Effectsmerveilleux,
et admirables
secours de la glorieuse vierge
Marie ditteNostre Dame de Grace,
pres Honnefleur.
Esprouvez& resentis pardespersonnes dignes de Foy,
quil’avoientinvoquée enleur necessitez.
Beatam me dicent omnes generationes.
C'està vous Vierge queje veux
D'uneaffection nompareille
Sacrifiermes humbles voeux
Excitanttous à lapareille.
ARouen.
Chez Nicolas Hamillon, demeûrant devant
legrand portail Saint-Jean.
1615.
Avec approbation
Ala Royne des Cieux.
QUEce soitpresomption à un vermisseau comme je suis(ô Bien-heureuse Advocate des pecheurs) que de faire sortirau jour ces effects merveilleux, que vous avésoperé enplusieurs, & de m’addresser à vous pourles vous dedier renvoyant en sa source, ce qui en sort, vous suppliantd’en estre la protectrice, & avoir pour agreablel’humble service que ma vileté pense faireà vostre excellence (ô Princesse du Ciel) jen’en doute point, & humblement vous en demande pardonconfessant ma faute, Car en effect si ce grand Alexandre ne voulutjamais permettre à un autre qu’à unAppelles de le peindre & pour traire craignant que lavivacité de son esprit qui reluisoit en son front &paroissoit en ses yeux ne fut assez bien exprimée par unpinceau plus grossier & moins delicat que celuy de ce grandpeintre, vous avez droit ô Saincte Dame, de trouver mauvaisque j’entreprenne d’une plume si maltaillée de peindre & representer à chacunles traits delicats de vos perfections & oeuvres quevos tres-puissantes mains ont elabourez en plusieurs ames. Aussi leconfessay-je moy mesme advoüant que quiconque veut parler devous ressemble à ces Astrologues qui pour instruire& faire comprendre le mouvement des Cieux, la course du Soleil& milles autres rencontres, qui se voyent en ces globescelestes, tiennent un globe de carton où bois, disant icyest l’Orison, la l’equateur, la la ligneEquinoctiale, la la zone torride, icy les Poles, car la mesme distance& difference qu’il y à entre le Ciel,& ce globe artificiel la mesme se trouve entre vous &les discours que nos langues humaines en peuvent expliquer &esbaucher. Maisquoy de se taire aussy dece dont on ne sçauroit tropparler, & moy estant tant redevable que je pense cacher en moyce secret que je n’ay receu que pour le publier je serois partrop coupable, j’ayme donc mieux estre estimétemeraire m’attaquant à vous par humblesupplication qu’ingrat apres tant de benefices receuz. Jointque j’espere tant en vostre clemence (ô Mere demisericorde) que la faute commise par mon incapacité seraexcusée par votre capacité &benignité ordinaire, & que vous ne serez pas moinscourtoise envers moy qui vous presente peu, qu’Artaxerxesauquel selon la coutume des Perses chacun offroit selon son moyen, unpaysan n’ayant autre chose alla au prochain fleuveoù ayant puisé avec sa main de l’Eaul’apporta ainsi à ce Roy, qui voyant son affectioncordialle la receut de bon coeur disant qu’iln’estoit pas moins honorable à un Prince deprendrepetite chose que d’en donner de grandes, Aussy me confiant envos bien-veillances Je vous offre ce peu de collections, quej’ay faict de vos merveilles vous priant de les recevoird’aussy bon oeil que je me diray humblement& devant tous, Votre tres-petit &affectionné serviteur & devot
J. Le. B. (
1)
DISCOURS
PAR LEQUEL EST PROUVÉ
Par l’Escriture Saincte, & par les Peres
que labien-heureuse Vierge favorite, assiste &
console ceux, quihumblement ont recours
à elle en leur affliction. (
2)
C
Egrand Dieu est un estre tant obligeant, sesbien-faicts &bien-veillances en nostre endroit sont si grandes que chacun de nousdoit considerer que quand toutes les parties de son corps seroyentchangees en langues, & employees à loüer saMajesté encore lui seroit-il redevable. Laissonsà part ce qu’il nous eslargit & levons lesyeux vers luy mesme n’oeilladans que ces perfectionsineffables, qu’ont ne peut profonder, elles meritentd’estre exaltés de toute créature.C’est pourquoy les Anges & les Esprits bien-heureuxdans le Ciel ne font autre mestier n’ont autre occupationqu’à le loüer, non tant pour la grace& gloire qu’ils ont si liberalement receüede luy, que pour la veüe qu’ils ont de sesravissantes beautez. Et nous qui croyons tout ce qu’ils envoyent serons nous tousjours endormis, le Psalmiste est contraint denous resveiller disant.
Omnisspiritus laudet D
ominum,que toutelangue & coeur benisse ce bien-faicteur supreme& donne instruction en quoy & comment nous leloüerons.
LaudateD
ominumin sanctis ejus, Laudate eum infirmamento virtutis ejus :Loüez le Seigneur en honorantcesSaincts c’est que Dieu à fait plusieurs gracesà plusieurs saincts pour en estre loüé& pour faire admirer sa bonté, s’estantpanchée devers eux pour en tirer ses loüanges.Ainsic’est le loüer que destimer & priser cessaincts, mais ce mot
Laudate eum infirmamento virtutis ejus, lesDocteurs l’expliquent de nostre Dame, pour ce que comme lefirmament est eslevé au dessus de plusieurs autres Cieux,aussi elle faict bande à part, & choeurseparé dans le Ciel, surpassant tous les saints en gloire,c’est aussi pour ce que le firmament à unemilliace d’Estoilles qui le decorent, les autres Cieux secontentent d’une Planette, aussi Marie à en soynon une vertu, mais une milliace, elle àl’esperance des Prophetes, la Foy des Apostres, la Constancedes Martyrs, la pureté des Vierges, la Sainctetédes Confesseurs, & partant celuy la loüera bien Dieuqui loüera & invoquera celle qu’ilà ornée & embellie de tant depasse-droicts & prerogatives.
Que si cette raison pour loüer Dieu ne suffit àceux qui sont plus amoureux d’eux mesmes, que de Dieu, aumoins le bien & les assistances & recompencesqu’ils recevront à supplier cette Dame, luydoivent porter, puisque jamais elle ne permettra qu’aucunl’invoque d’un vray coeur que sa requestetost où tard ne soit entherinée, s’ilsperseverent à l’importuner. En voici les preuves.
L’Escriture Saincte nous fournit un passage en
l’eccles.24. quel’Eglise applique ànostre Dame,
Qui creavit merequievit in tabernaculo meo &dixit mihi in Jacob inhabita & in Israël hereditare& in electis meis mitte radices,elle dit qu’ellehabite en Jacob & non en Esaü lequel representoit lesreprouvez, & Jacob les esleuz que cette Vierge cherit, ceuxdonc en qui Marie aura mis ses racines & qui auront Marie enleurs affections pieuses auront un signe d’Election &predestination, & cette devotion ainsi enracinée ennos ames attirera l’humeur & la vertu de notre bonnevolonté vers le Ciel.
Et comment pourroit on expliquer sur ce sujet ce passage du
levit.24
Ponamtabernaculum meum in medio vestri & non abijciet vos animamea, Sinon que celas’accomplit aux esleuz Marie est cetabernacle sacré de Dieu qu’il veut estreplacé au milieu du coeur de ceux qu’ilayme, & tels ne seront jamais rebuttez de luy qui auront en euxtant de devotion que de conserver sa mere en leur memoire & aufond de leurs sainctes pensees.
Mais je ne trouve point de passage si fort que celuy que nous proposel’Apostre,
Rom.8.
Quospraescivit &praedestinavit conformes fieri imaginis filii sui,& en la2.
auxcor. 3.
Nos autem revelatafaciegloriam Dominispeculantes ineandem Imaginem transformamur,par lesquelles ce St. Declare quelespredestinez doivent estre transformez & faits conformesà l’Image de Jesus-christ, cest à direque comme Jesus-Christ est Dieu & fils de Dieu naturel,l’homme Chrestien doit estre par participation de sa gracefils de Dieu par adoption, or afin qu’il ressembleà Jesus-Christ quant a l’humanité, ilfaut que comme Jesus-Christ est fils naturel de Marie,l’homme par adoption, devotion, & acception,qu’en face Marie soit son fils, aussi est elle dite Mere desesleuz & les esleuz doivent l’eslire pour mere,& semble que nostre Seigneur son fils voulut dire cela pendanten Croix, lors que parlant a S. Jean il est dit
que vidit discipulum& ait ecce mater tua,ou on voit qu’il ne le nommepoint particulierement mais usant de ce mot de disciple aussi tost ilconclud, voila sa mere, pour ce que tout vray Disciple de nostreSeigneur dit
Origene enl’homede St. J
ean Evang.est filsde Marie, & Marie à pour fils tout esleu. Aussi tousles justes entonnent ces beaux mots du cant. I.
Exultabimur &letabimur in te memores uberum tuorum super vinum recti ditigunt te,memoratifs de vos mammelles bienfaictrices, ô notre bienaymée mere nous nous efiouyrons en vos perfections plusqu’au vin le plus delicieux & la raison de ce retourdes justes vers Marie se tire de l’effet de la grace laquelleà inclination vers icelle comme l’effect vers sacause ainsi qu’a l’agneau, Dieu a donnéla cognoissance de sa mere & le retour & affection verselle entre mille, la choisissant sans se tromper. Ainsil’Autheur de la grace donne cest instinct à ceuxqui l’ont de reverer & aymer sa mere qui est apresluy commel’Eglise la qualifie
Mariamater gratiae partant lesjustesont un traict vers ceste Vierge qui les tire & porte facilementpour la recognoistre leur Mere & l’invoquer commetelle & elle à aussi une propension maternelle versles justes comme la Mere vers ses cheris enfans. Je ne dis tout cecycomme venant de mon crud, les Peres triomphent sur les biensqu’elle cause aux mortels, S. Anselme en l’Orais.deexcell. Mar.c 12. dit
Sicut ôbeatissima omnis a teaversus & a te despectus necessé est ut intereat,ita omnis ad te conversus & a te respectusimpossibilé est ut pereat.C'est-à-dire,ô tres-heureuse ainsi que tout homme qui seradestourné de vous & mesprisé de vous ilest necessaire qu’il perisse mal’heureusement,aussi tout homme qui se convertit à vous & estreçeu de vous il est impossible qu’il perisse ainsfinit heureusement, scauroit on dire plus àl’avantage de ceux qui la prient & pour donnerconfiance de l’eslire pour Mere & advocate cecy sepeut expliquer avec ce que rapporte
Plinever. 21.c.13
hist. nat.qu’en l’afrique il y a des familles quinaturellement ont un privilege que tous ceux de leur sang tuent de leurhaleine les serpents au moins les font fuyr, autant & plusvrayement en peut on croire de ceux qui sont de la maisonsacrée de la vierge qui pour la devotion qu’ilsluy portent sont couchez sur son estat, de leur haleine nommant& invoquant le nom de leur chere mere chassent les Diables& sont preservez d’iceux par ses secours favorables,& en effect n’aura elle pas bien autant de pouvoirque la harpe de David laquelle pendant qu’on fredonnoitdessus le demon de Saul s’en alloit, & on ne croirapas que cette Vierge esloigne tout mal & malin esprit de ceuxqui entonnent ses loüanges & la prient de toutcoeur, & le mesme St. Anselme au c.6. dit
Multapetuntur à deo nec obtinentur & petuntur a Maria& obtinentur non quia illa potentior sed quia fic decrevitD
euseam honorare ut sciant hominesomnia per ipsus obtinerià Deo, plusieurschoses sont demandes à Dieu quine sont obtenues & sont demandes à Marie &sont obtenues non qu’elle soit plus puissante mais pource queDieu veut ainsi l’honorer à ce que les hommessachent que tout s’obtient de Dieu par ses prieres qui doncentendant ce pere ainsi parler (& tant d’autres queje passe pour n’estre long) n’auront croyancequ’elle peut beaucoup & qui ne la priera estant sibonne & si puissante ?
C’
Estune ignorance qui attaque &s’emparede plusieurs Esprits de ce temps de rapporter tout à lanature & ne croire rien venir de Dieu particulierement que cequ’ils voyent surpasser & ajamber sur toutes les loixcomme de cette mesme nature, comme si Dieu avoit les mainsliées & sous main & sous les mesmescreatures ne pouvoit agir quand bon luy semble &qu’il en est prié, à telles gens doncqui n’estiment rien de merveilleux que ce qui est miraculeuxje m’adresse pour terrasser cette opinion. Pourquoy tient-onpour coup de Dieu quand David deffit cette montaigne de chair Goliath,puis qu’il se servit bien d’un caillou &luy estoit un jeune homme fort & robuste bien adextreà frapper de la fonde, ne le pouvoit il pas faire aussi tostpar hazard qu’un coup de pierre jettéefurieusement & comme à la desesperade donnant dansle front d’un homme le jettast par terre. Et puis il prit lecoutelas de celuy qui estoy estourdy abas ? Ce sont toutes voyeshumaines & neantmoins à qui attribue-on cet acte sigenereux qu’à la puissance de Dieu, qui parmerveille l’avoit secondé en tel düel,toute l’armée & la populace le referoit autout puissant. De plus quand Dieu donnoit des victoiressignalées aux Israëlites contre leurs ennemis nefaisoient ils rien, ne s’exposoyent ils pas aux coups& faisant ce qui estoit en eux Dieu faisoit le reste. Et cependant si à present un malade àl’extremité faisant veu à nostre Damesi on ne le voit marcher aussi tost & ne se porte bien en uninstant on ne veut croire estre favorisé de Dieu pourn’avoir este si subitement & si parfaitement remissur pied, s’il revient peu à peu &recouvre ses forces & santé desesperée,avec le temps c’est nature qui fait tout. On n’endoit rien à Dieu n’y au Saint qu’on aprié comme si sous ce temps Dieu noperoit pas. Cet abusprocede de ce que les hommes ne croyent assez en la providence de Dieu,ne se souvenant pas qu’il à dit de sa bouchequ’une feuille d’arbre ne tombe en terre sans lavolonté du Pere celeste qui gouverne ce bas monde, qui ditencore par un de ses Oracles qu’il n’y àmal aucun en la Cité qu’il ne facel’entendant de celuy de peine comme sont les maladies, perile&c. Donc comme pour les introduire il se sert de causessecondes qu’il mesnage si à propos que sansqu’on l’aperçoive on si trouve pris.Aussi ne laisse-t-il de retirer ses fleaux quand bon luy semble bienque ce ne soit si promptement qu’on desireroit, lesquellespeines il laisseroit aller leurs cours & bien loin si nosprieres addressees à ses saincts & sur tousà sa Mere ne servoient de rempart à ses justescholeres meritées par nos pechez.
De plus puis-que c’est Dieu qui inspire ceux qui gisent ences afflictions à lever les yeux vers luy &l’invoquer par l’intercession de quelque saint ilest veritable que les effects qu’on en ressent viennent de samain auxiliatrice, car ne pouvant de nous comme dit l’Apostreproferer son venerable nom sans son inspiration il s’ensuitque c’est lui qui se fait prier de ce qu’il veutnous octroyer & ce veut servir de ce moyen, de son saint,& de nostre priere à luy dressee, commed’une voye pour l’obtenir partant ceux qui ontreceu quelque grace d’en-haut qu’ils ne meritoyent,& qu’ils n’attendoyent du secours humainbien qu’elle ne vienne tout à coup àoperer doivent faire cet honneur à Dieu & auxsaincts qu’ils ont invoquez, de leur attribuer le bienqu’ils en ont receu sur peine d’ingratitude nompareille & de n’estre une autre fois exaucez en leurdemandes & necessitez.
Je dis cecy d’abord à ce qu’on face plusd’estime des merveilles que nostre Dame àopéré qui sont plus à admirer que nepensent quelques uns, car ce n’est pasd’aujourd’huy que s’accomplit le dire duProphete,
MirabilisD
eusin sanctis suis : &surtout en samere laquelle comme estant ce qu’elle est remplit la terre debenedictions exauçant ceux qui l’honorent parleurs tesmoings en sont ceux qui ont eu recours à elle& s’en sont bien trouvez, desquels voicy la premierehystoire.
L’anMil six cens quatorze.
N
Oblehomme Jean le Bys Sieur de Fontenay (
3)estantà Paris aumoys de Novembre fut saisi & agité d’unegriesve &violente maladieapres avoir receu les Sacrements, abandonné des Medecins quiavoient usé sur luy ce qui estoit de leur pouvoir &art ne recoignoissants en luy que des signes augurants &presageants sa prochaine fin, en suitte resta cinq heuressans poux & sans haleine auquel estat fut jugé pourmort de tous, jusques là qu’on preparoit le suairepour l’ensevelir, ce pendant ledict malade presumémort se sentit poussé de se recommander & fairevoeu à la Vierge en sa Chappelle de Grace, lasuppliant avoir pitié de son ame & la faire passeren asseurance ce destroict tant perilleux, où il se jugeoitestre. Aussi tost il commença à ouvrir les yeuxestonnant ceux qui le croyoient estre passé, &pleuroient son decez, & se trouvant tout à coupsoulagé de beaucoup de tant de maux quil’agitoient, à sçavoir d’unegrande defluxion, d’une pleurezie, & fievre chaude,alors il recogneut indubitablement que cette bonne Dame avoitpresenté ses voeux à son fils cecyarivant le jour de sa presentation au temple, dont il loua Dieu,& se sentant peu de jours apres fort assez monta àcheval pour luy en aller rendre grace & accomplir sesvoeux en ladicte Chappelle ou il fit celebrersolemnellement trois hautes Messes l’une de laVierge, les deux autres de S. Jean, & S. Françoys(
4)qu’il avoit aussi reclamez en cette siennenecessité. Et depuys fit composer ce sonnet pour estreattaché à ladicte Eglise en memoire perpetuelled’un tel bien receu. (
5)
ACTIONDE GRACES A LA
bien-heureuse Vierge, pour la santé
miraculeusement reçeuë d’elle
par ledict le Bys (
6)son affectionné devot
SONNET
Les hommes vont suivantle train de leurs pensées,
Les uns vont des plus grands recerchant les faveurs,
Les autres du commun mandient les honneurs,
Et d’autres ont en l’or leurs amesenchassées.
Mes volontez seront à jamais amasseés
Pour la Vierge honorer, je voudrois mille coeurs
Luy dedier en un, comme un boucquet de fleurs,
Jugeant à la servir mes heures bien passez.
J’estois au lict de mort au jugement humain,
Quand la Vierge à l’instant me vint tendre la main,
Me redonnant le poux & la force & l’haleine,
Comme mere de vie elle mà rendu sain :
Et sain je seay sien, n’ayant autre dessain
Que de servir Marie & mourir en la peine.
AUTREACTION DE GRACES.
Pendant qu’un fluxd’humeurs causant lapulmonie,
Compagnon d’une fievre aux efforts plus ardants,
Sans treves ny repos me travailloient dedans
Je restay pour un temps ainsi qu’en agonie.
Lors mes debiles yeux vers la voute munie.
De celestes faveurs sans cesse regardans,
Accompagnoient mes voeux qui s’en alloient rendans,
Aux pieds d’une beauté en graces infinie.
Elle tout aussi tost me faisant respirer,
Et mes foeux violens tout à coup expirer,
A son Fils tout puissant ma santé redemande :
Vierge ! l’honneur du Ciel, des humains le recours,
Je vous appens ces vers pour ce bien en offrande,
Dame vous confessant de grace & prompt secours.
AUTREHISTOIRE.
E
Nla mesme Année le Sieur de Tortuict Chauvin(
7)commandantdans une barque (
8)pour aller aux isles du Perou accompagnéduSieur de la Rocque (
9)Gentilhomme signalé du Pays deLanguedoc,du Sr de Saint George (
10),Helme son enseigne avec plusieurs soldats& matelots de l’equipage ayant faict voile &partis de Honnefleur au Moys de Septembre (
11),peu de jours apres sevirentagitez furieusement d’une tempeste si grande, de ventscontraires, accompagnez de tonnerre, gresles, pluyes, en sorte quelaissant aller la Barque toutes voiles abbatues, les mats rompus seveirent portez parmi des roches sans nombre & assez proche pourleur augurer leur perte prochaine, se voyants en un peril si eminent& prests à faire naufrage, le Pilote quittantl’espoir de vivre aussi bien que son gouvernail qui obeissoitplus aux fortes bourasques des vents qui faisoient leur joüetdu vaisseau, qu’à sa volonté demydesesperée de pouvoir sortir de tels lieux sans fracas dunavire en mille pieces, ses compagnons pasles & demy mortsperdoient contenance jugeant que c’estoit faictd’eux. J’ay dict demy deseperez & demymorts, pour ce que s’ils perdoient espoir selon le secourshumain, ils ne perdoient pour celuy d’enhaut qu’ilssouhaitoient & esperoient par leur bonne Advocate nostre Damede grace, à laquelle les genoux en terre, les larmes auxyeux, les souspirs au coeur & l’affectionpour elle en l’ame ils firent d’un commun accordvoeux de celebrer la saincte Messe dans sa Chapelle de Gracesi par grace non meritée ils eschapoient ce naufrage, casestrange, tout au mesme temps le vent est abbatu, la mer estrenduë calme & tranquille & sortent desrochers sans estre endommagez revenant heureusement contre leur attentepremiere, audict Honnefleur, ou estant relaschez allerent tout de cepasla salüer & rendre grace à lasacrée Vierge en son Eglise, confessant à tous netenir la vie que de son Fils & d’elle àlaquelle comme au Fils, ils rendoient milles loüanges.
Et voicyles honneurs qu’on à
renduà cette Dame pour eux.
ALA VIERGE.
Vierge, le Ciel est beau, quand Diane blafarde
Descouvreau firmament tantd’Astres lumineux,
Maisvous semblez plus bellealors qu’on vous regarde
Au jour de vos vertusloing des pechez hydeux.
L’airest beau, quand levent & l’orage neforce
Leserain de Junon, en larmess’espancher,
Maisvous le surpassez enmesprisant la force
Del’Ange de la nuict, dumonde & de la chair.
La terre semble belle enla saison nouvelle
Maisl’Hyverl’enlaidit & luy ride sa peau,
Viergeen toute saison voussemblez toujours belle
Faisantdans nostre Hyvergermer un renouveau.
O ! que belle est la meralors qu’elle est esgalle
Etque son grand flot flotteà petits flots ondez,
Maisplus belle estencor’ ceste mer Virginalle
Quene s’enfle jamais denos flots débordez.
Si donc la Lune du Ciel,l’air & la terre& l’Onde
Vouscedent en beautéautant qu’enpureté,
Vousdoit-on pas chanter laplus belle du monde
Etvous nommer au monde, unmonde de beauté.
AUTRE.
L’
AN1614. la soeur-veille de la Magdelaine(
12) enlabelle maison de Fontaine (
13)à quatre lieües presLysieux, arriva par la faute d’un palphrenier que le feu prità l’escurie environ sur la minuict, & ceavec tel embrazement pour la matiere combustible qu’il ytrouva, qu’on vit plutost toute ceste escurie en feu,& quatre ou cinq chevaux dedans bruslans (desquels onn’en sçauva qu’un) que le secours pour yremedier, toute la court estoit en feu pour les estincelles quivoltigeoient fort loing & donnoient apprehension de la perteencore de la Chappelle de ladicte maison, le feu gaigne & vaserpentant & avançant tousjours vers un cabinet& galerie voisine, par mal’heur plaine de bois, ensorte que le feu trouvant son aliment propre s’enflamma detelle sorte, que tous ceux, qui estoient presens en petit nombre,craignoient qu’il ne gaignast le grand logis qui yaboutissoit, & commençoit on en à tirerle plus precieux pour le degager des ravissantes flammes &remedier aux advenües d’icelles. Mais quoi rienn’eut arresté le cours & les effortsd’un feu si violent, chacun estoit contemplant ce desastre ladouleur au coeur sans ouverture d’esperance que ducosté de Dieu, qu’eut-on sceu faire estant si peuà si grand feu, de bon-heur se trouverent la deux PeresCapucins qui y avoient presché ce jour là, quieurent recours à leurs armes ordinaires, excitant chacunà concourir & s’unir à leursprieres pour faire un sort attaquant Dieu par importune requeste, ilsse mirent donc avec quelques autres à genoux en terre en lacourt, & la le Predicateur voüa à NostreDame, que si c’estoit son bon plaisir de faire paroistre sesbien veillances ordinaires sur ce lieu (que la charité& pieté des hostes d’iceluy leur faisoitaffectionner) qu’il iroit à son Eglise de Graceà Honnefleur dire la Messe en action de grace &inviteroit toute la Ville à y aller en Procession &là qu’il y prescheroit ses loüanges,& le miracle qu’il auroit veu, & aussi disantles litanies & autres prieres que l’Eglise dedieà la Vierge, sans celles qui partiroyent de leurcoeur touché d’une compassiond’une si grande perte ne cessoient de conjurer labontéde cette Dame à pancher & s’encliner verseux pour les secourir en tel besoin, ne voyant autres voyes selon lejugement humain que ses misericordes. Merveille, leurs voeuxachevez le feu commence à demeurer bien demy-heure durant enmesme estat, & aussi tost de tous costez accourut si grandnombre de peuple inesperé, veu le temps de nuict &la distance grande qu’il y à de là auxmaisons voisines & chacun travaillant tant d’uncourage animé d’enhaut que Dieu conduisant leursindustries ils se rendirent maistres du feu, voire n’ayantpris ce que chacun de premiere veüe luy accordoit volontiers.Mais Dieu par les prieres de sa Mere qui l’en importunoitretenoit la bride à ses flammes, si que ne passant pointdepuis la priere & le voeu fait donna seulementà cognoistre que Dieu y avoit mis sa main & nostreDame de Grace conferé ses graces chacun les en remercioit.Et le voeu fut accompli par lesdits Peres Capucins le Dimanchededans l’Octave de l’Assumption de cette Vierge(
14)& lapredication faicte sur le mont où est sonEglise, à l’Air, assistée de toute laville qui si estoit acheminée avec les processions quiloüoyent Dieu & cette Dame qui faict des merveillesà ceux qui humblement l’en requierent.
SONNET
En l’Honneur de la Mesme.
Il n’y à qu’un Soleil, dontles vives splendeurs
Ebloüissentdu Ciel nostrehumaine prunelle,
Entretoutes les fleurs la roseest la plus belle
LeLys en sa blancheur noircittoutes blancheurs.
Le miel est le plus douxde toutes les douceurs :
Laperle en pureté setrouve naturelle,
L’oren prix & valeurtous les metaux excelle
Etle cher ambre-gris passetoutes odeurs.
Mais plus que ce parfumla Vierge est odoreuse,
Pluspure que la perle, &que l’Or precieuse,
Plusblanche que le Lys, plusdouce que le miel,
Plus claire qu’unSoleil, plus bellequ’une Rose :
Toutesfoisje la dis, fleurdans l’Espine esclose,
Lys,Miel, Ambre, Soleil, Or& Perle des Cieux.
HISTOIREARRIVEE
L’An 1600
M
AistreJacques Heroult Sr. de la Rüe, Docteur enmedecine,& medecin ordinaire de feu Monseigneur le Mareschal deFervaques (
15) ,tomba malade à Lysieux, d’unedefluxionsur les paulmons accompagnée d’une fievre lente,dont la substance des parties de son corps fut presque du toutconsommée, tellement que ne luy restant que la peau& les os, il representoit plustost l’Image de lamort, que d’une personne vivante. En cette grande &facheuse maladie se voyant si bas, eut recours (touchéd’une saincte & secrette inspiration) aux prieres dela bien-heureuse Vierge, promettant par voeu non seulement decoeur, mais prononcé de bouche que s’ilplaisoit à Dieu luy redonner quelque force & vigueurcontre l’espoir de tout le monde il s’achemineroità l’Eglise de nostre Dame de Grace, pourà luy rendre loüanges du recouvrement de sasanté : le 26 d’Aoust, peu apres il se fit portersur une haquenée & encor qu’on ne jugeastpas qu’il peut parvenir ou son affection le guidoitconsideré sa grande foiblesse & extenuation ilarriva toutesfoys dés le soir à Honnefleur,& la nuit il commença à reposer sinaturellement que le lendemain au matin il eut assez de force pourmonter la montagne à pied & faire celebrer la Messeen ladicte Chappelle avec telle ferveur de devotion que désl’heure il ressentit en son en son ame une extremeconsolation & liesse spirituelle, en son corps un accroissementde vigueur, & en sa maladie tenuë pour incurable, unevident soulagement & diminution des accidents plus importans&perilleux.
En memoire dequoy il composa ces vers.
Peuples ne cerchez point ces merveilles du Monde
Dontle superbe front touchoitjusques aux Cieux :
Etne traversez plusl’Air, & la Terre, &l’Onde,
Pourvoir des yeux mortels cestemples des faux Dieux.
Delphes, Mansole,Ephese, & ces trois pyramides,
Dela Grece l’honneur,d’Egyptel’ornement,
Nesont plus rien que poudre,& dans leurs places vuides
Letemps n’en àlaissé le moindrefondement.
UneVierge àfermé la bouche à leursoracles :
Etleur grand Pan est mortnotre Sauveur naïssant :
Leursfeintes Deitez cedans auxvrays miracles
Ensembleprindrent fin, commeil alloit croissant.
C’esten ce lieusacré, que sa Merel’honore
Tenantceluy, qui tientl’univers en ses mains
CeVerbe que le Ciel & quela terre adore,
Jesusl’unicque espoir& salut des humains.
Hausse ton oeil moname, en ce tableau contemple
Cetteperle du Monde en sa vivecouleur
CeRameau tousjiours verd, lagloire de ce Temple,
Quirapportant son fruictn’a point perdu sa fleur.
C’est ce phareplanté sur le bord durivage
L’estoillede la nuit,nostre grand reconfort,
Quinous sert der’adresse, & qui loin du naufrage
Parla main de son fils nousreconduit au port.
EPITETESET QUALITEZ
HONORABLES DE LA VIERGE,
En forme d’Oraison tirée de
L’Escriture & des Peres.
R
OYNEdes Anges, saluée des Archanges,reveréedes puissances, Maistresse des vertus, Duchesse des Principautez,Princesse sur les Throsnes, la premiere apres Dieu & son fils,grande Dame priez pour nous vils pecheurs qui sommes indignes de vousnommer & prier. Royne des esleuz, Imperatrice del’univers, Puissante mediatrice aupres du tout puissant, OMere de Dieu, Vierge & Mere tout ensemble,l’Esperance des viateurs apres Dieu, impetrez pour nous ceque vous sçavez nous estre necessaire. O vous la femmeforte, plus belle que Rachel, plus gratieuse qu’Esther, plusgenereuse que Judith, plus officieuse qu’Abigail, quandresentirons nous les effects de tant de perfections. O Advocate deshumains apres Dieu, Source de nostre bien, Fontaine de tout bon-heur,l’Allegresse des Anges, la liesse des humains,l’exemple des actifs, la joye des contemplatifs, le plaisiramiable des bien-heureux en gloire priez pour nous qui vivonstristement en ce val des miseres. Miracle de l’univers,l’Estonnement des Philosophes, la merveille de la nature,Vierge feconde enfantant, Vierge mere, Cité de refuge,Temple de garentie, Maison du Dieu vivant, Arche de paix sois nouspropice en nos pauvretez & miseres. Cabinet glorieuxde mille dons du Saint Esprit, Sacraire precieux de ses graces faictesque nous participions à ses saveurs & faictes nouspart des vostres. Image de vertu, la devotion de tous,l’Effroy des diables, la consolation des affligez, Dame deParadis, Porte du Ciel, Estoille de mer donnez nous entréeen ces lieux bien-heureux où vous sejournerez pour jamais.Et si j’ose vous supplier ô gloire del’Eglise je le requiers avec tous les desirs de mon ame(c’est trop peu) je vous conjure avec tous les souhaits quantjamais en tous les amis de vostre doux fils Jesus, ô ne merefusez pas tres-chere mere, je vous en supplie avec toutl’Amourdes ardens Seraphins & la reverence que tous les bien-heureuxvous font, par l’Amour fort & chaste de toutes lesVierges & martyres, que la vive foy enfonce ses racines avantdedans nos coeurs, la fervente charité flambe deplus en plus en nostre ame & la ferme esperance prenne sesaccroissemens de jour en jour en nous : à ce que par cesSainctes vertus, & votre secours special nous obtenions le biende jouïr de votre fils, & de vous voir notre Sainctemaistresse à qui nous voüons tres-volontiers nosvolontez pour jamais. Ainsisoit-il.
APPROBATION.
C
Epresent traicté ne contient pointd’erreurs. Iln’y à rien qui ne soit conforme à ladoctrine de l’Eglise. Faict à Roüen letroisiesme jour de Juin. 1615.
Signé, GUYION.
Vicaire General.
Notes:
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1)Sur ces initiales, voyez l’Introduction, p.XXX.
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2)Le Discours comprend huit pages. Il se compose de maximestirées de la Bible et d’allégories ;une citation empruntée à Pline vients’y mêler.
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3)Noble homme Jean le Bys, sieur de Fontenay, estl’éditeur de cet opuscule. On le trouve sous lenom de M. de Fontenay dans diverses brochures qui sont relativesà Notre-Dame-de-Grâce.
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4)Saint-Jean-Baptiste, son patron ; saintFrançois d’Assise, patron des Capucins. Ce passagenous prouve le fait que ces religieux étaientétablis à Honfleur à la fin del’année 1614.
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5)Sans doute le plus ancien ex-voto qui aitété «attaché» dansla nouvelle chapelle de Notre-Dame-de-Grâce.
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6)Jean le Bys, sieur de Fontenay.
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7)Il faut lire : François de Chauvin, sieur deTonnetuit. Tortuict est une faute typographique pour Tontuict ou LeTontuit, forme que l’on trouve dans le pouillé deLisieux. Tonnetuit était une paroisse qui aété réunie àSaint-Benoît-d’Hébertot, en 1827.
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8)La barque se nommait la Bonne Adventure, du port de 100tonnes. Ce navire était armé pour lesîles du Pérou, Brésil et autres lieux.Les îles du Pérou désignent une partiedes Antilles.
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9)Les documents font connaître deux personnesdu nom de La Rocque en résidence à Honfleurà la même époque,c’est-à-dire en 1614 et 1615 : 1° Etiennede la Rocque, écuyer, gentilhomme ordinaire de la chambre duroi, gouverneur de Honfleur (1602-1619) ; 2° Gabriel de laRocque, écuyer. L’un et l’autre avaientconsenti des prêts d’argent à profit surle navire la Bonne Adventure. Etienne de la Rocque avait mêmeacheté un demi-quart de ce navire.
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10)Georges de Naguet, écuyer, sieur deSaint-Georges, capitaine en la marine, achetait un seizièmedu navire la Bonne Adventure, le 7 février 1616.
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11)Vers la fin du mois de septembre 1614. Le navire futdésarmé et le voyage remis àl’année suivante.
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12)Lire : « la surveille de la Magdelaine», 20 juillet.
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13)Fontaine-la-Louvet, cant. Thiberville, arr. Bernay(Eure).
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14)Dimanche, 21 août 1614.
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15)Guillaume IV de Hautemer, comte de Fervacques,maréchal de France, né en 1538, mort en novembre1613. Il servit aux batailles de Renty (1544), Saint-Quentin (1557),Gravelines (1558), Dreux (1562) et Saint-Denis (1567). Lieutenantgénéral en Normandie. Maréchal deFrance en 1597. (P. Anselme, Hist. généal. etchronol. t. VII, p. 393).