possède un véritable talent, qu’elle s’en réjouissedans l’unique pensée qu’il lui servira pour l’éducation de ses enfants.

17. Dans tous les cas restez modeste, et défiez-vous des illusions del’amour-propre.

18. Observez le monde, et vous remarquerez que ce sont les femmes lesplus sottes qui ont la plus haute opinion de leur esprit et de leurmérite.

19. Méfiez-vous de vous-même, jusqu’à ce que votre mérite vous soitconfirmé sérieusement par des amis sincères, capables de bien juger, etn’ayant aucun intérêt à vous tromper. Ces amis-là sont rares.

20. Après lecture, s’ils vous disent : « oui, c’est bien, » ils pensentque c’est mauvais. S’ils vous disent : « ce n’est pas mal, » jetezvotre manuscrit au feu.

21. Heureuse ! mille fois heureuse ! la femme assez intelligente pourne pas chercher son bonheur hors de son ménage et de la vie de famille.

L’HOMME DE LETTRES.

1. Recherchez la société des gens instruits, des véritables hommes delettres, vous ne pouvez qu’y gagner.

2. Fuyez celle des mauvais écrivains si vous craignez l’ennui.

3. Sauvez-vous de l’homme de lettres incompris comme de la peste, caril n’y a rien de bon à gagner avec les sots orgueilleux.

4. Si vous avez la vanité de vous faire homme de lettres, ayez oubeaucoup d’argent, ou beaucoup d’esprit. Avec le premier moyen,l’argent, vous arriverez plus vite à vous faire une belle réputation.

5. Avec de l’argent vous trouverez très-aisément un pauvre diable quiaura de l’esprit pour vous ; vous lui ferez faire des feuilletons quevous signerez.

6. Avec de l’argent -1 franc 50 centimes par ligne) vous ferez insérer dans le corps de tel journalque vous voudrez, tout ce que vousvoudrez ; mais vous vous bornerez à un long éloge de votre talent.

7. Avec de l’argent, si l’on ne veut pas insérer vos feuilletonsgratis, vous payerez pour les faire insérer.

8. Avec de l’argent, vous vous ferez mousservous-même dans toutesles feuilles littéraires.

9. Avec de l’argent, vous donnerez des dîners aux rédacteurs en chef,aux écrivains architectes de réputation, et aux gens influents danstous les genres.

10. Avec de l’argent, des dîners et le ruban rouge, vous entrerez àl’Académie.

11. Avec de l’argent, des dîners, le ruban rouge et le fauteuil, vousserez un immortel, tout comme les autres, et vous serez parfaitementoublié un mois après votre mort.

12. Si vous n’avez que de l’esprit, soyez intrigant et flatteur, etvous arriverez à force de courbettes ; mais il vous faudra beaucoupplus de temps.

13. Si vous avez de l’esprit et du jugement ne vous faites pas homme delettres.

LE SAVANT.

1. Il faut avoir beaucoup étudié pour arriver à savoir qu’on ne saitrien, ou du moins pas grand’chose.

2. Ne confondez pas l’érudit avec le savant : le premier est un hommede mémoire, le second est un homme qui pense.

3. L’érudit doit ses connaissances à la lecture ; le véritable savantdoit les siennes à l’observation des faits et à la méditation.

4. L’homme qui a découvert une vérité et qui sait en déduire toutes lesconséquences rigoureuses est un vrai savant.

5. Le vrai savant est modeste, rarement vaniteux, jamais pédant.

6. Ne croyez pas à la science d’un pédant.

7. Les vraies sciences, c’est-à-dire les sciences mathématiques etphysiques, ont aussi leurs érudits.

8. Ceux-là savent tout ce qui a été dit et écrit dans leur spécialité.

9. S’ils n’ont pas fait progresser la science, ils ne sont pour moi quedes érudits.

10. Habituez-vous à ne pas regarder comme fait scientifique tout ce quiest douteux et dont la vérité ne peut pas se démontrer comme uneproposition mathématique.

11. Soyez donc sceptique, mais en science seulement, car ce sont lespréjugés honnêtes, les douces erreurs et la crédulité du cœur qui fontles charmes de la vie et les liens les plus aimables de la société.

12. Le temps et l’expérience viendront vous désillusionner toujourstrop tôt.

DU PÉDANTISME.

1. Le pédant fût-il vraiment savant, n’en serait pas moinsinsupportable à tout le monde.

2. La science qu’on veut paraître avoir fait souvent douter de cellequ’on a réellement.

3. Le salon n’est pas le lieu que l’on doit choisir pour parler scienceou faire l’étalage de son érudition.

4. Si vous faites parade de votre érudition devant des femmes, vousleur ferez penser, avec juste raison, que vous avez encore conservé leshabitudes du collège, eussiez-vous cinquante ans.

5. Il est extrêmement impoli de faire, en société, des citations dansune langue étrangère.

6. Si cela vous arrive devant des femmes, vous agirez en cuistrestupide et vaniteux.

7. Il n’y a qu’un stupide pédant qui affecte dans le monde de se servirde mots techniques ou scientifiques qui ne sont pas généralement connus.

8. Si vous avez une passion pour Homère, Virgile et Horace,délectez-vous-en dans votre cabinet mais n’en parlez jamais dans unsalon.

9. Si vous parlez allemand, parlez-le à votre cordonnier ou à votretailleur ; si vous savez l’italien, parlez-en avec un Italien ; si vousparlez anglais, sifflez-le à des Anglais ; si vous parlez chinois,tâchez de trouver un Chinois qui vous comprenne. Mais lorsque vous êtesavec des Français, parlez-leur français, si vous le pouvez.

10. Le pédantisme étant l’affectation pédagogique d’en savoir plus queles autres, il n’y a pas des pédants que dans les sciences seulement.On trouve dans le monde, des pédants en musique, en peinture, en toutesorte de choses, et en politesse même.

11. Quand un mot d’une langue étrangère a été généralement adopté parnotre langue, écrivez-le et prononcez-le tel qu’on le prononce enfrançais. Toute autre manière est du pédantisme. S’il n’a pas étégénéralement adopté, vous n’avez pas à vous en occuper, parce que vousne devez pas vous en servir.

12. Le pédantisme chez les femmes est dix fois plus ridicule que chezles hommes.

MYSTIFICATION.

1. Le rôle de mystificateur est toujours celui d’un méchant ou d’un sot.

2. Le mystificateur méchant, quels que soient son esprit et sonéducation, se fait toujours mépriser par les honnêtes gens.

3. Il n’y a qu’un fat plein de vanité et de contentement de soi-mêmequi puisse, dans la société, se charger du rôle de mystificateur.

4. Un sot peut mystifier impunément un homme d’esprit, parce que cedernier dédaignera toujours de prendre sa revanche.

5. Une mystification qui passe de certaines limites devient une injure.

6. Il est permis de repousser ces sortes d’injures avec la canne ouavec l’épée.

7. Le mystificateur s’expose souvent à être mystifié.

8. Toute mystification qui peut compromettre la santé ou l’honneurd’une personne devient un crime que les honnêtes gens ne pardonnentjamais.

9. Le mauvais plaisant est un sot plein de son petit mérite.Abstenez-vous de jouer ce rôle ridicule.

10. Faire rire les autres sans les faire rire à ses dépens est un rôlepour lequel il faut immensément d’esprit, c’est pour cette raison qu’ilest toujours joué par des sots. Ceux-là ne doutent jamais d’eux-mêmes.

11. Le rôle de mauvais plaisant exige un grand fonds d’impertinence ;c’est peut-être pour cette raison qu’il est méprisé dans le monde.

12. Le métier de farceur, qui tire moins sur le mystificateur, n’exigeque de l’impudeur, de l’effronterie et de la mémoire.

13. Le farceur doit s’attendre à voir plus souvent rire de lui que deses farces.

LE BOUFFON.

1. Il n’est pas de rôle plus difficile à faire supporter dans le mondeque celui de bouffon.

2. S’il est mal joué il tombe dans le saltimbanque ou le farceur de basétage.

3. Si vous voulez faire une bouffonnerie, ne débutez pas par dire : «Je vais vous faire rire, » car le monde est malin, et s’il vous faisaitla bouffonnerie de ne pas rire, je ne vois pas comment vous vous entirerez.

4. Pour se hasarder au rôle de bouffon, il faut avoir l’espritpénétrant, observateur, le jugement prompt et la répartie très-vive.

5. Il faut que les lazzis, la pointe, le jeu de mot, le calembour même,coulent des lèvres comme de source, sans interruption, sans étude,naturellement, et avec autant de finesse que d’esprit.

6. Le véritable bouffon improvise et n’imite jamais. Quelque boncomédien qu’il soit, il restera toujours froid et ennuyeux en répétantla charge d’un autre.

7. Une bouffonnerie répétée perd tout son piquant et devient toutsimplement une bêtise.

8. Rien ne dénonce plus la nullité de l’esprit que l’imitation del’esprit des autres.

9. La meilleure bouffonnerie, traduite par un sot, de la scène dans unsalon, devient une trivialité ennuyeuse.

10. Le métier de bouffon n’a jamais inspiré de considération dans lemonde, ni même dans la mauvaise société.

11. Le bouffon est un homme qui préfère la vanité à la dignité.

12. Si vous voulez qu’on vous respecte, respectez-vous vous-même.

LES JOCRISSERIES.

1. Il peut échapper une jocrisserie à l’homme du plus grand mérite,pour peu qu’il se laisse aller à la distraction.

2. Ne parlez jamais de choses que vous ne connaissez pas, si vous nevoulez pas vous exposer à dire des absurdités.

3. Le jocrisse naturel peut amuser un moment, et on le tolère enconséquence.

4. Le facétieux qui dit des jocrisseries pour amuser les autres, estplus jocrisse, en réalité, qu’il ne le croit.

5. L’homme de bon sens ne descend jamais au rôle de saltimbanque.

6. Si vous ne respectez pas vous-même votre dignité d’homme, quivoulez-vous qui la respecte ?

INTEMPERANCE DE LANGUE.

1. Avant de parler, réfléchissez à ce que vous allez dire.

2. Un coup de langue est quelquefois plus dangereux qu’un coup d’épée.

3. Ne parlez jamais de corde dans la maison d’un pendu. Ce proverbetrouve son application tous les jours.

4. On se repent souvent pour avoir parlé, jamais pour avoir gardé lesilence, disent les sages. Un homme du monde ne pourrait pas mieux dire.

5. Trop parler nuit, et trop gratter cuit, dit Sancho Pança.

6. Ne demandez jamais des informations sur un tiers à une personne quevous ne connaissez pas.

7. Si vous en demandez, ne dites jamais du bien ou du mal de lapersonne dont vous vous informez.

8. D’ailleurs, ne comptez nullement sur la véracité de la personne quevous interrogez : elle mentira pour en dire du bien si le tiers est deses amis ; elle mentira pour en dire du mal s’il est son ennemi ; ellementira pour en dire quelque chose si elle ne le connaît pas.

9. Ne dites jamais ni bien ni mal d’une personne absente, si vousvoulez plaire à tout le monde.

10. Si vous dites du mal d’un absent, vous risquez de vous fairerelancer par ses amis qui peuvent se trouver là sans que vous lesconnaissiez.

11. Si vous en dites du bien, ses ennemis peuvent devenir les vôtres.Le meilleur serait de n’en pas parler du tout.

12. Mais si vous êtes attaqué d’une intempérance de langue invincible,dites plutôt du bien que du mal, et vous ne vous ferez jamais d’ennemis.

LE BABILLARD.

1. Le babillard est un être mixte, qui tient à la fois de la portièreet de l’indiscret.

2. Il faut croire qu’il a une maladie qui l’oblige à remuer la langue,car ordinairement il n’est ni vaniteux, ni orgueilleux, et il n’a pasla prétention du beau parleur.

3. Généralement, ce défaut existe plus souvent chez les femmes que chezles hommes.

4. Malgré les meilleures intentions, le babillard peut devenir un êtrefort dangereux.

5. C’est l’enfant terrible des salons, qui fait beaucoup de mal sanss’en douter.

6. Comment, dans un flux de paroles qui ne tarissent pas, ne seglisserait-il pas, même à son insu, de l’indiscrétion, de la médisance,et un peu de calomnie ?

7. Le babillard est l’être le plus ennuyeux, le plus insupportablequ’il y ait dans la société.

8. Non-seulement le babillard compromet les autres, mais souvent il secompromet lui-même.

LE VANTARD.

1. L’homme qui se vante de ce qu’il a fait est au moins un indiscret,plus souvent encore un orgueilleux.

2. Dans tous les cas, ce serait un homme dangereux si on le croyait.

3. Celui qui se vante de ce qu’il n’a pas fait est un sot.

4. S’il est question de femme dans ses prouesses, c’est le dernier desmisérables.

5. Défaites-vous de cette habitude si vous ne voulez encourir le méprisdes honnêtes gens.

LE FAT.

1. Le fat est un être qui s’aime trop lui-même pour pouvoir se faireaimer des autres.

2. Il y a des fats qui ne sont que ridicules, mais il en est aussi dedangereux.

3. Une femme a tout à perdre dans la société d’un fat, et rien à gagner.

4. On croirait que Dieu a permis le fat, pour la punition des coquettes.

5. L’homme qui, pour satisfaire sa vanité, se vante de ce qu’il n’a pasfait, et perd ainsi la réputation d’une femme, n’est pas un fat, maisun scélérat.

6. Le plus sot de tous les fats est celui qui se vante, non pas de cequ’il a fait, mais de ce qu’il fera.

DU MENTEUR.

1. Les moralistes puritains ont horreur de toute espèce de mensonge.Dans le monde on est plus indulgent.

2. Le mensonge pernicieux,c’est-à-dire celui qui peut nuire àquelqu’un, constitue la calomnie. C’est une action criminelle et infâme.

3. Le mensonge officieux,celui qui sans nuire à personne peut êtreutile à un tiers, se pardonne aisément dans le monde.

4. Le mensonge qui peut sauver la vie à un innocent, et cescirconstances se rencontrent dans les temps de révolutions, peutquelquefois devenir une vertu sublime, surtout s’il est accompagné dedévouement.

5. Le mensonge officieux que l’on fait pour son propre compte, est, ouun ridicule, ou une lâcheté.

6. C’est un ridicule s’il n’est fait que par vanité, et pour se parerd’un mérite que l’on n’a pas.

7. C’est une lâcheté quand on le fait pour son intérêt matériel.

8. Le mensonge joyeux, quine nuit à personne et qui n’est dit quepour amuser ses auditeurs sans la prétention de se faire croire, n’estqu’une gaie plaisanterie qui ne tire à aucune mauvaise conséquence.

9. Mais pour se permettre le mensonge joyeux, il faut avoir infinimentd’esprit, et dire des choses neuves, piquantes, originales, et tout àfait inattendues. Cela n’est pas aisé.

10. Tout mensonge joyeux qui n’a pas les qualités que je viens de diredoit changer de nom et s’intituler le mensongeennuyeux.

11. Le mieux serait de ne jamais mentir, parce que, lorsque l’on acontracté l’habitude du mensonge, il devient impossible ou au moinsfort difficile de s’en corriger.

12. Des enfants élevés avec dureté par leurs parents, et vivant dans lacrainte continuelle des punitions, ne peuvent devenir que des menteurs; ils mentent dans l’intention d’éviter ou de retarder leur supplice :qui osera les en blâmer ?

13. Les enfants élevés avec douceur, qui regardent par conséquent leursparents plutôt comme des amis que comme des maîtres impérieux etsévères, que l’on corrige par le raisonnement et le plus rarementpossible par les pénitences, deviennent rarement menteurs.

14. Un homme connu pour être menteur dirait, dans ses intérêts, lavérité la plus palpable, qu’on aurait beaucoup de peine à le croire.

15. Il semble que dans la bouche d’un menteur, toutes les vérités semétamorphosent en mensonges pour ceux qui écoutent.

LE MOQUEUR DE MAUVAIS TON.

1. La moquerie est toujours un manque de politesse et de bon ton.

2. Elle est à la fine raillerie ce que la méchanceté est à la malice.

3. Si elle s’exerce sur une infirmité naturelle, elle devient uneinjure grave.

4. Je n’ai jamais rencontré un moqueur qui eût véritablement del’esprit.

5. Un moqueur est une sorte de paillasse qui ne comprend de son rôleque le côté méchant.

LES CHARLATANS.

1. Ne croyez jamais aux promesses des charlatans.

2. Tout homme qui promet plus qu’il ne peut tenir est un charlatan.

3. Les charlatans sont tout simplement des filous qui profitent de lacrédulité des honnêtes gens.

4. On rencontre dans le monde des êtres singuliers, qui croienteux-mêmes aux utopies qu’ils ont rêvées pendant un cauchemar ; ceux-làne sont pas des charlatans, mais des idiots.

DE LA MÉDISANCE ET DE LACALOMNIE.

1. La médisance ravale l’homme de la société au rang et aux manièresd’une bavarde portière.

2. Elle est malheureusement trop répandue dans la société.

3. Cela vient de ce qu’elle est tolérée par les méchants et les sots,parce qu’elle les amuse.

4. Ne vous retirez jamais que le dernier d’une société mêlée, c’est leseul moyen que vous ayez pour être sûr qu’on ne dira pas de mal de vous.

5. Il n’y a pas de pire médisance que celle qui se cache sous un fauxair de bonté et de charité.

6. « Ce bon monsieur N., vraiment  cela me fait une véritablepeine, car je l’aime beaucoup ! croiriez-vous qu’on m’a dit... » Et lamédisance va son train.

7. L’homme honnête ne doit croire au mal que lorsqu’il en a lacertitude, et dans ce cas, loin de le divulguer, il doit le cacher.

8. Rien n’est plus propre à corrompre la société que d’y tolérer lamédisance.

9. Il y a des gens qui ne médisent que par intempérance de langue, etqui sont bien loin de soupçonner tout le mal qu’ils peuvent faire. Ondirait qu’ils ont pris à tâche de se faire passer pour méchants.

10. La médisance est ordinairement la fille de l’oisiveté et del’ignorance.

11. Le calomniateur est un monstre que l’on chasse de partout quand ilest démasqué.

12. La calomnie est un assassinat moral. Qui voudrait recevoir chez luiun assassin ?

13. Un brigand vous assassine d’un coup de couteau ; un calomniateurd’un coup de langue ; quelle différence y a-t-il ? une seule : il fautdu courage au brigand ; le calomniateur est un lâche.

DE LA FRANCHISE.

1. La franchise consiste à dire toujours la vérité, mais non pas toutesles vérités.

2. Toutes les fois que vous dites à quelqu’un une vérité qui peut luifaire de la peine ou blesser son amour-propre, vous n’êtes pas franc,mais grossier et indiscret.

3. Ne touchez pas à l’amour-propre d’un homme si vous ne voulez pasvous faire un ennemi qui ne vous pardonnera jamais.

4. Plus vous toucherez juste, plus la plaie que vous ferez àl’amour-propre sera vive et cuisante.

5. Quand une femme débute par vous déclarer qu’elle est franche, c’estqu’elle cherche une excuse à une impertinence qu’elle va vous dire.

6. J’aimerais mieux mentir par politesse que de dire une véritéoffensante. D’ailleurs, on peut aisément éviter l’un et l’autre.

7. Si l’on vous interroge sur le secret d’un autre, aucune franchise nedoit vous porter à le révéler.

LE FLATTEUR.

1. Flatter un homme puissant pour s’emparer de sa confiance et enabuser, est une chose abominable.

2. Toute flatterie qui n’a pour but que de faire plaisir à quelqu’unest la chose la plus innocente du monde.

3. Une flatterie maladroite peut être prise pour une mystification.

4. L’homme qui ne pourrait pas prononcer un mot de flatterie resteraitmuet dans la société.

5. Ne cassez pas le nez aux gens à coups d’encensoir, et mettezbeaucoup d’art et de finesse dans la flatterie.

6. La flatterie indirecte est celle qui plaît le plus aux gens délicats.

7. Plus une personne a de vanité, plus elle est facile à flatter.

8. Les femmes ont plus de goût que les hommes pour la flatterie,probablement parce qu’elles ont plus d’amour-propre.

9. Telle femme qui a résisté aux richesses et à l’ambition, cède à laflatterie.

10. Pour un homme qui a de la tenue dans le monde, la flatterie auprèsdes femmes ne dépasse jamais les limites du compliment.

DE L’HOMME NUL.

1. Avec un peu de mémoire et beaucoup d’usage du monde, l’homme nul sefait un jargon de société que l’on serait quelquefois tenté de prendrepour de l’esprit.

2. D’ailleurs, on appelle homme nulcelui qui possède assez de senscommun pour n’être pas imbécile et pas assez d’intelligence pour êtreun homme d’esprit.

3. Si l’homme nul possède un grand fonds de bonté et de politesse, ilpourra devenir dans la société une nullité fort agréable, et onl’aimera.

4. Mais pour cela, il faut qu’il se dépouille entièrement de toutevanité et qu’il paraisse absolument sans prétention.

5. On ne va pas toujours dans le monde pour y briller, mais pour passerquelques heures dans une société douce et agréable.

6. Tout homme qui se propose un autre but se prépare des déceptions.

DE L’ORIGINALITÉ.

1. Restez dans le monde ce que la nature vous a fait, c’est ainsi quevous paraîtrez avec tous vos avantages, que vous soyez ou non unoriginal.

2. Si vous cherchez à paraître original malgré la nature, vous neparviendrez qu’à paraître ridicule.

3. Ne confondez pas certaine dépravation du cœur ou de l’esprit avecl’originalité.

4. Ne copiez jamais les manières originales de quelqu’un, car une copiene peut devenir original.

5. Si vous avez une originalité spirituelle et aimable, vous pourrezplaire dans le monde, ne fût-ce que parce que vous l’amuserez.

6. Si votre originalité est morose, grondeuse et critique, on vous feracomprendre que ce que vous pourriez faire de mieux serait de resterchez vous.

DE LA NAÏVETÉ.

1. La naïveté prouve ou de l’ignorance ou de la bêtise.

2. Dans une toute jeune fille, la naïveté peut être une preuvecharmante d’innocence.

3. Dans une demoiselle élevée dans le monde et ayant passé seize ans,on la prendra pour de la bêtise ou de la fausseté.

4. Le moyen le plus sûr pour éviter cet inconvénient, c’est de nejamais faire de questions sur une chose qu’on ne comprend pas, et de nejamais parler que de ce que l’on sait bien.

5. La naïveté feinte, outre qu’elle est toujours sotte ou ridicule,prouve tout le contraire de l’innocence.

6. Il est excessivement difficile de feindre une naïveté qu’on n’a pas,à moins qu’on ne soit une excellente comédienne.

7. J’ai vu des demoiselles de vingt-cinq ans affecter une naïvetéenfantine qui m’a fait douter de leur vertu.

MONSIEUR CONTRAIRE.

Il y a des hommes assez mal organisés pour ne pas comprendre qu’on peutquelquefois, sans compromettre son honneur ni son mérite, être del’avis d’une autre personne. Cette personne eût-elle cent fois raison,ils accueillent toutes ses propositions par un non et tous sesarguments par un au contraire.L’habitude de contredire s’est si bienenracinée dans leur esprit, que, sans cesser d’être insupportables, ilsdeviennent parfois d’un ridicule très-comique.

1. La contradiction, quelque politesse qu’on y mette, n’est qu’undémenti déguisé.

2. L’esprit de contradiction est une manie qui vous entraîne souvent,malgré vous, à soutenir d’étranges paradoxes.

3. Le sûr moyen de se faire détester en société est de contredire àtous propos.

4. Il vaut mille fois mieux se taire que de contredire mal à propos, oumême quand vous avez la raison pour vous.

5. La contradiction est irritante, parce qu’elle attaque directementl’amour-propre.

6. Ne laissez jamais prendre à vos enfants l’habitude de lacontradiction, si vous ne voulez pas que, plus tard, ils se fassent unefoule d’ennemis dangereux dans le monde.


CHAPITREVI.
DES EXIGENCES DE LA SOCIÉTÉ.

1. Si vous perdez votre fortune, retirez-vous du monde avant que lemonde se retire de vous.

2. Si vous n’avez pas de fortune ou un grand talent qui la compense, nevous faites jamais présenter dans le monde.

3. L’homme du monde sans fortune et sans talent est un parasite,dinât-il tous les jours chez lui.

4. L’homme raisonnable, riche ou pauvre, peut trouver le bonheur dansle cercle étroit de sa famille et de quelques amis, tout aussi bien quedans le monde.

5. Le véritable sage sait le trouver même au coin de son feu.

6. Le monde a de nombreuses exigences qui ne peuvent se satisfairequ’avec de l’argent.

7. Ce vice de la société vient de ce que ce sont les plus nombreux quiont fait la loi des usages, et que dans le grand nombre, dans lesmasses, il y a plus de sots que d’hommes d’esprit. Or, dans le monde,c’est la majorité qui est souveraine.

8. L’immense majorité des sots ayant fait la loi, cette loi doit être,comme toujours, au bénéfice des sots.

9. De là sont nées les exigences, parmi lesquelles la plus stupide etla plus immorale est le jeu.

10. Quelque mérite que vous ayez, si vous n’avez pas d’argent à perdreau jeu, n’allez pas dans le monde, ou vous y passerez pour un hommesans usage.

11. Quelque stupide que vous soyez, si vous êtes joueur allez-y, vousserez bien reçu, comme homme utile.

12. Avant de vous faire présenter dans un salon, informez-vous paravance du jeu qu’on y joue. Sans cela vous risqueriez de tomber, sansle savoir, dans un coupe-gorge d’autant plus dangereux qu’il estentièrement composé d’honnêtes gens.

13. Si vous êtes gai, aimable, spirituel, on vous invitera à dîner pour amuser les convives.C’est une exigence à laquelle on doit se prêterde bonne grâce.

14. Si vous avez une célébrité quelconque, on vous invitera pour vousmontrer à ses amis comme une curiosité, ainsi qu’on montre l’ours blancou le rhinocéros.

15. Les exigences du jour de l’an veulent que, à cette époque, on payeen cadeaux dix fois la valeur des dîners que l’on a reçus dans le coursde l’année, sous peine de passer pour un ladre qui ne sait pas vivre.

16. Quant aux autres politesses de salon que vous avez reçues, tellesque soirées dansantes, soirées musicales, etc., vous pouvez les solderen cadeaux, d’un prix plus modéré, mais plus ils auront de valeur, plusvous serez aimable.

17. Une absence d’un mois (le mois de janvier), feinte ou réelle, vouspasse quittance de toutes ces dettes d’honneur ; mais vous courez lachance de vous faire soupçonner d’avarice.

18. Si vous n’avez pas d’argent, évitez de conduire des dames auspectacle, à la promenade ; de les accompagner quand elles vont voir unétablissement quelconque, d’être leur cicerone,leur cervalleroservante, parce que :

19. Il est établi en bon ton que les dames ne payent jamais nulle part,quand elles ont un cavalier.

20. Si, dans une partie quelconque, vous laissiez payer une femme qui ades fantaisies coûteuses, vous vous feriez la réputation d’un hommegrossier et mal appris.

21. Un homme d’esprit qui sait se comporter partout avec prudence, peutse présenter partout.

22. Il existe quelques salons intelligents, d’où les maîtres de maisonont su faire disparaître les exigences dont je viens de parler ; maisces salons sont rares. Si vous pouvez vous y introduire, vous serezalors avec des gens du véritable bon ton.

23. Le seul inconvénient que présentent ces salons est que, si vousêtes un sot, vous n’y serez pas reçu.

DU JEU.

Si vous manquez d’intelligence, de manières, d’aisance, de bon ton, enun mot, si vous êtes un sot, hé ! mon Dieu ! rien ne vous empêche defréquenter les salons si tel est votre goût. Le cas a été prévu partoutes les personnes qui reçoivent, et voilà pourquoi il y a un petitsalon à côté du grand. On vous annonce, vous entrez, vous allez saluerla maîtresse de la maison, puis monsieur, et libre à vous de ne pasleur dire un mot. Cette politesse d’usage accomplie, vous passez dansle petit salon, vous vous asseyez à une table de jeu, et tout est dit ;vous voilà installé et à votre aise pour toute la soirée si cela vousconvient.

Le jeu ! le jeu qui n’a été inventé que pour les imbéciles et lesescrocs ! le jeu qui seul pouvait mettre de niveau les salons et lestripots ! Le jeu, qui est la honte de la civilisation, la plaie la plusdégoûtante dans nos mœurs, la ruine des familles, la démoralisation dela jeunesse, l’immoralité du bon ton !

Le jeu : ah ! ah ! vous voilà sur vos deux pieds, maître sot ! vousallez avoir autant d’aplomb et plus d’aplomb que l’homme de mérite.Pour peu que vous ayez vingt-cinq ou trente napoléons en or dans votrepoche, vous voilà l’égal des gens d’esprit, de par le roi de carreauet la dame de cœur. Le jeuest le plus grand niveleur que jeconnaisse, et je défie, même par le temps qui court, les plus célèbresutopistes spéciaux, quel que soit le dévergondage de leur imaginationet la fausseté de leur jugement, je les défie, dis-je, d’avoir jamaisrêvé une égalité aussi complète que celle qui règne autour d’une tablede jeu ! Les bandes de filous, de voleurs, de brigands, reconnaissentencore des chefs, une certaine organisation hiérarchique, témoinCartouche et Mandrin ; le joueur seul ne reconnaît aucun supérieur ; iln’est pour lui aucune suprématie de talents, de rang et de fortune.C’est l’idéal du démocrate parvenu aux dernières limites del’exagération. Les cartes à la main et son enjeu sur table, le dernierdes goujats est l’égal d’un prince qui joue avec lui ; le dernier desrimailleurs est l’égal de Lamartine, et le dernier des sots l’égal d’unhomme de génie.

Que l’on gagne ou que l’on perde, le jeu n’en est pas moins la chose laplus abrutissante que je connaisse. Fuyez donc les cartes, et c’est lemeilleur conseil que je puisse vous donner, si vous ne voulez flétrirni votre esprit, ni votre cœur, ni votre réputation.

1. Le jeu est la honte des salons, l’immoralité du bon ton et letriomphe des imbéciles.

2. Le jeu est la porte par laquelle toutes les ignobles passions seglissent dans la société : l’avarice, l’avidité, la fraude, etc.

3. Fuyez les cartes, si vous ne voulez flétrir ni votre esprit, nivotre cœur, ni peut-être votre réputation.

4. La jeune femme la plus charmante a perdu toutes ses grâces dèsqu’elle a les cartes à la main.

5. Le jeu fait passer sur toutes les hontes ; c’est pour cela que dansbeaucoup de salons riches, on fait mettre au gagnant sous lechandelier pour payer lescartes.

6. Cette manière ingénieuse de demander l’aumône n’existe plus, il estvrai, que dans quelques salons arriérés.

7. Rien de mieux inventé que le jeu pour chasser d’un salon les gens demérite, et pour y attirer les sots et les chevaliers d’industrie.

8. Autrefois, il eût été inconvenant à une maîtresse de maison dedéclarer que chez elle on ne jouepas gros jeu. Aujourd’hui, cela neblesse pas les convenances. C’est un petit progrès vers le bien.

9. Il y a cinq ou six ans qu’il eût été peu convenant de refuser dejouer sans s’appuyer de son ignorance des cartes. Aujourd’hui, on peuttrès-bien s’excuser d’accepter une partie en annonçant poliment et sanscommentaires qu’on ne joue jamais.C’est encore un progrès.

10. Dans aucun cas, il n’est permis à une demoiselle de jouer.

11. Les dames qui s’en abstiennent montrent qu’elles ont du jugement.

12. C’est la maîtresse de la maison qui se charge de présenter à chaquecavalier une carte sur quatre qu’elle tient dans la main, pour formerles quadrilles.

13. Si vous en avez accepté une, vous êtes engagé à la même table queles personnes qui ont pris les trois autres.

14. Il en résulte que la maîtresse de la maison a le choix despartners. Elle en profite pour les assortir convenablement ou du moinsà sa fantaisie. Pour elle, c’est une responsabilité.

15. Dans beaucoup de salons à la mode, la maîtresse de la maison seborne à prier les joueurs de garnir les tables, et elle laisse à chacunla faculté de choisir ses partners. C’est de meilleur ton et moinscompromettant.

16. Les cartes doivent être neuves, dans leur enveloppe, avec leurcachet et leur timbre.

17. Lorsque les joueurs sont assis devant le tapis vert, ils prennentdeux jeux, en déchirent les enveloppes et mêlent.

18. Chaque jeu a sa manière de faire les enjeux.

19. On coupe à la plus forte carte pour savoir qui donnera.

20. A sa première donne, chaque joueur doit saluer ses partners d’unsigne de tête en jetant le premier ou le dernier tour des cartes.

21. La partie est engagée. Il ne vous reste plus qu’à faire la plusgrande attention à votre jeu, surtout si vous ne connaissez pas vospartners.

22. C’est une grave injure à faire à un joueur, que de mêler les cartesaprès lui lorsqu’il vous les présente à couper. C’est montrer que vousvous défiez de sa bonne foi au jeu.

23. Il est également malhonnête de couper dans le sens de la longueurdes cartes, ou d’appuyer sur le jeu avec le doigt index tandis que vouscoupez avec le doigt du milieu et le pouce. Cela indique que vous lesoupçonnez d’avoir fait le pont.

24. Si votre partner inconnu fait craquer les cartes après votre coupe,ou s’il les place dans ses deux mains de manière à envelopper presqueentièrement le jeu avec la main gauche, ou si tenant les cartes d’uneseule main, cette main éprouve un léger mouvement nerveux (méfiez-vousbeaucoup des mouvements nerveux), ou s’il ramasse sur la table lapremière portion de la coupe avec la main gauche et l’autre avec lamain droite, etc., etc. regardez plus volontiers ses mains que ses yeux.

25. Si votre partner inconnu place sur le bord de la table entre lui etles cartes, pendant sa donne, une tabatière en or ou en argent dont ledessus est poli, interrompez sa donne pour lui demander une prise detabac, et gardez la tabatière jusqu’à ce qu’il ait fini de donner.

26. Le mieux est, quand on vous en laisse le choix, de ne choisir pourpartner que des gens connus.

27. Soit que vous gagniez ou que vous perdiez, votre figure doit resterimpassible.

28. Ne vous avisez pas de plaisanter de votre infortune si vous perdez,car vous ne donnerez le change à personne.

29. Ne soyez jamais de mauvaise humeur et encore moins chicaneur.

30. Si un coup vous paraît contestable ne disputez pas, mais consultezla galerie et tenez-vous-en, sans mot dire, à sa décision telle qu’ellesoit.

31. Ne comptez jamais l’argent qui est devant vous, soit que vousgagniez ou que vous perdiez.

32. Ne mettez jamais de l’argent dans votre poche pendant que dure lapartie, et surtout celui que vous avez gagné.

33. Quand vous avez gagné ne faites par Charlemagne, mais donnez larevanche à celui qui vous la demande.

34. L’usage vous autorise à n’accorder qu’une revanche, mais le beaujoueur l’accorde jusqu’à trois fois.

35. Payez sur-le-champ, c’est-à-dire en quittant la partie, la sommeque vous avez perdue.

36. Ne croyez pas les personnes qui vous disent que les dettes de jeusont des dettes d’honneur,car elles sont positivement le contraire.

37. Cependant payez-les dans les vingt-quatre heures, parce que ce sontde véritables dettes puisque vous les avez consenties par avance.

38. Néanmoins, si vous devez cent francs à un pauvre artisan et quevous n’ayez que cent francs, payez d’abord la dette d’honneur,c’est-à-dire payez l’artisan.

39. Lorsque vous jouez de l’argent il ne vous est pas permis dedemander des conseils à votre voisin, car c’est avec vous que votreadversaire a consenti de combattre et non contre un tiers peut-êtreplus fort que vous.

40. Après la partie il serait ridicule d’avoir un air boudeur aveccelui qui vous a gagné.

41. La manière la plus certaine de plaire à une femme qui aime le jeu,c’est de la laisser gagner votre argent.

42. Ne jouez jamais les jeux canailles, tels par exemple que lelansquenet, jeu favori des valets d’écurie, car si on vous le reproche,vous n’avez plus l’excuse de dire que vous ne jouez que pour vousamuser.

43. Il faudrait être triplement sot pour avancer que de tels jeux sontamusants quand l’intérêt n’y est pour rien.

44. Si vous jouez par intérêt vous cessez d’être sot, mais vous êtes unavare ou un escroc, il n’y a pas à sortir de là.

45. Pas de proverbe plus juste que celui-ci : au jeu, on commence parêtre dupe, on finit par être fripon.

46. On commence par jouer 10 centimes, puis 100 francs, puis 1,000francs, puis 10,000 francs, puis sa fortune.

47. Tout employé des finances qui joue, ne fût-ce que 10 francs,devrait être destitué par le ministre, et il le serait si on le savait.

48. Le joueur est un homme qui expose sur une carte l’honneur de safemme et le pain de ses enfants.

49. Quelle différence faites-vous entre un filou qui vous vole votremontre dans votre poche parce qu’il est plus habile escamoteur quevous, et un joueur qui vous vole votre argent au jeu parce qu’il estplus habile joueur que vous ? Quant à moi je n’en vois point.

50. Si un joueur croyait perdre il ne jouerait pas ; s’il joue, c’estqu’il espère gagner ; s’il a cette espérance, c’est qu’il se croit plushabile que son adversaire ; s’il joue se croyant plus habile, c’est unescroc.

51. Il ne compte que sur le hasard, me dira-t-on. – Mais s’il en estainsi, pourquoi prendre des cartes ? c’est bien plus simple de jouer àla belle lettre, à pile ou tête, ou aux dés non plombés !

LES JEUX INNOCENTS.

Je ne connais rien de moins innocent que les jeux innocents, aussi lesa-t-on bannis avec justice de tous les salons de Paris. Mais je connaisquelque chose de plus stupide, ce sont les jeux d’esprit, tels queproverbes et charades en action. Ces derniers, inventés, je pense, parla vanité et le pédantisme, prêtaient à un tel ridicule qu’ils sonttombés d’eux-mêmes en désuétude.

Quant aux loteries, ou tombola, elles ont duré un peu plus longtemps,parce que l’avarice de certains maîtres de maison y trouvait soncompte. Nous n’avons donc pas à nous occuper ici de toutes cesniaiseries ; mais comme on peut se trouver dans quelques vieux salonsarriérés, où l’usage du monde ne jette un flot que tous les dix ans,nous donnerons quelques conseils, en résumé, aux personnes qui s’yseraient par hasard fourvoyées.

1. Refusez d’accepter un rôle dans un proverbe ou une charade, si vousne voulez pas jouer un personnage ridicule.

2. Fussiez-vous le meilleur comédien de Paris, il se trouvera toujoursun bouffon de société qui vous écrasera par ses grossières pasquinades,et l’on rira à vos dépens et aux siens.

3. Si vous êtes un libertin, jouez aux petits jeux innocents, et il està croire que vous ne vous en repentirez pas.

4. Si vous êtes honnête homme, n’abusez pas de la stupide bonhomie aveclaquelle des mères vous jetteront leur fille à la tête.

5. Si votre gage vous ordonne d’embrasser une demoiselle, embrassez-laavec toute la retenue qu’exige la plus sainte pudeur.

6. Si vous devez lui faire une confidence à l’oreille, faites-la-lui enlui disant bas ce que vous pourriez lui dire tout haut sans la fairerougir.

7. En un mot, dans toutes les circonstances qui pourront se présenter,restez honnête homme.

8. Quant aux tombolas, sielles sont au profit des malheureux, prenezdes billets ; si les billets sont gratis, n’en prenez qu’un etfaites-en cadeau à une dame ou demoiselle de votre connaissance.

9. Si vous gagnez le nigaudou lot d’attrape, n’en ayez l’air nisurpris ni fâché, mais riez-en avec les autres.

DES VISITES.

Il y a deux sortes de visites : 1° celles qui ne sont pas motivées ; 2°celles qui le sont, et ces dernières sont indispensables pour les gensqui ont de la politesse et du savoir-vivre. Les premières ne sontpermises qu’aux parents et aux amis intimes ; mais les flâneurs se lespermettent sans aucun prétexte que celui, par trop banal, de venir vousdemander des nouvelles de votre santé.

Je n’ai pas besoin de dire qu’on ne se présente jamais chez les genssans un costume décent. Pour la famille et l’ami intime, la redingotepeut suffire, mais partout ailleurs l’habit noir et la toilette entièresont de rigueur. Quant aux dames, elles peuvent aller rendre visite lematin en demi-toilette (notez bien que je ne dis pas en négligé), et lesoir en toilette. S’il y a réception indiquée dans la maison où ellesvont, il faut alors la grande toilette, mais non pas la brillanteparure qui est réservée pour le bal et la soirée dansante.

1. Une visite reçue doit être rendue dans tous les cas possibles, àmoins qu’il n’y ait une grande disproportion de rang.

2. Dans les administrations, un inférieur ne doit pas exiger que sonsupérieur lui rende une visite.

3. Ne rendez jamais une visite dans des moments inopportuns, comme àl’heure du dîner, du déjeuner, et du travail. La soirée, dans toutesles circonstances, est le moment le plus convenable.

4. A Paris, une visite est reçue depuis onze heures du matin jusqu’àneuf heures du soir. Ces heures peuvent varier en raison des habitudesdu pays où l’on se trouve.

5. S’affranchir du devoir des visites est une chose que la sociétépardonne seulement aux gens d’un grand mérite ; mais ces gens-là nedoivent rien lui demander, car elle ne leur accorderait rien, malgréleur mérite.

6. Les visites forment, dans la société, un lien qu’on ne peut romprequ’en rompant avec elle.

7. Les visites les plus indispensables sont : 1° celles du jour de l’an; 2° celles de digestion, c’est-à-dire celles que vous devez après uneinvitation, que vous ayez accepté ou non la politesse qu’on vous afaite ; 3° celles qui sont motivées par un événement capital, heureuxou malheureux, tel que mort, mariage, naissance, fortune, revers,destitution, nomination, etc.

8. Cependant, si votre connaissance est nommée ministre ou autre chosed’approchant, écrivez et pas de visite, ou l’on vous prendra pour unsolliciteur. Renvoyez votre visite au moment où votre connaissance auraperdu sa place.

9. Une lettre de faire part exige toujours une visite.

10. Une visite de cérémonie ne doit jamais durer plus de dix à quinzeminutes, à moins de circonstances extraordinaires. Vous pouvez la fairedurer cinq minutes de plus si l’on vous engage à rester.

11. Si vous voyez le maître de la maison tirer un papier de sa poche ;chercher sur son bureau ; regarder à la pendule ; avoir un air distrait; faire tourner ses pouces l’un autour de l’autre ; battre la mesuresur le parquet avec sa botte ; prendre les pincettes pour attiser unfeu qui n’en a pas besoin, etc., allez-vous-en, n’y eût-il que cinqminutes que vous fussiez arrivé.

12. L’art suprême du visiteur est de savoir se retirer à propos. Enfait de visites d’apparat, les meilleurs sont les plus courtes.

13. Le moment précis où vous vous ennuyez est aussi celui où vouscommencez à ennuyer les autres. Retirez vous.

14. S’il arrive une visite qui paraisse faire plaisir, restez encoredeux minutes et retirez-vous.

15. Si vous rendez visite à une jeune dame, qu’elle soit seule, etqu’ensuite survienne un second visiteur plus familier que vous, partezde suite.

16. Plus la jeune dame fera d’efforts pour vous retenir, plus vous voushâterez de sortir, et deux personnes vous en sauront gré.

17. Dans une visite après lettre de faire part, il faut savoir arrangersa physionomie comme sa toilette, selon les circonstances.

18. Pour un enterrement, soyez très-triste devant l’héritier d’un mortriche, vantez beaucoup ses défuntes vertus ; ce sera venir en aide àl’héritier en faisant l’hypocrite pour lui.

19. S’il s’agit d’un père ou d’une mère qui n’avaient pas le sou,parlez de l’opéra, du bal, de l’auteur à la mode, et pas un mot du mort; vous mettrez votre hôte dans la position de ne pas mentir en jouantl’affligé.

20. Dans les deux cas, faites votre figure absolument sur le modèle dela figure de votre hôte.

21. Mme de Bradi, pour cette circonstance, dit : « Riez avec ceux quirient ; pleurez avec ceux qui pleurent ; ce n’est point hypocrisie,c’est bonté de cœur. » Soit.

22. Dans une visite pour faire part de mariage ou de naissance, suivezle conseil de Mme de Bradi.

23. Entrer sans être annoncé, fussiez-vous le frère, l’oncle ou lecousin-germain, est l’action d’un brutal.

24. Si vous ne trouvez dans l’antichambre aucun introducteur, frappezlégèrement et attendez longtemps qu’on vienne vous ouvrir, à moins quede l’intérieur on ne vous dise d’entrer, ce qui est de mauvais augurepour l’opportunité de votre visite.

25. Si après quelques instants on ne vous répond pas, le cas devientfort embarrassant. Chez des amis, entrez au salon et restez-y jusqu’àce que quelqu’un vienne vous mettre poliment à la porte ou vous prierd’attendre.

26. Avec de simples connaissances, retirez-vous si l’on ne vous répondpas, et, par discrétion, ne faites aucune question au portier.

27. Les visites à la suite d’un concert, d’un bal, d’une soiréedansante, d’un dîner, doivent se rendre dans la huitaine au plus tard.

28. Dans ces dernières circonstances il n’y a qu’un homme grossier quicroirait qu’une carte peut remplacer une visite.

29. Si un ami revient d’un voyage quelconque, c’est à lui à venir vousfaire la première visite pour vous annoncer son retour.

30. Si, chargé d’une fonction civile ou administrative, vous arrivezdans une ville, un bourg, un village, c’est à vous à aller rendrevisite à vos supérieurs dans le plus bref délai, et à tous lespersonnages qui composent la bonne société du pays, dans la quinzaine.

31. Se borner à envoyer sa carte, dans ces deux cas, serait toutsimplement une insolence.

32. Si la personne à laquelle vous rendez visite se préparait à sortir,ne la retenez pas, et quelque instance qu’elle vous fasse, retirez-vousaussitôt.

33. On incommode souvent les autres quand on croit ne jamais pouvoirles incommoder, dit Larochefoucauld. Ceci s’applique aux parents et auxamis intimes.

34. Si vous rendez visite à un homme de lettres et que vous le trouviezà travailler, retirez-vous de suite, sans même lui dire bonjour. Luifaire perdre le fil d’une idée, est quelquefois lui faire perdre unchapitre entier. Votre visite ne peut que le contrarier.

35. Après les salutations ordinaires, ne vous asseyez que lorsque lemaître et la maîtresse de la maison sont assis.

36. Si le maître et la maîtresse de la maison restent debout, ouseulement l’un des deux, allez-vous-en.

37. Si l’on vous reçoit dans la chambre à coucher, faute de salon, nevous avisez pas de déposer votre chapeau sur le lit nuptial,dussiez-vous le garder à la main ; c’est le plus grand outrage que vouspuissiez faire à une femme, chez les petits bourgeois.

38. Si une baronne de fraîche date prend votre chapeau sur le lit et leplace ailleurs, vous pouvez être sûr qu’il y a quelque portière dans safamille ; mais néanmoins, ne courez pas la chance de cet affront, àmoins que ce ne soit pour faire une expérience de naissance.

39. Dans les maisons du bon ton vous ne serez jamais reçu dans unechambre à coucher, à moins de la plus grande intimité.

40. Une femme bien élevée ne reçoit jamais la visite d’un homme dans sachambre à coucher.

41. Les boudoirs ne sont restés de mode que chez les femmes galantes.

42. Quand vous recevez une visite inopportune, ne laissez jamais percervotre mauvaise humeur, mais prenez un prétexte honnête pour vousdébarrasser de l’importun.

43. Par exemple, si c’est un parasite, dites-lui, comme en confidence,que vous allez dîner chez la charmante madame une telle ; si c’est unemprunteur, demandez-lui s’il ne pourrait pas vous prêter une sommedont vous avez grand besoin ; si c’est un solliciteur, racontez-luicomme quoi vous vous êtes brouillé avec le ministre, etc., etc. Si vousêtes physionomiste et que vous ayez su prendre l’avance, vous êtes sûrde le voir déguerpir à l’instant.

44. Quand vous ne trouvez personne, laissez votre carte et pliez un descoins en oreille ou déchirez-le, afin qu’on puisse voir que vous l’avezapportée vous-même.

45. La carte de bon ton contient, imprimés, votre nom et votre demeure,sans autre chose.

46. La carte d’une dame ne contient que son nom, et non sa demeure.

47. Si elle contient votre profession, c’est un prospectus ridicule.

48. Si elle contient vos titres et vos qualités, c’est une sottevanité, d’autant plus qu’elle peut tomber entre les mains de gens plusimportants que vous, qui en riront, et vous prendront pour un nouveauparvenu.

49. Il n’y a qu’un ci-devant paysan ou un sot, qui envoie une carteavec fioriture, arabesque, dorure, peinture et estampille.

50. Jamais de cartes grises ou bordées de noir. Le véritable deuil estdans le cœur, et ne doit se montrer que dans les lettres de faire partet dans le costume. Les démonstrations exagérées font douter de laréalité, et fussent-elles vraies, elles prêtent à de mauvaisesplaisanteries.

51. Ne faites jamais de cartes collectives, si ce n’est avec votrefemme, et encore ! N’envoyez jamais votre carte ni par la poste, ni parune administration spéciale pour cela, c’est malhonnête.

52. Que la vanité ne vous porte jamais à étaler autour d’une bordure deglace les cartes de visite que vous aurez reçues.

53. Dans une visite de cérémonie, laissez votre canne, votre manteau oupaletot, ainsi que votre chapeau dans l’antichambre.

54. Dans une visite ordinaire, ne laissez dans l’antichambre que votremanteau ou votre paletot ; entrez avec votre canne et votre chapeau.

55. Gardez à la main votre canne et votre chapeau jusqu’à ce que lemaître ou la maîtresse de la maison vous aient dit de les déposer.

56. S’ils ne vous le disent pas après cinq minutes, c’est un honnêtecongé qu’ils vous donnent.

57. Dans tout autre cas, portez-les vous-même dans l’antichambre si undomestique ne vient pas les prendre ; mais ne les déposez sur aucunmeuble.

58. Si, embarrassé pour déposer votre chapeau, vous le placiez sur leparquet, vous agiriez comme un paysan.

59. Quand on vous offre de vous asseoir, n’attendez pas qu’on vousapproche un fauteuil ou une chaise ; allez vous-même chercher un siègeet asseyez-vous à la place qu’on vous indique avec la main.

60. Si l’on ne vous indique pas de place, asseyez-vous entre la ported’entrée et le maître de la maison, et ne faites pas votre visite troplongue.

61. Une dame ne doit quitter son chapeau et son manteau que lorsqu’elle y est expressément invitée ; si on ne l’en prie pas, savisite ne doit pas durer plus d’un quart d’heure.

62. Lorsqu’il arrive un visiteur, si c’est un homme, tous les hommesdoivent se lever ; si c’est une femme, les hommes et les femmes selèvent.

63. Si le visiteur s’approche pour saluer une dame, elle se lèvera àdemi, et fera une inclination de tête pour répondre à son salut.

64. L’étiquette veut que, dans le salon d’un prince, tout le monde,hommes et femmes, se lèvent quand il entre quelqu’un de sa famille.

65. S’il n’y a que vous de visiteur dans un salon, laissez-vousreconduire jusqu’à la porte du salon, mais pas plus loin.

66. Si vous recevez la visite d’un homme de rang supérieur,reconduisez-le jusqu’à l’escalier ; si vous espérez en obtenir quelquegrâce, accompagnez-le jusqu’à sa voiture.

67. Même politesse pour les dames, lors même que vous n’en attendezrien. Offrez votre bras pour descendre l’escalier.

68. S’il y a beaucoup de monde dans le salon et que la conversationsoit vivement engagée, éclipsez-vous doucement, sans rien dire, afin dene déranger personne. C’est un peu leste, mais jusqu’à ce jour c’estencore permis.

69. Si votre visite est collective, laissez entrer les dames lespremières, puis vos supérieurs.

70. Ne conduisez jamais d’enfant avec vous dans une visite de cérémonie.

71. Les visites collectives deviennent inconvenantes si l’on est plusde trois ou quatre personnes.

72. Si vous voulez bien recevoir un visiteur, faites en sorte qu’en seretirant il soit content de lui et de vous.

73. Un maître de maison peut recevoir la visite d’un égal ou d’un amidans son cabinet, mais seulement entre l’heure du déjeuner et celle dudîner.

74. Un artiste peut également recevoir aux mêmes heures dans sonatelier.

75. Ceux qui n’ont pas de salon, ni de pièce décorée, reçoivent dansune chambre à coucher, ou même dans une salle à manger ; mais ils nereçoivent que des amis.

76. Quand vous recevrez une visite, fût-ce celle d’un créancier, prenezun air très-gracieux, allez le recevoir à la porte, priez-le des’asseoir ; approchez-lui vous-même un fauteuil, mettez-le à la placed’honneur, c’est-à-dire à un des coins de la cheminée.

77. Si la dame du logis est assise sur une causeuse, le visiteur nedoit jamais aller s’asseoir à côté d’elle, sous peine de passer pour unimpertinent.

78. Ceci est tout au plus permis à une dame, quand c’est une amieintime ou qu’elle y est invitée.

79. Une maîtresse de maison, sous peine de manquer à l’étiquette, nedoit jamais aider une dame à ôter ou remettre son chapeau, son châle ouson manteau.

80. Si elle avait la maladresse de le faire pour une, il faudraitqu’elle le fît pour toutes, afin de ne désobliger personne.

81. Ne laissez jamais vos visiteurs seuls, sous quelque prétexte que cesoit, fût-ce même sous celui de reconduire un prince.

82. Fussiez-vous prince, ne souffrez pas que le maître de la maisonvous accompagne plus loin que la porte du salon, s’il y a d’autresvisiteurs.

83. Je n’ai pas besoin de dire qu’une maîtresse de maison doit quittersa broderie, ou tout autre travail, quand elle reçoit une visite, et nela reprendre sous aucun prétexte, à moins que le visiteur soit un amiqui l’en prie.

Quant aux visites d’étiquette, voyez le chapitre IV, à l’article Etiquette, page 89.

CÉRÉMONIES DE L’ÉTAT CIVIL.

Ces cérémonies sont au nombre de trois, savoir : le baptême, le mariageet l’enterrement. Sous le rapport de ces cérémonies, chaque pays etmême chaque province a des usages particuliers, auxquels l’homme polidoit se soumettre ; s’il les ignore, il lui est facile de s’eninformer. Mais, presque généralement, les provinces ont adopté leshabitudes de la capitale, d’où il résulte qu’en traitant ici des usagesde Paris, mes conseils seront également utiles dans toutes les villesde France, en y faisant les légères modifications que les usages deslocalités nécessiteront.

Le Baptême.

1. Le parrainage esttoujours une corvée désagréable, parce quel’usage en a fait une sorte d’impôt.

2. A moins que vous ne soyez très-riche, ou proche parent, ou qu’il yait quelques circonstances qui vous obligent, refusez net ceux qui vousferont une telle proposition.

3. Il y a tels pères à Paris qui ne choisissent des gens riches pourêtre parrains de leurs enfants, qu’afin d’assurer une ressource pourl’avenir à leur progéniture. C’est une spéculation souvent trompeuse.

4. Si votre fortune est bornée, refusez, car si vous acceptez vouspasserez pour un ladre ou pour un vaniteux qui dépense plus qu’il nepeut, quoi que vous fassiez.

5. Dans tous les cas, si vous avez accepté, tirez-vous-en aussihonorablement que possible, et dépensez, s’il le faut, le quart devotre revenu, ou même la moitié.

6. Vous devez d’abord un cadeau à l’accouchée ; informez-vous sous mainde ce qui pourrait lui être agréable, par exemple, un bracelet, ouautre bijou. Dans la bourgeoisie économe, ce cadeau peut ne consisterqu’en une boîte de dragées et bonbons assortis.

7. A votre commère vous devez six à douze paires de gants blancs, desboîtes de dragées en suffisante quantité pour qu’elle puisse faire seshonneurs à ses amies.

8. Si elle est jeune, vous y joindrez le bouquet de fleurs d’oranger ouautres fleurs blanches, et si vous y ajoutez quelque brimborion à lamode, le tout sera parfaitement reçu.

9. Une marraine peut refuser tout autre chose que les dragées et lebouquet. Si elle accepte autre chose elle s’engage.

10. Si la marraine envoie quelque cadeau au parrain, après avoiraccepté ses dons, c’est un engagement décidé.

11. La marraine fait ordinairement cadeau à la mère d’une élégantelayette pour l’enfant.

12. Le parrain est le grand distributeur de dragées, il lui en faut aumoins vingt boîtes.

13. Les dragées ne s’offrent jamais en sac de papier, mais en boîte ouau moins en cornets élégants et dorés.

14. Les dragées en cornets se distribuent aux domestiques.

15. La sage-femme, la garde et la nourrice ont droit chacune à uneboîte.

16. Si vous avez voiture, vous n’avez que deux remises à payer ; sivous n’en avez pas, vous en payez trois.

17. Dans la première voiture, le parrain et la marraine, sans plus.

18. Si vous n’êtes pas riche, ou que la marraine soit vieille, vouspouvez faire monter la nourrice ou la sage-femme avec l’enfant.

19. Les deux places d’honneur, en voiture, sont celles du fond ; danscette circonstance, c’est le parrain et la marraine qui les occupent.Vous placez la nourrice au rebours.

20. Cependant, s’il s’agit de l’enfant d’un de vos supérieurs, vouscédez la place du fond à l’enfant, à côté de la marraine.

21. Quand vous arrivez à l’église, la nourrice entre la première avecl’enfant, et le suisse ou le bedeau ; le parrain et la marraineviennent après, puis le père et les gens invités.

22. Quand la cérémonie est terminée, le parrain donne au prêtre uneboîte de dragées contenant en outre quelques pièces d’or ou de cinqfrancs.

23. Il met ensuite la main dans sa poche pour donner plus ou moins,selon sa fortune, 1° au bedeau ; 2° au suisse ; 3° aux enfants de chœur; 4° pour les besoins de l’église ; 5° aux pauvres qui l’attendent ausortir de l’église.

24. Après cela vous aurez un filleul auquel vous porterez des étrennestous les ans, jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour venir vous lesdemander lui-même.

Le Mariage.

1. Tenez vos projets de mariage secrets, jusqu’à ce que vous alliezchez le maire ; c’est le seul moyen d’empêcher les commérages.

2. A un repas de noce où vous avez été invité, conduisez-vous avec lamême décence qu’à un repas ordinaire.

3. Si vous chantez des chansons licencieuses, si vous faites desplaisanteries équivoques, si vous dites à la mariée des paroles àdouble sens, ou si vous tenez des propos un peu débraillés relativementà son changement d’état, vous êtes un grossier personnage.

4. Un homme de bon ton ne se permet pas même la plus légère allusionsur ce sujet.

5. S’il y a bal après le dîner, c’est la mariée qui doit l’ouvrir avecl’homme le plus honorable de l’assemblée, ou avec son mari.

6. Les invités à la noce ne doivent jamais s’apercevoir du départ de lamariée lorsqu’elle se retire.

7. Une demoiselle ne doit jamais assister au coucher de la mariée.

8. Les nouveaux mariés doivent une visite, dans le courant de laquinzaine, à leurs parents et aux invités à la noce.

9. Les autres amis et connaissances reçoivent des lettres de faire part.

10. Les invités rendent la visite au plus tard dans la huitaine quisuit la visite des mariés.

11. Tous ces usages sont de rigueur dans toute la France ; quant auxautres, ils varient non seulement de province à province, mais de villeà ville et de village à village.

12. Les mariés se soumettront aux coutumes des localités.

13. J’ai vu des mères qui ne conduiraient pas leurs demoiselles auspectacle, et qui leur permettent d’aller à la noce ; inconséquence !

14. Les noces sont la ruine du pauvre, et le triomphe de la vanité chezles riches.

15. Les gens raisonnables ne font pas de noces, et si cet usagedevenait à la mode, la décence et la pudeur y gagneraient.

L’Enterrement.

1. Il serait très-impoli ce ne pas assister à une cérémonie funèbre oùl’on aurait été invité par lettre spéciale.

2. A l’heure annoncée vous vous rendez à la maison du défunt ; votretoilette doit être sévère.

3. Vous allez à pied (s’il n’y a pas assez de voitures). Suivez têtenue, jusqu’à l’église, le char funèbre.

4. Dans les localités où le corps est porté à bras faute de corbillard,il serait inconvenable de le suivre en voiture.

5. Laissez paraître votre affliction si vous en éprouvez. Si le défuntvous est indifférent, restez grave, silencieux, mais n’affectez pas uneaffliction que vous n’avez pas. Laissez cette hypocrisie aux héritiers.

6. Entrez à l’église ou au temple, et accomplissez les cérémoniesd’usage.

7. Si le défunt est un parent, ou un ami, ou un supérieur immédiat,accompagnez-le jusqu’au cimetière.

8. S’il n’est rien de tout cela, vous pouvez quitter le convoi ensortant de l’église.

9. S’il n’y a pas le nombre de voitures suffisant pour tous, vous devezles céder aux parents et aux amis intimes du défunt.

10. Si vous ne voulez pas marcher à pied, vous êtes libre de prendre unfiacre à vos frais, mais vous vous mettez à la file après les piétonset les voitures de deuil.

11. C’est aux héritiers du mort à se précautionner d’autant de voituresqu’il en faut pour tous les invités au convoi.

12. Si vous êtes ladre et que vous vouliez vous débarrasser des fraisde voiture, n’écrivez qu’aux plus proches parents, et faites paraîtrele même jour, dans un ou deux journaux très-répandus, une réclame quise terminera ainsi : « Les personnes qui, par mégarde, auraient étéoubliées, peuvent regarder cette annonce comme une invitation. »

13. Par ce moyen vous aurez un convoi superbe de flâneurs tout à faitinconnus à vous comme ils l’étaient au défunt, et c’est parmi eux quese trouveront des orateurs pour jeter quelques fleurs d’éloquence sursa tombe.

14. Quant à vous, si vous ne voulez pas passer pour un niais vaniteux,gardez-vous bien d’aller bavarder des phrases sur un cercueil. Lavéritable affliction est muette.

15. Les héritiers doivent faire reconduire les invités jusque chez eux.


CHAPITREVII.
QUELQUES VICES DE LA SOCIÉTÉ.

LE PARASITE.

Le caractère du parasite a été une source de plaisanterie pour lespoëtes comiques latins, qui ne manquaient guère de porter sur lethéâtre un personnage pareil pour en amuser le public. Alors, unparasite était simplement un écornifleur, qui faisait le métier decomplaisant et de flatteur auprès d’un grand ou d’un riche, dont ilétait le commensal, pour manger à sa table et vivre à ses dépens. Cerôle méprisable, qui traînait après lui celui de bouffon ou au moins deplaisant, a presque disparu de nos mœurs depuis bien longtemps, et nousn’avons plus de parasite à la manière de Plaute et de Térence ; maisnous en avons une variété qui n’est guère plus honorable, et que l’ondésigne sous le nom de pique-assietteou chercheur de dîners.

1. Le parasite est toujours un homme sans cœur, qui sacrifie sa dignitéà sa paresse.

2. Il aime mieux courir à la quête de son dîner que de travailler pourle gagner.

3. Ce lâche métier le conduit à la bassesse, à l’humiliation et àl’effronterie.

4. L’homme qui s’est laissé déchoir jusque-là, a renoncé à touteconsidération dans le monde.

5. On n’a point de haine pour lui, mais du mépris, ce qui est pire.

6. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que pour bien faire le métier depique-assiette, il faut avoir dix fois plus d’intelligence que pourgagner sa vie honorablement.

7. Il y a deux sortes de parasites : ceux qui le sont par avarice etceux qui le sont par pauvreté.

8. Chassez les premiers à coup de balais ; tolérez les seconds.

DE L’EFFRONTERIE.

Souvent, dans le monde, on appelle aplomb ce que je nomme icieffronterie, et l’on dit : voilà un homme qui a de l’aplomb, unedemoiselle qui a de l’aplomb, quand on devrait dire : voilà deuxeffrontés. Il faut distinguer : le véritable aplomb consiste àn’éprouver aucune gêne, aucun embarras dans la société, parce qu’onsait se tenir constamment dans l’attitude et à la place qui nous estacquise par nos vertus, nos qualités et notre mérite. L’homme d’esprit,quoi qu’on en dise, sent ce qu’il vaut et s’estime à sa juste valeur ;le sot s’estime plus qu’il ne vaut. Quand l’homme d’esprit se met à saplace, il a de l’aplomb : quand le sot usurpe la place de l’hommed’esprit, il a de l’effronterie. Le premier sait cacher ses défautsavec aplomb, parce qu’il les connaît et qu’il cherche à s’en guérir ;le second montre les siens avec effronterie, parce qu’il les prend pourdes qualités.

La conscience de ce qu’on vaut, sans les exagérations de l’orgueil etde la vanité, et une appréciation vraie de ce que les autres valent,sont les causes uniques de l’aplomb. Une conscience faussée parl’orgueil ou la vanité nous trompe sur notre propre valeur,l’exagération de notre propre mérite nous empêche de voir le mérite desautres et nous donne une assurance qui n’est rien autre chose que del’effronterie.

Ce vice, qui annonce toujours un manque de savoir vivre et un défautd’éducation, est le plus souvent l’enseigne de la bêtise jointe à unvice de cœur. Presque toujours il effleure la grossièreté si elle n’yest accolée, et il inspire généralement un sentiment de malaise et demépris aux personnes bien nées qui en sont témoins. Cependant sonaudace peut amuser un instant quand elle est marquée au coin del’originalité.

1. Ne confondez pas l’aplomb avec l’effronterie.

2. L’aplomb, dans la société, consiste à n’éprouver ni gêne niembarras, parce qu’on connaît les usages du monde et de la bonnesociété.

3. L’homme d’esprit sait ce qu’il vaut et se tient à sa place : c’estde l’aplomb.

4. Le sot s’apprécie beaucoup plus qu’il ne vaut et usurpe la place del’homme d’esprit : c’est de l’effronterie.

5. La modestie est l’apanage de l’intelligence qui se comprendelle-même et connaît ses limites.

6. L’effronterie est l’enseigne de la bêtise qui ne se comprend paselle-même et ne peut se juger.

7. Elle est souvent accompagnée d’un vice de cœur et elle effleuretoujours la grossièreté si elle n’y est accolée.
 
8. Une personne effrontée inspire un sentiment de malaise, de mépris etd’éloignement à tous les honnêtes gens.

9. Son audace peut amuser un instant quand elle a de l’originalité,mais le dégoût succède bientôt.

10. L’effronterie tue la décence, la pudeur, la modestie et toutes lesvertus douces et honnêtes. C’est un vice de la plus grande immoralité.

L’ORGUEILLEUX.

« L’orgueil a du bon, disait Voltaire, mais quand il est soutenu parl’ignorance il est parfait ! » Un homme de notre temps a répondu ainsià ce sarcasme : « La modestie est la conscience des sots. »

Y aurait-il entre l’orgueil et la modestie un juste milieu ? c’est ceque je crois. Dans le monde, ce juste milieu consiste à cacherl’orgueil que l’on a, et à étaler au grand jour une modestie que l’onn’a pas. Je connais plusieurs personnes qui marchent dans cette voie etqui s’en trouvent parfaitement bien.

1. De tous les hommes, le plus ridicule est le sot orgueilleux.

2. De tous les hommes, le plus insupportable est l’homme de mériteorgueilleux.

3. L’orgueilleux se fait haïr de tout le monde parce que les hommes,par un instinct inné, n’aiment pas ceux qui ont l’intention de lesdominer en quoi que ce soit.

4. Trop de modestie est un défaut, si ce n’est un vice.

5. Si vous ne sentez pas votre propre valeur, vous ne la ferez jamaiscomprendre aux autres.

6. Si vous n’êtes pas un sot, vous saurez vous estimer vous-même àvotre juste valeur.

7. Pour ne pas vous tromper, estimez-vous toujours moins que plus.

8. Ne vous estimez pas sur ce que vous pensez de vous-même, mais sur cequ’en pensent les autres.

9. On rit d’un niais orgueilleux ; mais on a peur de l’orgueil d’unhomme supérieur, on le fuit et on le déteste.

L’HYPOCRITE.

L’hypocrisie est une trahison permanente, qui consiste moins encore àcacher ses vices qu’à faire étalage des vertus que l’on ne possède pas.Il est assez naturel de cacher ses défauts, et la franchise ne doit pasaller jusqu’à faire d’un salon un confessionnal ; il y a plus, l’hommequi cache ses défauts prouve qu’il les connaît et qu’il est bien prèsde s’en corriger.

Mais celui qui affiche dans le monde les vertus qu’il n’a pas, est unfourbe dangereux, qui cherche à vous tromper dans ses intérêtsmatériels. Vous le reconnaîtrez à ses yeux toujours baissés, parcequ’il ne pourrait soutenir en face l’œil scrutateur de l’honnête homme,à un air modeste qu’il poussera, s’il le faut, jusqu’à l’humilité, pourmasquer l’égoïste orgueil qui le dévore. Ses paroles sont douces,mielleuses, autant que perfides ; son geste est timide, sa démarchegrave, et rarement un bon mot appelle le sourire sur ses lèvres pincéeset serrées.

L’hypocrite est un être d’autant plus dangereux qu’il se glisse partoutet sous tous les costumes, qu’il agit toujours dans l’ombre, et que,très-souvent, quand vous le reconnaissez, il n’est plus temps.

1. L’hypocrite finit tôt ou tard par être démasqué, et il devient alorsla victime de ses propres fourberies.

2. Le rôle d’hypocrite est le plus infâme que l’on puisse jouer dans lemonde.

3. L’hypocrisie consiste à cacher les vices que l’on a pour faireétalage des vertus que l’on n’a pas.

4. Ordinairement l’hypocrite se reconnaît à l’exagération des vertusqu’il affecte.

5. Rien de plus sévère sur les principes de la probité qu’un fripon quiveut paraître honnête homme.

6. Il y a des hypocrites de tous les genres ; les plus coupables sontceux qui font intervenir Dieu dans leurs trames criminelles.

7. Fuyez les hypocrites si vous ne voulez pas devenir leur victime.

8. Si vous devenez vous-même hypocrite, vous ne serez pardonné ni parDieu ni par les hommes.

9. On peut croire au repentir d’un assassin ; on ne croit jamais àcelui d’un hypocrite.

LE TARTUFE DES MŒURS.

1. Ne vous érigez jamais en censeur de la société, car on pourrait bienpenser de vous que vous voyez une paille dans l’œil de votre voisinquand vous n’apercevez pas une poutre qui est dans le vôtre.

2. Ne soyez pas trop à cheval sur la vertu, pour ne pas faire croireque vous en manquez tout à fait. Personne ne parle avec plusd’enthousiasme d’un trésor que celui qui n’a pas le sou.

3. Soyez discret et indulgent sur les défauts des autres, si vousvoulez qu’on vous pardonne les vôtres.

4. Faites votre profit de ce proverbe trivial : « Les meilleurs conseilleurs sont les plusmauvais payeurs. »

5. Persuadez-vous bien que les gens qui viennent vous demander desconseils, ne viennent chercher qu’une approbation, et qu’ilsrecevraient fort impatiemment une contradiction.

6. Ne vous mêlez pas des affaires des autres, si vous ne voulez pas queles autres se mêlent des vôtres.

7. Ce que nous avons dit de l’hypocrite s’applique en tous points autartufe des mœurs.

L’AVARE.
 
Un avare n’a point d’ami, même parmi sa famille, parce que son proprecœur est fermé à tout sentiment affectueux ; aussi n’est-il jamaisentouré que de gens qui le trompent. Sa femme, son fils, sa fille, ysont obligés pour paraître honnêtement dans le monde ; ses domestiquesle volent parce que, outre ce qu’ils y gagnent, il y a du plaisir poureux à le duper.

1. De tous les vices, l’avarice est l’un des plus sales et des plusignobles.

2. Un avare ne peut être aimé de personne, pas même de ses enfants etde sa famille.

3. L’avarice est la folie de l’égoïsme poussé jusqu’à sa dernièrelimite.

4. L’avare n’est pas aimé ; mais aussi son cœur flétri n’aime personne.

5. Je n’ai jamais vu un avare avec de la probité.

6. Pour les gens peu délicats il n’y a pas de plus grand plaisir que deduper et voler un avare.

7. L’avare sait amasser plus de ridicules que d’argent.

8. Il est attaqué d’une démence incurable s’il a laissé germer cettefuneste passion dans son cœur.

9. L’avare ressemble au cochon, qui n’est utile qu’après sa mort.

10. De l’avarice résultent nécessairement l’usure, les trahisons, lafraude, le parjure, la violence, l’injustice et la friponnerie.

11. Ne vous liez jamais d’amitié avec un avare, ou vous finireztoujours par être sa dupe.

12. Les plus grands génies n’ont pas toujours su se défendre contrel’avarice, témoin Voltaire, Rembrandt, Henri IV, et tant d’autres.

13. S’il ne faut pas confondre la générosité avec la prodigalité, il nefaut pas prendre non plus l’économie pour de l’avarice.

14. L’homme généreux est celui qui donne grandement, mais avecdiscernement et sans jamais dépasser ses moyens de fortune.

15. Le prodigue est l’homme qui donne à tort et à travers sans calculerses moyens, ce qui le mène nécessairement à sa ruine.

16. L’économie consiste à ne jamais dépenser plus que notre revenu, demanière à ne pas contracter de dettes.

17. L’avarice consiste à se laisser souffrir pour amasser incessammentde l’or qui devient inutile à nous et aux autres.

LA BÉGUEULE.

La bégueule est à la femme vertueuse ce que le tartufe est au dévot. Nevous fiez jamais à la femme qui, dans le monde, affiche le rigorisme dela vertu.

Celle qui est véritablement honnête n’affiche rien, et elle estextrêmement indulgente.

1. Je l’ai dit, la bégueule est à la femme honnête ce que le tartufeest au dévot.

2. Soyez honnête et montrez-vous telle que vous êtes.

3. Le monde a des yeux d’Argus, il voit l’hypocrisie à travers laguimpe et la robe montante.

4. Vous réussiriez à le tromper toujours, que vous n’y gagneriez rienpour la réputation et que vous y perdriez tout pour le bonheur.

LA PRUDE.

La prude est la bégueule de bonne foi ; elle est plus bêtequ’hypocrite. Elle est constamment armée d’une retenue sotte et tropsauvage, et les propos les moins suspects la blessent et la fontrougir. Il en résulte que souvent elle y répond par des brusqueriesplus ou moins grossières, et qu’au lieu de se faire passer pour unefemme vertueuse on la prend pour une bégueule.

Du reste la pruderie n’est que le résultat d’un manque d’usage ou d’unemauvaise éducation.

1. La bégueulerie est un vice ; la pruderie n’est qu’un défaut.

2. Corrigez-vous-en, car on peut aisément se corriger d’un simpledéfaut.

3. Mais prenez garde de tomber dans un excès contraire, car desmanières trop libres ou trop familières ne conviennent pas à une femmehonnête.

LA COQUETTE.

1. La coquetterie est le premier pas de la galanterie.

2. La coquette est une femme qui met son honneur à la loterie ; il y aquatre-vingt-dix-neuf à parier contre un qu’elle le perdra.

3. La vertu est fragile, et souvenez-vous du proverbe : tant va lacruche à l’eau qu’à la fin elle se brise.

4. On peut aimer une coquette, quoique rarement et pour fort peu detemps, mais on ne l’estime jamais.

5. Les plaisirs de la vanité ne valent jamais ce qu’ils coûtent.

6. Passé l’âge de trente-cinq ans, la coquetterie devient un ridiculetrès-risible. Comment se fait-il qu’il y ait des femmes qui, pourpasser quinze ans de leur vie dans un plaisir purement de vanité,consentent à être ridicules ou déshonorées tout le reste de leur vie ?

7. Jeunes filles, croyez-en ma vieille expérience : les hommes n’aimentles coquettes que parce qu’elles les amusent, mais il n’en est pas unqui les estime assez pour en épouser une.

8. Si la coquette trompe quelquefois, en revanche elle est constammenttrompée par les hommes dont elle croit être aimée.

9. Pour les hommes, une coquette est ce qu’est un jouet pour un enfant: tant qu’il l’amuse il le conserve ; le jour où il ne lui plaît plus,il le brise.

LA FEMME ACARIATRE.

Malheur à l’homme condamné à passer sa vie avec une femme acariâtre ;pour ma part, je crois que j’aimerais mieux me sauver en enfer, commefit, selon la Fontaine, le marie de Mme Honesta.

La femme acariâtre est méchante, colère, grondeuse ; un rien irrite sonmauvais caractère et la fait entrer dans des accès de mauvaise humeurqui n’ont plus de fin. Elle est toujours maussade et rechignée, etc’est surtout quand son mari reçoit ses amis qu’elle fait étalage de sagrossièreté et de ses mauvaises qualités ; elle serait désolée si, àforce de malhonnêteté et de maussaderie, elle ne parvenait pas à leschasser de la maison pour ne plus y revenir. Elle possède au plus hautdegré le talent de la contrariété. Si l’on rit, elle prend laphysionomie la plus triste et la plus sévère ; si l’on se fâche, ellese met à chanter ; si l’ont dit blanc, elle soutient noir avec uneobstination invincible ; quand on parle des gens, elle dit du mal deceux dont on dit du bien, et elle vante ceux que l’on blâme. Quoi quel’on fasse, quoi que l’on dise, il faut qu’elle contredise. Le motqu’elle a constamment dans la bouche, c’est : « au contraire » ou bien,« cela n’est pas vrai. » Ce n’est ni pour rétablir la vérité, ni mêmepar esprit de contradiction qu’elle se met constamment en oppositionavec tout le monde : c’est purement par esprit de méchanceté, et dansle but de faire de la peine aux gens.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’elle choisit pour premièresvictimes de ces grossièretés, positivement les gens pour lesquels elledevrait avoir le plus d’affection : son mari, son père, sa mère, sesenfants. On dirait qu’elle n’a pas de cœur, s’il ne se révélait par samalice. Les fouines, les renards, les loups et les autres bêtesféroces, ont l’instinct de ne jamais faire de mal dans les lieux qu’ilshabitent, afin d’y pouvoir vivre en sûreté et en repos ; la femmeacariâtre est plus stupide que ces animaux, c’est chez elle qu’ellecherche ses victimes.

Si on lui résiste, elle tombe dans un accès de fureur, et va chercherdans le vocabulaire de la Halle les invectives les plus ignobles. Sielle se croyait la plus forte, elle se porterait aux dernièresextrémités, mais la crainte des représailles la retient sur lesdernières limites. Si vous résistez encore, elle emploie le moyendécisif, elle prend une attaque de nerfs. Cette attaque est d’abordsimulée, plus ou moins bien grimacée, et nullement dangereuse. Mais sice moyen lui réussit auprès d’un homme crédule et faible, ellel’emploie plusieurs fois, et l’attaque, de simulée qu’elle était,devient de plus en plus réelle, à mesure que les nerfs s’habituent àune contraction anormale ; puis vient l’épilepsie qui s’accompagned’une complète imbécillité. Il n’y a pas de médecin un peu instruit quine vous affirme la vérité de ce que je viens de vous dire.

Le vice de la femme acariâtre est une véritable maladie de l’espritdont on peut assez aisément se guérir soi-même si on l’attaque dès leprincipe ; mais si on la néglige, elle augmente avec rapidité, et ellefinit par devenir incurable. Que faut-il pour la guérir ? Une fermetéfroide du mari, qui aille même jusqu’à la cruauté s’il estindispensable. On conçoit que je n’entends parler ici que d’une cruautémorale, qui n’a rien de commun avec la brutalité. Si ce dernier moyenne réussit pas, séparez-vous de ce monstre et emmenez vos enfants avecvous, car il vaut mieux les priver d’une mère que de les laisser sedémoraliser et s’abrutir.

1. Si vous vous sentiez une tendance à la mauvaise humeur, à lacontradiction et à l’obstination, faites tous vos efforts pour vous encorriger, ou vous vous ferez détester partout.

2. La femme aimable a toujours le sourire sur les lèvres, parce que lasérénité des traits et le sourire sont les reflets d’un bon cœur.

3. Une figure maussade et rechignée est toujours laide, même chez laplus jolie femme.

4. Il n’y a rien qui enlaidisse comme la méchanceté.

5. Une femme acariâtre est née pour son propre malheur comme pour lemalheur des autres.

6. Ce vice odieux résulte toujours d’une stupidité de l’esprit et d’unemauvaise éducation ; il ne grandit que par la faiblesse des parents oudes maris.

DE L’ENVIE.

Cette passion est la plus funeste et la plus odieuse qui puisse seglisser dans le cœur humain, où, dès qu’elle s’en est emparée, elledétruit jusqu’au germe de toutes les vertus. Si vous avez l’affreuxmalheur d’être envieux, fuyez la société, n’essayez pas d’aller dans lemonde, car, de quelque masque dont vous vous couvriez pour cacher cefuneste vice, vous serez bientôt découvert et vous serez repoussé detoute la société.

L’envie est la folie de l’orgueil ou de la vanité, et presque lepremier degré de la démence. Elle traîne à sa suite la haine, lacalomnie, l’hypocrisie, et la mort de toutes les vertus.Malheureusement c’est une maladie très-souvent incurable, parce que,ainsi que dans la folie complète, l’envieux ne connaît pas son mal ets’y complaît quoiqu’il en soit dévoré, car c’est un mal qui tue.

1. L’envie est comme un serpent venimeux qui se mord lui-même quand ilne peut mordre les autres.

2. C’est la plus odieuse et la plus funeste de toutes les passions.

3. C’est la dépravation de l’amour de soi-même. C’est l’orgueil et lavanité portés à leur dernier point d’aveugle égoïsme.

4. L’envie traîne après elle la haine, l’injustice, la calomnie,l’hypocrisie, et toutes les mauvaises passions. C’est le tombeau detoutes les vertus.

5. Dès que l’envieux est démasqué, la laideur de son âme le faitrepousser avec horreur par tout le monde.

6. Lorsque vous sentirez l’envie se glisser dans votre cœur pour lapremière fois, vous parviendrez à l’en extirper assez aisément en vousraisonnant vous-même. Mais si vous ne luttez pas contre elle dès lecommencement, le mal devient rapidement incurable.

7. Parmi les envieux, il n’y a que les imbéciles qui ne connaissent pasleur mal et qui s’y complaisent.

LE CURIEUX.

Il y a des gens curieux d’apprendre pour acquérir des connaissances quienrichissent leur esprit. Il y a des gens curieux d’apprendre pouracquérir la connaissance des affaires des autres. Les premiers ont unequalité très-louable ; les seconds un vice honteux.

Anatole, dans un salon, prend peu de part à la conversation ; retirédans l’embrasure d’une croisée, ou caché sous un rideau, il écoute lesconversations particulières, il épie les gestes, les regards, saisit aupassage le mot le plus indifférent, et il interprète le tout ; comme ila de l’esprit, ses interprétations tombent ordinairement assez juste.S’il vient vous voir, il ne montera jamais votre escalier avant d’avoirquestionné le portier ; il s’arrêtera dans votre antichambre pourinterroger votre domestique, et en entrant dans votre appartement sonœil de fouine aura tout vu, jusqu’au dérangement du plus petit meuble,avant d’être arrivé jusqu’à vous pour vous serrer la main. Si vous avezdes papiers étalés sur votre bureau, il les lira ; il regardera lesadresses des lettres cachetées qu’il trouvera sur votre cheminée, et sivous ne le voyez pas, il les présentera au grand jour de la fenêtrepour tâcher d’en lire la signature à travers le papier. Oh ! s’il osaitles décacheter ! Si vous êtes renfermé dans votre cabinet avecquelqu’un pour affaires particulières, il regardera et écoutera par letrou de la serrure. Il en résulte qu’Anatole ne peut pas aller quinzejours dans une maison sans y être reçu très-froidement, que sesmeilleurs amis se défient de lui, et que dans le monde on le soupçonned’être mouchard.

1. Ceux qui écoutent aux portent apprennent souvent ce qu’ils nevoudraient pas savoir.

2. Voler le secret de quelqu’un est souvent pire que de lui voler sabourse. L’un ne vaut pas mieux que l’autre.

3. Personne ne peut croire à la discrétion d’un curieux.

4. Le curieux se ravale lui-même au rang d’une portière bavarde etrapporteuse.

5. Avec le système des interprétations, le curieux parvient toujours àsavoir au-delà de la vérité.

6. C’est de la curiosité que naissent la médisance et la calomnie.

7. Un homme qui ne sait pas résister à sa curiosité, ne saura vaincreaucune de ses passions vicieuses.

8. Une indiscrétion peut faire autant de mal qu’un coup d’épée.

DU POINT D’HONNEUR ET DU DUEL.

Il serait, ma foi, bien malin celui qui vous dirait ce que c’est que lepoint d’honneur !... d’autant plus que j’ai remarqué que, le plusordinairement, dans le monde, ce sont les gens qui ont le moinsd’honneur qui sont les plus chatouilleux sur le point d’honneur ; et,dans le fait, moins on est riche, plus on tient à conserver ce que l’ona.

On a écrit des volumes entiers sur le duel, et tous les auteurs sontd’accord pour le regarder comme une plaie sociale, tout à fait endehors de la civilisation et de la raison : de la civilisation, parceque nous avons des lois pour repousser ou venger les injures ; de laraison, parce que le duel descend directement des anciennes épreuvesque l’on appelait, dans le temps de la plus haute barbarie, le jugement de Dieu. Ilest né de l’ignorance, de la superstition et dela féodalité ; et cependant vous vous vantez de vivre dans un siècle delumières ! Vous avez abattu la superstition et la féodalité, et vousavez conservé le duel ! le duel qui est un assassinat avecpréméditation, le duel qui donne toujours raison au plus fort et auplus adroit ; le duel où l’on vous permet d’employer une bottesecrète pour assassiner plus sûrement votre homme ! le duel oùun maria l’imbécillité d’aller se faire tuer par vous, pour vous laisser lechamp libre quand vous l’avez déshonoré !!! Les Grecs et les Romains,dans les beaux temps de leur civilisation, connaissaient l’honneur, jepense : eh bien ! pour eux le duel était chose inconnue.

Le duel est-il une preuve de courage ? Je soutiens positivement quenon. Je ne vous dirai pas emphatiquement, comme les philosophes, qu’ily a bien plus de courage à pardonner une injure qu’à s’en venger, il ya trop peu de gens qui aient assez de grandeur d’âme pour goûter ceprécepte ; il y a d’ailleurs un moyen de preuve plus facile . Demandezà un vieux militaire ce que deviennent tous les spadassins d’arméependant un jour de bataille ? Au milieu des balles et de la mitraille,ils deviennent les plus lâches de tous les soldats. Ce que vous prenezpour du courage dans un duelliste n’est rien autre chose qu’une fièvrede vanité qui le soutient assez pour conserver les apparences d’uneinsouciante bravoure ; mais si vous pouviez lire ce qui se passe aufond de son cœur, vous en décompteriez terriblement. Le beau du métierde spadassin, le sublime du genre, est de se battre d’abord, et des’expliquer après.

1. Le point d’honneur, qui se traduit par le duel, est une chimèreinventée par les ferrailleurs. C’est le plus grossier de tous lesmensonges.

2. Se battre n’est ni une preuve d’honneur, ni une preuve de courage.Cela peut être une preuve de férocité et de folie.

3. Il est permis à un homme d’honneur de hasarder sa vie que pourl’intérêt de son pays ou de sa famille, ou pour sauver la vie à unecréature humaine, par exemple, sauver quelqu’un de l’incendie, dunaufrage, etc.

4. Nul n’a le droit de se rendre justice à lui-même ; le duel est doncun attentat contre la loi et la morale publique.

5. Il est de certaines injures qui échappent à la loi, mais elles nepeuvent échapper au mépris.

6. La bonne société peut pardonner un premier duel à un homme qui y aété forcé par les circonstances ; elle n’en pardonnerait pas un second.

7. Les duellistes sont toujours des gens de mauvaise société et d’uneintelligence arriérée.

8. Si vous ne voyez jamais que la bonne société, vous ne serez jamaisprovoqué.

9. L’homme de bon ton ne se met jamais dans le cas d’être provoqué.

10. Un coup d’épée ne prouve rien, si ce n’est la sottise des deuxpersonnes qui s’y exposent.

11. Si vous n’avez pas le courage de refuser un duel, tenez-vous pourdit que votre provocateur est un mauvais sujet et agissez avecprudence. Choisissez des témoins fermes et honnêtes gens.

LES PROTECTEURS.

1. Un véritable protecteur est un phénix qu’on ne trouve pas deux foisdans sa vie.

2. Demander plus qu’on ne peut raisonnablement obtenir, est le moyen deperdre son protecteur et de ne rien avoir.

3. Ne croyez pas aux promesses des grands, ou du moins ne comptez guèredessus.

4. Si par hasard ils font ce qu’ils vous ont promis, remerciez-en Dieu.

5. Souvent l’on arrache par l’importunité ce que l’on n’obtiendrait pasde la bienveillance, mais ce moyen est dangereux.

6. Qui ne demande rien n’a rien. Ce proverbe très-vrai prouvel’immoralité de notre siècle.

7. Donc, si vous avez du mérite, mettez-le au jour et demandez.

8. Le mérite ignoré est égal, en tout point, à la sottise.

L’OBLIGEANT MALADROIT.

Il y a des gens qui vous rappellent si souvent les services qu’ils vousont rendus, qu’on a vraiment bien de la peine à leur conserver de lareconnaissance.

Si vous vous trouvez dans le cas d’obliger un ami, souvenez-vous de cepassage de l’Alcoran : « Que ta main gauche ignore ce que ta maindroite a donné. »

Oubliez le bon office que vous avez rendu, car ce n’est qu’à cettecondition que l’obligé vous le pardonnera.

1. Un bienfait reproché a perdu tout son prix ; c’est une injure.

2. Si vous parlez à quelqu’un de ce que vous avez fait pour lui, c’estlui donner quittance de la reconnaissance qu’il pourrait en avoir.

3. Empruntez plutôt à un usurier qu’à un ami qui, dans toutes lesoccasions, vous parlerait de ce qu’il a fait pour vous.

4. Vous devez oublier les services que vous avez rendus ; c’est auxautres à s’en souvenir.

DE L’INGRAT.

La reconnaissance est un lourd fardeau que bien peu d’hommes sontcapables de porter. La Fontaine a dit :

S’il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?

L’ingratitude est le vice le plus avilissant qui puisse germer dans lecœur des hommes, et pourtant c’est le plus généralement répandu.L’ingratitude des enfants envers leurs parents est sans contredit laplus monstrueuse de toutes, aussi ne la rencontre-t-on le plus souventque chez les êtres les plus grossiers, les plus ignobles.

Il ne faut pas que cela vous dégoûte de faire du bien, car vous vouspriveriez d’une des plus douces jouissances du cœur ; seulement,faites-le avec discernement et ne jetez pas vos bienfaits au hasard.Tous les hommes ne sont pas absolument des ingrats, et puis leshonnêtes gens vous en tiendront compte, et l’estime de ceux-làcompensera, et au delà, l’ingratitude des autres.

1. L’enfant ingrat envers ses parents est un monstre.

2. On ne doit jamais scinder la conscience des gens qui font du bien.

3. Ne jetez pas vos bienfaits au hasard, mais faites-le avecdiscernement.

4. Le meilleur grain semé dans un terrain stérile ne produit rien.

5. Que l’ingratitude des hommes ne vous détourne pas de faire du bien.

6. Le bien que l’on fait est une jouissance indépendante de ceuxauxquels vous l’avez fait.

DU TABAC.

1. Gardez-vous de priser ou de fumer, et évitez toutes les occasions deprendre l’une ou l’autre de ces habitudes malpropres.

2. Si l’habitude est prise, soit pour raison de santé ou pour toutautre cause, cachez-la.

3. Une jeune femme qui prise donne à penser qu’elle est attaquéed’osène ou punaisie.

4. Ayez deux mouchoirs de poche, un blanc et propre que l’on peut voir,un de couleur que vous cachez en société.

5. N’offrez jamais une prise de tabac à quelqu’un, à moins qu’on vousla demande.

6. Ne demandez jamais une prise de tabac à personne.

7. Si on vous en offre, faites semblant d’en prendre, mais jetez letabac sans qu’on s’en aperçoive.

8. N’ouvrez jamais une tabatière qu’on a déposée sur un meuble ou unecheminée.

9. Quand vous prenez du tabac, évitez qu’il en tombe sur la nappe sivous êtes à table, ou sur le tapis si vous êtes au salon.

10. Prenez-le proprement, c’est-à-dire sans en couvrir votre gilet etvotre chemise, sans renifler bruyamment comme un hippopotame, et sansfaire la grimace comme un singe.

11. Ne fumez jamais dans une promenade publique, ni dans la rue.

12. On ne fume plus que des cigares dits de la Havane. La cigarette depapier est tombée en désuétude.

13. Il n’y a plus que les soldats, les maçons et les habituésd’estaminet qui fument dans des pipes, telles belles qu’elles soient.

14. Ne fumez que chez vous et le matin seulement, dans un lieu assezéloigné de votre garde-robe pour que l’odeur de la fumée ne puisse pasimprégner vos vêtements.

15. Rincez-vous parfaitement la bouche après avoir fumé.

16. C’est une erreur de croire que la fumée de tabac conserve les dents; elle les noircit et voilà tout.

17. Quand vous sortez après avoir fumé, changez de vêtements si vous nevoulez pas sentir mauvais.

18. Ne portez jamais sur vous ni sac à tabac, ni pipe.

19. Entre fumeurs, un cigare peut, sans inconvénient, s’offrir ets’accepter ; mais il ne se demande jamais.

20. Une règle générale de politesse est de ne jamais cracher sur leplancher, quelle que soit la maison où l’on se trouve, et le plancherne fût-il qu’un grossier carrelage non frotté.

21. Les fumeurs doivent avoir constamment cette règle à la mémoire, eten déduire toutes les conséquences.

22. Les crachoirs ont été inventés par la malpropreté la plusdégoûtante.


FIN.