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LE RÉVÉREND, Gaston(1885-1962) : L’Hus Bâyi : PoèmesRustiques.- Cherbourg (30, rue François-la-Vieille) : Viking,[1955].- n.p. : couv. ill. ; in-16.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (07.II.2012)
Relecture : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
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Ce texte ne relève pas du domainepublic. il ne peut-êtrereproduit sans l'autorisation des ayants droit.
Orthographe etgraphieconservées.
Texte établi surl'exemplaire d'une collection particulière. Remerciements à MM. JacquesLecoq et Philippe Signargout.

L'Hus bâyi - (Couv.)

~*~

L’HUS BÂYI
Poèmes Rustiques


            Av’ous pointpaoû ? Ya pas d’ danger.
            Entrez,bonn-gens, vs êt’ cheus ma grande,
            Dé qui qué l’père il ’tait berger
            Et d’qui qu’lamère, olle ’tait tissrande.

            Vs êt’ pointfoule, et dvant la qu’minée,
            Yaira d’ laplach’ pou tous les vnants.
            Socier, steu,sus la tisonnée,
            C’est eunrvenez-y d’ l’ancien temps.

            Dans cteveillée à la candelle,
            Comme yenavait quant’ no filait,
            La vieuilless’veut d’ l’umbre entour d’elle
            Et brin d’brit pou dir’ sen couplet.

            Olle a pas d’merveille à vs apprendre,
            Sen feu souschendre est ren qu’en rtours ;
            O creit toutd’ meinm’ pouveir s’ défendre,
            Et vsaccroquir, si vs êt’ point sourds.

            Yaira dvantvous chinq-six bonn-femmes
            Pa l’ déqoîspu qu’à moitié soeus ;
            Et l’ poîdsd’la vî meurdrit leus âmes
            Sans ’n êtr’pour ça l’ ensevlisseus.

            Yaira itoutros-quat’ becblancs
            Dont qu’ lescueurs sont censément frères,
            Point troprêtus, un brin gnan-gniants,
            Mais qui s’ramend’ d’o leus grand-mères.

            Tertout’,tertous, pouque à l’envers
            Aussi vraisqu’ dedbout dvant saint Pierre...
            Entrez,rlicheus, vous satisfaire :
            C’est comme yamille ans. Ch’est des vers.

                   ____________


LA PARADE AUX CHANDELLES


I. LA DIRIE AU FIN PAIROTTIER

                                  A FernandLECHANTEUR
                                        animateur desPatois normands


Lorsqu’en 1919 je laissai un journal lexovien imprimer, en quatrebas-de-pages, trois cents vers en dialecte du pays, je ne pensais pointqu’on en dût parler encore – et ailleurs – trente-cinq ans plus tard.Cependant, cette chose-de-rien dont nous avions, l’imprimeur et moi,tiré à part une cinquantaine d’exemplaires, connut un sort favorable.Quelques-uns lui attribuèrent des mérites. Demongé, dans ses TERREUX,l’osa mettre sur le même plan que certaines pièces de Lesieutre et deBeuve. Voici quelques années, vous m’en demandâtes un exemplaire. Jem’étonnai de la chaleur de vos compliments. Plus tard, j’appris qu’endes causeries familières, vous en récitiez des pages. N’importe : il mesemblait n’avoir plus rien à dire en cette langue infirme, mourante devieillesse, et qui tournait à l’archaïsme. Plus tard, vous m’envoyâtesvos ŒUVRES CHOISIES DE BEUVE ; nous causâmes, de loin. L’envie mevint de voir, désœuvré que j’étais à ce moment, ce dont je seraisencore capable dans la langue de nos « bonnes-mamans », cette languequi ne m’est plus qu’un souvenir d’enfance, et que Maupassant faisaitsi justement parler à ses manants dans ses contes. En quelques heures,j’écrivis une centaine de vers, que votre enthousiasme multiplia. Ilsdevinrent trois mille ! De ce vrac sont sortis, au printemps dernier,les treize poèmes d’un MEI -J’VO-L’DIS, donné aux Etudes normandes. Vous en avez parlé dans Viking, mais la louange ancienne, renouvelée àcette occasion, m’a paru l’emporter sur celle du nouvel essai. C’étaitdonc vraiment sérieux ! Je regardai de plus près cette aventurenégligée. Le fonds était là, possibilité du chef-d’œuvre dont vousparliez sans qu’il fût. Chef-d’œuvre gratuit, inutile, sans portée, etde pur divertissement, comme il sied à un amateur, de loisir capricieuxet fol. Retoucher quelques poèmes, en retrouver d’inédits, restaurer letout dans la phonétique élémentaire du Mei-j’vo-l’dis, il n’y fallutque cinq ou six semaines. Voici l’ébauche devenue œuvre ; au lieu detrois cents vers, six cents : c’est presque une chose nouvelle. Je vousla dédie, à vous, sa Cause impulsive ; je l’offre à Viking, dont lajeunesse ambitieuse me plaît. Aimez-la telle, sans regret du premiervisage. Le ru est le même ; j’en ai seulement doublé le flux, arrangéle lit et les rives...

                              Novembre 1954.

UN NORMAND DU LIEUVIN


II. REMARQUES AU MAITRE ELUITEUX

Pourquoi j’ai aimé l’Hus bâyi

On aime ou on n’aime pas ; et si l’on aime, on est beaucoup moinsobligé de donner ses raisons que dans le cas contraire. Si bien que ce« propos » que j’ai offert à celui qui veut n’être, révérence parler,qu’un Paysan du Lieuvin, cherchera bien moins à justifier le plaisiréprouvé qu’à l’exprimer.

Il n’y a pas si longtemps que je connais l’auteur, en chair et en os –en os surtout, dur et sec comme je l’imaginais. Il a naguère publiéaux Etudes Normandes ce MEI-J’VO-L’DIS que j’aurais inspiré ou dumoins suscité. Ces rimes nouvelles, il les a nanties d’un avant-proposoù il exprime ces opinions philologiques, dont je m’empresse de direque je n’en partage pas une sur dix, et dont la plupart même merévoltent profondément. C’est peut-être au fond cette différence dansnos jugements linguistiques qui nous fait sympathiser. Ce qui estcertain, c’est que le cuistre qui est en moi (et ile faut bien qu’il yait des cuistres) se laisse endormir par le poète. Et pour laisserimmédiatement, au seuil de ces pages, mes opinions philologiques auvestiaire, je dirai tout de suite que je ne suis pas très sûr que lelangage employé par le poète corresponde très exactement à celui deThiberville, qu’évoque la tendresse de son souvenir. En l’occasion çan’a aucune espèce d’importance.

Ce qui a par contre, à mes yeux, beaucoup d’importance c’est lasecousse que je ressentis il y a une dizaine d’années bientôt. Je mesuis, hélas !, donné la tâche de lire par devoir ce qui se publie enlangage normand. Bien de la peine et guère de laine, comme disait celuiqui « touzait » son cochon. C’est, je crois bien, le cher GeorgesLaisney qui me signala que le sage du Lieuvin avait aussi écrit enpatois, beaucoup d’années auparavant. Je demandai un exemplaire. On mel’envoya, et Dieu veuille que je n’égare jamais ce précieux livret surpapier à chandelles ! La Fontaine découvrant le prophète Baruch n’acertainement pas plus importuné ses amis que je ne l’ai fait en leurdisant à tout propos et même hors de propos ce que je pensais de notrehomme.

Croyez-moi, les authentiques écrivains ne sont pas plus abondants enNormand qu’en Français, et j’ajoute que nous autres Cotentinais, enpossession d’un fort et noble idiome qui nous a fourni d’excellentspatoisants, nous sommes assez difficiles. Mais la littératurepatoisante n’est tout de même pas si riche que nous puissions nouspayer le luxe de laisser dans l’oubli un poète sincère, un cœur fidèleet un noble artiste.

Vous laissez entendre mon cher ami, que j’ai préféré l’HUS au MEI-J’VO-L’DIS et que je pourrais bien encore préférer l’HUS BAYEI première façon à l’HUS BAYI deuxième manière. Et quand cela serait !Cela prouverait simplement que je me suis tellement imprégné de l’œuvredans sa forme primitive que je suis un peu désemparé devant la nouvelleversion, tel celui qui revient dans une maison rénovée où son œilroutinier ne retrouve plus en place les chers objets des autrefois.Cela non plus n’a pas tellement d’importance, surtout pour les autres,qui peuvent se laisser aller tout uniment à leur émoi devant cettesuite en humble parler Humble, oui, selon les classements sociaux dulangage, mais pas plus ; car, nous autres Normands, nous ne sommes enaucune façon les enfants d’une terre d’humilité. Et quand l’un desnôtres s’humilie, il le fait avec un tel orgueil que les spectateursétrangers en son quasi consternés.

Cette espèce de confession lancinante, hautaine, noble et dure de lapremière version que l’actuelle disposition répartit entre quelquespersonnages schématiques et symboliques comme ceux qui ornent lesportails des cathédrales, elle est bien normande, bien plus normandesans doute que ne l’admettrait l’auteur. Tel s’affirme qui se renie ;et les choix successifs que nous faisons (sans en être libresd’ailleurs) au cours d’une existence, ne changent en rien notre natureprofonde. Ce paysan du Lieuvin a pu commencer par des poèmes d’unnormannisme très exalté et finir son œuvre en polissant des petitspoèmes à forme fixe dans le goût le plus français et le plus sceptique,il n’en est pas moins normand, et normand plus que tout. Or je connaisdepuis trop longtemps ces caractères de chez nous, dont on dit qu’ilssont hauts comme le Temps, et qui peuvent se regarder souffrir aveccette étrange dureté et cette soif d’absolu qui leur tient lieu decontrition, pour ne pas être fasciné par cette sorte de soliloquedramatique qu’est l’HUS BAYI. Le thème central, qui est la solitudedes vieux et la douce amertume de leurs pensées, quand ayant tout donnéils sont trop heureux de pouvoir encore souffrir, s’inscrit dans lecadre étroit d’une condition sans espoir, à l’intérieur d’un univers dequatre lieues de large. Mais pourquoi essayer de résumer ce quis’exprime de façon aussi simple, dans un ton de sincérité aussidépouillée, et avec une pareille densité humaine ?

Il y a chez les paysans une sagesse et un stoïcisme qui ne survit pasdans les villes. Heureux ceux qui, comme notre auteur, peuventconserver cette sagesse et cette retenue dans l’expression. C’est cetteretenue qui confère au style de l’HUS BAYI ce caractère trèsclassique et quasi proverbial. Pour de tels êtres, l’expression dessentiments individuels n’a de valeur que si ceux-ci ont été confrontésavec les conditions extérieures qui permettent de leur donner uneportée générale. D’où l’allure proverbiale. Tant du MEI-J’VO-L’DIS quedes deux versions de l’HUS, c’est par douzaines qu’on pourraitdétacher des sentences admirablement frappées et condensées. Des vers àapprendre par cœur, et à citer sans même se rendre compte que l’oncite. Et c’est justement parce qu’il faudrait tout citer que je neciterai rien du tout et que je ne tarderai pas davantage à vous mettreen contact avec cette œuvre pure et saine, accessible à tous, paysannesans paysannerie, tout profondément humaine.

Dirai-je, pour être en paix avec ma conscience de régent, que dans seslignes générales, l’orthographe de l’auteur est en conformité avec lesprincipes très simples que je préconise depuis plusieurs années ? Pourle détail, on pourrait discuter, mais je m’en garderai bien. Il seraitmalséant de demander davantage à un homme qui nous a suffisammentdonné, et si vraiment j’ai pu provoquer par mon admiration larésurgence d’une source aussi pure de poésie patoise, en remerciant lepoète, je me félicite sans vergogne.


                                  FernandLECHANTEUR.


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Asteu qu’vo vla sus la bancelle
Ou l’cul par terre amont l’feurret,
No peut ben souffler lescandelles.
Ya sus l’ âtre eun biau feu d’côtret
Qui flamb’ hât en lanchant dséteiles.
Et la canson n’en sra qu’pu belle.


LA VEILLÉE REN QU’A LA FLAMBE


EUNE VERGONDEUSE

Faut n’aveir ni cueur ni entrailles
Pou veîr sans rmèd’ souffrir les sieins,
Et les lsser, pac’qué c’est ds anciens
Rétiller tout seus sus leu paille.

Nous, nos gens dans l’ lit, déprâveis,
Qu’boule et tisann’ n’y pouvaît goutte,
J’nous jettions à courir la route
Pou qué l’ guérisseus y vienn’ veîr.

J’ons passé ben des nieuts tout’ blanches
Pour ls euns et ls aut’. Steu que j’ somm’ viûx,
Ls effants ainmrait censément miûx
Nous veîr tout d’ sieute entré quat’ planches.

Mais not curé qu’a pu d’esprit,
S’i s’ aperceut qu’no nous délaîsse,
N’sé rfus’ point à nous dire eun’ meîsse
Qui nous rmette ès mains d’ Jésucrit.

Ctilà n’fait point des pauv’ qui s’ pendent.
Ou qui s’ nient, pou s’ débarrasser.
I sra temps, quant’ faudra passer,
D’quitter la place à ceuz’ qu’attendent.

TROP-D’AGE

Trop-d’Age a pus d’ dents pou croquir la chance ;
Ses hahâs sont morts avec ses couleu ;
L’pus loin qu’o va co, c’est au pied d’ sen seu
Où qué l’ soleul rit sus sa décadence.

La freid meurdrit ss os sans qu’o s’ tir’ du feu
Si qu’o sent l’orage, olle en geint d’ avance ;
Sous trois caracos o craint co l’ offense
Du midi qu’i hâle et du seir qu’i pleut.

Rlevé d’ à cattons sus sn âtre olle encense ;
O n’est qu’ latani, lourette et loureu ;
Tout sn ancien bonheur li rmonte en douleu ;
O n’ rattaqu’ sen pot qu’ pou qu’i perde sn anse.

O s’éluge à veir sa bru mner sen fieu
A l’ arbours d’ autfeis, sans fei ni creyance ;
N’ya qu’ sen viûs fauteuil qu’est à sa convnance :
Olle y ferme ls yus dvant les jtins d’ asteu.

O caôse ès défunts dans sn estravagance,
Dit qu’i vont la veir arriver dans peu,
Qu’o s’est rcommandée à mossieu saint Leu,
Qu’i pense à se rmuer pou sa délivrance.

Et o s’ creit deujà au paradis bleu
Où qu’ya eun grand lit d’ fait pou sn impotence.
Eun lit feurré d’ frais pa la providence
Où qu’o peuv’ dormir sans nuire au bon dieu.

LA MALPLACÉE

J’ons pas vu grand’chose et pas fait grand viage,
Pas pus fill’ qué femme.
No quitt’ d’ êt’ servant’ pou s’ mettre en ménage.
Faut toujous qu’ no tramme.
L’pu au loin qué j’ fûm’, c’est en perlinage
A la Notrédame.

Où qu’est l’ pas-pareil, d’eun village à l’aute ?
C’est bourrin-bourrique.
Yen a qui s’en vont, dans les gens d’ la haute,
Jusqu’à l’ Amérique :
D’ tous ces biaus pays, j’ connaissons qué l’ nôte,
Six qu’mins, trois boutiques.

J’ons deujà ben trop, pou pas ben d’ l’ avance,
Bougi d’ plac’ sus terre.
Mais l’ parcours qu’est fait, qué qu’c’en seit d’ la chance,
Ya ren pou l’ défaire :
No m’ mettra dormir, pou ma pénitence,
A deux lieû d’ ma mère !

L’IMPOTENTE

J’ seus ben décaduite et me vla tout’ teurte ;
J’n’ enfil’ pus mn aigu-ille ave mes quatzieux.
J’ laiss’ tumber c’qué j’ tieins, j’ m’ abînme à c’qui m’heurte ;
J’entends pus sonner l’ gros bourdon d’ Lisieux.

Mes deigts ? I sont gourds. Mes gambe’ ? E sont mortes.
J’ seus comme eun’ mainson qui n’a pus ses feux.
Tout entour ed mei l’bon dieu pouss’ les portes
Pour qu’ j’ arrive en rpos dans men lit des cieux.

L’ANGOISSÉE

As-tu paoû de rtrouver ta grande,
Et d’ li dir’ boujou sus merché,
Et d’ l’ emmner, quant o vieint t’ surprendre
Au hât d’ la ville, où qu’t’es perché ?

Pac’qu’olle est dmeurée en bounnette
Et qu’tei t’es mins ’ment eune moussieu,
Tu t’ dis dans tei : Comme oulle est faite !
T’en fais méfi. Mon dieu mon dieu !

Quant ej caôse ès gens, tu m’ entraînnes,
T’as l’air en colère apreus mei :
J’ savions ben qu’ j’ étions point eun’ reinne,
Mais t’es pas n’ tout l’ filleu d’eun rei !

Quant’ t’étais ptiot, t’étais ben aise
Qué j’te dorlotte d’ mes deux mains
Et que j’te berche et que j’te baise
Comme eun’ mèr-poul’ fait d’ ses pouchins !

T’as ben supporté que j’t’éleuve,
Et qué j’ t’ envey’, passé tes ans,
Es grand’s écol’, pou qu’ no te rceuve,
Et qu’ t’ eye eun’ plache, [?]ment les grand-gens !

Si t’as core à gangner ta vie,
Si j’ons point pu t 'pousser pu hât,
Ch’est point qu’ j’en ons manqué d’envie,
Mais j’ avions point des reins de vjâ !

J’t’ asseur’ ben qu’ ça m’ pèse et qu’ ça m’ druge,
De t’ veîr comme étouffé d’ orgueul.
T’peus pas saveir c’ qué ça m’ éluge,
Ni t’figurer c’ que ça m’ fait deul !

Ma paur’ vieuill’ quercasse est rchifflée,
Je n’ seus pus bonn’ qu’à rposer ms os.
Mais si j’ m’ étais point tant dém’née
Pour empêchir qu’i t’ pleuv’ sus l’ dos !

Asteu, pou t’ veîr, faut-i que j’ tramme,
Et tu n’ fais pus qué d’ me déj’ter.
Fais ben l’ dégaîlleus d’ ta bonn-femme :
Olle airait jamais cru cha d’ tei !

__________

ÇU BÉDASSON

Quante j’ veux caôser  d’tei, manman,
J’ai l’ cueur si plein qué j’ trembe et pleure
Et qu’ dans mei la parole d’meure
Comme eun chégrin, comme eun tourment.

J’ai l’ cueur si plein qué j’ trembe et pleure
Quant j’ té veîs m’ ainmer comm’ tu feis,
J’ me souvieins d’mes biaus jours d’autfeis,
Bintôt viûx, j’ co paoû qu’tu meure.

Quant j’ te veîs m’ainmer comm’ tu feis,
Et tout’ cassée et tout’ fleutrie
M’ êt’ co bonn’ comme eune saint’ Marie,
J’ mé dis qué l’ bon dieu l’ fait d’ esprès.

Et tout’ cassée et tout’ fleutrie
Dé n’ point nous lsser veîr l’ bout d’tes ans,
Pou qu’tu serv’ d’ exemple à ts effants
Jusqu’à c’ qu’i sey’ au hât d’ la vie,

Dé n’ point nous lassser veîr l’ bout de ts ans,
Pou qu’ notre âm’ se traînn’ point sus terre,
Et qu’ ses jours dé cris’ faimvallière,
E s’ réforche à meinm’ ten pain blanc.

SAINTE-RAPPLIQUÉE

I m’ avaît minse à l’hospice
Pou qu’ je n’ leu coûtit point trop.
Mei qui n’ veux point d’ sécrifice,
J’yétais allée au petit trot.

J’yai gangné eune anu-yance
Qu’était pir’ qué tous les mâs.
Et’ seule avec sa souffrance
Vous fait semblant ds animâs.

J’yai pas tint. Ma bru qu’est bonne
Vint me r’qu’rir. J’étais sur l’ dos.
J’ai dit aurvoîr à personne,
Ben content’ de rtirer ms os.

J’r’ai asteu ds oreill’ pou geindre
Et des langu’ pou m’ disputer.
J’ sens ben qu’je n’ seus pus à plaindre,
Et j’ seus pas près d’vous rquitter.

L’ABANDONNÉE

J’ les ai perdus à la guerre
Et sous les bombardéments.
I n’ont point eu l’ temps d’se rfaire :
J’ seus restê sans ptits-effants.

C’est ben ça qui m’ désespère,
Qu’i sey’ morts sans sacréments.
Mais l’ Seigneur, s’il est bon père,
Leus a fait troîs linceus blancs.

Qu’i pâtient’ apres leu mère,
Sus terr’ pou pas mais ben ds ans,
A s’ dém’ner pour qué saint Pierre
Nous prenn’ tous quate en meinm’ temps.

LA VIEUILL’ QU’I FAILLIRAIT PORTER

Avant qué d’ mourir, j’voudrais co ben rveîr
La mainson d’ manman, qui ’n était si fieire :
O yétait cheus elle, o nous ya élvés.

Tu seis ben où qu’ c’est. C’est à la « Cann’bière ».
Quant’ t’étais tout ptiot, j’ t’ y mnais cheus ma soeu,
Ma paur’ soeu Loïs’, qu’est dans l’ chemitière.

T’en rssouvieins-tu ben ? Yavait eun grand seu
Qu’était hât comm’ tei, qu’était tout en pierre,
Yavait eun ouvreus d’ o des ptits yûs-d’boeu.

Rveîs-tu l’âtre, et l’feu sous la grand’ chaudière ?
Ceuz’ qui l’ont aj’té, qui qu’il en ont fait ?
Ptêt’ qu’olle a changi, ptêt’ qu’olle est par terre.

Olle est co d’ t’ entièr’ dans ms yûs comme olle ’tait,
D’o sen ptit brin d’ cour et l’ jardrin dreière,
Et la sent’ du bas où qu’la pliî roulait.

Je n’ seus pus d’attaque et je n’ vas pus guère.
Asteu, j’en rêvass’ ben pus qué j’n’en fais.
C’est égal, la rout’, si j’ pouvais la rfaire !

Si j’ trouvais queuqu’eun qui m’ porte par aupreis,
La mainson d’ ma soeu, la mainson d’ ma mère,
De dvant que d’mourir, j’ainmrais co la rveîr.

L’ CUEUR MANNEI

Ya tant d’ brôillard sus mn âme, ennieu,
Qu’jé m’sens, sans bride et sans têtière,
Eun jvâ perdu dans la môllière,
Qui veit sus li brunchir la nieut.

I m’ pass’ dans ls os eun’ freid d’ malheu ;
Peursonn’ n’a d’ feurr’ pou ma litière ;
L’ ciel est bouchi, l’ mond’ sans leumière,
N’ya qu’en mei qu’ peut rssourdre eun sauveu.

Et vla qu’me rvieint eun’ longu’ souvnance,
Je rcommence à viv’e mn effance,
I roussil’ sus men cueur mânnei ;

I me rmonte eun’ sei(f) qui m’ raguche
Et mollit men mal incarnei.
J’ fais eun nic de mn âtre, et j’ m’y muche.

LA SIENNE QUI BOURROTTE ACO

Miet à miet qu’ je m’ délibère,
L’ bon dieu dvrait ben m’écouter.
J’ai pus ren à fair’ sus terre,
Qui qu’ j’ attends pou la quitter ?

J’ai pus ren à fair’ sus terre :
Ms os sont si dûs, veyez don !
J’fais tous les jours eun’ prieire
Pou que j’n’en ay’ pus pour long.

J’fais tous les jours eun’ prieire
Pou quant’ meinm’ qu’i m’ laisse aller
Fair’ men brin de ptite affaire,
Sogner mes poule’ et choller ;

Feir’ men brin de ptite affaire,
Qué l’ fieu n’en ay’ point l’ tourment,
Qu’ je n’ tumb’ point dans la minsère,
Qu’ça yôtrait tout sn agrêment.

Qu’ jé n’ tumb’ point dans la minsère.
Mais l’ bon dieu m’oblîra pas.
Eun’ bonn’ feis queuqu’ novellière
Promèn’ra qu’olle est ben bas ;

Eun’ bonn’ feis queuqu’ novellière
Jûp’ra qu’olle a défunté.
L’ fieu n’ pas d’ mal à s’en faire :
Tout m’était deujà ôté.

L’ fieu n’a pas d’ mal à s’en faire :
J’ai-t-i point quat’ feis vingt ans ?
Qu’i m’ conduis’ jusqu’au c’mitière,
Où qu’ma plache est près d’ mes gens

Qu’i m’ conduis’ jusqu’au c’mitière
En caôsant au bon Jésus
Et laisse rtumber la terre
Sus cell’ qu’i ne rverra pus...

L’AMARI DU PETIT VIELLEUX

Pou miûs rémouveir l’assemblée,
J’me seus d’ partout endinmanché,
J’ai fait d’men cueur eun’ bourguelée,
J’ai prins ma vielle et j’ai prêché.

La foule est traîte autant comm’ fine.
Ca donrait ren d’ fair’ l’ apipeus.
Faut sortir du sang d’ sa potrine,
Et s’ guettir d’ attraper la peûs.

Ctilà qu’ahann’ va bentôt s’ plaindre
Et jter la flûte apres l’ biniou.
Qu’i s’en dment’ pas si c’est pou geindre,
Qu’i laiss’ tout putôt d’ enparoù.

J’ai payé d’ audache et d’ adresse,
Tint men service et point fauté.
Personn’ n’a dit : Faut co qu’ no l’ dresse :
J’ai gangné men prix d’ glorieus’té.

Asteu qu’me vla rvenu d’ la danse,
J’me rtrouv’ tout seû, l’ cueur envnimé
Pa le rvi(f) d’eune ancienn’ souffrance,
Sans personne à gémir d’ o mei.

D’aveir sentu rmonter ma peine
Apreus qu’ j’ai vu tumber men feu,
J’vas-t-i chiâler comme eun’ Mad’leine
Et me lsser rungir pa l’ malheu ?

Tout émeulé, faut-i qu’ no m’ veye
Deûler, fô, sus l’mitan du qu’min ?
J’ dressais l’ cô si fin dreit la veille !
T’étais-t-i bu, qu’ no m’ dirait dmain.

I fait clei d’ leune et doû ès sentes.
J’y trottais à veîr-goutte aut’feis.
Ptêt’ qu’i brûl’ core eun’ flamb’ vaillante
Sur l’ vieuil âtre où qu’je m’ récauffais !

I toque à l’hus et te rdemande
Ctilà qui n’ devait pus rvenir,
Tn ancien ptit gas, ma paur’ vieuill’ grande,
T’en bédasson, ten bénoni.

D’la grand fête au pays tout prèche
Il est sorti tout brésillé.
Sn esprit si fier n’est pus qu’eun’ blèche,
Il a bésoin de tn oriller.

D’aveir fait l’ amus’ment d’la neuche,
I se rssent l’ cueur plein d’ gros poids lourds.
Tei qui n’ sais pas c’que c’est qu’eun rpreuche
Prends sa tête entre tes deigts gourds

Et comme es biaux jours de sn effance,
Qué ptit gas mignard i huctait,
Laiss’-le rtrouver sa providence,
Et s’ catir dans l’ coin d’ ten dvantet.

- Vieins ! soulag’ ta paur’ âm’ démente.
Pleure et tais-tei. Tu t’es trop rtint.
Ta vieuill’ sait ben comm’ tu t’ tourmente :
Core hureux qu’ tu t’en es rssouvint.

Tu houin’, men gas ! queu coup d’ massue !
T’as l’ergard fô d’eun évaré.
Ten front, ta joê, ej les essue.
J’ somm’-ti point deux ? Te vla paré.

Asteu qu’ta tête est abriée,
Tes chégrins sont ds écornifleus.
Dmain l’ soleul t’enverra sa riée
Et tu danchras d’o tes douleus.

I frait biau veîr qu’ no s’ accatonne
Pore eune atelle à panari.
Dis-mei ta peinn’, qué j’la raisonne.
J’ai soufflé dssus : te vla guéri.
 
- D’m’ êt’ rassis à tes g’noux, ma grande,
Mei qui n’ savais à queu saint m’ vouer,
Vla qué j’ sens ms esprits qui sé rtendent,
A ten feu, men mâ s’est avoué.

I vieint d’ tei comme eun sorcilège
Qui guérit de s’veîr malhureux.
Eun attoucheus, d’o sen mannège,
N’frait pas eun si bon raccmodeus.

C’est comm’ la flamb’ d’eune attisée
Où qu’no s’airait ravigouré.
Ms yus, qu’étaît niés d’ breume et d’ rousée
Rsont cleirs comme eun ciel éparé.

Qu’t tu n’ sras pus comm’ ça à sa côte,
D’ten malhuré, qui qu’aira soin ?
I prendra eun’ femm’, comme eun aute,
Mais sa vieuille, o n’ la vaudra point.

Tu nous airas bentôt quittée.
D’penser à ça, j’en seus saisi.
D’nos débaus, t’es pas co fûtée,
Et nous raveir, c’est ten plaîsi.

Tu dis qu’t’as perdu la mémoeire,
Qu’i ’n te reste ren d’ tes vingt ans.
Si l’ linge est usé dans tn ormoire,
Ya co d’bon fi dans tes chveux blancs.

D’aveir êté faite à la dure,
T’as eu eun cueur à point fléchir.
Sans s’acclufer i tient et dure ;
Ya pas d’ atout pou t’l’arrachir.

T’airais traversé la mé rouge
Pou sauver la vie à ts effants,
Et dvant leu qu’min, s’ ya d’ quei qui bouge,
Tu t’ dress’ co, et tu les défends.

- Te rvellaller, men fieu : bon viage !
Je n’ te rverrai ptêt’ pus janmais.
Faut pus compter sus ren, à mn âge.
Steu, c’est au bon dieu que j’ m’ en rmets.

Pou ls effants, c’que nos a, no s’l’ôte.
J’n’airais-ti eu qu’eun morciau d’ pain,
Pou leu donner, j’ l’ airais mis d’ côte ;
Pa les mainsons, j’ tendrais la main.

Ecout’, que j’ mette eune aut’ bonnette
Et qu’je r’tir’ men dvantiau crotté,
Pou co t’ conduire au bout d’ la ruette
Et core êt’ eun brin pus d’ o tei.

J’vas rvenir seul’ comme eun’ perdue,
Ecris-mei chaqu’feis qu’tu pourras.
Ça m’ fait caôser, ça m’ désennue.
Bouju, fisset ; adieu, men gas.

O sra dmeurée eun’ pose à m’ suive,
Pis, quant’ j’ airai passé l’ détour,
O s’en sra rvins’, tout’ morosive,
Creyant m’ caôser, jusqu’à sa cour.

Et dvant sn âtre eun’ feis rarrivée,
Dé s’veir tout’ seule acore eun coup,
Olle aira longtemps, d’ sa croîsée,
Fouilli eun qu’min neir comme eun trou.

Olle aira dit : Faut qu’ je m’ raisonne,
Quant j’ l’ appellrais, ça sert de ren.
Ya pas mais moyen qu’i m’ réponne :
Si sulment core i s’portait ben !

Et tant qu’olle aira sa présence,
O s’ tourmentra d’ mei jour et nieut ;
D’mei, sen dernier outil d’ romance,
Avant qu’o n’ seit rpris’ pas l’ bon dieu !

L’ENFANTOMÉE

Quant’ vos bonn’gens sront mins sous terre,
Si vo viez pas les veir rvenir,
Vous fair’ souffrir trent’-sis minsères,
N’leus promettez ren sans l’ tenir.

Seyez-en sûrs comm’ que j’ vous caôse ;
J’en tremb’ co, chinquante ans après.
J’en seus pas mort’, mais j’ fus eun’ pose
Que l’ monde, entour, m’en crut ben près.

Yavait chinq-sis mois qu’ma pauv’ mère
S’tenait tranquill’ dans sen cercueu,
Et qué j’ la creyais au c’mitière
Hureus’ ben pus qu’au coin d’ sen feu,

Qu’eun coup, sus l’ mitan d’ma nieutée,
Eun’ feis passé l’ prumier sommei,
J’la vis-t-i point toute rboutée
S’planter comm’ ça dedbout dvant mei !

Tout’ dépeingnie et tout’ grichue,
Ls yux chergés d’eun mauvais déhait.
Olle avait l’air d’eune âm’ déchue,
Et j’vis à sa goul’ qu’o m’ caôsait.

J’la rgâdais pou tâquir d’ l’entendre,
E dviner c’ qu’o pouvait m’ vouleir.
A forc’ d’ essayir d’ la comprendre,
J’en avais l’ cueur tout écartlé.

Et chaqu’nieut, à sn heu, c’t’âme en peine
S’en rvenait, battant la parei,
Et s’ trainnant tout l’ long d’ ma courteine,
Qu’yavait ben d’ quei vos évareir.

Et mei, vnu l’ jou, j’ ’tais plein’ d’ absences,
J’languissais, j’ mangeais qu’ par effort.
No m’ disait : ça t’ vieint d’ queuqu’ vengeance
Ou d’ ta défunte, ou d’eun jteus d’ sort.

Si ta mèr’ rvient contrariée,
C’est qu’tu li deus d’ quei qu’t’as pas rtint.
Et tout d’eun coup i m’a rssouvint
D’eun’ mission qu’o m’ avait confiée.

J’me dis : vla l’ pourqui. Va, manman,
Si j’ai oblié ta preière,
La nieut qui vieint sra la dernieire,
Que j’te lssrai mucrir dans l’ tourment.

J’y vas dmain : ta tâche, j’ l’ asseume.
Ya sis lieû d’rout’ de dla Bernay :
J’ les fis à pied eun matin d’ breume,
Sans m’ralentir ni me rtourner.

Sans m’tabler pou la vivature,
La tête à c’ que j’ avais promis,
J’entris tout d’ sieute à la Couture,
J’ajtis eun cierge et j’ l’ alleumis.

Dvant l’autel de la Notrédamme,
Pendant qu’à sa dreite i brûlait,
A tout l’ ciel je rcommandis s’n âme,
En tournant les grains d’men chaplet.

J’me dis : ma fill’, t’es dégagée.
Ptêt’ qu’o t’ lairra en rpos asteu.
Et j’ m’ en rvins cheus nous soulagée
D’aveir rempli sen sacrê voeu.

Dpis j’ai rpensé à ma paur’ mère
Ben souvent entre mes linceus.
Mais faut creir’ que j’l’ai sortî d’ deû,
Car j’ai pus janmais rvu sa bière.

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EL MA D’ ÊT’ SEUS

Abriez-mei ben quant i tonne,
Sous vot’ aile, ls ange’au bon dieu :
N’ya que cte plach’-là qui m’seit bonne.
Je n’ seus ni orphélin, ni veu,
Ni dsamitié, mais j’ai personne.

Ma femme est eun’ bonn’ criature.
D’aveuque elle, ej vis sans arias.
L’fond d’ sa tête est comm’ sa dvanture :
Ma soupe est caude à l’heur’ des rpas,
Et men lit est fait quant’ j’y vas.

O n’est point mollasse à l’ ouvrage.
O n’garde point pou le ptit jour
Sen brin d’ vaisselle et d’ écurage.
Mêm’ que quant j’ seus en pein’ d’ amour,
Faut que j’ la hûque, et qu’ ça m’ outrage.

C’est pas qu’o n’ m’ en donn’ point à rgoîme,
D’ses bras, d’ses reins, de sn interdit.
Quant j’ seus tout lait, olle est tout’ seime.
Mais la bsongn’ li fait point crédit :
Faut qu’ tout sey’ fait prumier qu’no s’ainme.

Mei, quant’ j’ai queuqu’ chos’ qui m’ tourmente,
Qu’j’ai l’ cueur rabûqui par en-ddans,
Ya pas moyen qu’ ma langu’ s’en dmente.
J’peux gueuler por eun’ mauvais’ dent
Que j’ seus bloqui sus l’ sentiment.

Qui que j’ frais ben pou qu’o s’affecte ?
O n’a point souffert. Je n’ veis ren
Qu’du plaisi dans ss yus quant’ no s’ becte.
Qu’o m’ donne sa chai tant qu’j’en ai faim,
Ça n’ m’ encourag’ point quant ej hecte.

Dmain ! c’que no fra dmain : vla sn antienne.
Et ct’aut’feis, qu’ya qu’mei qui l’vêquit.
Ça l’y plaît pas qué j’ m’ en rssouvienne.
Dpis l’ temps qu’c’est mort et desséqui,
Ça s’peut pas qu’ ça m’fass’ trébuquir !

J’serais-t-i miux rçu d’ ave ma mère ?
C’est eun’ bonne âm’ qui va tout dreit,
Sans qui ni qu’est-che à vâ sn affaire.
O n’ s’élug’ point quant o m’ veit hère
Pou les rieûm’ d’eun cueur qua pris freid.

Les fréreux, c’est ren qu’ pou la liche
Qu’i sont cousins, et pou l’ergent.
I n’te rgâd’ point si t’as qu’ta miche,
Et si tu geins i font la griche :
No rpassra quant’ t’iras miûx, Jean !

Et ls amins, au lieu qu’ça vous rmonte,
Ça vous toîse ave d’gros yus d’ boeu
Qué ren qu’pour sei nos airait honte
D’leu dir’ la motié d’ sen malheu.
Dans men débau, j’ai fait men compte :

A part els saints ang’ au bon dieu,
Je m’ sens tout seu, tout seu, tout seu.


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CARIMARAS


C’est mei, la vieuill’ Carimaras,
La plus maudite et la milleure.
Si vo vnez à bout de ms étrats,
Por entrer cheus mei, n’ya point d’heure.
Qui qu’a eun cueur qui sonne l’ câs
Peut m’ tenir compagnîe à dmeure,
S’cuire à men feu, mouler men feurre
Et s’en rtourner bon vent bon pas :
Sorti d’ mes mains corps ne s’ décueure,
Pot rattaqui s’récoîmelle pas.

Ya pus qu’mei au mond’ de cte terre,
Terre à caillou, rcuite à l’enfei.
Mes j’teus d’ sort, je ls ai prins sus l’ fait,
J’ai battu l’ diable, et j’ seus sorcière.
Qui qu’à démain, qui qu’a déhait,
J’peus li rmachonner l’ caractère.
Tei qu’as eun’ min’ dé lait trutei,
Tei qu’es dément, qu’es crin, qu’es hère,
Viens m’embrachir, dis-mei : ma mère :
J’te rfrai eun’ tête, eun’ tête à tei.

LA COMPLAINTE DU POUCHIN SANS PÈRE

Ren qu’à m’veîr vnir, moman, tu dveines.
T’os mes douleus, mes gros chegrins.
Si j’te conte eun couplet d’ mes peines,
T’en chantuse avant mei les rfrains.
C’est-i qu’en s’ appréchant, nos veines
Vont rmêler leus feux souterrains ?

D’avé de ptits mots d’ nourissonne,
Qui sait c’ qui faut à sen trésor,
Tu m’appâtell’, tu m’ embibronne,
Tu m’berch’, tu m’borde, tu m’endors.
Auprès d’ tei, j’ ai pus bsoin d’ personne,
Tu m’ défens d’ tous ceuz’ qui sont dhors.

Si dans ms yus i t’semb’ veîr queu’ lerme,
T’as eun bon rgârd pou ls essuyir,
D’avé ds ergûments d’ mèr’ genderme,
Qui n’ veut point lsser ss effants faillir.
Et ds oisias, comm’ sous l’ coup d’eun cherme,
Se remett’, sus l’ faîte, à gazouillir.

Quant’ tes jveux blancs mé rgâde en fache,
I passe en mei d’ quei d’ apaisant.
Pou l’ mâ qu’no veut qué l’ bon gieu m’ fache.
L’malin n’ trouve pus d’ esprit-faisant ;
Tout mn embroïamini s’ effache
Et je rtourne à ma bsongne en b’sant.

Si parfois, du ch’nas d’ ta mémoîre
Rssort queuqu’ écherpillant souvnir,
Pus plein d’ poussier qu’eun dssus d’ ormoîre,
Ou core humide, à pein’ bêni,
Qui qu’t’en fais ? Eun’ superbe histoîre
Qu’no rêv’ d’ êt’ fort, pour y rvenir.

D’eun’ complainte où qu’ la not’ s’ermâche,
Thomas Elye ou Jùf-Errant,
Tu fais eun coup d’nerf pou la tâche
Qu’no n’en peut mais, sus l’ asseirant.
C’est comme eun’ campunell’ qui s’ fâche
Quand l’ processionneus fait l’ mourant.

Et quand j’ seus perdu, qué j’ délire,
La têt’ tournée et l’ cueur qui m’ bat,
Ren qu’ d’ écouter comm’ tu respire.
Pas pu émû qu’eun viûx soldat,
J’ me dis qu’ faut ça, pou ben s’ conduire
Et n’ pas trébûquir sus sn étrat.

Quand j’ creis que j’ vas ben mner mn affaire,
I vieint des gens m’ barrer les qu’mins.
L’temps s’en mêle, et tout ; j’ m’ encolère,
J’me sens bouillir l’ sang dans les poings.
Tei, tu mets ten deigt sus ma manche,
Et tu m’ dis : « fillot, ya pas d’ saints
Aut’ part qu’à la meisse, l’ dinmanche.
Rgâde l’ monde, i n’en va pas moins.
Veille à tn otil, tieins-en ben l’ menche,
Adreit d’ esprit et croch’ des mains. »

T’as la raison, t’es la sagesse.
J’m’ étonn’ pus brin, à t’ veîr comm’ ça,
Qu’t’ ey’ cheus nous été la maîtresse.
Du temps qu’ vivait men bon-papa.
Vo n’ faisiez qu’eun ben ptit attlage,
Quérette à quien pus qu’à bourri.
N’en faut pas moins d’ pain dans l’ ménage,
Et j’’tions tros, quat’, chinq, à nourrir.
Et les grêlons, les temps d’orage !
Et les migauts, qu’ont plein d’ pourri !

L’bonhomme était point toujous cmmode
(Nos en caôs’ posément asteu) ;
Yavait des smaine’ et des périodes,
Qu’i n’ rapportait qu’ broustill’ au feu.
Mais s’i prenneit par trop de rlâche,
Et perdait au café trop d’ sous,
Tu n’en mnais qu’pus serré ta tâche.
Sus l’ prîdieu t’usais point tes jnous.
Pou la plî, tu trouvais eun’ bâche,
Et du fî, pou joindr’ les deux bouts.

Ma grand’ ! Chaqu’feis qué j’ m’ incertaine,
Qu’je n’fais pus quat’ pas sans bouler,
Qu’jé m’ prends les pieds ès ronch’ qui traînne
Tu m’r’indique eun’ sente à chouler.

Quant j’ te verrai pus qu’dans mn idée,
Y rdeschendras-tu d’ par-làbas,
Alleumer eun’ calibaudée
Qui rmett’ du feu dans men cueur las ?

J’srai tout seû pou tâter ma sente
Et fair’ front aux enquéraudeus
Qui profitront qu’tu sras absente
Pou tâchir d’ m’ aveir pa la peû...

T’es là. Dvant tei, j’ fais pas d’ mystère.
T’es mn ang’ conseilleus, mn avocat.
Mn étell’ magique ès qu’mins d’ la terre,
La voîx qui m’ pousse ou qui m’ rabat.

Dans la grand’ misèr’ de mn effance
Sus qui qu’hontu j’ai fait la nieut,
Tu peus entrer sans m’ faire offense,
Pour y rcoudre eun tout ptit brin d’bleu.

C’est pas pou ren qué quinje années
Ten courage à deux mains tendu,
T’as gangni l’ pain d’ mes mitonnées
Pour eun sort qui n’ m’ était point dû.

Si t’as dînné souvent d’ eun’ pomme,
Et soupé au lait calboté,
C’tait-i point pou qué j’ seye eun homme
D’qui qu’tu peuv’ tirer queuqu’ fierté ?

En as-tu animé, des qu’relles,
D’o ceuz’ qui t’naît point qu’eun bâtard
Joû d’o les leus à la mérelle
Quand i s’trouvait point d’aut’ goujart !

Comben d’ feis qu’tu m’as soutint ferme
Dvant l’ maît’ d’école et dvant l’ curé,
Pou qu’i m’en montr’ pus qu’ès gas d’ ferme
Pisqu i m’trouvaît pus déluré.

Ls aut’, ’ment des côqs qui drèch’ la tête,
Mé r’luquait d’hât : « Ten pèr’, qui qu’ ch’est » ?
Chrétiens foureux, cha flaire eun’ bête
Dans c’ qu’est vnu smé dans les péchés.

Ça s’ sent d’ forche à donner d’ la hure
Sus l’ gueux qu’a point d’ père au soleil
Ben qu’ ça seye eun fait qu’la nature
Nous a bâtis d’ otils pareils.

Tu savais, tei, qu’ j’ airais la vie
Si j’ m’ y poussais, pou m’ consoler,
Et qu i restraît d’o leus envie,
Dépit d’ crochus qui vey’ voler.

Tu t’ montais dvant mei, pou qu’ j’ apprenge
A dvenir du, raide et hautain,
Et quand ej passais dvant sa grange
A n’pas rgâder Bourrimartin.

Bourrimartin qu’est riche à craque
Qui fait l’ gros et qui mnach’ du fouet,
Mais qui n’est bon qu’après les vaques,
Ou à touchir ses rent’ à Noué.

Fille à berquier et berquerette,
T’as trotté au cul des moutons :
T’en as pas moins chanté lurette,
A tous les temps t’as dit « Chantons !

Ma chanson, mei c’est ma granmaire,
Faut pas d’ ennu dans la mainson.
J’ai chanté sus l’ coffre à ma mère :
A voîx d’ complainte et d’oraison. »

Mei, j’peux pas chanter dans mes transes,
Putôt pleurer, mais je n’ veus pus,
Pou n’pas m’ attirer de rmontrance,
Mei qu’a point d’ paix, d’ ceuz’ qu’en sont rpus.

Accote-mei sous les giboulées,
Qué j’ trébûqu’ point dans mes quercans,
Et pos’, l’été, sus mes mains g’lées,
Ta main sèque à l’abri des taons.

Et quant t’airas les paupièr’ closes
Mei aux pieds d’ ten lit, l’ cueur fermé,
J’te veux chanter, tout bas, tes proses,
Tes chansons et l’ miserere.

Si t’as co des rtours de mémoîre
Quant’ t’habitras dans l’ paradis,
Souvieins-tei ben d’ not’ purgatoîre
Et qué j’ fûm’ deux dvant l’ crucifix.

Si la forche est pas core éteinte
Qui fsait not cômunicâtion,
Tu sras la benhureus’, la sainte,
A qui qué j’ frai mn invocâtion ;

Tu sras men rcours dans c’qui m’ terrasse,
Tu m’aindras à vivre, à m’ sauver,
Ma Notré-dame des Foudrasses,
Ma bonn’ saint’ de vieuille au deigt lvé !

L’ANCIENNE

Ya d’ bonn’ bête’, ya d’ brav’ gens, ya des cueurs d’or ;
Dans les gros, dans les ptits, ya d’ bonn’ personnes,
Des chrétiens, qu’ont la fei d’dans comme d’hors,
D’bons hucheus qui s’appelle’ et qui s’ réponnent.

Ya des chouans, des quercans, des bus’, des carnes,
D’vrais varous, qui n’ sont faits qu’pou fair’ du mâ,
Ds oîsias d’ cri, qui n’ viv’ que dans les vacarnes,
Des gens d’ cro, qui rceuv’ el monde à coups d’ fâ.

No voudrait se rcherchir pou viv’e ensembe,
Joe à joe, et sans point barrer notre hus.
Mais ya ceuz’ qui vienn’ crachir sur not’ flambe,
Et fout’ bas de dssus l’ lintier not Jêsus.

Faillirait qu’no fass’ honte à not’ junesse
Qui n’ sait point des horsins s’ débarrachir.
Leus mamours, cha racluff’ pus qu’ ça ne rdresse,
Ben souvent, ça n’ cherch’ qu’eun lit pou s’ couchir.

Mais écoutez la creyanc’ d’eun’ pauv’ femme
Qu’a duré en s’congnant et s’dépichant,
Ya des rouse’ ès rousiers pour eun’ bonne âme,
Ya d’ la boe ès feumiers pou les méchants.

LA BESOTE

Men grand-grand-onc’, il’tait varou,
Sen veisin  l’tuit, d’eun’ ball’ bénite.
Homme i redévint ; no fit eun trou,
Sans l’touchir, no l’ yenfouissit vite.

(L’histoîre en reste d’en-par-où,
D’la faute à ctelà qui me l’ a dite.)
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Vlà l’ feutumbé, n’ya pus qu’sa braîse ;
Dans lescarr’s les teurtriaus s’baîsent ;
Il est tempsde rdonner du jour
Pou qu’in’âll’ point s’ mettre à l’ amour.

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VENVOLES

Et maintenant, bonnes gens, que l’âtre refroidit, et que leschandelles sont rallumées...

Lechanteur, tantôt, s’excusait de faire un métier de cuistre. Normand,qui va au mot juste, sans vouloir connaître, parce qu’il est devenumalsonnant, ses euphémismes dorés. Chercheur, explorateur, découvreur,conjecturier ès sciences philologiques et annexes, serviteur desréalités normandes. Serviteur ? Ouvrier, plutôt, qui rassemblepatiemment ses matériaux pour en faire de petits ouvrages solides, etpeut-être un jour, devenu maître en sa partie, un monument, sonchef-d’œuvre.

Chef-d’œuvre ai-je nommé, en paradant, mon Hus Bâyi. Et l’on tique.Mais quoi ? Chaque mot, en Normandie, n’a que l’importance de sonobjet. L’ouvrage fignolé que le compagnon présente aux experts pourgagner leur estime ou sa maîtrise, chef-d’œuvre. Le modèle courant estcelui des pâtissiers : dégustation rapide et souvenir confus. Quant aumot sublimé du français présent, son ambition outre si souvent lamesure !

Lechanteur, donc, explore les sources et le cours de notre dialecte.Les mots des grimoires, il en suit la trace aux lieudits des hameaux,aux archives des abbayes, dans nos noms patronymiques. Il en voitfleurir la descendance sur les lèvres paysannes, en des endroits oùl’instruction n’a pas éteint l’ignorance. Quand il sera à fin descience, l’Université le fera docteur. Assis en chaire, avec une robed’apparat, il enseignera l’univers, et intimidera son monde.

A l’arbre généalogique de notre dialecte, où il fait au greffonscandinave une place de choix, sont maintes branches sclérosées,mourantes ou mortes. Mais un rameau qui longtemps végéta, verdit etpousse des rejets. C’est le rameau des parlers normends, qui, vers sonfaite (comme en Provence) porte sa branque ès oisias. Là vients’ébaubir un volier de gosiers rustiques. Lechanteur, qui surveille sonrameau et sa branque, fait à tous un signe d’amitié. Il voudrait tantque ces oisias s’unissent pour un chœur à l’unisson et que lesdébutants fissent leurs gammes... Mais allez enseigner une harmonie àces « particuliers », fiers de donner chacun sa note !

Lechanteur dit juste. Celui de Thiberville, s’il offrait son Hus auxbergers, n’en serait pas mieux entendu qu’un natif de l’Andalousie.Ainsi Mistral ne fut jamais prophète à Maillane.

De son aïeule, il tient son esprit, ses tournures, sa grammaire, sadictée, et une langue maternelle réduite aux besoins du tous-les-jours.Ambitieux, il a été à la cueille ; les peuples voisins, les glossaires,les livres anciens ont fait sa fortune, mots de loisir et de dimanche ;puis se fiant à son génie (encore un terme à déromantiser) il a inventédes mots d’avenir, quand il ne lui convenait point de les emprunter aufrançais tout-fait. En Provence, c’est le « droit de chef-d’œuvre »,quand le compagnon a vraiment du cœur.

Puis, cette audace ! Profane habitué de l’air et du vent, il s’est misà folâtrer dans le réduit sévère du scienciologiste. Foulon, il a faitla nique à l’avette, opposant à de patientes certitudes, ces avisd’étourdi qui ne font point matière à bréviaire. Le cuistre n’est pointpédant : « Tope-là, poète aux faciles histoires ! trinquons ! A chaqueesprit ses mirages, et la vérité dans son puits... » Normand de haut,car j’en connais bien...

Mon avis (Lechanteur) est qu’un dialecte rénové ne saurait s’offrir,dans l’immédiat, une orthographe définitive. J’ai bien réfléchi : ilnous faut tâtonner un peu. Même en ne pensant qu’aux lettrés, qui, plusfacilement que l’auditeur paysan, l’accepteraient unifié. Si je copiele parler, je supprime trop de lettres, et le mot perd son visage. Sije garde ces lettres, on les fera sonner, à la française. Que choisir ?Ecriture difforme ou parler barbare ? Moisy, dans sa grammaire aformulé des règles : si l’on s’y tenait, une fois apprises ? Ainsiresterait mal ; seu, seul ; pauv’ ou paur’, pauvre ; veî, veir ; couri, courir ; et cri querir. Le dialecte devenu choseparlée et chose écoutée, l’auteur redevient trouvère, ou dirige lalangue de son interprète. L’écriture n’est que pour lui, et pourl’initié.

Le vers ? Que ne peut-il demeurer caché en son écriture, la figuresonore donnant seule aux mots leur visage mental ! Ceux duThéâtre-Français massacrent Corneille et Racine : « Cette obscurclarté qui tomb des étoiles - la fill de Minos et d’ Phasiphaé... » Ils se refusent à l’air de flûte : Vous mourûte zaux bord zoù vousfûtes laissée... Il faudrait que le vers dialectal ne permît ni cetteboiterie ni ce dédain. Il faudrait que l’élision, portée à l’extrême, ysupprimât toutes les muettes, au prix même de quelques acrobaties quiferaient honneur au dialecte. Tout sacrifier à la cadence, àl’incantation. Une pensée pour un vers, un vers pour une pensée, l’unplein de l’autre et ratara. Simplifier, simplifier ; et quel’octosyllabe condensé, en tienne et dise plus qu’un alexandrinfrançais!

N’empêche (s’esclaffe le railleur) qué vos diries, ça n’est qu’girieset riries, et qu’ vo n’ osériez pas caôser dans vot’ patois dvant desgens qu ont d’ l’ éducâtion. – En ét’ôus sûr ? Ségrais caôsait normenddvant l’rei. Mei, si c’était pas dvant, ça srait ptêt’ à côte oudrieière. Pis, vos savez, l’diable est pus qu’janmais déquainné, et lejteus d’ sort est pas loin. Ça porrait servir, des feis, d’aveir eunbout d’ langue à sei. Et qui qu’vo faites don du piaisir de cti-[l]àqui l’fait d’esprès d’appu yir sus sen patoîs pou vos embrouillir lacomprénette ? Et du piaisir d’l’aute qui s’ déliche à l’ouir ?Faillirait-i qu’no s’pirivît d’ not’ femme pac’qu’olle est point faiteà vot’ goule ?



Pendant que nous sommes entre gens de pays... On fait de moi unsceptique, un sans feu ni lieu de la croyance. Bois insensible ou carneracornie. Mais oui : vieillard sans illusions, je sens comme mapaysanne d’aïeule : « Je serai bientôt dans le trou : quand on merelèvera, ma cendre ira à la terre, et mes ossements dans un coin. Lesgarnements du catéchisme joueront avec à se battre ». Nous ne sommespoint, nous, des gens à tombeaux, et de conserve éternelle. Mais on vitson temps jusqu’au bout : un pape mort ne vaut pas un chien vivant. Ily a du bon dans la vie, et on le prend, en attendant que nospetits-enfants nous fassent sentir que c’est leur tour, et qu’il esttemps qu’on s’en aille. Car l’amour est lié à la mort, on le sait. Cesfatalités, nous ne les refusons point. Mais la vue des animaux (et lanôtre) nous en donne pitié et mépris. Deux contrariétés à quoi, àcontre-cœur, mais sans rebellion, on se laisse aller ; d’autant mieuxqu’amoureux ou mort, on ne se voit pas. – Là-dessus, quelle foi ? Leciel est au-delà de l’espace, l’éternité, en dehors du temps. Maisencore ? Le mal et le bien sont inséparables. Gabriel et Belzébuth sontles deux visages du même ange. Morales, lois et religions les prennentsouvent l’un pour l’autre, ce qui maintient en perpétuelle objectionles quelques consciences claires et réfléchies qui sont au monde. Maisle radar et la bombache sont frères siamois ; nés ensemble, ils vivrontensemble et l’on ne les tuera point. Et ensuite ? Toute vie estfaiblesse, crainte, épouvante ; pour un stoïque, mille froussards.Notre appel au secours, quelqu’un doit l’entendre, pour qu’il ne soitpas désespéré. Selon qu’il lui faut une arme, un soutien ou un refuge,l’homme imagine un dieu tout-puissant, approprié à sa requête. Il luisacrifie ou ses moutons ou ses enfants, ou son orgueil ou son or. Iciles ancêtres ont accepté une religion enseignée. Et le petit normandtrouve en naissant un dieu tout fait, rodé, accommodant, au haut d’unciel peuplé de saints et de bienheureux intercesseurs... Ce n’est pasun dieu du pays, mais qu’importe ! Il n’en prend que ce qui luiconvient. J’entends (changement d’herbage réjouit les bœufs) j’entendsRollon se dire, en s’établissant chez nous : « Nouveaux horizons,nouvelles terres, nouvelles amours et nouveaux dieux protecteurs : mevoici comblé : ne gâchons point cette aubaine ! – Ma théologie s’arrêtelà.



Esprit de la terre, je tiens que mes chromosomes et mes gênes meviennent de notre Origine à travers mes milliers d’ancêtres ; que monsang, père de mes humeurs et de mon humeur, me vient d’aussi loin, àtravers le ventre maternel ; que le paysage de mes premiers ans,humain, mental et sylvestre, a donné, à ma disposition naturelle àvivre, sa couleur et son enchantement. Comme le chromosomique et lesanguin, c’est un paysage évolué, mais qui, comme eux, tient plus deson origine que de son évolution. Et je tiens que chacun, ici-bas, estainsi fait, heureux possesseur, usufruitier indifférent ou prisonnierlamentable de son Etre, ce Moi qu’il n’a pas voulu, et qui, nicontrarié ni discipliné ni dompté, ne connaîtrait, dans l’action, nipère, ni mère, ni bien, ni mal.

Les « Miens », d’une santé à l’épreuve de tout, au bas de l’échellepaysanne, n’avaient rien, ou presque, qu’eux-mêmes : une tête, desjambes et des bras, avec tout juste assez de terre « pour y mettreculotte bas sans qu’on vienne leur botter le troufignon ». Ils m’ontélevé sans dureté, mais sans dépense, et sans beaucoup d’attention.J’ai grandi demi-solitaire, avec les bêtes, les fleurs et les arbres,parmi les choses silencieuses, m’apprenant à m’émerveiller de tout, àtout aborder innocemment. Nulle ombre entre mon âme naissante et monlambeau d’univers. Depuis, j’ai connu des disciplines ; j’en ai subi,j’en ai accepté, je m’en suis fait. J’ai exploré maints rivages ; j’ensuis revenu chargé ; j’ai bien vite déposé ces riens pour retrouver mesmains libres, riches de leurs nerfs et de leur sang. Les cimes et lesabimes m’ont laissé sans émotion ; cela dépasse la mesure humaine...J’achève mon existence dans un sourire, en pensant que le but de lavie, c’est elle-même, elle seule. L’animateur de notre univers incréén’a pas dû vouloir autre chose.

On me dit sage, parce qu’on me voit sans ambition. Ma sagesse et dem’être connu, de m’être trouvé bien comme je suis ; de vouloir n’êtreque moi, et pas l’autre. Et que chacun se connaisse, et se convertisseà soi, et s’aime tel quel, s’il le peut, sans vouloir « péter plus hautque le cul », ni prétendre sentir meilleur que son frère. Je crois(nous y voilà) à la civilisation de ceux qui fouissent et maçonnent,sans savoir lire ni parler ; à la civilisation des fellahs, quisurvivent à leurs pharaons et à leurs sultans, et qui, toutsous-développés qu’ils sont, découragent, à force de vivre et de mourirpauvres, leurs fanatiques bienfaiteurs... Cultivé, je n’envie point,pour mes petits-fils les bénéfices de la culture : les lumièresnocturnes des Champs-Elysées « éblouissantes et féériques », ne mevalent point le ciel étoilé de mon enfance, ce firmament à qui lesétourdis posent tant de questions, sans s’apercevoir qu’il est en soitoute réponse.

Ça, creyez-mei, j’airais pu vo l’dire dans men normend d’compôsition,qu’est ben pu joli qu’men frenceis d’ maître d’école, si ben agencéqu’i seit. Ceuz dé Paris n’yentendraît goutte, et i n’porraît pas enrigoler. Et vous, ça vs airait ben pus rémouvés. Et vo n’airiez pointbâilli, comme j’ vo veis l’ faire asteu, qu’vo deverriez tertous votrouver sous l’aigledon, à conter lourette à vote oriller.

Allez, bonnes gens, rentrez tout-en-paix dans la maison que vous adonnée la providence. Dieu vous ait en sa garde, et l’homme en sonaffection.


Adieu, tertous qui rpassez l’seu(il)
Not’ hus rbarrei, je rsrons toutseu(ls)