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BOUTRY,Léon(1861-19..) : Charlatans !(1901). Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (08.XI.2011) Relecture : A. Guézou Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Les illustrations ne sont pas reproduites. Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 2ème année,1901. Charlatans! par Léon Boutry ~*~ Mon élixir odontalgique Guérit partout, c’est authentique, Et les insectes et les rats Dont j’ai là les certificats !... LE charlatanisme proprement dit s’est, paraît-il,manifesté dès le seizième siècle, et sans prendre la peine de dirigerdes recherches générales à ce sujet, nous ne serions pas surpris s’ilavait existé, au moins sous d’autres formes, bien longtemps avant cetteépoque. Le XVIIe siècle vit le développement du genre, et quant au XVIIIe, onsait que, malgré toute sa philosophie et son incrédulité, il s’estlaissé piper aux boniments et au verbiage effronté des maîtres ès-artsde duperie. Des Charlatans toujours le public fut la proie. Et les estampes sont là pour nous représenter « l’artiste » revêtud’oripeaux, galonné de clinquant des pieds à la tête, coiffé d’unchapeau au large panache, débitant les onguents et les fioles auxbadauds esbaubis ! Or, le charlatan n’est pas resté confiné dans la Capitale ou labanlieue ; il a cru devoir parcourir la Province, n’ayant garded’oublier la Normandie, pourtant pays de sapience, et qui possédait enson propre cru, indépendamment des médecins et des chirurgiens, bonnombre d’empiriques et de « jugeux d’iaux ». La preuve de la présence de ces colporteurs, à la grosse, de panacéesuniverselles se retrouve dans les prospectus-réclames qu’un heureuxhasard a préservés de la destruction. Ces prospectus, avec quelquesvariantes en la forme, possèdent au fond un caractère de ressemblancetel qu’il suffit d’en reproduire un pour permettre d’apprécier lesautres. Voici, parmi les spécimens que nous avons eu sous les yeux,celui qui indique le mieux le procédé en usage. Le document, non daté,paraît précéder immédiatement la période révolutionnaire. DE PAR LE ROI Avec Permission de Messieurs les Officiers municipaux et Permissionémanée de la Société Royale de Médecine, accordées au sieur Pierre Gaspard Avis très intéressant pour la santé Quoique la fortune et l’ambition soient les principaux objets de nosdésirs, la santé est néanmoins sans contredit le plus précieux trésordont l’homme puisse jouir sur la terre. La mort et la maladie sont lescauses de l’invention de la Médecine ; le hasard et les découvertes dela Chymie, ainsi que la Botanique, le sont de ses progrès. Quellesgrâces n’a-t-on pas à rendre à l’Être-Suprême, lorsqu’il nous envoyedes personnes qui, par leurs veilles et leurs travaux, ont acquis leslumières nécessaires pour connaître le vrai principe des maladies lesplus rebelles à l’art de guérir, telles que toutes les maladiessecrètes, l’épilepsie ou mal caduc. (Suit une désignation trèscomplète des maladies). Tel est, Messieurs, le sieur PIERRE GASPARD, lequel, par sa longueexpérience, a acquis la parfaite connaissance des maladies, en voyantl’œil ou l’urine des malades, ce qui le met dans le cas d’annoncer auxpersonnes si les maladies sont incurables ou si elles peuvent êtreguéries par l’usage des liqueurs spiritueuses dépuratives du sang,heureuse découverte dont la distribution est autorisée par la Sociétéde Médecine, et qu’il distribue, ou par des plantes rares qu’il apporteavec lui des pays étrangers, et qui ne se recueillent que sur les côtesd’Afrique, au Canada, au Pérou, sur les montagnes de la Suisse, à laChine et au Kamtzchatka. Il n’ignore pas que l’honnête Citoyen, trompé tous les jours par uneinfinité de Charlatans de toutes espèces, ne peut donner sa confiance àun étranger, quels que soient ses talents ; aussi ledit sieur, persuadéde cette prévention contre son état, n’ose-t-il la demander qu’aprèss’être fait connaître : il ne s’annonce point pour guérir toutes lesmaladies ; au contraire, il prévient qu’il n’entreprend rien qu’il nesoit en état de guérir, et il envoye aux gens de l’art les faits qui nesont pas de sa compétence. Il prie de ne point le confondre avec lesEmpiriques, de bannir tout préjugé, et de voir les expériences et leseffets de ses spécifiques et simples, attestés par quantité deCertificats de Messieurs les Magistrats et Médecins des plus grandesvilles du Royaume, qu’il offre de montrer pour faire taire l’envie etl’incrédulité. Il traitera en outre en public et gratis les centpremiers pauvres qui se présenteront dans les huit premiers joursd’après sa résidence, et ils auront part aux charités qu’il distribueles jours de pansement. On le trouve depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir,chez M. Dugas fils, Marchand, porte de Sées (Alençon), où il fait sarésidence pour quelque temps. Une autre s’annonce sous la rubrique AVIS AU PUBLIC : PAR PRIVILÈGE DU ROI ET ARREST DU CONSEIL Le Sieur BRASSEUR, porteur de Lettres Patentes de Sa Majesté, à luiaccordée pour la vente et distribution de ses remèdes..... et par droitde Committemus et Causes commises à la Prévosté de l’Hôtel du Roy..... En conséquence, le sieur BRASSEUR offre en passant par cette ville sesservices au public, connaissant toutes sortes de Maladies par la seuleinspection des urines. Il est inutile de rendre ennuyeux cet Avis endonnant des raisons de cette connaissance. Le sieur Brasseur, parlantau public, lui fera voir clairement les avantages de cetteobservation... Il est logé. Un troisième présente un « Sirop souverain pour vivre sain pendant lecours de sa vie, et estre exempt de toutes sortes de maladies, en enprenant tous les jours une cuillerée à jeun soir et matin. » Enfin qu’il s’agisse « d’eau ou d’onguents », non moins souverains, onpeut être sûr d’une prompte guérison, quelque soit la nature ou lagravité du mal. Mais il semble que la période la plus favorable à ces exploiteurs de lacrédulité publique fut la période révolutionnaire. Les Sociétés demédecine n’existaient plus depuis 1793 ; l’empirisme prit la place, serépandit partout, infesta les moindres bourgades. L’insurrection et les brigandages de la chouannerie empêchèrent sansdoute dans une certaine mesure le charlatanisme dans les milieux lesplus agités, mais dès la première accalmie il révèle sa présence. Le 3 vendémiaire an X (25 septembre 1801), le bourg d’Ecouché (Orne)possédait un échantillon typique du guérisseur de passage. Cet individu avait, à son arrivée, lancé un superbe manifeste qu’ilavait fait suivre de la désignation d’un « Topique universel », bienentendu infaillible voire dans les cas de maladies incurables. Par lesextraits qui suivent on verra que le citoyen Le Noircy, propagateur dela panacée, n’a guère fait que reproduire les formules de sesprécécesseurs. SOUS L’EMPIRE DE LA NATION ET LA PROTECTION DE LA LOI Un citoyen se doit à ses semblables ; c’est sa première vertu, commeson inaction est un vice quand il a le moyen de se rendre utile. C’estsous le point moral de ces deux vérités que le citoyen LE NOIRCY, Mepharmacien, chimiste et botaniste de la ville de Rouen, connu par sestalens dans les principales villes d’Europe, et particulièrement enFrance, où il y a opéré la guérison d’un nombre infini de personnes del’un et de l’autre sexe, attaqués de maux de poitrine, toux, rhumes,difficultés de respirer, crachement de sang, phthisie ou catarre, mauxd’estomac........................................................ ou maladies antisociales qui auraient résisté aux différentstraitemens. Il a un procédé nouveau pour le traitement de ces sortes demaladies qui ne dispense nullement des exercices ordinaires ; levoyageur, le marin, le soldat sous les armes, peuvent éprouver cetraitement sans difficulté, à l’exception près d’un régime qu’ilprescrira à chaque malade, afin que certains alimens ne contrarientpoint l’effet des remèdes..... Les intentions du citoyen Le Noircy onttoujours été pures ; son principal objet étant de mériter la confiancedu public, à juste titre il peut se flatter d’avoir joui de cetavantage dans toutes les villes où il a eu l’honneur d’exercer son art.Passant par cette ville, il croit qu’un devoir d’humanité l’oblige des’y arrêter ; ledit citoyen est muni de ses lettres de maîtrise ; ilespère que le public, aussi éclairé que judicieux, voudra biensuspendre son jugement, et ne pas le confondre parmi une fouled’empiriques sans principes ni connaissances. Il prie les personnescharitables qui s’intéressent au sort des pauvres affligés de vouloirbien le prévenir ; il leur donnera en toutes les occasions des preuvesde désintéressement ; on peut être assuré d’un inviolable secret surquelques maladies qu’on puisse lui confier. Topique universel du citoyen Le Noircy, maître pharmacien juré et botaniste de la ville de Rouen Les matières qui composent ce remède qui a mérité le suffrage universelne sont qu’un assemblage bénin de différentes plantes, fleurs,capsules, feuilles et arbustes. Les sauvages et les animaux ont-ilsbesoin d’autres remèdes que de simples végétaux pour se guérir de millemaux ?... Les attestations dont nous sommes porteurs sont plus quesuffisantes pour nous mettre à l’abri des critiques. Eh bien, en dépit de toutes ces attestations, en dépit de tous lesmérites reconnus, ou « modestement » tenus dans l’ombre, la critique,l’affreuse critique, se fit jour au milieu de l’enthousiasme général.Elle ressort clairement de la plainte suivante adressée au Sous-Préfetd’Argentan, probablement par une des victimes ou par le médecin del’endroit. Ecouché, 3vendémiaire an X. Plainte portée au Sous-Préfet d’Avranches contre le citoyen Lenoircy. Depuis viron deux mois le citoyen Maire de notre commune a admis leplus fort, le plus fripon, le grand trompeur et le plus fameuxCharlatan qui puisse exister. Il employe les moyens les plus subtilspour aveugler le peuple ignare et le voler. Par exemple, il n’est pointde sortes de maux qu’il n’entreprenne : les personnes attaquées du hautmal s’adressent à lui, il leur fait une incision sur le sommet de latête et il en pompe le sang avec sa bouche, il en résulte un ver qu’ilmontre au public, le malade est guéri et les ignares crient au miracle! Une femme de Joué-du-Plain a manqué de perdre le bras par une saignéede sa part et de perdre la vie par une médecine violente qu’il luiadministra pendant l’inflammation. Il a fait en public, il y a environun mois, une fricassée de viron 150 espèces de graisses, de gommes,d’essences ; et il y avoit même jusqu’à de la graisse de crapeaux et desouris ; il juge les urines. J’ai vu hier au soir un malheureux decampagne qui a une légère inflammation à un œil depuis deux jours, ils’était adressé à cet homme unique et charitable qui lui a vendu unechopine d’eau 7 fr. 10 ! Je vous adresse cette lettre, citoyen, pour vous prévenir des malheursque cet escroc dangereux pour la Société, spécialement dans la classeindigente et ignare, leur préparent. Les lois bienfaisantes quitenaient ces espèces d’hommes dans des limites sont-elles abrogées ?Non, car souvent on condamne de ces êtres au tribunal de Caen ; aussyont-ils soin de se retirer dans les petits endroits, où là ils sont àportée d’égorger le peuple impunément. J’espère, citoyen, que votre bienveillance et votre amour pour lebien-être de vos administrés fera que vous ordonnerez aux citoyensmaires de ne plus admettre des filous de cette espèce dans le public. Communiquée à la municipalité, avec injonction au citoyen Le Noircy defaire valoir ses titres, celui-ci s’y refusa net et pour cause. Ausurplus, et en présence de la sympathie de la population, le mairemontra peu de zèle à faire déguerpir l’individu. Et pourtant, raconteune seconde plainte : « Il est des malheureux qui ont vendu jusqu’audernier morceau de meuble pour pouvoir s’adresser à cet empirique ;depuis vos ordres il redouble de train. Il a chez lui le père Duparty,dont il se dit l’élève, à qui il va faire porter des habits galonnés.C’est la science du charlatan, car c’est à peine s’il sait signer. « Il est bon de vous ajouter qu’il a une poche, mais une grande poche,chez lui la gueule ouverte ; et lorsqu’il vient un benêt et qu’il estquestion de payer, il lui fait jeter son argent dans cette poche, et ceavec un air dédaigneux et de la plus grande insolence. Car c’est ainsisa manière de mener les sots qu’il ruine, et cette manière rude aveclaquelle il les traite ne fait qu’augmenter son mérite à leurs yeux.Voilà sans exagérer plus de 2,000 écus qu’il tire à la classe ignorantequi abonde journellement chez lui. Il traitait le citoyen JouinDumesnil de Montgaroult qui est mort d’aujourd’hui. » Le Sous-Préfet finit par faire expulser le Charlatan ; c’est du moinsce qui semble résulter de la dernière partie du dossier. Mais au fait,il n’importe ; le gaillard emportait, à défaut de la considérationadministrative dont il n’avait cure, de beaux écus « sonnants ettrébuchants ». Des Charlatans toujours le public fut la proie. C’est l’éternelle morale de toutes ces histoires ; si d’aucuns pensentqu’on pourrait en déduire d’autres conclusions, notamment en ce qui atrait à l’intellect des victimes, ma foi, nous n’y verrons pasd’inconvénient !..... Léon BOUTRY. |