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FRÉMON, G.(18..-19..) : Le Coustumier dePierre Cauchon et le manger de nos pères (1900).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (28.X.2011)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
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Orthographe etgraphieconservées.
Texte établi sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 1ère année, 1900.

LeCoustumier de Pierre Cauchon et le manger de nos pères
par
G. Frémon

~*~

CE quemangeaient nos pères au moment du déclin de la dominationanglaise, aux jours proches des fêtes superbes de Recouvrance ; voilàun problème digne de séduire les archéologues de la gastronomie.

Malheureusement les Brillat-Savarin sont rares, et peu sont nés à lafois rôtisseurs et écrivains. Pas un normand du XVe siècle, qui nousait légué le secret de sa table, et les menus du Moyen-Age resteraientun mystère si..... si le fisc, vigilant répertoire de toutes chosesimposables, ne nous avait laissé de précieux catalogues.

En l'an 1433, Pierre Cauchon, alors évêque et comte temporel deLisieux, eut le vouloir profitable de refondre les coutumes de Lisieux.En matière fiscale, réviserétant, par tous les temps et sous tous lesrègnes, synonyme d'augmenter,nous avons tout lieu de croire que lecoutumier de Cauchon, non seulement n'omit aucune des redevancesanciennes, mais encore s'étendit sur les malheureuses broutilles quiavaient échappé à la vigilance des taxateurs devanciers.

Ce coutumier fut d'ailleurs rédigé avec la plus grande compétence, etpour le plus grand bien de tous ; je n'en veux pour preuve que sespremières lignes :

« Pour ce que par mutation de temps, inadvertance ou autrement, lesmémoires des constitutions anciennes sur le droit des coutumes ettraités appartenant à la comté et seigneurie temporelle de Lisieuxétaient tombées ainsi comme en discorde d'opinions sans arrêt ; dontplusieurs abus préjudiciables à la seigneurie, marchandise et.bienpublic étaient chacun jour publiées grandes complaintes et clameurs ;Révérend Père en Dieu, Monseigneur Pierres Cauchon, par la permissionde Dieu évèque et comte de Lisieux, voulant à chacun rendre son droit,a fait commandement à nous, Cosme de Bancry, son sous-sénéchal en ladite comté et haute justice, de acquérir et recueillir par la voix desceux qui en pourraient avoir la connaissance et vraie expérience afinde la mettre en trésor d'écriture la manière et comme les droitsd'icelles coutumes et traités l'on doit user en la vérité. »

Or, la vérité fut que toutes choses payèrent et que les alimentslaissèrent tous un peu de leur valeur vénale aux doigts crochus dufisc. Les normands de la comté de Lisieux ne purent manger dès lorssans étrenner les coutumes.

En celles-ci, les viandes figurent au premier plan sous la rubriquepittoresque de coutume de quatrepieds. A tout seigneur tout honneur,et les bœufs qui enrichissent encore aujourd'hui les herbages riverainsde la Touques devaient dès cette époque figurer parmi les chapitres lesplus productifs du registre des impôts. A cette viande de boucherie, ilfaut joindre celle des veaux, des moutons, et aussi celle, dont noussommes déshabitués, des chèvres et des chevreaux.

La viande n'arrivait pas toujours pour être vendue dans les marchés dela comté sur ses quatre pieds; bien souvent elle était apportée saléeet sous cette forme frappée de droits spéciaux.

Des volailles, englobées sous ce terme générique, et non détailléesdans le coutumier, venaient ensuite. On vendait comme aujourd'hui desoeufs et des fromages dont le coutumier trop discret refuse de nousdonner les noms et les états-civils. Le beurre apparaissait sous troisétats. On l'apportait fraisou bien cuit ou encore salé.

Un luxe inouï de poissons devaient couvrir les tables de nos ancêtres,s'il faut en juger par les détails qu'en fait notre coutumier à la coutume de la Poissonnerie.On vendait :

Marsoins ; saumons salés ; harengs caqués ; macquereaux ; tanches ;congres salés ; morues salées ; pippernaux (?) ; ortilles (?) ; grossesanguilles salées ; moules ; crevettes ; huîtres ; équilles.

Sans rien préjuger de la délicatesse des pippernaux et des ortillesdont les noms ne se rapportent plus aujourd'hui à aucune réalité, il meparait que nos aïeux étaient en matière de marée assez mal partagés. Ily a notamment, dans la liste coutumière, des marsouins et des congressalés qui ne m'annoncent rien qui vaille.

Les épiciers, mal fournis sans doute de denrées coloniales, en cestemps où les principaux pays qui les produisent étaient encoreinconnus, payaient des droits seulement pour la vente du miel, desfigues et du raisiné.

Et pour clore le dessert (la desserte,comme on disait alors) voici descerises, des poires, des pommes et des noix qui figurent à la coutumede la fruiterie.

Tels sont les aliments imposés et tels sans doute lesaliments en usage au XVe siècle. Il est remarquable que, dans uneénumération aussi complète, les légumes ne figurent pas. J'inclineraivolontiers à croire qu'on n'en mangeait quasi point.

Il est en effet de tradition que les normands se nourrissent surtout deviande, et encore aujourd'hui leurs menus ne comptent guère de metsvégétaux. Ils ne font que suivre en cela cette loi universelle quirégit principalement le monde celle du moindre effort. Au Moyen-Age,comme de nos jours, les vallées vertes du bassin de la Touquesproduisaient plus volontiers des beefteaks que des carottes ou desraves, et le boeuf y a toujours poussé plus aisément que le chou-fleurou l'artichaud... Il eût fallu pour obtenir des légumes faire violenceà la terre, chose que les paysans, ses fils respectueux, n'osent point... ou bien s'adresser, comme on fait maintenant, à des régions où lesol pluspropice les produit de lui-même.

Malheureusement, à l'époque où parut le coutumier de Pierre Cauchon,dans cette première moitié du XVe siècle où la guerre entre anglais etfrançais s'était faite plus âpre, car elle approchait de sa fin,l'insécurité des routes ne permettait pas de transports réguliers ettranquilles. Les marchandises ne circulaient que sous escorte etsouvent encore devenaient-elles la proie des hommes qu'on avaitpréposés à leur conservation. Aussi bien, pour vivre, pour se vêtir, necomptait-on que sur soi et sur la production autochtone.

Même, comme les armées tenaient fréquemment les campagnes, les villesdevaient. avoir dans de puissantes réserves une assurance contre desfamines possibles, probables. Cette prévoyance se manifestait par laquantité considérable de viandes et de poissons salés que nous voyonsfigurer dans l'énumération fiscale de Pierres Cauchon. Le sel,aujourd'hui remplacé par la boîte de ferblanc, fut le père longtempsmonopolisé de la conserve. Aussi salait-on tout, même le beurre.

Les gourmets sans doute n'y trouvaient pas leurs délices, et le peu derelations culinaires que nous ayons du Moyen-Age nous racontent nospères plus portés vers les douceurs que vers les amertumes. Les enfantsdes peuples et les peuples enfants ont toujours eu pour les sucreriesde naïves prédilections. Mais la nécessité faisait loi et on préféraitencore un saumon salé à un saumon faisandé.

L'emploi si répandu du sel dans l'alimentation d'alors explique cetimpôt, qui nous parait aujourd'hui si inexplicable, des gabelles ; ilexplique aussi la haine qu'en avait le peuple.

Le sel étant partout, et par tonneaux, employé en des quantités dontnous ne pouvons pas aujourd'hui nous faire une idée précise, le selétant de nécessité primordiale, inéluctable, ne pouvait échapper aufisc minotaure et fut pour ainsi parler le meilleur assaisonnement dansl'assiette de l'impôt.

Quant au peuple, qui voyait les gabelles renchérir ses éléments lesplus indispensables, pauvre peuple souvent réduit à la portion congruepar le malheur des temps, il ne manquait pas de pester contre cet.impôt qui l'affamait, et ses cris contre lui étaient d'autant plusredoutables qu'ils partaient d'un estomac creux et d'un ventre à jeun.

Et maintenant, égoïstes investigateurs des choses mortes, nousregrettons qu'un Cauchon plus ingénieux n'ait pas aussi imposé lesrecettes et les sauces des maîtres-queux d'alors, car alors uncoutumier consciencieux nous les eût sans doute conservé fidèlement,comme le coutumier de Pierre Cauchon nous a conservé le nom desaliments qui leur servaient de base et de matière première.


G. FRÉMON.