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ALAIS, Henri(18..-19..) : Le Jeu de la Pelote ouSoule (1900).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (28.X.2011)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe etgraphieconservées.
Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 1ère année, 1900.

LeJeu de la Pelote ou Soule
par
Henri Alais

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PARMI les jeux du moyen-âge, il en est un,celui de la Pelote, dont lesouvenir n'est pas encore oublié, car ilne fut supprimé qu'en 1866.

Chaque année, le jour de Noël après Vêpres,le Maire du Mesnil-sous-Jumièges offrait son bras à la femme originairede la connmune qui s'était mariée la dernière (c'était à qui semarierait la dernière pour avoir cet honneur) et la conduisait dans lepré de l'Oraille.
 
Là, en présence de toute la paroisse attirée par la curiosité,cette jeune mariée jetait une pelote enrubannée, dans laquelle étaitrenfermée une prime ; dans les cinq dernières années la pelote futfaiteen osier et de dimensions variables.

Une fois lancée, chacun s'efforçait de la saisir. Or, pour endemeurer définitivement le maitre, il fallait rentrer chez soi et fairebaiser la pelote à la cheminée sans être touché par personne.

Quiconque touchait le porteur lui criait : « Lâchela pelote ! » Et de nouveau la pelote était lancée. Celui qui s'enemparait sortait souvent de la commune, en demeurait éloigné deux outrois jours, quelquefois davantage, et ne regagnait son logis quelorsqu'il présumait qu'on s'était lassé de le guetter aux abords de samaison ; encore n'y rentrait-il que la nuit.
   
Outre la gloire personnelle de garder la pelote, ons'acharnait encore à l'enlever par désir d'honorer son hameau.

Une sorte de superstition s'en mélait aussi ; la pelote portaitbonheur au hameau qui la possédait et lui donnait une belle récoltedont les autres étaient privés. Tout cela était fort inoffensif; maisla bousculade générale qui suivait l'apparition de la pelote l'étaitbeaucoup moins ; force horions s'y distribuaient, maint vêtement n'ensortait qu'en lambeaux ; là enfin se liquidaient les vieilles rancunes.

C'était plus qu'il n'en fallait pour justifier une prudente suppression.

La pelote se pratiquait aussi à Jumièges et àYville-sur-Seine. Elle était également en usagé à Hauville, endroit oùles religieux de l'abbaye royale de Jumièges avaient des biens.

Elle fut abolie dans ces trois endroits pour lesmêmes motifs parce qu'un homme y fut tué ; aussi une vieille croyancefait-elle dire à quelques crédules que, quand une chose pareillearrivait dans un endroit, on devait passer cent ans sans y jeter lapelote.
   
Ce jeu avait lieu aussi dans la Basse-Normandie, laBretagne et la Gascogne dont la pelote ne différait guère que de nom decelle qui se pratiquait dans la presqu'ile de Jumièges et ses environs.

On la nommait la Choule maisplus communément la Soule etceux qui y prenaient part étaient les Souleurs.

Les Basques eux-mêmes ont eu leur Soule.

Par une ordonnance royale, Charles V autorisa, en 1370, uneseule pour les habitants de Condé-sur-Noireau, « en récompense ducourage qu'ils avaient montré dans la lutte contre les bandesangle-navarraises ».

Mais si Condé, l'antique cité gallo-romaine en eut d'abord leprivilège, Tinchebray et les autres bourgades de la région ne tardèrentpas à yparticiper. Chaque année, les mardi-gras, une balle de cuir de lagrosseur d'un boulet et orné de rubans était lancée par la dernièremariée. Les jeunes gens accourus en foule se disputaient cette balle ou Soule pendant le restede la journée. Le bataillon des souleursbondissait dans la campagne, roulait au fond des ravins et des fossés,franchissait les ruisseaux, escaladait les rochers, se meurtrissait, sedéchirait aux épines du chemin.
 
L'heureux vainqueur soutenu et acclamé par ses camarades,rapportait triomphalement la Soule,qu'on exposait sur la placepublique, pendant une année, pour narguer les vaincus.

 Les athlètes de Montilly, Saint-Pierre-d'Entremont, Fresnes,Montsecret, etc., se distinguèrent plusd'une fois dans ces joutes.

Quelque fois les souleurs, au nombre de plusieursmilliers, se choisissaient un chef chargé de diriger le jeu, ou plutôtla lutte, et d'adjuger la palme au vainqueur. Souvent dans l'affreusebagarre son cri se faisait entendre : « Souleurs, ça souffre! » Lesrangs s'ouvraient, les blessés étaient relevés et emportés, puis le jeurecommençait. Il n'y avait pas d'année qu'il ne restât des blessés etparfois des morts sur l"arène ; cela fut cause que le comte d'Alençonproscrivit en 1770 cet amusement dangereux.
   
Cette ordonnance si sage ne devait pas amener ladisparition de la soule. Elle fit fureur, comme par le passé, pendantla première moitié de ce siècle ; ce ne fut que vers 1850 qu'un arrêtédu préfet de l'Orne lui donna le coup de grâce. Les gendarmes, chargésde disperser les lutteurs, trouvèrent sur le champ de bataille uneballe souillée, déchirée, un informe paquet de chiffons ; c'était toutce qui restait de la soule.

On raconte qu'en 1820, la soule fut toutparticulièrement disputée au Mesnil-sous-Jumièges. Le vainqueur, poursesoustraire aux poursuites des coureurs, traversa la Seine et la forêtde Mauny et se réfugia dans un cabaret de Caumont à un endroit dit LaRonce. Il y était encore lorsque par hasard, deux des peloteursousouleurs de la veille, le père et le fils, revenant de Rouen, luidonnèrent inopinément la chasse et l'obligèrent à réintégrer la peloteau village où la lutte dura de nouveau trois jours entiers.

En 1861 et 1862 le vainqueur futM. Ephrem Vauquelin qui ne remporta la victoire qu'après avoirparcouru un espace de cinq kilomètres au moins ; en 1862, il se réfugiachez M. Desjardins, au passagede Jumièges, et ne rentra que fort avant dans la nuit.

Ce jeu fut enfin supprimé en 1866 et personne ne protesta contrecette suppression.   

Henri ALAIS.