Aller au contenu principal
Corps
Jules Vallès par Gustave Courbet
Jules VALLES, journaliste et romancier né auPuy-en-Velay le 11 juin 1832 et décédé àParis le 14 février 1885.
Oeuvres principales : L'Enfant (1879), Les Blouses (1881), Le Bachelier (1881), L'Insurgé (1886),...
Les textes présentés sur cette page, d'abord publiés dans divers journaux entre 1867 et 1869 (La Rue, Le Corsaire), sont extraits du recueil : Les Enfants du Peuple / Jules Vallès, préf. par Julien Lemer.-Paris : La Lanterne, 1879.- XXXIX-244 p. ; 19,5 cm.

texte établi d'après l'édition de1879 sur un exemplaire de l'édition en fac-simile deséditions du Lérot (Tusson, 1987). 

Mazas : "Nous parlerons de la prison etpoint du prisonnier, non d'un coupable, mais d'un supplice. Je connaisMazas. Il y a de cela pas mal d'années, nous fûmes,quelques amis et moi, arrêtés. Ce n'était la fautede personne. Un pauvre garçon nous avait dénoncéscomme complices de je ne sais quelle conspiration, et l'on nousconduisit en prison. Renseignements pris, le juge d'instructionreconnut que notre accusateur n'était qu'un fou. Depuis lecollège où nous avions été ses camarades etoù nous nous mettions quelquefois à dix pour le maintenirdans ses accès, il était en proie à des attaquesd'épilepsie et de délire ; lui-même avoua sa folie: on nous relâcha. Mais nous avions passé làquelques semaines, et entendant parler ces jours-ci prison etprisonnier, il m'est revenu à la mémoire quelques-unesdes sensations que j'éprouvai dans la cellule et entre les mursdes promenoirs..."

Hernani : "Je m'étaisposté au café même du théâtre,où le patron m'avait donné la meilleure place : il mevoyait venir autrefois avec Gustave Planche, au temps où lepauvre homme commençait à souffrir du mal qui devaitl'emporter et où je soutenais sur mon bras de vingt ans savieillesse précoce. J'aperçus, à deux tables plusloin, Toussenel qui venait aussi et qui est resté unhabitué : ce bon Toussenel, toujours simple et modeste, en tenued'officier retraité, chapeau de feutre mou, redingoteboutonnée, moustache et barbiche blanches. Nous causâmesune minute du passé, mais une minute seulement ; il étaitsept heures et l'on allait jouer Hernani..."

L'Art populaire : "L'art, à monsens, peut diriger les destinées d'un peuple. Il estl'inspirateur souverain des sentiments qui entraînent lesdéfaites méritées ou les victoires justes. C'està ceux qui s'occupent des choses de l'esprit qu'appartiennent latâche et le pouvoir de faire un peuple libre. Mais l'art actueln'en est pas là. Il est encore aristocrate à safaçon, faiseur de cérémonies, esclave d'uneétiquette qui est à la fois une injure àl'ignorance de la foule et au caractère de l'artiste..."

Charles Baudelaire : "On meprésenta à lui. Il clignota de la paupière commeun pigeon, se rengorgea et se pencha : - Monsieur, dit-il, quand j'avais la gale... Il prononça gale comme les incroyables disaient chaamant,et il s'arrêta. Il avait compté sur un effet et croyait letenir tout entier avec son début singulier. Je luirépondis sans sourciller : - Êtes-vous guéri ?.."

Chers parents : "C'est le momentoù vous discutez dans les familles, autour de la table et surl'oreiller, l'avenir de vos enfants ! De tous ces moutards en tuniquede collége et de ces garçons, frais bacheliers quirôdent ces jours-ci à travers les rues, qu'allez-vousfaire ? C'est la rentrée demain dans les lycées,bientôt dans les écoles ; l'heure est décisive etle moment grave, plus grave qu'on ne pense ! J'en ai tant connu de cespauvres garçons qui ont mal fini parce qu'on les fit malcommencer ! Ce n'était point leur faute, mais celle des hommesqui, chargés de diriger leurs premiers pas, les jetèrenttout petits dans le chemin qui conduit tout de suite à lasouffrance et plus tard quelquefois à la honte..."

Antony : "Jaloux du mari ! - C'estqu'il a tous les droits, le droit de tuer, - ce qui n'est rien, - maisle droit aussi d'aimer et d'être aimé, lescélérat ! Elle vous arrivera du foyer conjugal,indolente et pâlie, avec des taches violettes sous les yeux, lapaupière lasse, et vous croirez lire sur le satin de sa peau letriomphe insolent de l'époux ! On se trompe souvent, toujourspeut-être : elle est pâle parce qu'elle n'a pas dormi«en pensant à toi», parce qu'elle a veillé samère, parce qu'elle est souffrante aussi. Mais le spectre charnudu mari se dresse toujours menaçant entre eux deux, et,l'infâme qu'elle est, elle ne fait rien pour vous consoler, elleveut que l'on souffre encore et qu'on doute toujours ; elle aiguillonnevotre amour avec la pointe de ce poignard..."

Les Criminels : "A la prison deLille vient de mourir un vieillard qui était âgé dequatre-vingt-douze ans et qui en avait passé quarante-cinq dansles maisons centrales ou les bagnes. C'était un prisonnierexcellent, modèle de douceur, esclave de la discipline. Il nefut pas puni une fois, mis au cachot seulement une heure, dans le coursde ses innombrables incarcérations. Il s'est éteint,comme un sage, entre les bras de l'aumônier, en demandantà Dieu l'entrée au paradis, où il promettait de seconduire aussi bien que dans les maisons du gouvernement. J'ai connuencore - bien avant qu'on parlât du bon captif de Lille, - j'aiconnu un homme qui avait fait juste cinquante ans de bagne..."


retour
table des auteurs et des anonymes