LAFRANCE EN ARMES
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE
prononcée par
M. RAOUL DAUTRY
MINISTRE DE L'ARMEMENT
le 21 Décembre 1939
~*~
L
A France veille aujourd'hui dans une double enceinte,comme auxgrandes heures de son histoire. Dans la première, elle combat. Dans laseconde, elle travaille.
La France qui combat est digne de la France glorieuse de 1914-1918.Elle a déjà prouvé qu'elle était fidèle à ses traditions de courage etqu'elle savait s'adapter aux nouvelles formes de la guerre. Elle saitpatienter et elle sait attendre.
La France qui travaille a reçu une autre vocation : il lui faut créer,forger, produire, dans une rumeur de travail qu'elle ne connut jamais.
Cette France combattante et cette France laborieuse sont animées dumême souffle. La conquête de la paix est le but de tout un peuple. Lavictoire est la récompense que tous attendent et dont chacun aura sapart. Son jour sera le jour du laboureur retrouvant son sillon, del'ouvrier d'usine retrouvant son étau. Ce sera le jour où le soldatredeviendra citoyen, où l'homme, partout, reprendra son métier d'homme.
L'enjeu est entre nos mains. La victoire sera le prix de notre mérite.Tous, nous sommes maîtres de notre sort.
Mais par un seul moyen : la Force.
Sous une seule loi : l'Effort.
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* *
Soyons forts.
Nous sommes en guerre, et les guerres ne se gagnent que par la force.C'est par les armes que nous abattrons l'ennemi.
Nous avons pour les forger ce qui ne s'improvise pas : des hommes etdes cadres d'élite. Nos ouvriers savent travailler et savent obéir.Notre maîtrise et nos ingénieurs savent organiser, enseigner,commander. La science et la conscience sont à tous les rangs de l'arméedu travail et cette armée est faite d'un peuple libre. L'union de noscœurs et de nos âmes est faite d'une longue histoire et elle estindissoluble. Et nous avons, pour tout l'avenir que nous pouvonsconcevoir, le plus loyal des alliés, qui est le plus grand empire de laterre. Français et Britanniques, nous défendons notre liberté et laliberté du monde. Ensemble, nous rallions les immenses espoirs de ceuxque menacent des hommes asservis dont l'avidité, le mensonge et lecrime ont préparé la perte.
Nous avons RAISON.
Mais toutes ces chances sont encore prisonnières de l'avenir. Il nousappartient de les libérer. Elles sont comme un mécanisme parfait,inerte tant qu'il n'a pas de moteur. Notre force matérielle sera cemoteur. Elle animera toutes les valeurs morales qui sont dans notrecamp, elle déchaînera dans le camp ennemi toutes les conjurations dumalheur.
Sûrs de notre droit, soyons forts et soyons fiers de l'être ; il n'estrien de plus beau que la force au service d'une juste cause.
La guerre d'aujourd'hui oppose, sous un ciel traversé de mécaniques,des armées motorisées ou retranchées dans des forteresses géantes. Sansla puissance matérielle, le génie des chefs et des savants, le couragedes soldats et des civils ne peuvent rien. Avec elle, ils peuvent tout.Mettons au jeu cruel de la guerre, de cette guerre si différente desguerres passées, toutes nos intelligences et toutes nos énergies. Ilfaut que la pression de notre force et la constance de notre volontéparalysent l'ennemi.
Derrière ses remparts, la France, poursuivant et développant depuis laguerre l'effort qu'elle avait dû entreprendre dans la paix, a déjàréalisé, une œuvre industrielle considérable. L'ennemi ne parviendrapas à empêcher cette activité de s'accroître. L'ordre et la disciplinede l'arrière seront dignes de l'ordre et de la discipline aux armées.
Déjà les mines de houille et les mines de fer ont augmenté leurrendement. Les industries ont accéléré leur fabrication. Des milliersde femmes et de jeunes gens, encadrés par des affectés spéciaux et pardes ouvriers hors d'âge militaire, ont porté les effectifs des ateliersau niveau d'avant-guerre. Les artisans de nos villages eux-mêmesparticipent à la tâche d'armement. De la capitale au canton, s'étend leréseau des fabrications de guerre. Il n'est presque plus d'industries,quels que soient leur nature, leur origine ou leur objet, qui netravaillent aujourd'hui pour la Défense nationale.
Pour alimenter et outiller nos usines, alliés et neutres nousfournissent matières premières et machines. Les flottes qui nous lesapportent sillonnent les mers. Sur toutes les routes commerciales quejalonnent les puissantes bases navales des deux Empires, veillent lesvaisseaux qui les protègent. Dans cet immense magasin, dans cetteimmense usine de guerre qu'est devenue la France, les matièrespremières distribuées par un réseau ferré toujours à la mesure de sestâches de guerre, ne cesseront pas de se renouveler. La cadence desproductions s'accélérera. Notre puissance deviendra irrésistible.
Une seule condition,
Une seule loi :
l'Effort.
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* *
Un effort tenace, unanime. Un labeur passionné.
Ce n'est pas assez de croire à la victoire ou de la désirer. Ne pensonspas que notre vœu, que notre foi, que la justice de notre causesuffisent. L'avenir sera fait non de nos souhaits et de nos pronostics,mais de notre volonté et de nos actes. Le socle de la paix humaine etsolide que nous voulons, doit être dressé à coups d'épaule.Travaillons. La seule volonté qui vaille est celle que traduit unrésultat. Travaillons sans trêve, sans repos, de toutes nos forces, àinventer, à forger des armes. Travaillons pour pouvoir, prodigues dematériel, être ménagers de notre sang, pour imposer plus tôt notre loi.
La guerre n'est pas un état,c'est une action.
Tous les Français doivent faire la guerre.
Tous le peuvent.
Que ceux qui ne se battent pas donnent, pour la victoire, et sansréserve, leur travail et leurs ressources.
L'effort d'armement n'est pas tout. Ceux qui travaillent aujourd'huiaux champs, au magasin, au bureau, au foyer familial, combattent à leurmanière, en permettant à notre économie de « tenir ». D'eux tous, onpeut dire qu'ils arment. Ils arment les caisses publiques, la monnaie,les réserves de change. Où qu'ils soient, et quels qu'ils aient étéhier, tous soutiennent le Pays. Tous s'acquittent, et tous continuerontà s'acquitter de leur tâche avec une entière conscience professionnelle.
Je porte témoignage devant les combattants que, pour augmenter laproduction des armements, il n'est pas un effort qui n'ait été consentide bon cœur. Depuis trois mois, dans les usines, j'ai demandé à laplupart des ouvriers et des ouvrières, de longues heures de travail, etle sacrifice de leur dimanche. Ils les ont donnés.
L'heure sonne où l'augmentation de l'outillage, l'arrivée detravailleurs coloniaux, me permettent peu à peu de rétablir le reposhebdomadaire, et de libérer presque en totalité les vieilles classesd'agriculteurs que j'avais dû, ici et là, retenir. Dans beaucoupd'ateliers, nous travaillerons dans quelques mois en trois équipes dehuit heures, et peut-être pourrons-nous ramener la durée du travail desfemmes et des jeunes à 180 heures par mois.
Mais l'adhésion de tous aux dures obligations de la guerre doitcontinuer d'être aussi complète qu'elle sera nécessaire. Il faut que,tout comme les sacrifices matériels, les différences inévitables derégime, de travail, de salaire et les inégalités que nous ne pouvonssupprimer, soient acceptées sans aigreur. La guerre, plus encore que lapaix, comporte des tâches et des peines inégales. Sans doute, y a-t-ildes erreurs dans leur répartition. Mais personne ne doit oublier queles injustices sont quelquefois des apparences et représententsimplement l'envers de grandes nécessités.
Un homme de 30 ans est à l'usine, un homme de 40 ans aux armées. Celavous choque ? Avez-vous songé que la poudre et le canon faits par leplus jeune assureront peut-être à l'aîné qui n'aurait pas su les fairela possession de son champ ? Que chacun donc s'affranchisse de sapropre personne et juge de haut toutes choses. Pourchassons l'injusticeet la faveur, mais bannissons l'égoïsme et l'envie. Que seuls,l'estime, la confiance, aient cours désormais. Que chacun, au front età l'arrière, soit persuadé que les relations, les complaisances,inconnues à la tranchée, ne doivent pas entrer à l'usine. Laresponsabilité de chacun est engagée à fond dans l'œuvre commune, etles devoirs du chef à l'atelier sont aussi impérieux que ceux du chefau combat.
Français de l'arrière, vous vous ferez confiance les uns aux autres.Vous surmonterez la fatigue, vous renoncerez aux agréments et auxloisirs pour nous donner votre travail sans ménagement et votre argentsans réserve. Car si je vous demande des heures, je vous demande aussides francs.
Pour armer, il faut tant de matières premières, tant d'outils, tant demoyens de transports, tant de salaires ! Tout dans l'armement moderneest robustesse, précision, qualité, depuis les minuscules fuséesœuvrées comme des joyaux, jusqu'aux chars lourds. Et tout cela coûtecher.
Un canon de 75 coûte 300.000 francs. Le matériel — canons,avant-trains, munitions, instruments d'optique — d'un régimentd'artillerie de campagne, représente 50 millions. Un bataillon de charslourds vaut 120 millions. En une heure d'attaque, une division dépense5 millions de munitions et d'essence. Certain canon contre-avion quitirerait sans discontinuer à sa cadence la plus rapide serait hors deservice au bout de 12 minutes.
Réfléchissez, faites des multiplications. Vous comprendrez qu'un effortfinancier gigantesque doit répondre à notre volonté d'armer, et quevous avez le devoir d'y contribuer.
L'ennemi ne se méprendra pas sur le sens de mon appel : ce n'est pas unEtat ruiné qui demande du secours, c'est un Etat puissant, au créditintact, qui veut faire concourir tous les siens à la tâche de salutqu'il a entreprise.
Ministre de l'Armement, je veux pouvoir poursuivre l'effort quedemandent le Gouvernement, le Parlement, l'Armée, l'effort que tousvous attendez. Je ne veux pas avoir à le ralentir jamais. Vous savezbien tous que vos maris, vos enfants, vos pères qui sont au front, letracent et nous en font un devoir.
Economisez pour soutenir notre effort. En vous demandant de souscrireaux bons d'Armement, ce ne sont pas des francs que je vois : 4.000francs, c'est une rafale de 75 contre avions. 300.000 francs, c'est untir d'arrêt de 5 minutes sur un front d'un kilomètre. La somme que vousapporterez à l'Armement peut représenter une seconde, une minute deguerre de moins.
Aidez-nous à ajouter les rafales aux rafales et les tirs aux tirs, àsoustraire des minutes à la guerre, à faire de ces minutes des heureset des jours, et de ces jours des semaines et des mois. Ayez tous votrepart dans notre armement. Comprenez qu'un effort de plus que vousfaites, ce sont des combattants magnifiques et des hommes libres quevous armez et dont vous sauvez la vie. Travaillez pour eux et donnezvotre argent pour eux.
Et même, plus précisément, travaillez et donnez pour vous et pour ceuxqui vous sont chers. Ce canon contre avions à la fabrication duquelvous aurez contribué, c'est lui qui défendra votre ville; ce blindage,c'est lui qui protégera votre frère ; cette mitrailleuse, c'est parelle que votre mari défendra sa vie ; cette seconde de guerre que vousnous aurez épargnée, c'est celle où votre fils serait tombé. Je faisappel à votre égoïsme. Mais un tel égoïsme, ce n'est quel'accomplissement d'un grand devoir, d'un grand effort, l'acceptationd'un grand sacrifice.
C'est pour faire son devoir qu'hier, dans une usine, une ouvrièretravaillait dans la nuit, les doigts gourds de froid et disait : « Jene veux pas que, de ma faute, il manque un masque à un soldat ». C'esten donnant à plein leur effort que ce métallurgiste, ce fabricant deproduits chimiques, ce directeur d'arsenal, ont doublé la production deleur usine ; c'est parce qu'il ne mesure pas sa peine qu'un ouvrier decette usine qui produisait hier une culasse en un temps donné, enproduit maintenant trois et demie. C'est pour aller enfin au bout deson offrande, qu'un vieil homme d'un village de l'Aisne m'a fait don de300 kilos de ferrailles et veut y joindre 4 douilles d'obus dont ilornait le reposoir de son village au jour de la Fête-Dieu.
Comme cette ouvrière, comme ces industriels, ces ingénieurs, comme cetouvrier, comme ce vieillard, répondez à mon appel. Il s'agit de laFrance. Payez avec largesse, avec ingéniosité, de votre personne et devos biens, pour produire, pour soutenir l'économie, pour ARMER. Que lesFrançais soient aujourd'hui les plus avares et les plus généreux deshommes. Fondez-vous dans la grande entreprise de salut national, dansla guerre totale.
La guerre totale ! mot terrible dans son acception courante, motadmirable s'il veut dire que, tous, nous ne formons qu'un bloc, le blocde la ruche nationale que n'entameront plus jamais les meurtrières, lesabsurdes luttes intestines, de la ruche qui réalisera la victoire dansla justice et la collaboration sociales.
Français de la mère Patrie et Français de l'Empire, étrangers qui êtesvenus à notre foyer, il faut que, tous ensemble, nous fassions laguerre totale à laquelle nous avons été condamnés. Elle exige quechacun de nous se donne tout entier à la tâche de vaincre.
POUR
L'AVENIR
FRANÇAIS
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE
prononcée par
M. JEAN GIRAUDOUX
COMMISSAIRE. GÉNÉRAL A L'INFORMATION
le 22 Février 1940
Nous sortons à peine du froid. Nous sommes au cœur de l'hiver... d'unhiver qui a été rude... qui n'est pas fini. Ce froid, cet hiver, nousnous en accommodons, nous le supportons. Nous le supportons parce quenous savons qu'une autre saison suivra, celle du beau temps, suivieelle-même d'une autre saison, celle des fruits. Cette terre gelée, cesarbres sans feuilles sont la promesse même du blé, du vin, des fleurs...
Nous sommes dans l'épreuve. Nous sommes au cœur de la guerre. Nous nepouvons l'accepter, la supporter que grâce au même secours, parl'espoir.
Quel espoir ? Quel est cet espoir qui vous donnera la force, à vous,paysans, à la fois de former la majorité des combattants etd'entretenir le sol du pays, à vous ouvriers, ou de vous battre aufront, ou d'accomplir le labeur de l'arrière, à vous tous, qui que voussoyez, artisans, commerçants, prêtres, médecins, de renoncer à tant devos droits, de vos libertés, à vos métiers, aux missions et aux devoirsmême de votre vie ?
Il faut que ce soit vraiment un espoir qui en vaille la peine. Quelest-il ? Quel doit-il être ? Je voudrais le chercher avec vous, lechercher en vous aujourd'hui. Car inconsciemment il est en vous, ilvous donne votre vraie force. Mais, comme toute foi, il n'en sera queplus agissant s'il est clair à vos yeux.
Cet espoir, est-ce celui de la victoire ? Non. Pas seulement celui-là.La victoire n'est que notre devoir le plus strict. Je crois que tousles Français sont d'accord désormais sur ce que nous vaudrait ladéfaite. Nous n'avons pas le choix. Aucune classe de la nation n'a lechoix. Il nous faut vaincre.
Je veux vous prendre aujourd'hui pour exemple, vous, paysans, quiformez la classe la plus nombreuse du pays, qui êtes le fond de notrerace, qui êtes la trame de notre armée. Vous savez la vérité en ce quivous concerne. L'ennemi peut donner à la guerre tous les prétextes,politiques ou autres, prétendre que l'Allemagne est encerclée, dire quele régime de Hitler est une religion qui doit devenir universelle ; lavérité est celle-ci : il est un peuple, le peuple allemand, qui veutprendre les terres des autres, et ces autres se défendent. Et il nes'agit pas de terres lointaines. Hitler a toujours dit qu'il ne feraitpas la guerre pour des colonies ! Il fait la guerre, c'est donc pourdes terres proches. Cet espace vital qu'il réclame, c'est le sol. Ill'a dit textuellement dans son livre : le sol de ses voisins. Voyez laguerre de Pologne, Hitler a prétendu qu'elle avait pour but de donner àl'Allemagne Dantzig, qui était une ville. La vraie raison étaitd'occuper toutes ces provinces limitrophes de l'Allemagne, qui étaientla campagne, d'en chasser les fermiers polonais, d'y établir les siens.Comment imaginer, si l'Allemagne a confisqué les terres de ses voisinsde l'Est, qu'elle respectera celles de l'Ouest qui sont plusaccessibles, plus fertiles, sous un climat meilleur ? Les vraiescolonies que désire l'Allemagne, qu'elle prendra si elle le peut, cen'est pas le Cameroun, le Tanganyka. — lorsqu'elle possédait desdomaines quatre fois étendus comme son territoire d'Europe, elle n'y aenvoyé que quelques milliers d'Allemands, la plupart soldats ; — c'estla Lorraine, la Champagne, ce sont les bords de l'Atlantique et de laMéditerranée.
Un aviateur anglais m'a dit avoir compris l'autre jour la guerreallemande. Il revenait des Indes, et sa surprise fut grande lorsqu'ilarriva au-dessus de la France. Il savait que dans notre pays venait des'effectuer le plus grand remuement et déplacement humain que la terreait connu. Il s'attendait à ce que, de son avion même, notre pays luisemblât porter trace de ces bouleversements, fût sans attrait, fût unesorte de chantier. Ce fut le contraire. Après une Afrique déserte,après des îles chaotiques, après une mer qui était elle-même unetempête, il aperçut soudain au-dessous de lui un pays qui lui parutl'image de l'ordre, de l'abondance, de la paix, c'était la France. Leschamps plus vides, les routes plus pleines, les animaux plus rares,donnaient seulement, de cette hauteur, l'impression de quelque vacance.C'était un dimanche que la guerre semblait étaler ce mercredi-là sur lacampagne. Mais surtout, à mesure que se succédaient les vignes, lespâturages, les labours, ceux du Midi, puis, ceux du Centre, puis ceuxdu Nord, tout notre pays étalait aux yeux de l'aviateur sa raisond'être, qui est d'être un pays paysan, et son but de guerre, qui est ladéfense du sol, et aussi le but de guerre des voisins, qui est saconquête.
Conquête, si jamais elle survenait, après laquelle il serait fou decroire que l'Allemagne puisse se montrer plus douce envers les paysansfrançais qu'envers les paysans polonais. Elle les dépossédera en masse,elle les exilera en masse, hommes d'un côté, femmes d'un autre, enfantsd'un troisième, vers les travaux stériles, les déboisements, lesterrassements, vers la misère. Qu'il s'agisse des pâturages normands oudes vignobles, ils seront confisqués au profit des vainqueurs. Unmatin, propriétaires et vignerons seront convoqués par la Kommandanturavec quelques jours de vivres, parqués, dirigés sans bagages versune destination inconnue ; et, dans la Mairie du canton, il seraprocédé à une nouvelle répartition du cadastre. Les opposants serontfusillés... C'est aussi simple que cela...
Et ce qui est vrai pour les paysans l'est aussi pour chaque autreclasse de la nation vaincue. Aucune ne pourra plus compter que surl'expropriation et sur l'esclavage. L'Allemagne ne peut êtrequ'impitoyable. Comment lui viendrait-il à l'idée de conserver à desétrangers les libertés, les droits qu'elle a arrachés à son proprepeuple ?
Mais, me dira-t-on alors, cet espoir, c'est la Paix ? Oui, si l'onveut. Le mot Paix, en effet, est un beau mot. Mais il y a paix et paix.Nous l'avons eue, la paix. Elle est venue vers nous aussi belle, aussivictorieuse, aussi prometteuse qu'une paix peut venir. Elle est venueen 1918, au-dessous des arcs de triomphe, escortée de ses futursdéfenseurs, les cinquante nations qui se vouaient à elle. Au bout depeu d'années, il n'est resté de cette paix qu'une France insatisfaite,que des peuples divisés, menaçants, ou apeurés, que la guerre. Pourquoi?
Parce que, après les souffrances de cinq ans de guerre, nous avons cruque la paix était en soi un bien suffisant, que le fait d'être en paixdispensait de tout autre effort, de tout autre foi, de tout autremorale, que le fait d'être victorieux donnait l'avenir. Nous savonsaujourd'hui que rien n'est plus faux. Certes, l'espoir d'une paixvictorieuse est un motif valable pour le dévouement de nos soldats etpour nos efforts. Il permet de mener la lutte avec résignation, avecobstination. Il ne permet pas de la mener avec cet élan, avec cettedécision intérieure, avec cette approbation totale du cœur, de laconscience, qui mettra la sérénité ou même l'allégresse dans lesoccupations journalières de la guerre comme dans ses moments les pluscritiques. Que faut-il pour cela ?
Il faut pour cela une foi. Il faut pour cela que nous imaginions cettepaix, non comme un terme, mais comme un commencement. Il faut que lapaix ne soit pas celle de 1918, qu'elle ne consiste pas seulement àretomber, avec des deuils en plus, avec des biens en moins, dans laroutine et l'incertitude d'avant-guerre. Il faut que la guerre serve,que le pire mal serve, que la guerre soit l'écluse entre une époquepérimée et une époque nouvelle. Il faut que vous tous, qui combattez,qui travaillez, vous ne voyiez pas, en pensant à la paix, le retourdans un pays appauvri, démuni, où vous aurez à reconstruire péniblementvotre existence et celle de votre famille entre le chômage et ledébrouillage, entre l'avilissement et l'enchérissement de la vie, maisdans une France préparée pour une activité et un bonheur modernes. Ilfaut, pendant que vous protégez ou armez le pays, que vous soyezassurés qu'à la paix vous y trouverez, outre les trésors d'unecivilisation que nous essayerons de vous garder intacts, des libertésaccrues, un champ de travail accru, des guides plus sûrs, desprotections enfin absolues contre les parasites et les profits. Il fautque soit prêt, élaboré dans toutes ses parts, le projet non pas biennalou quinquennal, mais perpétuel, qui doit utiliser les forcesmatérielles et morales de la France. De ce premier plan que nousoccupons aujourd'hui avec notre alliée l'Angleterre dans un globe oùnous représentons, au milieu des craintes et des faiblesses, la formela plus haute de la force et de la conviction morale, où nous avonsrepris notre place de conducteur des peuples, il faut que vous soyiezsûrs, à la paix, de passer aussi au premier plan de la conduitepacifique du monde. Nous en sommes capables. L'Etat-Major publiait,l'autre jour, un bulletin où il était signalé que depuis le mois deseptembre notre armée avait déjà, en constructions, en fossés, enroutes, réalisé l'équivalent des plus grands travaux qui aient étéfaits dans le monde. En cinq mois les bras mêmes de ceux qui tiennentle fusil ou lancent la grenade ont réalisé l'équivalent des Pyramides,du Canal de Suez, une œuvre de maçonnerie qui égale cent villesnouvelles. Nous n'avons qu'à suivre cet élan. Il reviendra à l'armée denous avoir donné l'amorce et la proportion des occupations de notrepaix. C'est pour l'étude, pour la préparation de cet aménagement dupays que déjà, sous l'inspiration de notre Président du Conseil, sefonde et s'organise l'équipe. Elle se composera de tous ceux quipensent que la fin de la guerre ne doit pas signifier seulement le donà l'ancien combattant de sa dernière capote, que l'Etat ne doit pas secroire quitte avec lui par l'octroi généreux de la prime de départ ;mais que la démobilisation devra être le signe d'une mobilisationforcenée du travail et de la pensée du pays ; de tous ceux quiestiment, puisque nous sommes à l'aise dans une guerre gigantesque, quenous pouvons l'être aussi dans une paix qui ne serait pas taillée à lamesure des petitesses, des routines, mais à celle de ce paysinépuisable en ressources et en beautés qu'est la France, et de ceshumains, audacieux et inventifs parmi tous les humains, que sont lesFrançais. C'est là notre programme, une paix qui ne laissera plus deterres en friche, qui mettra à la disposition des paysans soldats lesterres abandonnées, qui fera des fermes des maisons modernes ; une paixqui ne reprendra aux ouvriers aucune des libertés acquises, qui lesdéfendra contre la machine, qui leur donnera par la construction decités neuves, par le don d'habitudes larges, leur aise et leurrespiration dans l'Etat. Rendre la confiance à ceux qui font déjà dansleur esprit le sacrifice de la moindre des vertus françaises. Rendreaux ingénieurs l'invention et la réalisation à leur plus haut degré,aux instituteurs et aux professeurs l'orgueil et le rang de leurmission primordiale, aux architectes l'architecture, aux artisansl'artisanat, aux entrepreneurs le génie et le champ de l'entreprise,aux banquiers la hardiesse, redonner à l'imagination l'exploitationd'un des plus beaux domaines qui aient jamais été constitués en cemonde, et le garder au luxe et à la qualité, voilà le but de guerre quipeut seul, de derrière la victoire future, justifier cette époque, etle seul capable d'illuminer le sacrifice de nos soldats. Voilà l'espoirqui nous permettra, d'une guerre défensive, de faire une guerrepositive et offensive. Une guerre défensive est souvent taciturne,hargneuse, elle tend les nerfs, elle contracte le cœur. Mais c'est d'uncœur détendu, de bras souples, que nous irons chercher dans lavictoire, dans la défaite de l'ennemi, notre vrai butin de guerre, quiest la France moderne. Ce sera là la différence entre la guerre de ceuxque nous combattons et la nôtre. Ce sera un nouvel ascendant que nousprendrons sur eux. Ils n'ont plus à gagner que par la défaite. Nous,nous avons devant nous, si nous voulons, comme l'a toujours eu laFrance dans ses heures critiques, notre avenir entier.
UNEARME DE GUERRE
LE RATIONNEMENT
PAR PAUL REYNAUD
MINISTRE DES FINANCES
ALLOCUTION RADIODIFFUSEELE 29 FEVRIER 1940
~*~
C
E matin, le Président de la République a signé ce quel'on est convenu d'appeler un train de décrets-lois. Pourquoi cesdécrets-lois ?
Que contiennent-ils ?
Ils sont destinés à agir sur l'économie et sur les finances du pays.
Au début de la guerre, le 10 septembre dernier, je vous disais : «Derrière le front militaire dont l'importance est vitale, il y a unfront économique, financier et monétaire dont l'importance est vitaleaussi. »
Or, à ce jour, c'est une guerre économique que nous fait l'Allemagne.Son offensive navale est uniquement dirigée contre le ravitaillementdes Alliés.
Eh bien ! au bout de six mois de cette guerre, où en sommes-nous ?
Financièrement, nous avons tenu.
Economiquement, au contraire, nous glissions sur une mauvaise pente.
Car je vous dis la vérité en temps de guerre, comme en temps de paix ;rien n'est pire que le faux optimisme qui dissout les énergies.
Lesfinances d'abord.
Parlant l'autre jour aux Anciens Combattants, je leur disaisl'évolution satisfaisante de notre situation financière depuis le débutde la guerre ; les souscriptions sans cesse croissantes aux Bons quidépassent déjà huit milliards par mois. L'accroissement des dépôts dansles caisses d'épargne. L'excellente tenue des rentes sans aucunsoutien. Le redressement du franc sur le marché libre de New-York. Aces faits, je puis aujourd'hui en ajouter trois autres :
1° En janvier, en pleine guerre, le rendement des impôts a été, grâce àla taxe d'armement, et malgré une baisse profonde des recettesdouanières, de 300 millions supérieur à celui de janvier 1939 ;
2° Les souscriptions aux émissions du Trésor dans les bureaux de posteont été, pour la première quinzaine de février, très supérieures àcelles du mois de décembre tout entier ;
3° Pendant ce même mois de janvier, toutes les dépenses intérieures del'Etat ont été couvertes soit par l'impôt, soit par les souscriptionsde Bons.
En d'autres termes, ce que les techniciens appellent le circuit descapitaux s'est intégralement fermé en janvier.
Nousavons produit moins et consommé autant.
Ce n'est donc pas du côté financier que vient le péril, le mal qui nousguette c'est le mal économique, le plus redoutable de tous, celui de lahausse des prix. C'est la menace de la vie chère. Pourquoi la haussedes prix ? Il faut bien comprendre d'où vient le mal, si on veut lecombattre. Regardons les faits.
Deux faits dominent tout depuis la guerre : Premier fait : la Franceproduit moins. Deuxième fait : la France consomme autant.
La France produit moins parce qu'elle a 5 millions d'hommes mobilisés,les plus jeunes, les plus forts. Elle produit moins parce qu'une grandepartie de ceux qui restent, une grande partie des machines quitournent, travaillent pour l'armement. Or, ces hommes et ces machinesne produisent rien d'utile pour nous, rien pour nous nourrir, pour nousvêtir, pour nous chausser.
Par contre, si nous produisons moins, nous consommons autant. Celan'est pas vrai pour chacun d'entre nous, mais c'est vrai pourl'ensemble du pays, si l'on tient compte des immenses besoins del'armée, en nourriture, en vêtements, en transports ; la vérité estqu'au total la France consomme autant qu'elle consommait avant laguerre, et, pour certains produits, davantage encore.
Ici, j'ai une question à vous poser !
Produire moins et consommer autant, est-ce que cela peut durer ?
Cette question, le Gouvernement se l'est posée. C'est à elle querépondent nos décrets-lois.
Nousavons vécu avec nos réserves.
Jusqu'ici c'est en consommant une partie de nos réserves que nous avonsfait face à ce déséquilibre. Nous pouvions le faire, car nous avionsdes réserves. Réserves matérielles, réserves financières, réserve d'or,cet or qui est comme un chèque en blanc sur toutes les nations del'univers. Nous avons puisé dans toutes ces réserves. L'armée y a puisépar ses réquisitions. Elle a prélevé des chevaux, des camions, desmatières premières, des tissus, des chaussures. Notre cheptel est àreconstituer, nos réserves de charbon devront être accrues.
Non seulement nous avons puisé dans nos réserves ultérieures, mais nousavons fait appel à l'étranger. Pour y faire des achats, il a fallulivrer de l'or. Notre encaisse-or a été entamée. Si elle l'a été trèspeu, c'est que, pendant les trois premiers mois de guerre, nous avonseu des rentrées massives de capitaux. Mais vivre sur des capitauxrapatriés, c'est encore consommer une réserve.
Quel risque si le Gouvernement avait laissé les choses aller ainsi !
On ne peut pas indéfiniment, si la viande sur pied se fait rare enFrance, se borner à la remplacer par de la viande frigorifiée qu'onpaie en dollars, c'est-à-dire en or, et faire de même pour toutes lesdenrées et tous les objets que nous avions l'habitude de consommer entemps de paix et que nous produisons désormais en quantitéinsuffisante. Vous savez bien ce qui se produirait tôt ou tard.
Maintenantla hausse des prix a commencé.
Moins de choses à acheter en face d'acheteurs aussi nombreux, celaprovoque inéluctablement, automatiquement, la hausse des prix. Voilà lacause profonde de la vie chère. Nous voilà au cœur du sujet.
La hausse des prix a commencé à se produire depuis la fin de novembredernier. Je sais qu'elle angoisse chacun d'entre vous. Je voudrais vousdire que de tous les Français, celui qu'elle a angoissa le plus depuistrois mois, c'est le Ministre des Finances. Pour beaucoup d'entre vous,la vie chère représente un sacrifice de plus, une dépense coutumière àlaquelle on est obligé de renoncer, un train de vie pourtant modestequ'on est obligé de réduire encore.
Ecartonsle cycle infernal.
Pour le Ministre des Finances, s'ajoute au sentiment de ces souffrancesinnombrables qu'il n'ignore pas, croyez-le bien, une préoccupation plusgrave encore : celle de voir le pays entrer dans le cycle infernal.Savez-vous ce que c'est que le cycle infernal ? Je dois vous le dire,car si chacun de vous voit le danger, nous l'écarterons ensemble. Ledanger, c'est qu'on se dise un jour : « Les prix montent ? Tant pis.Relevons les salaires. » Eh bien ! admettons qu'on relève les salaires.Les ouvriers seront satisfaits, pensez-vous, du moins pour un temps.Mais les ouvriers ne sont pas seuls.
Les hommes aux armées ne mériteraient-ils pas, en même temps, uneaugmentation de leur prêt et de leur solde ? Et les familles desmobilisés ? Et les fonctionnaires ? Et les retraités ? Et lespensionnés de guerre ? Les paysans eux-mêmes n'auraient-ils pas droitdans cet ajustement général à une hausse des prix agricoles ? Et lespetits rentiers qui ont fait confiance à l'Etat ?
Imaginons, pour un instant, que l'on donne à tous satisfaction. Qu'ygagneraient-ils ?
Tous auraient plus de billets de banque dans leurs poches. C'estentendu, mais y aurait-il pour cela une côtelette de plus chez leboucher, une paire de chaussures de plus chez le cordonnier ?Evidemment non !
Alors ? Alors, cette nouvelle vague de billets de banque créerait unenouvelle vague de hausse des prix sans améliorer la situation depersonne et tout serait à recommencer. Voilà ce que serait le cycleinfernal.
Ce ne serait pas une chose nouvelle. Nous l'avons observé ailleurs, parexemple au lendemain de la dernière guerre, dans les pays de l'Europecentrale, où l'on en arrivait à changer les étiquettes dans lesmagasins plusieurs fois par jour.
Croyez-vous que l'ordre social serait maintenu ? Croyez-vous que lefinancement de la guerre resterait possible ? C'est pourtant à cela quenous conduirait la politique de facilité, celle de hausse des prix etdes salaires. Toutes ces conséquences, en est-il un seul parmi vous quiles accepte ?
C'est cela que le Gouvernement a voulu éviter en prenant les décretsqui ont été signés ce matin.
Laconvention avec la Banque de France.
Nous n'avons pris qu'un seul décret-loi d'ordre financier ; il approuveune convention avec la Banque de France. Cette convention a pour but demobiliser deux réserves pour nos paiements à l'extérieur et pour nospaiements à l'intérieur.
Pour nos paiements à l'extérieur, nous mettons de côté une fraction denotre trésor de guerre, de notre or, dont l'utilisation désormaissecrète échappera aux regards de l'ennemi.
Pour nos paiements à l'intérieur, nous avons tiré parti d'une réserveque le Trésor avait à la Banque de France et qui résultait du faitqu'en novembre 1938 le stock d'or avait été réévalué à un prixinférieur à sa valeur réelle. Je n'entrerai pas ici dans desexplications techniques, mais je le dis tout de suite au risque dedéplaire à la propagande allemande : la valeur du franc sera demain cequ'elle était hier et le montant des avances en francs de la Banque àl'Etat reste le même. Je vous rappelle, d'ailleurs, comme je vous l'aidit en débutant, que le rendement des impôts et les souscriptions auxBons ont été tels en janvier, que le circuit a été fermé.
La convention est donc, de ce chef, un acte de prévoyance. Elle nousmet en état de faire face à toutes les situations qui peuvent naître dela guerre. Mais, n'est-ce pas surtout en temps de guerre que gouverner,c'est prévoir ?
Voilà pour le domaine financier.
Tous les autres décrets-lois sont d'ordre économique. A cet égard, lesseuls remèdes, vous l'avez compris — il ne peut pas y en avoir d'autres— c'est de
restreindre la consommationet
d'accroître la production.
Lerationnement des civils.
Il faut avoir recours en même temps, à l'un et à l'autre de ces remèdes.
Celui auquel nous étions peut-être le moins préparés, c'est lerationnement de la population civile. La France est un pays riche.Notre peuple est habitué à ses aises. Les Français répugnent à tous lescontrôles, celui de la consommation plus que tout autre. Quand on a vule régime des cartes généralisé en Allemagne, on a dit volontiers cheznous que c'était pour eux un mauvais signe. Jamais nous ne verrons celachez nous, déclarait-on. Eh bien ! savez-vous qui devait se réjouir leplus de cet état d'esprit, savez-vous qui aurait souhaité le plus quenous persévérions dans cette erreur ?
N'en doutez pas, personne plus que M. Hitler.
Ce qu'il peut espérer de plus favorable pour lui, c'est que nous nousendormions dans nos habitudes du temps de paix. L'Allemagne nous livre,jusqu'à ce jour, une guerre d'une forme nouvelle, qui est une guerreéconomique, avec l'espoir t'atteindre par elle notre moral.
Latactique de M. Hitler.
L'Allemagne a fondé toute sa tactique sur l'idée que nous allonsépuiser nos réserves pendant qu'elle, grâce à des privations inouïes,conservera les siennes ou même les accroîtra, en tout cas, pourratenir. Réfléchissez. Si M. Hitler ne nous a pas attaqués, ce n'est passeulement par crainte d'un nouveau Verdun. C'est qu'il a unearrière-pensée.
Cette arrière-pensée, pourquoi ne pas la dénoncer publiquement ?N'est-ce pas la meilleure façon de déjouer son calcul ? M. Hitler neveut certes pas ménager la France. Dans son discours de Berlin du 30janvier, il a levé le masque. En parlant de sa victoire en Pologne, ila dit : « dégagé mon dos », ce qui nous montre bien vers qui maintenantil tourne les yeux. Parlant de la France, il a dit que sa sève vitalen'est vraiment plus très féconde. » Et il a ajouté qu'elle a trop deterre pour les hommes qu'elle porte et que « ce problème devra êtrerésolu, qu'il sera résolu exactement comme l'ont été-les problèmesintérieurs de l'Allemagne. »
Nous voici prévenus.
C'est à nous qu'il en veut, c'est à nous qu'il en a. Mais il attend.
« Peut-être dans quelques mois, peut-être dans un an, se dit-il, aulieu d'avoir devant moi une France unanime, aurai-je une Francedémoralisée. Les Français sont un peuple brave, mais indiscipliné.Jamais ils ne consentiront à se plier aux privations, qui sontinséparables d'une guerre longue.
« C'est là que je les attends, c'est là que je les aurai.
« Leur système craquera de l'intérieur, parce que lesrevendications se multiplieront dans les masses, parce que lesfaiblesses l'emporteront chez les chefs. »
Hitler est un agitateur révolutionnaire. Sous ses coups, troisRépubliques, sans compter celle de Weimar, ont déjà été effacées parlui de la carte de l'Europe. Il sait comment le désordre économique etfinancier blesse à mort une démocratie. Il croit que notre régimesignifie : « Retard, minimum d'efforts et maximum d'exigences. »
Avant de mettre en marche ses armées, il attend que nous tombions dansle piège qu'il tend à nos habitudes du temps de paix. Ce piège estdangereux. Pour y tomber, il aurait suffi que votre Gouvernementhésitât trop longtemps à vous demander de vous restreindre. Ilsuffirait que vous ne lui donniez pas tout votre concours M. Hitlernous croit incapables de nous organiser, de nous discipliner, de nousrationner. M. Hitler se trompe. Il vous suffira de lire lesdécrets-lois qui ont été signés ce matin pour en avoir la preuve.
Laseule répartition équitable.
Dans quelques jours, commenceront les formalités du recensement généralqui doit précéder la distribution à tous les Français de cartes deconsommation individuelle. Est-ce pour vous une bonne nouvelle ou unemauvaise nouvelle ? Allions-nous laisser les prix monter encore?Allions-nous laisser mettre aux enchères les produits de premièrenécessité, laisser les riches les accaparer parce qu'ils sont riches ?
Nous ne l'avons pas voulu. Des privations étant fatales, la seulerépartition équitable c'est celle du rationnement. Il n'y a pas dedifficulté technique qui nous empêchera d'aller jusqu'au bout de cettetâche.
En Angleterre, deux mois se sont écoulés entre le moment où lerationnement a été annoncé et le moment où il a pu fonctionner. Or, iln'y a eu, pendant cet intervalle, aucun stockage excessif chez lesparticuliers. Nous sommes sûrs qu'il en sera de même en France. Siquelques mauvais Français agissaient autrement, je voudrais leur direle mépris que m'inspirent leur intelligence et leur caractère. Commentpeuvent-ils penser que le pays pourrait gagner la guerre si tout lemonde faisait comme eux et comment peuvent-ils penser préserver leursituation personnelle si nous la perdions ? J'ajoute que les lourdespénalités qu'ils mériteraient sont prévues par le décret et leurseraient appliquées.
Autresrestrictions.
Dans les jours qui viennent entreront également en vigueur des mesures,dont je ne vous dis pas ici le détail, qui se complètent les unes lesautres.
Pourrions-nous, par exemple, fermer trois jours par semaine lespâtisseries, sans interdire trois jours par semaine également la ventede l'alcool ? D'autant plus que l'alcoolisme s'accroît en ce moment.Est-ce que la race française n'a pas le droit d'être défendue comme lesautres ?
Restriction du luxe alimentaire dans les restaurants, restriction de laconsommation privée de l'essence, car vous savez que l'essence c'est del'or, tous ces textes répondent à la même idée, au même besoin :réduire la consommation.
Ce programme de restrictions serait un triste idéal pour le temps depaix. Aujourd'hui, en temps de guerre, chaque privation est un acte,une pierre apportée à l'édifice, un coup porté à l'adversaire. Nousdevons donc ménager férocement nos réserves. Surtout celles quinous permettent d'acheter à l'étranger, car si nous connaissonsl'ampleur de nos besoins actuels, ce serait un crime de leur sacrifiernos besoins futurs, qui seront peut-être plus grands et plus graves.
Un décret resserre le contrôle des dépenses publiques, et d'accord avecle Haut-Commandement, organise la lutte contre le gaspillage jusquedans la zone des armées.
LaFrance doit produire plus.
Mais dépenser moins, consommer moins, cela ne suffit pas. Il fautproduire plus. Je ne parle pas, bien entendu, de l'armement. Dans cedomaine, notre effort s'intensifie chaque jour.
Je parle de la production nécessaire aux besoins de la vie civile,celle qui répond aux besoins fondamentaux du pays et à nos possibilitésd'exportation. De même, des exonérations utiles à la vie économique,notamment à la vie agricole, ont été décidées. Désormais, les piècesdétachées de machines agricoles entreront en franchise des droits dedouane sur le territoire français. Le budget prendra à son compted'autres charges qui eussent grevé les prix de revient agricoles,notamment en matière d'engrais. Les frais qu'impose l'immigration enFrance des travailleurs étrangers seront remboursés, et des primesseront accordées sur les ensemencements de printemps, vitaux pour notreéconomie.
Je crois pouvoir dire, en rappelant, par exemple, qu'en pleine guerre,nous avons mis en application le Code de la famille, si justementfavorable au monde agricole, qu'aucun gouvernement n'a jamais faitautant que le Cabinet Daladier pour la grande cause paysanne.
Quant à notre production industrielle, c'est surtout de main-d’œuvrequ'elle a besoin. Pourrions-nous continuer à recruter pour nos usinesles ouvriers agricoles de nos campagnes ? Ce serait courir un risquegrave qu'un décret-loi vient d'écarter.
L'appelaux femmes.
Nous avons décidé de faire largement appel aux femmes. Le Ministre duTravail établira la liste des industries qui seront contraintesd'employer un pourcentage minimum de main-d’œuvre féminine. Ilprocédera en même temps au recensement de toutes les ouvrières sansemploi. Et si le volontariat ne suffisait pas, nous n'hésiterions pas àavoir recours à un véritable service civil obligatoire.
Pour le développement de notre commerce extérieur, des ristournesfiscales pourront être accordées pour certaines exportations.
L'extensionde l'accord franco-britannique.
Dans un autre ordre d'idées, j'ai une nouvelle importante à vousannoncer. Vous vous souvenez de l'accord que nous avons signé le 4décembre dernier, le Chancelier de l'Echiquier et moi. Vous savez ceque contient cet accord : solidarité des deux monnaies, franc et livresterling ; faculté pour chacun des deux pays de s'approvisionner sanslimites dans l'Empire de l'autre.
Un décret publié ce matin complète cet accord en facilitant l'échangedes marchandises entre les deux pays et leurs colonies. Il supprime, eneffet, en pratique, la plupart des formalités que le contrôle deschanges impose à ces opérations commerciales.
Ainsi voit-on se créer dans un monde que la guerre a compartimenté plusétroitement que jamais, une zone immense où renaît la liberté deséchanges et des paiements.
Les Américains ne s'y sont pas trompés. Ils ont compris que ces accordsmonétaires et économiques étaient le germe de l'organisation future del'Europe. Leur sympathie nous est précieuse. Le champ d'application del'accord franco-britannique devra encore être étendu.
Dès à présent, nous disposons de l'arme qui servira après la guerre àreconstruire une Europe viable. Il ne s'agit pas seulement, en effet,dans notre esprit, d'un accord pour la durée des hostilités. Ce seral'un de nos bénéfices de guerre et non des moindres. Tous les jours,nos deux peuples se sentent plus près l'un de l'autre et, par-là, sesentent plus forts.
Côte à côte avec l'Angleterre, nous vaincrons.
Et la paix qui suivra notre victoire commune ne sera pas perdue commel'a été celle de 1918. Elle ne sera pas perdue parce que tout le mondecomprend que l'enjeu, cette fois-ci, est bien plus grand. Les pousséesd'impérialisme de l'Allemagne sont un mal chronique, mais quelledifférence entre l'Allemagne de M. Hitler et celle de Guillaume II !C'était en 1914, l'Allemagne du grand Etat-Major, des hobereaux, desgrands industriels ; c'était une riche bourgeoisie, un peuple buveur debière auquel l'âge donnait trois replis de graisse sur le cou. Couvranttout cela, un vernis de christianisme.
L'Allemagnedes loups affamés.
A l'Allemagne des loups gras a succédé l'Allemagne des loups maigres.Leur victoire serait non seulement la ruine de la France, mais la ruineet le martyre individuel de chaque Français. Tous les jours, nousrecevons des détails précis sur la manière dont ils traitent lespeuples qu'ils ont asservis. Pour trouver dans l'histoire des exemplesde ce qui se passe en Pologne où des familles reçoivent l'ordred'émigrer dans les deux heures, d'où un million d'hommes vont êtredéportés en Allemagne, pour y être assujettis à de durs travauxagricoles, il faudrait remonter aux Assyriens de la haute antiquité.
Nous savons maintenant ce qui nous attendrait. Cette guerre est dure,elle est perfide, elle est dangereuse comme une eau dormante. Le risqueest énorme et il n'est pas sensible. S'abandonner, ne fût-ce qu'uninstant, comme une sentinelle qui s'endort la nuit, ce serait toutperdre.
Assez de discours proclamant notre bon droit et leur mauvaise foi. Laguerre est une épreuve de force. Quand on entre en guerre, on s'enrapporte au jugement de la force. Notre ennemi s'est toujours trompésur les Français. Il s'imagine que nous n'avons plus de sève, que nousavons perdu la fierté de notre passé. Nous verrons bien. Il s'imagineque nous n'avons plus de ressort, ni de jeunesse, ni d'audace, ni degrandeur. Nous verrons.
PRÉSENTATIONDU GOUVERNEMENT
PAR PAUL RAYNAUD
PRÉSIDENT DU CONSEIL
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE DU 26MARS 1940
LA DÉCLARATION MINISTÉRIELLE
MESSIEURS,
La France est engagéedans la guerre totale. Un ennemi puissant, organisé,résolu, transforme en moyens de guerre, et concentre, pour triompher,toutes les activités humaines. Aidé par la trahison desSoviets, il porte la lutte dans tous les domaines et conjugue tous lescoups qu'il frappe, avec une sorte de génie de la destruction dont nousne méconnaissons point ce qu'il a de grandiose en même temps qued'odieux. Par le fait même, l'enjeu decette guerre totale est un enjeu total. Vaincre, c'est tout sauver.Succomber, c'est perdre tout. Messieurs, le Parlement,exprimant le sentiment national, a mesuré dans toute leur étendue cesterribles réalités. Aussi, le gouvernement qui se présente devant vousn'a-t-il pas d'autre raison d'être et n'en veut-il pas d'autre quecelle-ci : Susciter, rassembler, dirigertoutes les énergies françaises pour combattre et pour vaincre ; écraserla trahison, d'où qu'elle vienne. Grâce à votre confiance et avecvotre appui, nous accomplirons cette tâche. S'il nous fallait un autreréconfort, nous n'aurions qu'à compter les ressources immenses de lapatrie et de l'empire, nous n'aurions qu'à regarder, les yeux dans lesyeux, nos admirables alliés, nous n'aurions qu'à évoquer la vaillancede notre peuple, le labeur de nos ouvriers et de nos paysans, la forcede nos armées, l'ardeur de nos soldats, la valeur de leurs chefs, nousn'aurions enfin qu'à penser au génie éternel de la France. PRÉSENTATION DU GOUVERNEMENT AUPAYS
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE DU 26MARS 1940
Vendredi dernier, j'ai présenté mon gouvernement au Parlement, comme ilse doit. Aujourd'hui, c'est à vous, c'est au peuple de France que jeveux le présenter.
Je le ferai en quelques mots, car, vous le savez, c'est seulement demes actes que j'ai l'habitude de vous parler.
Au moment où j'ai accepté la lourde charge de succéder au présidentDaladier, à qui la France doit tant, une seule idée m'a conduit :quelle formation ministérielle donnera au gouvernement le plus de forcepour agir ? Car, je vous l'ai dit souvent, la guerre est une questionde force. J'ai souhaité l'unanimité et j'ai offert à des hommes de tousles partis de collaborer au pouvoir. Cette unanimité viendra, mais cen'est pas par des habiletés que nous entendons l'obtenir, c'est par lesrésultats de notre action.
En attendant, si, en pleine guerre, la France avait donné le spectacled'une de ces cascades de gouvernements, cascades déjà néfastes en tempsde paix, c'est alors que la propagande ennemie aurait dénoncé lafaillite de notre démocratie et l'impuissance de notre régime.
Le vrai risque n'était d'ailleurs pas de fournir à l'ennemi ce thème depropagande : c'était de favoriser l'exécution de son plan. Il joue,vous le savez, notre désagrégation intérieure qui lui permettraitensuite une action militaire au moindre prix.
Ah! s'il avait pu voir émerger d'une série de crises ministérielles ungouvernement sans vigueur, coupé des masses de la nation et incapabled'entraîner le pays, alors, l'heure de M. Hitler eût sonné.
Ce danger est écarté. Il s'agit maintenant de gouverner.
J'ai constitué, au sein du gouvernement, un cabinet de guerre de neufmembres : c'est assez pour délibérer, ce n'est pas trop pour agir. Nosdécisions seront mûries, nos actes seront prompts.
Nous avons créé l'instrument nécessaire. Nous allons nous en servir.
Fairela guerre dans tous les domaines.
Pour quelle politique ?
Vais-je vous parler, une fois de plus, des raisons pour lesquelles noussommes entrés en guerre et des buts que nous voulons atteindre? Non,car ces raisons et ces buts vous ont été souvent exposés.
Ils s'imposent à nous comme à nos prédécesseurs ; l'objectif est restéle même : vaincre l'ennemi.
L'heure que nous vivons est décisive. Au cours des longs siècles denotre histoire, il y en a eu peu de semblables.
La situation est claire et simple : En mars 1936, la Reichswehr estentrée en Rhénanie ; En mars 1938, elle est entrée à Vienne ; En mars1939, à Prague, puis à Memel; En septembre 1939, à Varsovie, dépeçantla Pologne avec la complicité des Soviets. Et, comme le crime suscitele crime, ce fut l'agression soviétique contre l'héroïque Finlande etle traité d'oppression qui a suivi.
A l'heure où je parle, tout est mis en œuvre par M. Hitler pours'attaquer à l'indépendance économique des Etats des Balkans. Bref,sous nos yeux, par tous les moyens, tend à s'établir sur une grandepartie de l'Europe, l'hégémonie du Reich.
Si nous laissions l'ennemi, agrandi par ses conquêtes, organiser unetelle masse aux ordres d'un tel régime, c'en serait fait de la liberté,c'en serait fait de la France.
Devant une pareille menace, nous n'avons plus qu'à écouter le vieilinstinct des ancêtres : celui qui inspira la monarchie dans la luttecontre Charles-Quint, celui qui dressa la nation révolutionnaire devantles Impériaux de 1792, celui qui fit triompher la France républicainede l'Allemagne de Guillaume II.
Le devoir du gouvernement est clair : faire la guerre, la faire danstous les domaines.
Lasituation militaire.
Dans le domaine militaire, où en sommes-nous ? Depuis sept mois quedurent les hostilités, la France a défié l'invasion. Pourtant, combiende guerres dans notre histoire ont commencé par le recul de nos armées! Or, jusqu'à ce jour, et pour la première fois, l'ennemi n'a pas tentéde nous écraser au départ.
A tout moment, nous le savons, cette situation peut changer. Mais unfait est acquis : la France, qui se trouva maintes fois découverte,surprise et envahie, n'a été, cette fois, ni envahie, ni surprise, nidécouverte.
Cette forte armature permet aux chefs de nos armées de protéger lapatrie tout en ménageant le sang des soldats.
Mais cela suffit-il pour gagner la guerre ? Non !
Car, vous le savez bien, dans cette guerre de peuples,il est impossible de circonscrire l'effort dans aucundomaine.
LesArmements.
Dans celui des armements, si vous voulez mesurer l'immensité de latâche nécessaire, songez que la Grande Armée de Napoléon Ier a faittoutes ses campagnes avec un seul modèle de fusil et deux modèles decanons ; elle n'a jamais compté plus de 600.000 hommes ; elle n'a pastiré au total, sur tous les champs de bataille, plus d'un million deboulets. C'était le temps de la guerre des armées.
Déjà, dans la guerre de 1914, on tira un milliard d'obus. Aujourd'hui,c'est par milliards que l'on consommera des projectiles. Et nos arméesont besoin de canons, de chars d'assaut, de navires de guerre et ausside ces avions qui se démodent d'une année à l'autre.
Imaginez l'intensité de l'effort industriel, la quantité énorme dematières premières, le nombre des bras au travail, l'activité destransports qui sont nécessaires pour ces gigantesques fabricationsd'armes.
Partoutil faut des hommes et du travail.
Et, dans le même temps, il faut que le pays continue à vivre. Il y aune guerre à mener sur le terrain agricole comme sur le terrainmilitaire. La terre aussi réclame des hommes comme les usines et commeles armées.
Notre exportation, si nécessaire pour effectuer nos paiements àl'étranger, réclame des hommes elle aussi. Partout il faut des hommes,partout il faut du travail.
C'est pourquoi chacun doit servir. L'un au combat, un autre à l'usine,un troisième aux champs. Le rôle du gouvernement est de mettre chacun àsa place. Ce rôle, il est résolu à le remplir. Quiconque en ce temps deguerre, dans les administrations publiques ou ailleurs, aura gardé lerythme de travail du temps de paix, est en faute contre le pays.Aujourd'hui, ce qui est normal est insuffisant.
Quant à ceux qui se mettraient en travers de ce grand effort national,ils seraient broyés.
Notresalut est entre nos mains.
Oui, cette guerre sera dure. Il nous faudra durement combattre,durement travailler, durement souffrir. Il en est parmi vous qui m'enont voulu des mesures que nous avons dû prendre, il y a plusieurs mois,dans l'ordre économique. Si je l'ai fait, ce n'est pas que je n'ai pasressenti les sacrifices douloureux que j'imposais. Et il m'en a coûté.Cependant, avions-nous tort ? Ceux qui n'ont pas compris alors,comprennent aujourd'hui.
La guerre est venue et, avec elle, de plus lourds sacrifices. Cettedure guerre, nous la gagnerons. Les ressources unies des deux plusgrands empires du monde leur garantissent la victoire, à la conditionqu'ils veuillent et sachent les mettre en œuvre totalement.
Avant même la victoire militaire, nos succès diplomatiques dépendrontavant tout de notre force, du nombre de nos chars, de nos canons, denos avions. Et ces chars, ces canons, ces avions dépendent eux-mêmes denotre volonté de travail, de notre résolution morale, de la capacité desouffrir et de vouloir de tous les Français, ceux de l'arrière commeceux de l'avant. L'avenir dépend donc de nous. Notre salut est doncentre nos mains.
Nous allons vers l'épreuve la tête droite, préparés non à la subir maisà la maîtriser, avec une âme de guerriers, avec une âme de vainqueurs.
CEQU’UN ÉCRIVAIN PENSE DE LA SITUATION
PAR JULES ROMAINS
DISCOURS PRONONCÉ AU DÉJEUNER
DE L’AMERICAN CLUB DE PARIS,
LE 11 AVRIL 1940
M
ONSIEUR LE P
RÉSIDENT, M
ESSIEURS,
Vous m'avez fait l'honneur, que je ressens vivement, de m'inviter àprendre la parole devant vous. Ce n'est pas à vous que j'ai besoin derappeler que je suis un ami et un admirateur éprouvé des Etats-Unis, etquelle importance j'ai toujours attachée à l'opinion américaine. Déjà àla fin de 1915, au plein milieu de l'autre guerre, quoiqu'encore bienjeune et sans autorité, j'adressais au public américain une espèce delong message, où j'essayais non de « compromettre sa neutralité », maisde lui expliquer la situation tragique du vieux monde, et de luiindiquer vers quel avenir il fallait aider le vieux monde à s'orienter.Cela s'intitulait : « Pour que l'Europe soit ». Je puis y penser sansrougir.
Aujourd'hui, évidemment, comme je suis avant tout un écrivain, jepourrais profiter de la circonstance pour vous parler de littérature.Le roman, la poésie, le théâtre, ne manquent pas de nous offrir, même àl'heure qu'il est, des problèmes pleins d'intérêt, plus durables qued'autres par leur essence. Peut-être même serait-ce un moyen de vousfaire plaisir, en vous distrayant des soucis actuels. Je pourraisaussi, et cela, en ce moment, ne serait certes pas superflu, attirervotre attention sur la situation de l'esprit dans le monde, sur lespérils spéciaux qu'il court, sur la sauvegarde qu'il importe de luiassurer.
Tant pis ! Je vous parlerai de la situation commune. Ce n'est pas quel'opinion d'un écrivain sur le sujet ait des chances d'être bienparticulière. C'est même une des étrangetés de ladite situation. Aufond tout le monde est du même avis. La seule particularité del'écrivain, c'est un certain entraînement à dire tout haut même ce queles gens pensent tout bas ; une certaine habitude de l'impolitesse. Onn'attend pas de lui les mêmes précautions que d'un ministre ou que d'unarchevêque. On lui pardonne, comme on dit, de « mettre les pieds dansle plat ».
Je me rappelle avec acuité ce qu'était l'opinion dans les années 14-18.Les gens, tout en faisant souvent très bien, et avec courage, et avechéroïsme, ce qu'ils avaient à faire, pensaient et disaient un nombreincroyable de bêtises. Naturellement, l'homme de la rue se chargeaitpour son compte d'en dire beaucoup. Mais les hommes très haut placés endisaient presque autant. Il était donc bien difficile d'être de leuravis, quand on avait pris le mauvais pli de chercher à voir les chosesaussi exactement que possible.
Depuis le début de cette guerre-ci, j'ai causé de la situation avectoutes sortes de gens : avec de petits employés de magasin ou de banque; avec des ouvriers, des chefs d'entreprises ; avec des paysans deTouraine ou du Massif Central ; avec des hommes politiques, avec desécrivains ; avec des soldats des forteresses ou des petits postes despremières lignes ; avec leurs officiers ; avec des généraux chefsd'armée, avec des gens du Grand Etat-Major. Il n'y a guère que les gensdu monde, de deux ou trois salons parisiens, dont je n'ai pas songé àrecueillir l'avis. Eh bien ! vous pouvez refaire vous-mêmesl'expérience. Tous ces hommes si -divers voient l'ensemble de lasituation de la même façon, portent les mêmes jugements surl'essentiel, envisagent l'avenir sous un jour très analogue. Et, choseencore plus extraordinaire, je ne leur ai pas entendu dire une seulebêtise vraiment caractérisée.
A quoi cela tient-il ? A une merveilleuse inondation d'intelligence quise serait produite, ces années-ci, à travers toutes les couches dupeuple français ? Je ne suis pas si optimiste. Certes, j'ail'impression que les gens sont moins bêtes qu'il y a vingt-cinq ans.Ils savent plus de choses, et les savent mieux. Ils ont plus de senscritique. Leurs malheurs les ont dégoûtés de certaines formescomplaisantes, oratoires, ou béates, de la sottise. Mais la causeprofonde n'est pas là. Elle est surtout dans l'évidence de la situation.
Evidence saisissante, presque invraisemblable, et d'une simplicité dontil n'y a peut-être pas, dans l'histoire, de précédent.
C'est par cette évidence, par la simplicité de cette évidence, que jem'explique d'autres expériences que j'ai faites. Je ne parle pas desétrangers amis que nous pouvons rencontrer en France, et que notreatmosphère est susceptible d'influencer. Je suis sorti de France. Jesuis allé dans des pays qui sont encore ce qu'on appelle des paysneutres. J'ai causé spécialement avec des journalistes, desintellectuels, des hommes politiques. J'ai eu avec des hommes d'Etatresponsables des entretiens longs et confidentiels. Ils seraientprobablement très furieux si je rapportais leurs propos, et je m'engarderai. Mais ce que je puis dire, c'est que, avec plus d'informationsqu'un paysan de Touraine ou qu'un soldat de la ligne Maginot, ilspensent la même chose sur le fond de la question. Qu'est-ce quej'appelle le fond de la question? Eh bien, ce qui tient dans ces deuxaffirmations principales :
1° La responsabilité d'avoirvoulu et déchaîné la guerre repose entièrement sur l'Allemagnehitlérienne ;
2° Une victoire de l'Allemagne serait une catastrophe pour l'Europe etle monde entier.
Aucun rapport sur ce point, Messieurs, malgré l'apparence, avec lasituation de 14. Vous vous souvenez. En ce temps-là, quand ons'entretenait avec des esprits impartiaux et informés, ilsreconnaissaient que la cause des Alliés était meilleure, tout comptefait, que celle de leurs adversaires, et que leur victoire étaitsouhaitable pour l'ensemble du monde civilisé. Mais, à tort ou àraison, ils apercevaient dans cette cause des éléments impurs. Ilsn'admettaient pas facilement que l'empire des Tsars fût devenu lechampion qualifié des libertés démocratiques, ni que la politique decet empire, avant la guerre, eût été à l'abri de tout soupçon. Ilsinsinuaient volontiers que la guerre du droit était aussi pour une partune lutte d'impérialismes. Les buts des Alliés, non plus, ne leursemblaient pas tous d'une limpidité parfaite.
Aujourd'hui, rien de pareil. La question de la responsabilité ne sepose même pas. En tout cas, je ne l'ai entendu poser par personne. Lesseuls reproches que j'ai recueillis se ramènent à ceci : « Vous avezété d'un aveuglement et d'une faiblesse impardonnables. Il fallaitarrêter Hitler dès le début ».
Ceci me rappelle, Messieurs, le voyage que j'ai fait aux Etats-Unis aumois de Mai dernier. Presque chaque jour, j'eus à supporter un rudeassaut, et à défendre dans les conversations la France et laGrande-Bretagne. C'est aussi à les défendre que je consacrail'essentiel du discours que je prononçai à New-York, au grand banquetdes P.E.N. Clubs, où assistait toute l'élite de la sociéténew-yorkaise. Les défendre contre quoi ? Contre le fait qu'ellesn'étaient pas encore en guerre, et qu'elles n'avaient pas encore saisiM. Hitler au collet.
Oui, tout le monde reconnaît, pour nous le reprocher, ou simplementpour nous plaindre et admirer notre mansuétude, que nous avons fait lepossible et l'impossible pour sauverd la paix, pour la prolonger,comme d'honnêtes médecins qui ne veulent jamais admettre que le maladesoit perdu.
De même pour nos buts de guerre : ils sont d'une simplicité etd'une transparence enfantines. On nous dit quelquefois qu'on ne lesaperçoit pas assez nettement. Oh ! ce n'est pas pour les suspecter. Onsait très bien que nous ne songeons pas à conquérir des territoires, àdévorer d'autres peuples, et que pas un homme de chez nousn'accepterait de se battre une minute pour ces buts-là. On sait bienque nous faisons cette guerre malgré nous, sans la moindre velléitéimpérialiste. Mais on craint que nous n'allions un peu à l'aveugle,sans même nous être mis d'accord entre nous sur les buts indispensablesà' atteindre.
C'est, me semble-t-il, que l'on confond les buts et les moyens. Lesbuts, ou plutôt le but, il n'est pas difficile à formuler : faire quel'Europe redevienne un pays habitable, où les peuples puissent vivre ettravailler côte à côte ; un brave village où les honnêtes gens nesoient plus, obligés de se barricader, et de dormir — d'un œil — avecdeux ou trois pistolets sous leur oreiller et sur leur table de nuit.Faire aussi que cette situation puisse durer, et que - pour employer lelangage des soldats - on n'ait pas à « remettre ça » encore une foisdans vingt ans, ou dans dix ans. C'est tout.
Le reste, ce sont les moyens. Le premier de ces moyens, c'est lavictoire, cela va sans dire. Et une victoire complète. Nous voudrionsen faire l'économie. Mais rien malheureusement ne peut la remplacer.
Il ne faut pas se reporter aux guerres d'autrefois. Il est bien vraique dans la plupart des guerres d'autrefois la paix raisonnable, lapaix la meilleure, était celle qui ménageait le plus possible les deuxadversaires, donc qui se rapprochait le plus d'une paix de compromis.Parce que, dans ces cas-là, il s'agissait d'une guerre entreadversaires si je puis dire « normaux », vivant sur des principes demoralité équivalents, des adversaires dont aucun ne s'était mis enmarge d'une certaine société des peuples civilisés, que ne réglait sansdoute aucun code positif, et qui n'empêchait pas dans son sein bien desmanquements ou même des crimes, mais qui n'en tenait pas moins tous sesmembres par des liens d'honorabilité très forts.
Aujourd'hui le cas est tout autre. Il y a une comparaison dont on s'estbeaucoup servi, mais il faut toujours y revenir, parce qu'elle estd'une justesse parfaite. Vous êtes payés pour savoir, Messieurs, quechaque fois que les honnêtes gens d'une ville, ou d'un Etat, ontessayé, pour limiter les frais, de faire une paix de compromis avec lesgangsters, le résultat n'a pas été excellent. C'est une mauvaiseaffaire que de signer avec Al Capone en le menaçant de lui retirernotre estime s'il ne se conduit pas à l'avenir comme un gentleman.Parce qu'Al Capone se moque complètement de sa signature et de notreestime.
Les autres moyens sont relativement secondaires. On a parfaitement ledroit de différer d'avis à leur sujet, et surtout de modifier ses vues,à mesure que les événements se développent de telle ou telle façon.Tenez, par exemple, en Septembre, même en Octobre dernier, il n'étaitpas du tout absurde de compter sur une révolte spontanée du peupleallemand contre ses maîtres actuels. Des gens sérieux nous avaient dit: « Vous verrez. Ce n'est pas si solide que cela... » Et tous leshommes généreux, de France et de Grande-Bretagne, le souhaitaient detout leur cœur. Evidemment, si cela s'était produit, la paix en auraittenu compte. Il aurait été juste que le peuple allemand, tout en payantses fautes, fût aussi payé du courage, un peu tardif, qu'il aurait misà les racheter. Soyons gentils ! Si cela se produisait encoremaintenant, je veux dire tout de suite et avec éclat, nous nousdéfendrions mal d'un mouvement d'indulgence et de sympathie, quipourrait encore changer bien des choses à notre conception des moyensmatériels de maintenir et de garantir la paix future. Mais plus seprolongera la fidélité du peuple allemand aux maîtres effroyables qu'ila tirés de son sein, plus il sera difficile de ne pas le considérercomme un peuple foncièrement dangereux, envers lequel des précautionsexceptionnelles et continues sont indispensables.
Autre exemple : imaginez qu'au début de Septembre tous les peuplés del'Europe actuellement neutres se soient levés d'un élan, et aientproclamé : « Il est de toute évidence que ce qui est déjà arrivé àl'Autriche et à la Tchécoslovaquie, que ce qui arrive maintenant à laPologne, nous menace tous. Donc, en acceptant de faire une guerre depolice, qu'elles n'avaient pas du tout envie de faire, la France et laGrande-Bretagne se battent pour nous. L'agent de police qui se bat pourdésarmer le bandit qui vient de piller et d'assassiner les gens dutroisième étage, se bat évidemment aussi pour les gens du deuxième etdu quatrième. Pour diverses raisons, nous ne croyons pas pouvoir entrereffectivement, du moins tout de suite, en guerre avec l'Allemagne. Maisnous déclarons hautement que nous sommes pour la France et laGrande-Bretagne, que leur cause est la nôtre. Nous rompons toutesrelations diplomatiques avec l'Allemagne. Nous refusons de laravitailler. Toutes nos ressources doivent naturellement aller auxdéfenseurs de l'ordre et de la moralité publique. Et si l'Allemagneattaque l'un de nous, cette fois plus d'hésitations ! Nous marchonstous. Et à Dieu vat ! on ne fait pas de police sans risques. Onn'éteint pas d'incendie sans risques. »
Eh bien, si les neutres d'Europe avaient tenu ce langage, eu cetteattitude, pris ce risque, non seulement ils auraient raccourci laguerre, ils l'auraient peut-être fait avorter, et du même coup seseraient sauvés eux-mêmes, mais ils se seraient acquis le droit de nousdonner éventuellement des conseils. Lorsqu'il s'agira de fixer lesmoyens et garanties d'une paix durable, ils auraient eu voix auchapitre. Mais, n'est-ce pas, il serait trop commode de dire au momentde la bataille « Cette affaire ne me concerne pas. Qu'ils sedébrouillent ! » et de venir s'écrier au moment de la délibération : «Ah! Pardon ! Cela m'intéresse beaucoup. J'entends que rien nese fasse sans moi. »
A ce propos, puisque nous sommes entre amis, et que je suis ici pourvous dire toute ma pensée, il faut que je vous fasse un aveu. Il y aune chose dont je ne me console pas ; et cela, non pas d'un point devue français, mais d'un point de vue philosophique et humain, du pointde vue d'un écrivain habitué à réfléchir à l'aventure de l'homme surcette planète. Je me serais consolé, soit, au moins danscertains cas, d'une
non belligérancede fait. Je ne me console pas de cette neutralité affichée, dès ledébut de la guerre, criée sur tous les toits, de cette neutralité deplus de vingt Etats de l'Europe, pendant que deux ou trois autresacceptaient de se battre pour le salut commun. Ce n'était pas beau. Cen'était pas malin non plus — comme les événements ne cessent de nous enfournir la preuve.
Dites ! comment expliquez-vous qu'en 14 une cause, qui était bonne,mais qui n'était pas entièrement pure, ait provoqué assez rapidementl'enthousiasme et l'adhésion active d'un très grand nombre de peuples,et que cette fois, une cause entièrement pure, qui estincontestablement la cause commune, ne suscite que des attitudeségoïstes et prudentes, et l'affirmation cent fois répétée : « Nous nebougerons pas! A aucun prix! » Il faut croire que les réflexes del'humanité se sont bien affaiblis depuis vingt ans. Et c'est mauvaissigne. Car il ne s'agit pas seulement de réflexes de moralité. Ils'agit de réflexes de vitalité. Quand l'organisme d'une civilisationdevient, en face d'immenses périls, incapable de réactions appropriées,cela est de nature à justifier un sombre pronostic. Et si, enparticulier, en face des événements nouveaux qui se sont produits cestrois derniers jours, le monde entier, je dis le monde entier, continueà se montrer incapable de réactions, c'est décidément que le mondeentier ne se porte pas très bien.
Oh ! je sais, la pratique de la neutralité offre bien des facilités etdes tentations, par les avantages immédiats qu'elle procure. Et celadans tous les ordres. J'en ai fait moi-même, modestement, l'expérience.On m'a reproché de divers côtés, comme Président international desP.E.N. Clubs, d'avoir pris parti. On m'a fait observer que la missiondes P.E.N. Clubs était de défendre les droits spéciaux de l'esprit, etnon de se mêler aux luttes qui déchirent le monde. Oh ! oui. J'auraispu me contenter de quelques mandements lénifiants — qui m'auraient valul'applaudissement de tous ceux qui craignent la bagarre. Mais j'aiestimé que c'était précisément le sort de l'esprit qui était en jeu.Quand tous les peuples auront été réduits en esclavage, et que tout cequi se dit et s'imprime sera contrôlé par des succursales de laGestapo, il sera bien temps de réclamer pour les écrivains et lesintellectuels la liberté de penser, d'écrire et de communiquer àtravers les frontières.
Mais parlons un peu de l'avenir. De l'avenir proche. De l’avenir un peuplus lointain.
A mes yeux, pour ceux qui ne sont pas entrés dans la lutte, qui ne sontpas encore entrés dans la lutte, le problème du proche avenir se poseainsi : la France et la Grande-Bretagne sont obligées de vaincre. Ellesy mettront le temps qu'il faudra. Mais ce temps n'est pas indifférent,ni à elles-mêmes, ni à l'ensemble de la civilisation. Si la guerre duretrop, la civilisation ne s'en relèvera pas. Mais comme il n'est pasquestion que la guerre finisse avant que la France et laGrande-Bretagne aient obtenu la victoire pour le compte de tous, ilfaut que le monde entier trouve le moyen de les aider à raccourcir letemps nécessaire à la victoire. Ce que je viens de vous dire là n'estpeut-être pas très diplomatique. Mais c'est vrai. Le reste n'est queverbiage ou pharisaïsme.
Un mot de l'avenir un peu plus lointain, de celui qui devra s'installeraprès la victoire.
Sur ce point, mon avis n'a pas foncièrement changé depuis 1915. Il nousfaut avant tout une Europe, une Europe organique. Une des principalescauses de l'échec de la Société des Nations, c'est qu'elle a essayé dese construire sans que d'abord l'Europe fût construite. Et pour seconstruire la Société des Nations a voulu se contenter de principestrop abstraits et de formules trop purement juridiques. Elle n'a pasfait assez de confiance ni de place à la vie, et aux arrangementsspontanés de la vie. Nous l'avons défendue tant qu'elle a gardé unsemblant d'existence réelle. Mais il serait fou de prétendre laressusciter demain sans tenir compte de son échec.
Que l'ordre du monde se fasse avec des tâtonnements, des imperfections,des concessions à l'illogisme de la vie et à l'empirisme. Mais qu'il sefasse ! Car le monde ne peut plus se passer d'ordre.
Je vous ai dit ce qui m'a surtout navré dans ces premiers mois deguerre. Je vais vous dire ce qui m'a un peu consolé, la chose, la seulechose peut-être qui m'ait donné bon espoir pour l'avenir : c'estl'union, de plus en plus étroite et profonde, de la France et de laGrande-Bretagne. Parce que je suis Français ? Parce que je suis ami dela Grande-Bretagne ? Non; ou pas seulement pour cela. Mais commecitoyen de l'Europe et citoyen du monde. Ce que je souhaite, ce quej'espère, pour demain, c'est une fédération, au sens complet du mot, dela France et de la Grande-Bretagne ; et c'est, autour de ce puissantnoyau, la cristallisation progressive, aussi rapide que possible, d'unefédération européenne. Cela, ce n'est pas de la théorie, ce ne sont pasdes plans de juristes. C'est de la réalité. C'est de la spontanéitévivante. Cela rentre dans les procédés traditionnels de la vie.
Messieurs, la France et la Grande-Bretagne auront durement mérité cethonneur, cette charge, de servir d'épine dorsale à une nouvelle Europe.Elles l'auront mérité, en sauvant pour toute l'Europe la démocratie, laliberté, la dignité de l'être humain. Et il ne faut pas que cetOccident franco-britannique, si riche d'expérience politique, hésite àprendre, parmi des peuples plus faibles, plus jeunes, ou nantis d'uneexpérience plus courte, la responsabilité du frère aîné. Au fond, lespetits peuples, et les jeunes peuples, qui ont appris à leurs dépens ceque coûte l'égoïsme ou la pétulance anarchique, ne demandent que cela.Ils savent bien que de ce frère aîné ils n'ont rien à craindre. Il apassé l'âge des ambitions puériles et de l'orgueil malfaisant.
Et quand ce frère aîné aura en Europe fait l'essentiel de sa besogne derassemblement fraternel et institué sa police des honnêtes gens, il mesemble qu'il pourra se tourner vers les Etats-Unis d'Amérique et leurdire :
« Nous sommes d'accord, n'est-ce pas, sur tous les points, sur tout cequi compte dans la vie. Nous voulons que tous les peuples, de toutesles races, vivent heureux et libres. Nous croyons à la vertu du travailet de la paix. Nous voulons que la condition de l'homme, de tous leshommes, jusqu'aux profondeurs du peuple, s'améliore, grâce à latechnique, et aux échanges aussi abondants et libres que possible, dansl'ordre de la matière et dans l'ordre de l'esprit. Alors donnons-nousla main. Et faisons ce qu'il faut aussi pour étendre à toute la planètela police des honnêtes gens. »
Réf. :
Réponse à ceux qui nous demandent pourquoi nous faisons laguerre et pourquoi nous ne la faisons pas : Allocution prononcée le 14décembre 1939 par M. Jean Giraudoux, Commissaire général àl'Information, au déjeuner de l'American club, à Paris.- Paris, impr. de Dumoulin, [s. d].- 16 p. ; 13 cm.- [Bm lx : R 454 br].La France en armes : allocution radiodiffusée prononcée par M. RaoulDautry, Ministre de l’Armement, le 21 Décembre 1939.- [S .l. :S.n.,s.d.].- 14 p. ; 13,5 cm. [BmLx : R 456 br]. Pour l'avenir français allocution radiodiffusée prononcée le 22 février1940 par Jean Giraudoux.-[S.l.] : [s.n.], [ca 1940].- 14 p. ; 13 cm. [Bm Lx : R 455 br]. Une Arme de guerre : le Rationnement parPaul Reynaud, Ministre desfinances : Allocution radiodiffusée le 29 février 1940.- [S.l. :S.n.,S .d.].- 28 p. ; 10,5 cm. [Bm Lx : R 458 br].
Présentation du Gouvernement par PaulRaynaud, Président du Conseil :Allocution radiodiffusée du 26 mars 1940.- [S.l. : S.n., S.d.].-12 p.; 10,5 cm. [Bm Lx : R 457 br].
Cequ’un écrivain pense de la situation par Jules Romains : discoursprononcé au déjeuner de l’American Club le 11 avril 1940.- [S.l.:S.n., S.d.].- 21 p. ; 10,5 cm. [Bm Lx : R 459 br].