Corps
DUVAL, Louis(1840-1917) : Les diableries de Domfront(1902). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (24.V.2012) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 3ème année,1902. Lesdiableries de Domfront par Louis Duval ~*~DOMFRONT,paradis des hommes d'affaires, enfer des sous-préfets,terreur des malandrins, en vertu du proverbe fameux : Domfront, ville de malheur, Arrivé à midi, pendu à une heure. a eu aussi au point de vue de la diablerie une réputation qu'il ne fautpas laisser tomber dans l'oubli. Les seules sorcières qu'on y connaisse aujourd'hui sont celles du montMargantin qu'on aperçoit au premier plan du panorama magnifique qui sedéroule autour de Domfront, mais sous ce nom on ne désigne plus que lesdélicieuses perdrix grises qu'abritent les bruyères et les buissonsdont est couvert le plateau du mont Margantin. Il en était autrement au temps du compère Mathieu, de Jérôme et de Jeande Domfront. Au sommet du mont s'élevait un gros hêtre près duquelaurait été bâti, avant l'établissement du christianisme, le temple deCérès détruit par saint Front, apôtre du Passais. Au pied de ce hêtreeurent lieu, dit-on, pendant longtemps, des assemblées nocturnes,décorées du nom de Sabbat, auxquelles le diable en personne auraitdaigné présider sous la figure d'un grand bouc noir. C'est du moins ce qui est affirmé dans la Réponse à la lettre écrite àM. le Curé de Domfront, au milieu du XVIIIe siècle, conservéedans lespapiers de M. Caillebotte, auteur d'une Histoire de Domfront, qui mefut communiquée il y a une vingtaine d'années par M. Urbain Patou,avocat à Avrilli. D'après l'auteur de la Réponsele Sabbat comportait plusieurs partiesauxquelles tous ceux qui y étaient convoqués n'avaient pas le droitd'assister. Des danses précédaient et accompagnaient l'ouverture de cequ'on pourrait appeler les grands mystères de la sorcellerie, dont lavue était interdite aux profanes. Les postulants ou apprentis n'étaientadmis qu'à cette partie de la fête. Au milieu du cercle étaient lesapprentis sorciers qui s'exerçaient à la composition des philtres, desmaléfices destinés aux opérations magiques, nouement desaiguillettes, stérilité, maladies diverses sur les hommeset sur les animaux, grêle, tempêtes, sorts, etc. Les maîtres sorciersavaient seuls le privilège de se tenir auprès du bouc noir et de luirendre leurs hommages dont nous supprimons les détails immondes. Cen'était, naturellement, qu'après des épreuves longues et difficilesqu'on était admis à cette suprême faveur. Les nuits où avait lieu le Sabbat, on préparait un grand festin ; ontuait un taureau noir dont on réservait le sang et les entrailles pourla composition des maléfices; le reste était mis à la broche devant ungrand feu autour duquel l'assemblée nue dansait une ronde infernale. Ons'asseyait ensuite sur la bruyère et les réceptions de sorcierscommençaient. Le récipiendaire s'approchait et jurait un inviolablesecret en signant le pacte de son sang. Le grand bouc noir le faisaitalors asseoir à sa droite et lui mettait sur la tête une couronne degui de chêne. A partir de ce moment il était en possession des droitset privilèges réservés aux maitres sorciers. Il faut bien croire que ces assemblées ont réellement existé, puisqu'onen trouve des traces dans les légendes populaires qui circulent encoreaux environs de Domfront. On raconte que, pour éviter la confusion deshommages rendus au grand bouc noir, les habitants du pays, ses suppôts,se partageaient en deux bandes. Ceux de Saint-Brice, de Lucé et deTorchamp, s'étaient réservé la fesse gauche ; ceux d'Avrilli, de laBaroche et de Ceaucé, la fesse droite. On prétend encore que pours'assurer de la fidélité de leurs femmes et pour mettre leur front àl'abri de tout accident fâcheux, les maris avaient bien soin de toucherles cornes du grand bouc. Ces assemblées nocturnes durent appeler de bonne heure l'attention desjuges de Domfront. On sait que le Parlement de Normandie en 1672 fitarrêter un grand nombre de bergers et autres gens accusés d'êtresorciers. Suivant l'auteur cité ci-dessus, les assemblées du Mont Margentinauraient fini par se réduire à une réunion annuelle, la veille de laSaint-Jean, au lever du soleil, ou plutôt des soleils, puisqu'onprétend que du haut de la montagne on voit ce jour-là trois soleils. La déclaration du roi du mois de juillet 1682 contre les magiciens,sorciers ou empoisonneurs ne réussit pas à purger le pays de tous lesrestes de superstitions et de diableries. II existe près de Domfront, à Saint-Bômer-les-Forges, un ancien châteauappelé le Château du Diable,auquel se rattache une légendefantastique reproduite dans Espritset Fantômes, recueil de légendes(Domfront, Liard, 1872). Cet état d'esprit favorisa différentes tentatives criminelles dont lesjuges de Domfront eurent à s'occuper vers le milieu du XVIIIe siècle.Sur la fin de mars et au commencement du mois d'avril 1745, desmalfaiteurs, déguisés en moines et en ermites, entrèrent de nuit dansl'église de Notre-Dame-sous-l'Eau et renversèrent toutes les tombes,notamment dans la chapelle des Douze Apôtres. Ils renversèrent en outreune grosse pierre grise servant de tombeau, placée devant l'autel etpour cela se servirent de bœufs, de chevaux et de poulains à déchargerle cidre. Il résulte de l'information faite à ce sujet que par ce moyenils découvrirent un grand trésor qu'ils enlevèrent et dontils montrèrent des pièces (1). En 1756, André Husson, de Lonlai-l'Abbaye, présenta une plainte aulieutenant particulier au bailliage de Domfront contre les calomniesportées contre lui par plusieurs habitants de la paroisse quil'accusaient d'avoir ensorcelé leurs chevaux et d'en avoir fait périrplusieurs par ses maléfices. D'autres prétendaient que par la même voie« il leur dérobait le lait et le beurre de leurs vaches, qu'il avaittournoillé trois fois à l'entour de leur maison pendant qu'ilsfaisaient un remède contre ce sortilège, parce qu'ils tiroient le cœurd'un cheval que ledit plaintif étoit taxé d'avoir fait mourir parmagie, qu’ils larderoient le cœur de clous, d'aiguilles et d'épines etque le plaintif ne manquerait pas de venir à leur maison. » Les plus acharnés annoncèrent qu'ils le tueraient d'un coup de fusil ;« que, pour cet effet, ils le chargeraient avec trois balles pendantqu'ils feraient bouillir la corne d'un des chevaux qu'ils avaientperdus de mort naturelle. » L'apercevant un jour, les forcenés fondirent sur lui, un coutelas à lamain, en disant « qu'il étoit plus sorcier que le diable ; qu'ilfaisoit perdre le bien aux autres, mais que le diable emporteroit lesien à son tour (1). » Dans la même paroisse, en 1765, des malfaiteurs « faisant les mauvaisesprits », au moyen d'échelles, pénétrèrent dans les maisons par lehaut des cheminées et emportèrent tout ce qui était à leur convenanceen menaçant ceux qu'ils avaient dépouillés de les tuer et de mettre lefeu à leurs maisons s'ils portaient. Plainte (1). Dans notre siècle même nous avons pu constater dans le mêmearrondissement des faits d'envoûtement absolument semblables à ceux quenous avons rappelés plus haut, et noirs pouvons affirmer qu'à l'heureactuelle la croyance aux sorciers n'a nullement disparu. M. Jules Lecœur, dans ses Esquissesdu Bocage Normand, a donnéd'ailleurs les plus curieux détails sur les pratiques et les manœuvresemployées encore de nos jours par les prétendus sorciers dont lestribunaux ont été plusieurs fois obligés de s'occuper. NOTE : (1) Archives de l'Orne. FondsCaillebotte.. |