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Soupirs de CatherineBunel, amante du Sauveur, morte à Lisieux enjuillet 1814, âgée de 32 ans.- Caen : Imprimeriede P. Chalopin, [sd].-48 p. ; 18,5 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (12.II.2005)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Texteétabli sur l'exemplaire de lamédiathèque (Bm Lx : norm 1423). Lire l'article d'Etienne Deville sur ce livret de colportage

vers l'image agrandie (119 ko)

AVERTISSEMENT.

PLUSIEURS amisnous ayant engagés à faireimprimer cet extrait de la vie de demoiselle BUNEL, nousl'avons fait,pensant comme eux, qu'il pourrait être utile auxâmes qui désirent avancer dans la perfection, etsurtout à celles que Dieu exerce, comme les Saints, parbeaucoup de peines intérieures et extérieures ;il est d'ailleurs remarquable par ses admirables comparaisons..... Lespersonnes qui ont connaissance des Héroïnes de M.l'abbé Caron, de la vie de demoiselle Lafosse, de celle dela bonne Armelle, etc., croiront aisément que la vieentière de demoiselle Bunel mériterait une placedistinguée parmi elles ; mais nous croyons suffisant, dansce temps d'incrédulité, de rendre public cerecueil, qui convient particulièrement aux personnes sanspréjugés et avancées dans le chemin du Ciel.


SOUPIRS
DE CATHERINE BUNEL,
AMANTE DU SAUVEUR,
Morte à Lisieux enJuillet 1814, âgéede 32 ans.

CETTE fillevertueuse nâquit à Lisieux de parenspeu fortunés, sa mauvaise santé ne diminua riendes soins qu'elle prit de son père et de sa mèresouvent attaqués de maladies. Son état decoiffeuse lui procura l'occasion de former à la vertu lecoeur de plusieurs jeunes apprenties. Son caractèreétait doux et passible. Tous les matins elle assistait ausaint sacrifice de la Messe où elle communiait plusieurs fois lasemaine ; elle n'était pas moins exacte à faireson oraison les matins et les soirs ; sa direction avaitété commencée par un bon confesseur,qui la mît dans un état où elle s'estperfectionnée..... En l'année mil huit cent dix,le Sauveur lui fit entendre intérieurement quelques paroles,qu'elle entendit aussi bien que si c'eûtété aux oreilles du corps. La sainte Vierge etson bon Ange lui parlèrent aussi, de temps en temps, de lamême manière, soit pour la consoler dans sespeines, soit pour lui faire connaître ses imperfections outout ce qui pouvait contribuer au salut des autres et à lagloire du Seigneur.

Dieu semble la distinguer des autres saints par un grand nombre decomparaisons qu'il lui a inspirées, telles que lessuivantes.......

« Considère, ma fille, que tu es comme le couteauentre les mains de l'ouvrier, que ce n'est pas le couteau, maisl'ouvrier, qui a le mérite de l'usage qu'il en fait.»

Il lui faisait entendre que tout le mérite de ses oeuvresétait l'effet de sa grâce, et qu'elle n'avaitd'autre mérite que sa coopération.

« Dis à mes ministres qu'ils aient soin de toicomme un jardinier a soin d'une fleur qu'il veut garantir destempêtes et des temps orageux, il la met dans une serre.» Dans cet entretien elle tombe en extase...... Cette extasela rendait immobile, et le feu de l'amour, dont son coeurétait atteint, paraissait sur son visage ; elle demeuraitainsi un instant.... Quelquefois elle éprouvait untremblement de tout le corps, surtout au moment de la communion ; commeelle craignait qu'on ne s'en aperçût, et, qu'elleavait beaucoup de répugnance pour les chosesextraordinaires, son directeur lui dit de demander au Sauveur de l'endélivrer. Alors elle s'en plaignit à lui. Il luirépondit : « Quand tu es agitée je veuxque cela soit ainsi : une jeune [pla]nte,ébranlée et agitée par les vents,pousse des racines plus profondes... Je veux façonner toncoeur. Vois ce couteau comme il va en tout « sens», elle le voyait : « c'est moi qui le conduis. Tu esla pierre qu'il faut tailler et le bâton du vieillard. Tiensvois ces deux  couronnes (l'une étaitd'épines et l'autre de perles magnifiques, de diamans et defleurs), laquelle des deux veux-tu ? » Ellerépondit celle d'épines....Comme elleéprouvait depuis  plusieurs semaines une souffranceintérieure, sans pouvoir expliquer quel genre de mal ellesouffrait : le Sauveur lui dit qu'elle était comme unepersonne tombée en faiblesse, qui ne pouvait dire quelétait son mal ; et, comme elle souffrait encore plus,quelques jours après, il lui dit : « Disà ton père spirituel que ton malintérieur est semblable à celui d'une personnequi manque d'air, et qui ne se soutient que par unetrès-faible respiration... Je veux que tu souffres toujours,c'est aux enfans que je donne des consolations : tu es machère épouse, je veux t'élever plushaut que les cèdres du Liban ; tu seras couverte de fruits,et ces fruits seront distribués aux autres... Pourquoi nevoudrais-tu pas souffrir pour les autres ? ».

O mon Dieu ! dit-elle, je suis comme un jeune arbre agitépar les vents, et comme un petit agneau au milieu des loups.... Elleéprouve de fortes tentations du démon, elle yrésiste toujours ; et, comme une autre Madeleine, oul'épouse des Cantiques, elle cherche avec ardeur celuiqu'elle aime ; son âme est triste de ne pas trouver sonSauveur, elle le croyait éloigné.

Dans quel affreux désert suis-je donc, dit-elle ? Je cherchecelui que j'aime et je ne le trouve pas ; je vais de touscôtés, à droite et à gauche,et je ne vois point celui que je cherche. Elle avance en esprit et setrouve arrêtée. Elle se plaint et gémitsans cesse. Je conserve cependant, dit-elle, l'espoir de le trouver ;et quelquefois je lui dis : puisque je ne pourrai vous aimer dansl'autre vie, au moins accordez-moi la grâce de vous aimerseulement une fois en celle-ci. Son directeur lui réponditque le désir extrême qu'elle a de l'aimer et de letrouver, est une preuve évidente qu'elle l'aime, qu'ellel'aimera dans l'autre vie parce qu'elle l'aime dans celle-ci : qu'onpeut aimer Dieu parfaitement ici-bas sans éprouver leseffets sensibles de son amour, comme on peut avoir une vraie contritionsans la sentir. Il en est aussi qui pleurent quelquefois leurspéchés sans avoir une vraie contrition.

Ma chère fille : Dieu est avec vous et en vous lorsque vousle cherchez, ceux qui ne l'aiment pas n'en parlent pas et fuientmême ceux qui aiment à en parler ; pour vous, aucontraire, vous ne cessez d'y penser : elle s'est aussitôtécriée : je veux mourir, mon Dieu, pour votreamour... Cette tentation, qui fût celle de S.François de Sales, lui a duré longtemps...Après cela, elle éprouva une peineintérieure qui fut extrême ; peine dumême genre. Elle veut mourir pour voir Dieu. Elle dità son directeur que si elle ne s'était pascontenue : elle aurait couru la ville, les carrefours et les campagnespour trouver celui qu'elle cherchait : que sa peine étaitextrême de le tant désirer et de ne le pastrouver. On apercevait que son coeur languissait d'amour...Faut-il, ô mon Dieu, disait-elle, qu'il y ait une porte autabernacle (c'était à l'autel de la communion)pour m'empêcher d'aller vous trouver ? Elle me dit qu'ilfallait qu'elle s'efforçât de se distraire, pourne pas s'occuper de son intérieur, qui la faisait souffrircomme on ne peut le concevoir, et que cependant si elle s'occupaitd'autres choses, elle sentait aussitôt que cen'était point ce qu'elle voulait.

Peu de temps après, comme elle le cherchait, il lui dit :« Ma fille, tu as été bien loin pour me trouver et je suis avec toi ; tu es ma fidèleépouse et je t'aime ; tu ne peux trouver sur terrece que tu cherches ; tu es comme l'oiseauqui prend l'essor, qui s'élève en l'air, et quiest obligé de s'abattre, ne pouvant aller plus loin...» Dans la souffrance qu'elle éprouvait de nepouvoir le trouver, il lui dit : « Ma fille, je te veux dansl'état où tu es ; tu es comme le verre qui doitêtre fondu entièrement, avant de servirà faire un vase comme le veut l'ouvrier... » Illui a montré son coeur, d'où sortaient desflammes , et lui a dit : « Te souviens-tu, ma fille, de ceque tu sentis un jour dans une lecture que fit mon ministre, lorsqu'ildit que Pilate dit au peuple : « que voulez-vous que je fassede cet homme-là ? Ensuite mon ministre ajouta : hélas ! qu'il vienne dans moncoeur... » Cetteréflexion l'avait frappée... Le 21 Juin elle acherché en esprit son Sauveur, dans les plus grandsdéserts, sans le trouver. Elle a rencontréquelqu'un, elle lui a demandé s'il ne l'avait point vu etoù il était ; samanière de demander lui a paru singulière, il nerépondait rien en la regardant... Puisque vous ne pouvezpoint me le dire, a-t-elle dit, il faut donc que je chercheailleurs...... Un autre jour, son directeur lui demanda si elleétait allée dans les déserts : j'ysuis très-souvent, répondit-elle ; avez-vous vuquelqu'un ? Non, mais j'ai cherché avec empressement pour letrouver, et je me suis adressée aux arbres et leur ai dit :ne pourriez-vous pas me l'enseigner ? Pour vous, vous remplissez votredestination, vous êtes faits pour les hommes, et les hommesvous trouvent ; mais moi, je suis faite pour Dieu et je ne le trouvepas : j'ai traversé villes, bourgs et campagnes, et je mesuis épuisée de fatigue sans pouvoir letrouver...... Etant à l'église, et voyant despersonnes parer l'autel où repose le Saint-Sacrement, elles'est écriée en elle-même : Oh ! sij'étais à leur place, je déferais etrenverserais tout pour le trouver, et, en pensant à sondirecteur, elle s'est dite : puisqu'il a le pouvoir de le fairedescendre, que ne me le fait-il voir ?... N'ayant souvent dans sesépreuves que du dégoût pour les chosesspirituelles, et ne sentant ni espoir, ni consolation, ni repos,cherchant toujours son bien-aimé ; et, fatiguéede le chercher, elle semble souvent succomber, ne pouvant faire usagede son entendement, ni de sa mémoire, ni de savolonté.... Son directeur lui a dit qu'elle est comme unepersonne qui, sans être réduite au lit, est fortmal portante, n'a de goût pour rien, s'ennuie de tout et netrouve aucun des remèdes qu'elle prend capable de lasoulager ; elle a répondu qu'elle est comme une personne quiest accablée de fatigue dans une grande route qu'elleentreprend et qui ne peut aller plus loin, n'ayant d'ailleurs aucunespoir d'arriver à son but.... Elle a prié sonSauveur d'empêcher qu'elle ne tremblât d'unemanière si sensible avant la communion ; il arépondu : « ce que tu demandes est difficile,parce que ton tremblement est l'effet de ce que j'opère entoi par ma grâce ; mais puisque ton confesseur t'a dit de ledemander, je t'accorderai quelque chose... » Elle tremblabeaucoup moins...... Le jour duSacré-Coeur, comme il le lui avait prédit, ellese trouva plusieurs fois en extase, elle ne savait ni ce qu'elleétait, ni ce qu'on faisait à l'église,ni à quelle messe elle assistait, à la haute ouà la basse ; elle a senti les mouvemens d'un grand amour,elle s'est cependant levée et mise à genouxlorsqu'il le fallait.

Samedi 12, elle a senti dans son âme, au moment de lacommunion, une douceur inexprimable ; ensuite elle ne se sentait plus :« c'est, lui dit le Sauveur, parce que ton coeur est dans lemien ; dis à ton confesseur que tout ce qui t'arrive vientde moi, que ma grâce est à ton coeur comme unemer, elle laisse tout vide et à sec lorsqu'elle se retire ;et, lorsqu'elle revient, elle remplit tout de ses eaux. Magrâce opère en toi la même chose......Tu es encore comme une campagne couverte de fruits et oùrègne la fertilité et l'abondance dans la saisonde l'automne, tandis que dans l'hiver tout est stérile.Comme ton coeur était vide des choses du monde, je leremplis de mes grâces : lorsqu'un vase est plein d'une chose,on ne peut pas l'emplir d'une autre : j'ai fait tomber en toi magrâce comme une rosée abondante qui tombe du ciel; dis à ton confesseur qu'il te soutienne ; vois, ma fille,la grandeur de leur ministère, ils me portent dans leursmains et j'obéis, ils font de moi ce qu'ils veulent, il fautaussi que tu obéisses. » Le Sauveur la voyanttoute abattue lui a dit : « Tu es comme une horloge, il fautla remonter souvent. » Je suis, m'a-t-elle dit, comme unarbre qui est presque tombé par la force des vents, mais onpeut le soutenir et le relever et les racines reprendront.

Le 25, elle a éprouvé une très-grandeconsolation, mais elle n'a pu exprimer sa reconnaissance comme elle ledésirait.

Il a comparé son coeur à une placedroite et unie, sur laquelle il veut bâtir unédifice ; il lui a dit « qu'il faut qu'elles'adresse à lui pour cela, comme on s'adresse àquelqu'un pour donner un plan, qu'il veut le donner lui-même; que lorsqu'un édifice est bienélevé, il est beaucoup plus exposé auxvents et aux tempêtes, que par conséquent iléprouve plus de dommage, mais qu'il veut leréparer lui-même. » Elle lui a ditaussitôt : « Où êtes-vous, monbien-aimé ? Il a répondu : « Je suis entoi, je te possède, je t'aime, tu es mon amie ; au sujet deton coeur, j'y suis assis sur un trône.... » Aimonset souffrons, dit-elle... J'ai cru, a-t-elle dit, être dansla mer couverte d'eau, j'approchais du rivage, prêteà sortir, et toujours les flots m'arrêtaient et meretiraient en arrière....... Elle ne peut quelquefois nipenser, ni s'exprimer ; mais, lorsque le moment est venu, elle parleavec la plus grande facilité...... Le Sauveur lui dit :« Ton coeur est comme un verre qui est uni lorsqu'il vientd'être fait, mais qui n'est plus de même lorsqu'onvient à le couvrir de gravures… » Ellea conçu le grand besoin d'un directeur, par la vision quisuit : elle s'est vue approcher d'un grand précipice, et,tombant en faiblesse à chaque pas qu'elle faisait, elle adit qu'elle y serait tombée, si quelqu'un ne l'eûtpas soutenue et ne l'en eût pas écarté... Uneautrefois elle s'est comparée à une personne quitombe en faiblesse, et qu'une autre secourt et fortifie, en lui faisantrespirer quelqu'odeur forte.

Un jour qu'elle vit sensiblement le coeur de Jésus toutenflammé, elle éprouva en même-tempsune joie intérieure si grande qu'elle auraitsuccombé si elle eût duré un instant deplus... Elle fit entendre alors un fort soupir... Sa joie dura cinqminutes, après cela, elle chercha pendant trois jours sonépoux si passionnément, que, pour le trouver,elle aurait passé à pied la mer, qu'elleétait effrayée de voir passer àd'autres dans une chaloupe.

Dans un moment où elle fut privée d'une grandepartie de son entendement et de sa volonté, elle seprésenta à Dieu comme un monceau de boue, commeson directeur le lui avait dit ; aussitôt elle recouvra toutsentiment et toute liberté : le Sauveur lui dit :« Vois, ma fille, ce que c'est quel'obéissance à un directeur. » Ellelui dit qu'elle désirait l'aimer seulement un petit moment.Il répond : « Tu m'aimes, ma fille, d'un amourgénéreux... »

Ayant senti au côté une vive douleur qui l'aréveillée cette nuit et a cesséaussitôt, elle a dit au Seigneur : pourquoil'ôtez-vous ? Laissez-moi souffrir pour vous. Elle a aussientendu une voix qui lui a dit : tuvas éprouver quelquechose de particulier ; dès le sacrement de la messe, etpendant trois quarts d'heure, elle a éprouvé unsentiment d'amour extrême pour Dieu ; c'était unfeu qui la dévorait... A la communion elle étaitivre d'amour, et j'ai eu de la peine à la lui donner......Le Sauveur l'a comparée à un arbre couvert defruits qui sont destinés pour d'autres ; cet arbre, luia-t-il dit, a besoin de culture et d'engrais, c'est le partage ducultivateur...... Dans un moment où le désirextrême de le trouver se faisait sentir en elle, àquoi me sert, ô mon Dieu ! de vous chercher, disait-elle ? Jepasserais à travers les murailles, et les flots de la mer,sans pouvoir vous trouver, puisque vous ne le voulez pas. Son directeurlui a dit qu'elle le possédera avec plus de joie, l'ayantcherché long-temps... Un vendredi 27, elle futprès d'aller à la chapelle d'un confesseur pourle lui demander ; comme elle craignait l'illusion dans toutes ceschoses EXTRAORDINAIRES, elle m'a dit qu'elle serassurait sur sonétat, à cause de la répugnance qu'elleavait pour ces sortes de voies, et qu'elle désireraitbeaucoup d'aller à Dieu par une voie simple et commune. LeSauveur lui ayant plusieurs fois dit de réunir ensociété plusieurs personnes, devant lesquelleselle parlerait de choses pieuses et édifiantes, elle ne s'ysoumit que parce qu'il lui promit de lui inspirer ce qu'elle auraità dire, et parce que son directeur le lui ordonna. Alors,dans plusieurs sociétés réunies, elledit des choses de Dieu qui étonnèrent etattendrirent plusieurs prêtres, dames et demoisellesdistinguées qui l'entendirent ; elle y tomba aussi plusieursfois en extase. Elle nous fit à plusieurs un longdétail d'une âme fidèle qu'ellecomparait à un voyageur qui éprouve en route ladifférence des saisons, il se fatigue dans un tempsrigoureux, reprend vigueur et se réjouit au printempsà la vue des fleurs, des fruits, des vertes prairies,après quoi il se fatigue de nouveau ; on l'égare,il tombe dans une fosse, alors une main secourable l'en retire (cettemain secourable est le directeur). Dans une des conférencesqu'elle eut en présence de plusieurs prêtres etdames, elle parla trois quarts d'heure de Dieu d'une manièresi affectueuse, qu'elle nous fit tous pleurer d'attendrissement ; elley tomba en extase deux ou trois fois..... Un Ange l'entretint presquetout le jour à la fête des Saints Anges.

Le 16 octobre elle eut beaucoup de lumièreintérieure ; elle ressentit aussi un amour vif etbrûlant. Elle me dit le soir à l'églisequ'elle craignait d'éclater. Le lendemain ellebrûlait d'amour et souffrait le martyre de ne pouvoircontenter son amour ; son état était conformeà celui de sainte Thérese, comme on le voit dansle beau cantique que cette grande sainte fit après sacommunion… Le Sauveur lui a dit : « Tu sais qu'unpère veut que son enfant partage ses peines. » Oui,mon Sauveur, a-t-elle répondu, mais l'enfant le trouve, ilest toujours avec lui... « Non, ma fille, le pèrelui fait faire quelquefois un long voyage et des commissions......» Il lui a fait aussi cette comparaison : « Il y asur mer de gros et de petits vaisseaux qui ont tous la mêmedirection ; ceux qui sont dans ces vaisseaux se laissent conduire parle pilote : laisses-toi conduire par le tien… » Le31 Octobre, elle trembla une demi heure en faisant oraison, sa frayeurfut causée par l'idée qu'elle eut de la grandeurde Dieu… Le jour de sainte Catherine, sa patronne, ellesouffrit une partie de son martyre. Dieu lui dit : « Mafille, je suis envers toi comme est quelquefois un pèreenvers son enfant, il est sérieux et ne répondpoint aux caresses de cet enfant qui veut approcher de lui pour enêtre flatté ; cependant ce père l'aime,il diffère seulement de lui témoigner sonamitié. Dieu éprouve cette fille par dessouffrances, ou    prie pour elle. Alors illui dit : « J’ai agi à tonégard comme un père qui châtie cetenfant ; un ami survient et le prie de ne pas le frapper davantage, lepère cesse et est bien aise qu'on l'en aitprié…. » Le premierdécembre, étant à l'église,éprise d'un excès d'amour, elle eut ledésir d'aller ouvrir le tabernacle.... Elle s'efforce deremercier Dieu, elle ne peut et s'en plaint ; il lui dit, «qu'un vent fort enlève la semence qui est sur les fleurs etqu'un zéphyr l'y conserve....» Une autre fois, unAnge lui dit : Je loue et j'adoreDieu pour toi.... Mon coeur, medit-elle, est en moi comme s'il était au milieu d'unétang glacé... Dans un autre temps, il esttiré et comme arraché de mes entrailles.

Le Sauveur lui dit : « Tu es comme un voyageur qui a unelongue route à faire et qui voit dans la route de grandesbarrières qui  l'empêchent d'aller plusloin, je t'ouvrirai ces barrières et tu verras ensuitedifférentes montagnes, mais il faut toujours avancer et tuparviendras.... » Le 19 Décembre elle voit la facedu Sauveur, elle en est si occupée qu'elle garde le silenceun demi quart d'heure, elle éprouve alors beaucoup dedouceurs, il se retire et lui fait sentir une extrêmeconsolation. Alors elle nous a très-bien parlé deDieu, mais sans savoir ni ce qu'elle disait, ni même si elleparlait, elle ne sentait point du tout son corps, elle a eu beaucoup delumières en esprit, alors elle a franchi lesbarrières et elle est allée parmi les montagnes,dont les chemins se sont comme aplanis... Elle fut trois jours dans lesépreuves avant Noël, après quoi un Anges'approche et lui dit: Gloria inexcelsis Deo, et in terrâpax hominibus bonae voluntatis. Elle éprouve ensuite degrandes lumières, un amour ardent et ne sent pas son corps.Le Sauveur lui dit : « Vois les arbres comme ilsrésistent aux vents et aux tempêtes, net'ébranle pas, sois ferme, tu ne veux pas êtreà la tête des choses, tu  voudraisêtre comme ces petites barquettes qui suivent les grosvaisseaux sur mer. » (Dieu lui avait dit qu'il voulaitétablir une Société pour visiter lespauvres et les malades et les mieux disposer aux Sacremens et qu'ilfallait qu'elle fût Supérieure de cetteSociété, c'est cette congrégation quiexiste aujourd'hui, six ans après sa mort... Comme elleavait constamment refusé d'en êtreSupérieure et qu'elle avait prié Dieu d'en mettreune autre à sa place, à quoi le Sauveur luirépondit que « puisqu'elle ne le voulait pas,elle ne le serait pas. » J'étais loin de croireque cette Société ou congrégationà laquelle personne ne pensait, dût se formeret  exister 6 ans après sa mort).... « Tucrains toujours, dit-il les difficultés, ne crains pas lesvents, ceux qui conduisent sur mer les vaisseaux n'attendent pas untemps calme pour partir pour leur destination, ils vont àtravers les flots et les tempêtes...... Il faut, pourrecevoir ma grâce, que le coeur soit disposé, sil'on met dans un vase où a été unemauvaise liqueur, quelqu'autre liqueur bonne et agréable,celle ci sera bientôt corrompue ; où si l'on metsur des habits sales et malpropres des habits propres et bien blancs,ceux-ci se trouveront gâtés.......... »Etant près de communier, le démon lui met dans labouche des blasphèmes qu'elle ne prononce pas, (on en voitdes exemples dans les ouvrages de spiritualité). En 1812, lejour de l'Epiphanie, elle présenta son coeur dans sa main,(comme je le lui avais dit,) à l'Enfant Jésusavec beaucoup d'affection, en se plaçant parmi les Magesdans la crèche, elle le prie de le prendre : il lui ditintérieurement « qu'il accepte son offrande,qu'elle vient d'un pur amour, qu'elle lui est agréable.» Elle le prie de lui donner son coeur à la placedu sien, il le lui donne, mais en lui disant que « son coeursouffre toujours et qu'il faut qu'elle  souffre. »Si le plaisir intérieur qu'elle ressentait aprèssa communion n'eût pas cessé, elle auraitsuccombé par un excès d'amour..... Une autrefoisson coeur étant devenu sec et aride, il lui dit :« Que les arbres éprouvent la rigueur de l'hyver,les pluies, les gelées, les vents  froids,qu'ensuite ils produisent des fleurs qui donnent des fruits....» Il lui montre sa face et ensuite son coeur et lui demandepermission d'entrer dans le sien. Elle lui dit de le prendre toutentier, et elle est un moment en extase, après quoi elleparle avec beaucoup d'onction.... Un jour qu'elle ressentait de vivessouffrances, le Sauveur lui dit: « Il faut que tu sois commece fer qu'on fait rougir à la fournaise. » Ellesouffrait et me dit en prononçant lentement et avec peine,de prier pour elle, elle ne pouvait prier elle-même, tantelle  souffrait... Elle me dit que ce qu'elle souffrait pourpouvoir trouver son époux, était un martyre,etc… Il lui est accordé de connaîtrel'intérieur de quatre Prêtres. Elle le leurdéclare... Le 22, elle souffre intérieurement le martyre,elle seregarde comme étant dans un lieu souterrainextrêmement profond, elle fait des efforts pour remonter,mais en vain, elle les renouvelle, elle grimpe et retombe avec leterrain qu'elle avait saisi. Elle n'a plus d'espoir… Sij'étais en haut, dit-elle, j'aurais quelqu'espoir de letrouver, mais non.

Le Sauveur lui dit : « Il faut que tu suives tonétoile, sois soumise, tu consulteras ton Ananie…Un Pèlerin qui entreprend une longue route a besoin d'unguide, ce guide connait plus à fond lesdifficultés et prévoit les obstacles, ilaperçoit des nuages épais, les vents et lesorages se forment et se font entendre, alors il fait avancer levoyageur qu'il conduit. »

Lui ayant marqué le désir qu'elle avait de vivrecachée et éloignée des yeux du public,il répondit: « Cet arbre qui donne des fruits etsur lequel est tombé la rosée, n'est-ce pas pourle public ? Est-il caché ?... » Comme elledésirait se retirer du monde et s'enfoncer dans la solitudeet les déserts, il lui dit : « Tu serais beaucoupplus tentée dans la solitude, et tu ne pourraisêtre soutenue de ton directeur, ni recevoir la communion.....Dans les peines que tu as endurées ces trois semaines, tuétais comme une personne qui est dans un profond bourbier etqu'on rejette dedans lorsqu'elle est près de s'en retirer.»

La sainte Vierge, après s'être montréeà elle, lui a dit: « Ne veux-tu pas bien ma fille,souffrir pour mon fils, de la manière dont il a souffertpour toi » ? C'est un trop grand honneur pour moi, arépondu cette fille ; mais je ne sais pas si mon confesseurle voudra. « Oh ! oui, a-t-elle dit, il ne le refusera pas.» Aussitôt ma fille a senti dans son COEURet dansson AME une défaillance qui s'est fait sentirjusques aucorps, et qui a cessé un moment après. La sainteVierge lui a dit que « c'est le commencement des douleursqu'elle doit éprouver au temps de la passion deson fils »....

Le Sauveur lui a ensuite dit: « Tu es comme  uncrystal sur lequel il y a quelques taches et quelques salissures, tonconfesseur aura bien soin de les essuyer : ainsi en teconsidérant, il se connaîtra lui-même. »Elle a été surprise de tous lestémoignages de familiarité et d'amour, qu'il luia donnés ; ce qui lui a fait dire : est-ce vous, mon Dieu,qui me parlez ? Il a répondu : « Oui, ma fille,c'est ton Dieu ».... Lorsqu'il lui parlait, elle sentait dansson âme une sainte liberté, une paix pleine dedouceur, une facilité de penser, une tranquillitécomme inaltérable, elle était alorspénétrée de la présence deDieu qu'elle entendait, mais qu'elle ne voyait pas.....

Le Vendredi-Saint elle souffrit beaucoup, surtout en se voyantprivée de la communion. Le Sauveur lui dit : « Tuauras la satisfaction de prononcer mon nom, et celui de mamère, au moment de ta mort » ; ce qui estarrivé, joint à une grande confiance dans sesderniers jours, état différent de celuioù elle avait été bien des foisauparavant ; comme il lui recommandait de dire à sondirecteur qu'il eût grand soin d'elle, il lui a faità elle-même cette comparaison : « Uncultivateur qui soigne une jeune plante a bien soin de couper etd'ôter tout ce qui peut l'empêcher decroître, il arrache, il nettoye, et la plante donne desfruits. »

Ayant dit au Sauveur qu'elle consentirait bien àêtre privée du bonheur de s'entretenir avec lui,et de marcher dans une voie aussi extraordinaire, pourvu qu'ellepût l'aimer, il arépondu : « Pourquoi, ma fille, veux-tuêtre privée par-là de tant degrâces que tu reçois ? Un petit enfant fait sescaresses à sa mère, il lui témoignecombien il l'aime, mais il attend que sa mère luitémoigne son attachement. Tu étaisextrêmement sensible, vois à présentquelle différence, et quel est ton courage » !...Elle est convenue cette fois-ci, comme plusieurs autres fois, qu'ellen'est point dans l'illusion, comme le démon l'en avaitpersuadée quelquefois...... Le Seigneur lui ayant dit debien m'exposer quel est son état d'oraison, elle m'a dit quedepuis un an, elle se trouve dans des momens de jouissanceparfaite, que la partie supérieure de son âmereçoit d'une manière passive les impressions dela Divinité, qu'elle voit et entend tout avec une parfaiteliberté ; (cet état est celui d'union). Il luiarrive souvent alors de ne point sentir son corps, et ce repos en Dieuest si parfait qu'elle le préfère à cequ'on pourrait lui offrir de plus grand et de plus heureux.

Un autre jour, le Sauveur lui dit : « Dis àton  confesseur qu'il offre le saint sacrifice pour toi, faistout ce qu'il te dira, on fait aller devant soi un petitenfant à la moindre parole, il part au moindre mouvement ;pourquoi te troubles-tu et veux-tu te retirer de lacommunion ? Les plantes ne restent-elles pas à lamême place, quoiqu'elles soient agitées par lestempêtes, elles attendent un temps calme où ellesproduiront des fleurs  et des fruits, le lit de la mer nereste-t-il pas toujours à sa place en attendant le retourdes flots ? Toutes les grâces doivent s'achever par lespeines ».....

Au moment où il s'est séparé d'elle,comme il le lui avait annoncé, (ce n'était qu'uneépreuve), il lui a gravé dans l'imaginationplusieurs comparaisons qui font bien voir qu'elles viennent de lui, carune jeune personne sans étude ne pourrait tout àcoup, et dans le temps d'une seule heure d'oraison, inventer tant desimilitudes aussi naturelles et si capables d'exposer l'étatoù Dieu l'a laissée ; il s'agit surtout du videet de la privation de grâces sensibles où il alaissé son âme en se retirant d'elle : elles'exprime ainsi : « Mon âme est comme la terre enhiver lorsqu'elle est dépouillée de sonabondance...  Elle est comme un arbre qui estdépouillé de ses fruits et de ses feuilles...Comme un agneau dépouillé de satoison… Comme le rivage et le lit de la mer dont les eaux sesont retirées...  Comme un corps qui n'a pointd'âme… Comme un bâtiment vide et quin'est point occupé... Comme un oiseau qui a perdu sonplumage et qui voudrait voler et ne le peut... Comme  ledésert dont la vue attriste dans la saison de l'hiver...Comme le temps de la nuit où le soleil ne répandpoint ses rayons... Comme une nuit épaisse où lalune couverte de nuages ne peut donner sa clarté…C'est ainsi, m'a t-elle dit, que comme un aveugle, je vous prie de me conduire dans les sentiers que vous fait choisir votreprudence... Peu de temps après, elle fait ces autrescomparaisons : je  suis comme un enfant que sa mèrea sevré, elle le donne à soigner à uneautre personne ; la mère cependant qui semble l'abandonnerne s'en éloigne pas, au contraire, elle s'en approche, maissans se montrer, l'enfant pleure et crie, ne la voyant plus, mais ilse tranquillise ensuite par l'espoir de la revoir dans l'instant.

« Je suis aussi comme une pauvre personne couverte dehaillons, et qui avait auparavant de riches et   de brillans habits qu'on lui a ôtés...Enfin, je suis comme cette plante stérile qui attend larosée qui la féconde et qui devient ensuiteéclatante, et d'une beauté admirable... Je suisaussi comme le terrain  où elle estplantée ; cette terre ne peut rien produire si elle n'estcultivée par une main habile »...... Je lui aidemandé si elle cherche..... Oui, je cherche, mais j'aibeaucoup plus de courage et de résignation... Dans maprivation des bienfaits de Dieu, je me console en pensant qu'il secontente lui-même en me privant de ses grâces, etqu'au contraire je me contente moi-même, lorsque j'obtiensqu'il me comble de ses faveurs... Les comparaisons suivantes seprésentent encore à son esprit : lapremière dont j'ai déjà dit quelquechose, est un enfant qui s'est jeté avec trop d'empressementdans les bras de sa mère, mais qui la presse et la caresseavec importunité pour en recevoir quelque chose qu'elledésire ; la mère lui dit sérieusementque tandis qu'elle la pressera ainsi, elle ne lui donnera rien, maisque si elle est tranquille, elle lui donnera ce qu'elle demande ;l'enfant se tranquillise et attend avec patience....., Une secondecomparaison est celle d'un enfant qui est habillé etparé d'une manière très-brillante ettrès-riche ; tout le monde le regarde, le caresse,l'embrasse à cause de ses habits précieux ; cepauvre enfant y est indifférent, et ne connaît pasla cause de toutes ces caresses. Un autre enfant, au contraire, estdélaissé, et comme méprisé,parce qu'il est mis pauvrement... Cette fille en a conclu que les donsde Dieu, les faveurs du Ciel font toute la gloire d'une personnevertueuse et que cela ne vient pas d'elle, que, semblable àl'enfant pauvre, elle n'a par elle-même que misèreet pauvreté, que cela lui appartient, et qu'elle ne doit pasfaire cas de l'estime et de l'affection qu'on a pour elle àcause des dons qu'elle a reçus et qui ne viennent pas d'elle.

Elle nous a dit à mes amis et à moi ce qui sepassait dans notre intérieur...... Comme elle priait avecnous pour le PAPE captif alors, le Sauveur lui a dit :« Disà mes Ministres qu'il est uni à moi et qu'ilmarche par la voie par où j'ai marché ; il aajouté qu'il faut qu'elle souffre aussi, et que le fer soitmis au feu pour qu'il perde sa rouille, il faut qu'ilreçoive les coups de marteau. La vigne qui pleure seplaindrait si elle avait du sentiment, cependant ne faut-il pas qu'ellesoit taillée pour rapporter. »
   
Je l'avais prévenue, après de vives peinesintérieures qu'elle avait ressenties, quej'espérais que le Seigneur lui accorderait quelque douceur ;deux jours après, elle ressentit un amourtrès-vif qui dura un quart-d'heure, après quoielle eut une forte pensée que je voulais lui parler,lorsqu'elle sortirait de l'église où elleétait alors... (j'étais dans ma chapelle). SonAnge aussitôt lui dit : tonconfesseur veut te parler :c'était vrai, mais je n'en donnais aucun signe, parcequ'elle était éloignée et qu'elle nepouvait me voir. Il faut,dit-il, que tu lui obéisses,alors elle se leva d'auprès l'Autel, où elleétait, et vint me dire que rien autre chose quel'obéissance ne lui aurait fait quitter cette douceurqu'elle éprouvait. Je lui demandai si elle étaitextrême, elle me répondit oui avec beaucoup dedifficulté, parce qu'elle recommençait, etqu'elle se fit vivement sentir encore près d'unquart-d'heure.

« Quelle douleur, me dit-elle, ne ressent pas uneâme d'être privée de l'amour, quand unefois elle l'a goûté ! Je suis comme si jen'étais pas ; ce n'est pas moi qui vis, c'est J.-C. qui viten moi ; je suis à mes yeux comme un atome. » Elledisait ceci toute pénétrée de l'amourdivin dont elle me faisait entendre les soupirs et les accens. Je suis,disait-elle, comme ces édifices dont les fondemens ne sontpas solides, lorsque le temps est calme, il n'y a pas àcraindre, mais dans le temps des vents et des tempêtes, ilssont bien en danger s'ils ne sont soutenus..... Le Sauveur lui dit:« Tu n'as pas dit àton confesseur toute la comparaison que je t'avais   faite du bâton entre les mains du vieillard, et del'outil entre les mains de l'ouvrier ; le vieillard et l'ouvrier s'enservent comme ils veulent, et les prêtent àd'autres personnes à qui ils sont véritablementutiles (elle est entre les mains  de Dieu et de son directeurle bâton et l'outil qui doivent servir àd'autres). »
    
Il la compare aussi à un cierge... « Ce cierge,a-t-il dit, porte la lumière qui, comme celle du soleil,finit au temps marqué, il porte aussi le feu qui lebrûle par degrés, jusqu'à ce qu'il soitconsumé »...... Le Seigneur lui ayantannoncé son éloignement, ce qui l'attrista, luidit: « Tu sais que mes Apôtres s'attristant sur mondépart, je leur dis que c'étaitnécessaire, et qu'autrement ils  ne pourraientrecevoir l'Esprit-Saint ».....

Je suis, m'a-t-elle dit, comme un aveugle qui a un ami qu'il voudraitvoir, au moins, s'il pouvait l'entendre, il se consolerait.
    
Elle a éprouvé toute la semaine un abandon, undécouragement excessif, une volonté absolue detout laisser, de tout quitter, un dégoût pour lessacremens, une impossibilité de prier, de remercier, unedisposition au mal, sans faire de mal, une conviction de sa perteéternelle, semblable à celle de S.François de Sales. Le Seigneur ayant rétabli lapaix de son âme, elle a reconnu que ces épreuvesextrêmes lui étaient utiles pourempêcher l'effet de l'amour propre, dans la jouissance deslumières et autres communications surnaturelles, qu'elleéprouve de temps en temps,..... Le Sauveur lui a dit qu'ilveut se séparer d'elle comme il s'estséparé de ses apôtres, pour la priverdu plaisir qu'elle aurait d'être avec lui, et que c'est unefaveur qu'il lui accorde...... Dans une vision, elle a vu plusieursâmes ; elle était, comme elles,attachée à Dieu par des fils d'or pur, quiressemblaient aux rayons du soleil ; les uns étaient pluscourts, les autres plus longs ; ce qui lui a causé uneheureuse et vive sensation, c'est qu'elle s'est trouvée,sans savoir comment, contre la porte du ciel...... Accabléede peines intérieures, la semaine d'avant le jour de laPentecôte, son directeur lui fit espérer que leSt-Esprit dissiperait ses peines ce jour-là.... Lui ayantdemandé, peu de temps après, si maintenant ellen'espérait pas être sauvée ? (ellen'avait perdu que le sentiment de l'espoir.) Elle luirépondit qu'elle n'avait jamais eu autantd'espérance... La grâce émut et agitason coeur, et même son corps, pendant plusieursjours... Le Sauveur, en lui parlant d'épreuves, lui dit« qu'il fallait que le fer fût mis au milieudu  fourneau pour s'y purifier, et fût soumisensuite aux coups de marteau pour être employé..... Il en est de l'état de tonâme, lui disait-il, comme d'une personne qui,après avoir joui d'une pleine liberté, se trouveréduite au cachot, une personne la visite et lui faitespérer sa délivrance... » Un jour,étant ensemble dans un lieu de dévotion, elle medemanda à faire avec moi l'oraison : Je lui dis que, commeSte Thérèse, je voulais prendre un sujet ; ellerépondit : l'humilité. Je l'applique au Sauveuren paraphrasant cette pensée, qu'il est tout et que nous nesommes rien, et que cependant le tout se communique et s'unit aunéant, le comble de faveurs, meure pour lui, etc. etc. Jelui demande que nous nous prosternions ensemble devant la plaie de soncôté, et je l'engage à dire quelquesparoles sur l'amour de Dieu ; elle me dit : il faut donc luitémoigner une grande reconnaissance. Aussitôt elletombe en extase : j'attends un moment, après quoi ellesoupire, et me dit avec peine et à voix basse, mon coeurest blessé d'amour, on ne peut concevoir ce que c'est :jene pourrais jamais l'exprimer : ces paroles mon coeur estblessé d'amour sont celles de l'épouse ducantique des cantiques. Le lendemain la même chose luiarrive, après quoi je lui demande si, pour goûterces instans de douceur, elle voudrait supporter les trois semainesd'épreuves qu'elle venait d'endurer ; elle merépondit pour le moins....Peu de temps après,le Sauveur comparant son âme à un vaisseau, luidit : « qu'on ne peut le conduire sans les vents, que cesvents sont souvent contraires, et qu'il tourne alors comme lesvoiles.... »

Le cinq Août, après sa communion, elle a vu laSte. Vierge priant son fils, qui paraissait irrité contreses peuples, le fils priait aussi son père...Enmême-temps elle a vu quatre anges en l'air, qui tenaient dequoi à la main et s'efforçaient d'appaiser lacolère de Dieu ; ils étaientélevés de façon qu'ils tenaient lemilieu entre Dieu et le peuple : nous étions avec elle, nousautres qui sommes de sa société, et tous lespeuples y étaient présens ; elle m'a dit que lenombre des justes paraissait assez grand pour appaiser lacolère de Dieu. Le soir elle voyait encore toutintérieurement.

Le 25 du mois elle endure de violentes souffrances ; elle se voit commeplacée sous un buisson d'épines dont elle ne peutse tirer qu'en s'enfonçant les épines dans lecorps… Un autre jour qu'elle avait beaucoup souffertintérieurement, sans pouvoir m'expliquer le mal qu'elleressentait, le Seigneur lui dit : « Dis à ton confesseur que tu as senti dans tonintérieur les mêmes peines que si on eûtpris ton âme avec des tenailles et qu'on l'eûttiraillée en tous sens.... » Son coeurs'étant trouvé noyé, comme s'ileût été dans les eaux de la mer, elles'efforçait de le dégager de cet étatet ne le pouvait pas… Il en est de même dupécheur, me dit-elle, lorsqu'il est noyé dans sescrimes, il fait des efforts pour les quitter, mais il retombe s'il n'apas une main charitable qui le secoure (c'est un confesseur )... Commeelle pensait à quelques prêtres, le Sauveur luiinspira cette comparaison : « De même que deslustres sont sous les yeux des fidèles pour lesélever à Dieu par l'admiration des chosesbrillantes, de même les vertus des prêtres doiventéclater aux yeux des peuples pour les porter àglorifier Dieu. » Et cette autre comparaison : « Ilen est d'un coeur où Dieu répand sesgrâces avec abondance, pour en faire part aux autres, commed'une mer qui, étant remplie par le retour des eaux, regorgedans différentes branches où ellerépand son trop plein.... » Le 17 Octobre,étant à l'église, elle aété unie aux trois personnes divines, d'unemanière si forte que ce n'était en elle quesoupirs et accens d'amour : alors elle m'a dit qu'elle n'a pas le plusléger doute que ce qu'elle éprouvait nefût surnaturel... Il faut remarquer qu'elle doutait souventdu surnaturel, par la crainte de l’illusion....

Après de grandes épreuves auxquelles elle futsoumise, le Seigneur lui dit : « Je veux me voir dans tonâme comme on se voit dans une glace, et comme il estnécessaire que l'on essuie la glace et qu'elle soit nettepour s'y voir, je veux aussi que ton âme soit pure et nette.Tu sais que le vif-argent est nécessaire et sert d'ornementà une glace ; il en est de même de mon amour pourton coeur….. » S'étant plainted'être quelquefois privée de la douceur qu'elleéprouve dans son amour, il a répondu :« Ne sais-tu pas que parmi les fleurs, il y en a qui exhalentune bonne odeur, et d'autres qui sont aussi belles, et qui n'offrentpas le même agrément ?.... » Comme ellecraignait d'approcher de la sainte table, parce que ledémon, pour l'en détourner, lui persuadait que cequi n'était que des imperfections n'était pasmoins que des péchés mortels, je lui dis qu'ilfallait qu elle obéît comme un enfant qu'on tournecomme on veut, à droite et à gauche, sans qu'ilse plaigne ; elle me répondit : comme un enfantemmailloté dont on fait ce qu'on veut... Un jour elle vitson coeur couvert d'une plaie, elle veut lever elle-mêmel'emplâtre, elle ne le peut ; elle conçoit quec'est à moi de le faire. Dieu lui fit dire qu'il voulait queje l'humiliasse jusqu'à la mépriser, et en fairecomme d'une boule que l'on jette ou l'on veut…..
   
Le jour de la Dédicace, il lui a dit « de luiélever un édifice comme Salomon, et de me dired'en creuser les fondemens d'une manièretrès-profonde… » L'édificeest son âme, les fondemens sont l'humilité. Ilveut qu'elle soit abaissée « comme le fond desvallées... » Après sa communion, elles'est plainte à lui qu'elle ne sentait que dudésir de faire le mal, au lieu d'ardeur pour le bien ; elles'en plaignait fort. Il lui a dit : « Je te veux comme cela,ces désirs du mal sont autant de flèches pour toncoeur qui ne désire que le bien... Ce désir, que des Saints et Saintes ontéprouvé, n'est pas réel, c'est unetentation... » Le Sauveur, pour la porter à unrenoncement absolu à sa volonté, lui a fait cestrois comparaisons... « Ce n'est que lorsqu'un agneau estdépouillé de sa toison qu'il sent sanudité....    Lorsqu'un arbre estmis à bas, on lui ôte son écorce avantque d'en faire l'usage qu'on se propose... Ne sais-tu pas aussi qu'unmorceau de fer n'est poli et agréable à la vueque lorsqu'il a été bien limé....»
   
Après avoir ainsi entendu le Sauveur, elle sentit en elle ungrand désir de faire tout ce que je lui dirais, non pasqu'elle fût désobéissante, maisl'excès des épreuves la portait àdésirer une autre voie, pour n'être jamaisprivée du plaisir de penser à Dieu et de le prieravec affection... Ce qu'on éprouve de sensible dans lapratique de la vertu lui était souventôté, comme il l'est à bien desâmes vertueuses qui en sont désolées :telle est la parfaite pauvreté dont parle le Sauveur dans lapremière des béatitudes : êtreprivé de tout ce qui n'est pas nécessaire ausalut. Dieu fait jouir les commençans de ce plaisirsensible, il faut du lait aux enfans. La sainte Vierge et sa Patronne,qu'elle vit le jour de sainte Catherine dans un grand éclat,la rassurèrent et l'encouragèrent…
   
Le Seigneur lui fit encore ces comparaisons sur la pureté del'âme... « Si un nuage se présentevis-à-vis du soleil, on ne pourra plus voir saclarté ni profiter de sa chaleur… Si l'oeil n'estpas pur, il ne pourra apercevoir distinctement les objets...» Est-ce vous, Jésus-Christ, qui me parlez,dit-elle,... « Oui, ma fille, c'est ton maître, tonSeigneur et ton Dieu........ » Il lui a dit que sesépreuves et ses sécheresses luiétaient nécessaires, « qu'ellen'avancerait pas sans cela, et qu'il fallait s'attacher à ladirection comme à une colonne inébranlable, etcomme le matelot s'attache aux cordages dans la tempête...» Elle écoute la voix de son époux,mais, en considérant sa faiblesse et son impuissance, ellese compare à une feuille d'arbre qui ne peut ni pousser niremuer que par le vent...... Après sa communion soncoeur jouissant d'une grande paix, elle dit : un voyageur quia un long voyage à faire doit s'encourager pourl'entreprendre, mais celui qui l'a commencé doit continuersa route avec tranquillité..... Les brebis quis'égarent, ou qui vont de côté etd'autre, doivent obéir au pasteur qui les rappelle, et ellesdoivent aller avec docilité aux endroits où illes conduit...... Elle se croyait coupable des désordres qued'autres commettaient, et se comparait à ces corps si vilset si gâtés que la mer les rejetait ; il faut queje sois purifiée, dit-elle, jusqu'à ce que jepuisse flotter dans le sein de la miséricorde...... Le 12Décembre, son esprit se remplit de nouvellescomparaisons...... Elle se voit avec notresociété comme dans un beau jardin, oùchaque personne a sa fleur, plus ou moins brillante, quis'élève de terre : celle des prêtres,à cause de leur caractère, est admirable ;différentes branches en sortent et mettent àl'abri les autres fleurs. Elle voit la sienne chétive,autour de laquelle sont plusieurs branches sèchesà couper, mais elle ne le peut, sans le jardinier (c'est ledirecteur)...... Le Sauveur lui dit un jour, vas-y (c'étaitdans une autre société oùétait l'esprit de Dieu, elle en avait plusieurs àLisieux de cette espèce) ; tu recevras des grâcesque tu répandras dans ta société,comme le sang qui coule dans nos vaisseaux se répand danstous les membres de notre corps ; ces grâces vous donnerontà tous une nouvelle ardeur. C'est là qu'elle eutune extase où elle disait : je veux l'aimer, aimez-le tous,soyons tous unis à lui par l'amour, aimons-nous tous : ellene se connaissait guères en parlant ainsi, le feu de l'amourdivin était sur son visage, elle goûtait unegrande joie accompagnée de douleur. Il lui dit qu'il fautque son coeur fonde, par sa grâce, comme la cire fond devantle feu, qu'elle ne résiste en rien et qu'elle abandonneentièrement sa propre volonté... Beaucoup depersonnes, même vertueuses, auraient bien de la peineà croire quel est l'état de pureté queDieu exige de nous..... Le dernier jour de l'an 1812, Dieu s'estcommuniqué à elle avec une tendre affection, ellea ressenti, dans la partie inférieure de son âme,le plus sensible amour. Elle m'a dit que ses trois puissancesétaient en un parfait repos et en pleine liberté,qu'elle avait eu toujours quelque petit doute qui accompagnait lescommunications et les entretiens les plus intimes, mais que pour cettefois, son âme était entièrementconvaincue du surnaturel et des communications divines..... Le jour del'Épiphanie, elle a eu une pleine liberté de sespuissances et une grande joie intérieuremêlée de souffrances, mais la douceur lui faisaitoublier la douleur... Elle a eu deux extases, et craignantd'être trompée, elle a dit : Est-ce vous,Seigneur, qui me parlez ? N'est-ce point imagination ? « Non,ma fille, c'est moi : n'éprouves-tu pas dans tonâme des douceurs et la paix ? » C'est ce qu'elleéprouve ordinairement lorsqu'il se communique àelle ; ce qui n'arrive pas dans les tentations du démon...Le 13 Janvier, jour du Baptême du Sauveur, le St.-Esprit l'abrûlée du feu de son amour, son corps s'ensentait. Elle eut, dans l'église, la penséed'ouvrir le saint Tabernacle ; elle était horsd'elle-même par l'excès de l'amour. Voyant unprêtre en prières, elle fut sur le point d'allerlui dire qu'elle voulait aussi qu'il aimât J.C...... Le 18Janvier, étant agitée ducôté de l'espérance, elle se compareà un petit bateau agité par des vents contraires,tantôt on désespère d'arriver au port,tantôt l'espérance renaît... Il y a peude jours, étant dans la souffrance, elle désiraitl'absolution pour communier : je lui dis que je ne la lui donneraispas, et que je voulais qu'elle allât aussitôtcommunier, elle s'y détermina ; après sacommunion elle sentit beaucoup de joie intérieure, et leSauveur lui dit : « Vois ce que c'est quel'obéissance ! tu étais dans la peine, tu devais,naturellement parlant, souffrir de la volonté de tonconfesseur, et cependant tu as ressenti une grande consolation ; tuvois ce que c'est que ma grâce. » Elle eut ensuiteune extrême jouissance et une extase qui la mit dans unparfait repos ; l'esprit cependant était plusaffecté que le coeur, elle était plus convaincuede ce qui se passait dans son esprit, que si elle l'eût vu etentendu extérieurement ; ce qui prouve, me dit-elle, que cetétat est surnaturel, surtout par son extrêmeopposition avec celui où je suis dans mesépreuves...... Le 16 Mars 1813, elle ne peut sepénétrer de la présence de Dieu, nirien lui dire, ni même avoir la foi nue ; elle s'estregardée comme un enfant au berceau, entouré etenvironné d'objets qui l'arrêtent et luiôtent toute liberté, et comme une personneenchaînée qui, ainsi que l'enfant, attend qu'on laretire de sa détention et de sa captivité.... Lasainte Vierge lui dit qu'elle étaitdélaissée comme un enfant qu'on laisse seul dansun appartement, et qu'elle dise à son directeur que sondivin Fils la lui abandonne comme un père laisse un enfantaux soins d'un fils aîné........

Le 18 Avril, Dimanche de Pâques, Dieu lui dit que son Fils aaussi éprouvé une séparation d'aveclui... « Il l'a comparée à une feuillearbre, qui, pour se mouvoir, a besoin d'un  souffle de vent,alors son coeur s'est ému et cet état deliberté, si contraire à l'étatd'impuissance où elle était réduite,l'a convaincue de la présence de Dieu et de sagrâce...... » Le 26 Juin, après l'avoirexhortée à s'abîmer dans sonnéant, parce qu'elle ne pouvait sepénétrer de la présence de Dieu, elles'est mise en esprit sur le bord d'un précipice pour s'yenfoncer, mais la main de Dieu l'a toujours repoussée dubord. Elle s'en est plainte : il lui a dit « qu'il veut luifaire voir que sans lui on ne peut rien et qu'il faut que je l'humilie,qu'il faut que le fer rouillé soit limé pourdevenir poli, qu'il faut qu'il passe dans la fournaise et soit ensuitebattu à grands coups de marteau ; que la vigne doitêtre taillée et ses branches coupées,qu'elles repoussent et qu'on les recoupe, qu'on les étend enespalier pour les couper, etc... » II lui donna cette vision: je me voyais, m a-t-elle dit, comme un enfant qui a un livre ouvertsous ses yeux et qui n'y comprend rien si on ne le lui faitcomprendre....... Le Seigneur m'a aussi « comparéeà une jeune plante frêle exposée auxvents et aux temps durs qui la feraient périr si ellen'était derrière une autre (le directeur), qui lagarantit et la couvre de ses  branches...... Elle voyait celareprésenté....... » Etantprête à communier, le démon luiinspirait de blasphémer et de renverser le tabernacle......Le Seigneur l'a engagée, en paroles intérieuresbien prononcées, à l'enchaînementà la sainte Vierge (c'est une petite chaîne qu'onporte en son honneur). Il lui a fait entendre ces paroles de nouveau :« Il faut essuyer le crystal, ton âme est uncrystal qu'il faut que ton confesseur essuie, il faut aussi polir lefer, et l'arbre, avant que de produire des fruits au printemps, doitsouffrir les rigueurs de l'hiver ; ce n'est pas l'arbre qui profite desfruits qu'il rapporte, mais le propriétaire quilui-même les distribue à bien d'autres ; demême que le feu ne sent pas la chaleur qu'il produit, mais cesont ceux qui en approchent... » Le jour saintFrançois de Sales, il lui fut dit (elle crut quec'était par lui), après un entretienintérieur : « Placez ce qui vous aété dit sur votre poitrine comme un bouquetprécieux et agréable que vousconsidérez de temps en temps dans la journée,tantôt pour admirer la beauté de ses fleurs ettantôt pour en respirer la bonne odeur, ce qui doit produiredans votre âme des sentimens doux et agréables....» Une autrefois, Dieu lui fit éprouver, medit-elle, une douceur très grande, semblable àcelle qu'éprouve une personne malade qu'on transporte dansune avenue au printemps où elle respire un air doux etbienfaisant. « Elle me dit un jour que souvent il lui passaiten esprit cinq à six comparaisons de suite... »Vers la fin de Février après sa communion, elleentendit en elle différentes choses qu'on m'avaitdemandées à la Sacristie,immédiatement après ma Messe, et qu'ilétait impossible d'entendre naturellement de la placeoù elle était, à cause de sa tropgrande distance et parce qu'on m'avait parlé d'une voixtrès-médiocre ; elle me fit à ce sujetcette comparaison qui lui fut sans doute inspirée comme laplupart des autres ; « qu'un Prêtre qui vient deprendre le précieux Sang est au sortir de l'Autel comme unflacon rempli d'une précieuse liqueur qu'il faut bienboucher de peur qu'elle  ne s'évapore... Il ne fautdonc parler que dans la nécessité. »

Ce recueil est extrait d'une autre plus grand qui ne renfermelui-même qu'une partie des communications que Dieu a faitesà cette fille vertueuse, et je puis dire, avec une parfaitesincérité, que je n'ai rien inventé,ajouté ni falsifié dans ce recueilédifiant... Il est vrai que l'ardeur qu'avait cette saintefille à pratiquer les vertus solides et sublimes de lareligion, surtout dans ses cinq dernières années,n'a été bien connue que d'un petit nombre depersonnes qui en ont plusieurs fois versé des larmes ; desPrêtres en place également instruits et vertueux,des Dames distinguées ont étéétonnés des choses qu'elle disait de Dieu, del'onction et de la facilité qu'elle avait en parlant, sansd'autre interruption que celle qui étaitopérée par ses extases. Elle parlait ainsisouvent trois quarts d'heure....

Ses forces enfin s'étant épuisées, etses douleurs corporelles augmentées, Dieu lui fit sentir enmême-temps des peines intérieures qui lui firentfaire, sans se plaindre, les plus grands sacrifices de soumission et derésignation à sa sainte volonté.

Je lui demandai trois jours avant sa mort si elle souffrait beaucoup,elle me répondit d'une voix basse : on ne peut pas souffrirdavantage. Aussi le Sauveur lui avait dit, quelque temps auparavant,qu'elle souffrirait beaucoup avant que de mourir, mais qu'elleprononcerait son nom, et celui de sa mère, en mourant...Tout s'est accompli comme il l'avait dit. Elle avaitété attaquée, trois mois avant samort, d'une hémorragie de poumon. Ce fut cette maladie quitermina sa carrière, elle eut soin de se fortifier par lesSacremens de Pénitence et d'Eucharistie.... Le jour de samort qui fut un Dimanche, après avoir entendu sa confession,je la laissai entre les mains d'un Prêtre quiméritait toute la confiance qu'elle avait en lui, je lui disqu'étant obligé d'aller dire la Messeà la campagne, comme elle le savoit, j'offriraisà Dieu pour elle le saint sacrifice en l'honneur de lasainte Vierge, et que le premier Mementooù je prieraispour elle, serait vers les onze heures et demie. Le démondès ce moment parut la tourmenter. Elle le fixa aveccourage, et de son poing elle le renvoyait avec force. Aprèsl'avoir ainsi repoussé avec ardeur, elle porta ses regardssur sa fenêtre où elle parut voir, dans unétat de paix et de silence, la sainte Vierge que j'invoquaispour elle. Dès ce moment elle eut plus de libertéde parler et d'agir qu'elle n'avait auparavant. Elle demandaà boire qu'elle prit très-aisément, etmourut trois heures après entre les bras d'une amie. Elleavait demandé à Dieu, dans sa tendre jeunesse, desouffrir pour son amour, il lui accorda en outre l'honneur de souffrircomme lui, plus spécialement, depuis midijusqu'à trois heures. Ce fut alors que cettebien-aimée du Sauveur, comme un fruit mûr sedétacha de la vie pour aller recevoir sarécompense.

Une fille vertueuse, qui l'a assistée et soignéejusqu'au dernier moment, m'a fait connaître cesdernières particularités, et m'a dit qu'elle nedoutait pas que ce ne fût d'abord le démon qui latenta, et ensuite la sainte Vierge qui lui apparut pour la consoler etla secourir. Elle ne savait cependant pas que le démonl'eût tourmentée pendant sa vieintérieurement et extérieurement, et que lasainte Vierge l'eût favorisée bien d'autres foisdes marques sensibles de son assistance.....

Les personnes vertueuses et instruites dans la spiritualiténe balanceront pas à croire toutes cesvérités, et j'espère, qu'elles entireront les avantages qui m'ont porté à lespublier.

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PORTRAITDE JÉSUS-CHRIST.

ON dit qu'il ydans la bibliothèque du Roi une descriptionen langue Arabe de la personne de Jésus-Christ, notreSeigneur, que Publius Lentulus, Gouverneur de Judée, envoyaau Sénat Romain lorsque la renommée deJésus, commençait à serépandre dans le monde, et dont la traduction, mot pour mot,est comme ci-après :

PUBLIUS LENTULUS au Sénat.

« Il y a de l'heure qu'ilest en Judée, un hommed'une vertu singulière, qu'on appelleJésus-Christ : les barbares le croient prophète ;mais ses sectateurs l'adorent, comme étant descendu desDieux immortels ; il ressuscite les morts, et guérit toutessortes de maladies, par la parole, ou par l'attouchement.

« Il est d'une taille grande et bien formée ; ilà l'air doux et vénérable ; sescheveux sont d'une couleur qu'on ne saurait guère comparer,tombant à boucles jusqu'au-dessous de ses oreilles, et serépandant sur ses épaules avec beaucoup degrâces, partagés sur le sommet de satête à la manière desNazaréens ; son front est uni et large ; ses yeux sontbrillans, clairs et sereins ; son nez et sa bouche sontformés avec une admirable symétrie, et ses jouesne sont marquées que d'une aimable rougeur ; sa barbe estépaisse et d'une couleur qui répond àses cheveux, descendant d'un pouce au-dessous du menton, et se divisantvers le milieu, fait à peu près la figure d'unefourche... Il censure avec majesté, exhorte avec douceur,soit qu'il parle ou qu'il agisse, il le fait avecélégance et avec gravité ; jamais onne l'a vu rire, mais on l'a vu pleurer souvent. Il est forttempéré, fort modeste et fort sage. C'est un homme enfinqui, pour son excellente beauté et ses divinesperfections, surpasse les enfans des hommes. »

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CANTIQUE
DE SAINTE THÉRESE,
Après la communion.

JE vis, mais c'est en Dieu, qui vient de me nourrir,
Et j'attends dans le Ciel une si belle vie,
Que pour contenter mon envie,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Dieu s'unissant à moi, par un heureux mélange,
Fait sentir à mon coeur, son amour pur et vif,
Je suis libre, il est mon captif,
C'est lui qui sous mes lois de lui-même se range.
Quoi mon Dieu, mon captif : ah ! le puis-je souffrir ?
Dans ce renversement étrange,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

O qu'il me reste encore une longue carrière !
Que cet exil est dur, qui m'arrête en ces lieux !
Que le séjour est ennuyeux
Qui retient dans les fers mon âme prisonnière !
Attendant que la mort vienne me secourir :
Mais ignorant l'heure dernière,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

La vie est à mon goût, d'une amertumeextrême,
Est-ce vivre, Seigneur, que de vivre sans vous ?
Si l'amour que je sens est doux,
Le terme de l'attente, hélas ! n'est pas de même,
Ce poids rude et pesant m'empêche de courir,
Et toujours loin de ce que j'aime,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Je fonde sur la mort toute mon espérance.
L'arrêt qui limita le compte de nos jours,
Sitôt qu'il en tranche le cours,
D'un meilleur avenir nous donne l'assurance,
Mort, dont le coup propice exempte de périr,
Hâte-toi pour ma délivrance.
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Fol amour des mortels, trop dangereuse vie,
Un autre amour plus noble et plus puissant que toi,
Armé de courage et de foi,
Pour mieux me faire vivre, à mourir me convie ;
Ta perte est le salut où je dois recourir ;
Que ne m'es-tu bientôt ravie !
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

La vie habite au Ciel ; heureux qui l’y peut suivre,
Faisons pour la trouver un généreux effort ;
Ici la vie est une mort,
Dont la mort cependant à la fin nous délivre ;
Approche, douce mort, qu'on ne peut trop chérir ;
Dans l'ardeur de mourir, pour vivre,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Vie humaine, trésor qu'à tout autre onpréfère,
Si mon Dieu vit en moi, si je vis en mon Dieu,
Craindrai-je de te dire adieu ?
Et la mort à ce prix me sera-t-elle amère ?
C'est un bien qu'elle seule a droit de m'acquérir,
Pourquoi faut-il qu'elle diffère ?
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Absente de mon Dieu, je languis triste et sombre,
Qu'est-ce que je puis voir, où je ne le vois pas ?
Ma vie est un affreux trépas :
Mon jour est une nuit et ma lumière une ombre
La source de mes maux sans lui ne peut tarir ;
Lassée d'en voir croître le nombre ;
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Le poisson qui se meurt sorti du sein de l'onde,
Trouve au moins dans sa mort la fin de son tourment.
Mourir est un contentement,
A qui traîne une vie, en supplices féconde,
Trop sûre que le temps ne sert qu'à les[   ]rir,
Vive ensemble, et morte en ce monde,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

En vain pour soulager les transports de mon âme,
Je vous cherche, Seigneur, sur vos sacrés autels ;
Invisible aux yeux des mortels,
Vous suspendez ma joie et redoublez ma flamme.
Ce n'est qu'après la mort, qu'on peut vousdécouvrir.
Viens donc, ô mort que je réclame !
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Vous le savez, mon Dieu, lorsque je vous possède,
A peine puis-je, hélas ! un moment vous garder,
Qu'au plaisir de vous posséder,
La crainte de vous perdre aussitôt ne succède.
Il n'est que le trépas qui m'en puisse guérir ;
Mourons, c'est l'unique remède.
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Mettez fin, mon Sauveur, à ma longue agonie ;
Sans vous je ne puis vivre, et je meurs pour vous voir.
Ne retardez plus mon espoir,
Rompez, brisez les fers d'une âme assez punie :
Il est temps qu'à mes cris, le Ciel se laisse ouvrir.
Brûlant de m'y voir réunie,
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.

Mais non : je dois Seigneur, pour appaiser votre ire,
De ma vivante mort, prolonger les douleurs.
Je dois les yeux baignés de pleurs,
Expier mes forfaits, par un juste martyre   :
Ah ! quand si vivement pourrai-je m'attendrir,
Qu'il soit enfin vrai de vous dire :
Je me meurs de regret de ne pouvoir mourir.