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BRÉARD, Charles(1839-1913) : LeVieux Honfleur et le Cordon royal (1900).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (27.X.2011)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 1ère année, 1900.

LeVieux Honfleur et le Cordon royal
par
Charles Bréard

~*~

ENcommençant cette notice, nous songeons à demander à nos confrères dessociétés savantes deux choses dont nous avons grand besoin : leurattention, d'abord, pour le sujet dont nous transcrivons le titre,ensuite et surtout leur indulgence pour la manière insuffisante etincomplète dont le sujet est traité. Nous demeurons d'accord qu'il n'ya dans le titre rien de bien attrayant; mais, ce qui ne laissera pasque de surprendre, il y a quelque chose de nouveau. La questionindiquée, - et non traitée, - dans les lignes qui suivent se rapporte àl'histoire et à l'archéologie ; c'est un point obscur sur lequell'érudition peut porter la lumière, grâce à la découverte d'un documentinédit.

Si l'on demande à un architecte quelle est la signification du terme cordon royal, il répondraprobablement qu'il connaît le filet, la moulure, le cordon, mais que le cordon royallui est inconnu. Il y a tout lieu de croire que, de leur côté, lesarchéologues chercheraient en vain ce terme de l'art architectoral dansles ouvrages spéciaux dont ils disposent. Manuels, dictionnaires,encyclopédies, traités sur l'art militaire sont muets. C'est pour lapremière fois, en effet, que le cordonroyala l'honneur d'être présenté aux amis de l'archéologie, de l'histoire etdes beaux-arts. Pourtant, voilà bien quelques dix années que nous enavons ouï parler et que nous avons fait d'utiles efforts pour connaîtreson origine et déterminer son emploi. Néanmoins, nous croyons fermementque ceux d'entre nos confrères qui ont beaucoup vécu avec les monumentsdu moyen-âge trouveront aisément la solution du problème qui nousarrête.

Le terme cordon royal nous aété fourni par quatre documents que nous avons rencontrés dans lesarchives municipales de Honfleur. Il sera sans doute nouveau pourbeaucoup d'entre nos confrères ; il l'est du moins pour nous. Lesdocuments dont nous publions le texte sont modernes, ils datent ducommencement de ce présent siècle ; ils ne peuvent par conséquent nousapporter qu'un souvenir. Mais on ne peut méconnaître qu'à certainségards ce souvenir ne soit très ancien ; on est assez embarrassétoutefois pour marquer l'époque à laquelle il remonte. Dans les piècesdont nous parlons, les mots cordonroyal désignent un rang horizontalde pierres arrondies qui s'étendait le long des anciens murs de défenseconstruits au nord de la ville de Honfleur. A cette définitionimparfaite, nous ne pouvons malheureusement ajouter que desrenseignements peu précis, faute de documents assez complets et assezconcluants.
  
Reconstituer la topographie du Vieux Honfleur d'après lespièces originales conservées dans les archives et les bibliothèques,n'est pas une tâche impossible, mais elle est délicate. Voulez-voussimplement évoquer le Vieux Honfleur du XVIe siècle ? parcourez lequartier de Sainte-Catherine, pénétrez dans l'intérieur des rues, c'estle quartier des marins ; Honfleur y conserve l'empreinte de sesanciennes destinées. Les constructions qu'aucune main n'a rajeunies yabondent, les façades de maisons qui évidemment n'ont pas changé depuisdeux ou trois siècles s'y rencontrent à chaque pas ; elles nous fontrevivre au milieu du passé ; sous ces toits le XVe et le XVIe sièclesont dormi.
 
Dans la partie basse de ce quartier, vers la mer, s'ouvre unerue que d'épais murs de quai ont jadis protégés sur une longueur dequatre cents mètres environ, du terre-plein de la jetée de l'Ouestjusqu'au phare dit de l'Hôpital. Au-delà de cet endroit, l'aspect durivage n'a pas changé ; c'est là grève naturelle. La rue en question senomme la rue Haute, dénomination dont l'origine n'est pas connue maisqui certainement avait sa signification et par cela même sa valeur. Lenom ancien a disparu depuis quelques années. Il faudrait songer, avantd'effacer le nom d'une rue, que ce nom est souvent un témoin quelaissent aux générations futures les hommes qui nous ont précédés,qu'il constitue un élément de l'histoire locale ; les noms des ruesaspirent à la durée ; ils devraient être aussi sacrés que les nomsgéographiques. Mettre nos rues et nos bassins sous le patronage decélébrités politiques, c'est s'exposer à ce que leur dénomination soitmodifiée de nouveau : car, dans un demi-siècle, l'histoire auraconsacré d'autres noms.
 
La rue Haute est protégée au Nord par des murailles dont laconstruction paraît très ancienne. Si l'on s'appliquait à chercher ladate de leur fondation, nous n'hésiterions pas à indiquer le XVe sièclepour le moins. Ces murs furent bâtis autant dans un but de défensemilitaire que de protection contre les flots, contre le courant de laSeine qui en a battu le pied jusqu'aux années 1838-1841.

Or, il advint, à la fin du siècle dernier, que de violentestempêtes détruisirent en partie les murs de la rue Haute pendant leshivers de 1797 et de 1799. On se proposa de les réparer aussitôt, maisen fin de compte ils restèrent abandonnés. Leur abandon à l'état deruines se rattachait à plusieurs causes : la première est la lutte quis'éleva entre les propriétaires riverains et le Domaine.

Les premiers, loin de s'étudier à retenir là possession ou lalibre disposition des murailles et à la faire légitimer, intervinrentactivement pour qu'une autorité grave proclamât que les riverainsn'avaient aucun droit à exercer sur ces murs de défense.L'administration entra dans la lice par ses ingénieurs des Ponts etChaussées qui,contrairement à l'esprit essentiellement envahisseur de ce corps,déclarèrent que les murailles de la rue Haute n'étaient pas unedépendance du domaine public. Ce n'est pas sans quelque surprisequ'ainsi nous constatons qu'elles n'appartenaient à personne.

Il fallut six années d'étude et de réflexion pour que l'autoritépréfectorale se prononçât sur la controverse qui s'était élevée ;encorene le fit-elle qu'en adoptant une opinion mixte, qui consistait àordonner les travaux dereconstruction au nom de l'Etat, mais à faire exécuter aux frais etcharges des riverains.

Sans y regarder de près, on voit que ce n'était point unesolution, et que les adversaires restaient en présence.

Nous n'avons pas la pensée de résoudre les questions de droit et lesdifficultés d'interprétation soulevées par ce débat ; nous voulonsseulement citer les textes à l'aide desquels nos compatriotesessayèrent de réagir. On possède quatre pétitions, qui s'échelonnent del'année 1798 à l'année 1807.

Si l'on recherche dans ces pièces ce qui caractérisait la réclamationdes propriétaires riverains, on reconnaît qu'elle était fondée sur destraditions qui ne pouvaient suffire seules à établir la vérité, maisdont on devait tenir compte. Les habitants de Honfleur ne se flattaientpas d'avoir en propre les murs de leur ville par une ancienneconcession des souverains. Ils disaient que si des murailles demaçonnerie pleine protégeaient leurs immeubles contre les érosionsfluviales, ces murailles n'étaient pas une utilité locale ni mêmel'utilité collective d'un groupe de personnes intéressées, mais qu'ilétait impossible de méconnaître à ces constructions un certaincaractère d'utilité générale en tant que pièce de fortification ou querempart. Pour rendre leur réclamation plus précise, ils alléguaientqu'on voyait régner sur les murs de quai un ourlet de pierre nommé detout temps le cordon royal etque ce cordon, qui était apparent sur undéveloppement de plus de cent toises, donnait aux murailles de la rueHaute le caractère distinctif de travaux publics. D'où la conséquenceque celles-ci étaient la propriété du domaine. Ce système, à nos yeux,reposait sur la vérité historique.

NOUS ferons observer qu'aujourd'hui encore onremarque le long des mêmes murailles une grosse moulure ronde, peusaillante, dont les débris vont prochainement disparaître à la suite detravaux de remblai. Cette bande demi-circulaire de pierre arrondie estle cordon royal que fontconnaître les documents que l'on trouvera plusloin (1).
  
Sans insister sur l'indication ainsi recueillie et sur lacirconstance particulière qui l'a mise eu lumière, il semble enrésulter que le bourrelet de vieilles pierres nommé le cordon royal aété le signe caractéristique des constructions civiles ou militairesque les ingénieurs du roi élevaient aux frais de la couronne.

Pour terminer ces explications, on est amené à présenterles termes d'un petit problème archéologique. A quelle époque le cordonroyal est-il connu -historiquement ? Quels documents en fontmention ?Quel caractère lui était-il attribué ? Enfin, quels sont les règlementsqui en prescrivirent. l'application ? Voilà autant de questionsobscurespour nous, mais que l'érudition de nos confrères parviendrainfailliblement à éclaircir.

Il nous aura suffi d'établir l'existence du cordon royalà Honfleur, et nous nous contenterons d'ajouter que nous l'avonsvu dansplusieurs autres localités. On le rencontre à Troyes, surle pontSaint-Jacques ; à Sens, sur le pont d'Yonne situé auchevet de l'églisede Saint-Maurice ; à Amiens, sur les murs de la citadelle ;à Dreux,sur une tour en ruines, rue d'Orisson ; à l'Isle-Adam, surl'anciennedemeure des princes de Conti. Enfin, on en voit les traces àVersailles, à Saint-Germain, à Sèvres, àl'hôtel des Invalides, àParis. Nous ne doutons pas qu'on ne puisse en multiplier les exemples.
  
Un souvenir très net nous permet d'en ajouter un dernier.Chacun peut se rappeler avoir vu le cordonroyal sur la tourFrançois-Ier qui s'élevait à l'entrée du port duHavre.

Dans les pages qui suivent, on trouvera le texte de trois des documentsdont il a été parlé.

Ch. BRÉARD.

(1) Les travaux de remblai sont aujourd'huiachevés ; le Cordon royal a disparu et avec lui l'un de sites les plusravissants de Honfleur.

~*~

La Municipalité de Honfleur aucitoyen Ingénieur de Marine
28 Fructidor an VI (14 Septembre1798)

La tempête violente qui a régné hier pendant la pleine-mera occasionné dans notre commune un ravage considérable puisquel'impétuosité des vagues a bouleversé en plusieurs endroits le rempartde quay existant depuis la jettée de l'Hôpital à l'Ouest jusqu'à celledu quay à la Planchette.

Ceux de nos concitoyens qui ont des propriétés latéralesde ce rempart justement alarmés de cet événement inattendu occasionnépar une force majeure viennent de nous adresser une pétition parlaquelle ils exposent le besoin pressant de venir à leur secourspuisqu'il demeure malheureusement trop constant que ce mur se trouvesapé dans ses fondements et prêt à choir, ce qui donne la malheureuseperspective que sans une prompte réparation la mer peut dans unepareille marée abatre partie des maisons construites en dedans durempart.

Nous vous envoyons cette pétition ci-jointe à la présente, afinque vous y fassiez droit, parce que nous considérons que l'objet qui ladirige est de votre département.
 
Vous appercevrez, par les justes motifs que ces citoyensdéduisent, que ce rempart appartient au gouvernement, puisqu'il estprouvé qu'avant la construction du port, il y existait un quai dehallage qui servait à faciliter l'entrée des navires, et qu'il estévident qu'il se trouve encore dans le mur des anneaux scellés en feroù l'on attache les amares des bâtiments lorsqu'ils arrivent et qu'ilsont besoin pour leur conservation de faire quelques posées ; il existeencore dans une partie de ce rempart un cordon qui prouve qu'ilappartient au gouvernement.

Nous vous observons d'ailleurs, etc.

(Archivesmun. de Honfleur, copie delettres n° 6, fol. 315).


Au citoyen Ministre de la Marine
1801
  
Expose Charles-Louis Neveu, capitaine de navire, demeurantà Honfleur; rue Haute, tant pour lui que pour ses voisins propriétairesde maisons le long de la mer, que, par les vents impétueux qui ontfréquemment régné depuis plusieurs années dans la saison de l'automneet notamment en fructidor de l'an VI, la mer extrêmement fougueuse àcette époque endommagea une partie des murs anciennement élevés par legouvernement sur la longueur de plus de soixante-douze pieds culbutésentièrement, et qu'une partie du surplus fut considérablement ébranlée; que les propriétés qui se trouvèrent alors à découvert par cetévénement n'ont été garenties d'un élément aussi terrible que par desdigues (les murs n'ayant pas été relevés) qui, aujourd'hui, se trouventdétruites et enlevées par les ouragans qui ont eu lieu l'année dernièreet cette année, an VIII et IX ; qu'il est indubitable que non seulementles terrains à découvert où le mur de revêtement est détruit peuventêtre la proye d'une seule marée de mer orageuse, mais qu'il est àcraindre que les parties de mur encore existantes se trouvent égalementculbutées, la mer pouvant s'introduire par derrière sans cesser de lesbattre par devant.

Il est de vérité notoire que les murs dont il s'agit,qu'on nomme murs de revêtement, ont été dans le principe élevés auxfrais du gouvernement qui n'a jamais cessé de les réparer lorsque lamer les a endommagés ; tout atteste cette vérité, car on voit encore àhauteur du niveau de la rue Haute, sur la longueur de plus de centtoises, régner un ourlet de pierres de taille arrondies et saillant dequatre à cinq pouces que l'on a toujours nommé le cordon royal ; onaperçoit également plusieurs crampons ou anneaux incrustés dans ce mur,qui autrefois servaient à attacher les bâtiments qui venaient àHonfleur avant la construction de l'ancien bassin de ce port, en 1684,et le gouvernement percevait alors un droit sur chaque bateau.

Il est encore de notoriété publique, etc.

 (Arch. munic. de Honfleur.)


A M. le Préfet du Calvados
1807

Nous soussignés riverains du rempart d'enceinte entre la jettéede l'Hôpital et de celle de la Planchette, de Honfleur, auxquels il aété donné par M. le Maire de la dite ville un extrait de l'arrêté de M.le Préfet du Calvados, sous la date du 23 juin dernier, approuvé par M.le Conseiller d'Etat, Directeur général des Ponts et Chaussées, le 21août suivant, par lequel il est reconnu que la réparation dudit rempartest urgente et qu'il nous est ordonné de la faire à nos frais,déclarons que ce ne peut être que par erreur que M. le Préfet s'estporté à prendre à notre égard cedit arrêté :
  
1° Parce que pour nous contraindre à une dépense de cegenre il faut qu'on nous considère comme propriétaires de ce rempart,et c'est ce que nous méconnaissons et nions formellement;

2° Parce que nous avons toujours reconnu ce rempart commepropriété du gouvernement, par le motif qu'il y existe un cordon royalet des anneaux destinés à l'usage des navires qui entrent ou sortent duport, ainsi que les trente pieds de terrain en dedans d'icelui rempartdont nous n'avons jamais disposé ;

3° Parce que s'il est des riverains qui ayant construitsur le dit rempart et ayant disposé du terrain du gouvernement (1),même d'après l'agrément des autorités supérieuresqui auraient pu leur imposer des conditions, nous estimons qu'ellesnous sont étrangères et ne peuvent nous lier parce que nous n'avonsrien demandé et avons laissé les choses dans l'état où elles onttoujours existé.
  
D'après cet exposé, nous espérons et comptons sur lajustice de M. le Préfet qui, prenant en considération nos justesreprésentations, rapportera l'arrêté précité, etc.

A Honfleur, le 16 septembre 1807.

Pour copie conforme à l'original envoyé àl'autorité supérieure,

Le Maire : LION-DUMONTRY.

(Arch. munic. de Honfleur.)

(1) Un arrêt du Conseil d'Etat (21 août 1696) porteque "l'espace qui est au-dedans de toutes villes du royaume, prés lesmurs desdites villes, jusques à la concurrence de neuf pieds, faitpartie des fortifications d'icelles ".