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SPALIKOWSKI,Dr. Edmond (1874-1951) : TypesNormands (1900).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (03.XI.2011)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographe etgraphieconservées. Les illustrations ne sont pas reproduites.
Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 1ère année,1900.

TypesNormands
par
Edmond Spalikowski

~*~

I. -  LA NOURRICE

Ni jeune, ni vieille, plutôt entre deux âges, le sein tari, la figuredéjà ridée, la nourrice va, vient dans la grande cuisine aux solivesnoircies, vêtue d'un caraco gris, d'une jupe de laine rayée quis'arrête aux mollets, les cheveux pris dans un foulard roulé.

Elle crie, tempête et jure plus souvent qu'elle ne rit.

Trois bambins sont là dans un coin de la pièce quelquefois près dufeu, plus souvent appuyés sur une table, tous trois venus à la fermefaire le rude apprentissage de la vie.

Je ne veux point parler ici de ces mercenaires sans pitié, qui nerendent que mort le chérubin rose confié par les parents.

Toutes ne sont pas heureusement de ce calibre là, mais le résultat estsouvent le même grâce à l'impéritie des meilleures.

Notre nourrice a besoin de vivre, et elle ne maltraite point de partipris les enfants dont elle accepte la garde.

La mauvaise hygiène par exemple ne la rend pas moins marâtreinvolontaire. Elle n'est jamais embarrassée pour guérir le carreau,l'entérite, les convulsions. Généralement son remède est pis que lemal. Il faut être d'une constitution à toute épreuve pour supporter sathérapeutique vétérinaire, ou pour attendre le bon vouloir des saintsqu'elle invoque dans ses neuvaines.

Bien entendu si l'enfant n'est pas trépassé c'est qu'il vit ; la naturea triomphé, dites-vous, erreur, c'est saint Laurent. qui l'a sauvé. Jen'ai jamais compris ce que saint Laurent venait faire ici.

La nourrice est fière de ses gars, elle en parle à tout venant, sevante de les élever mieux que personne, en leur donnant plusd'eau-de-vie de cidre ou de flip que n'importe quelle autre. Elle ne ditpas par exemple que l'enfant pisse au lit plus souvent qu'à son tour,que ses langes par contre ne sont pas renouvelées aussi souvent que lebesoin l'exigerait, mais tout cela n'est rien du moment que le p'tiot braille et hurle dans la maison, c'est signequ'il pousse dru, quand bien même ses cris proviendraient de coliquesdues au lait sûr, à la diabolique tétine de caoutchouc ou à la farinelactée mal préparée.

Mais notre normande a pour maxime qu'il ne faut pas être difficile dansl'existence, et l'enfant n'a qu'un tort, celui de ne pas comprendre quec'est pour son bien qu'on le laisse s'empoisonner, ou croupir dans sescouchettes sales. « Ta, ta, ta, dit-elle souvent., il en verra biend'autres ! » Ah ! le pôvre je le plains, alors !

La nourrice a comme éternel ennemi le médecin. Elle ne va d'ailleurs le qu'ri que lorsque le nourrisson est mort ou à peu près. D'où cetteconclusion fatale : « Vous voyez bien qu'il n'est pas plus malin qu'mé,il n'la pas sauvé ! »

Aussi l'enfant mis à la campagne doit-il garder ses premières dentscontre les deux ou trois bonnes femmes, diseuses de bonne aventure,rebouteuses, dénoueuses d'aiguillettes, qui ne disent, ne dénouent etne reboutent rien, entre parenthèses, mais grâce auxquelles le marmotfera connaissance avec les applications, contractions, frictions,breuvages les plus sales, les plus infects, les plus répugnants quejamais Codex ait renfermés. - Retenez bien ceci, que c'est toujourspour le bien de l'enfant !

Un pharmacien ne trouverait pas ces choses-là, il faut être vieilleidiote pour avoir l'imagination aussi fertile en inventions malpropres.

Mais l'enfant lui-mème est un moyen de guérison. Son urine sert à tout,comme liniment pour laver les seins des femmes en couches,, et commetisane pour les graveleux, et j'en oublie !

Si l'enfant échappe sain et sauf des mains de sa nourrice, c'est quecelle-ci est une brave femme pas trop têtue et d'un bon coeur ; àcelle-là il devra de la reconnaissance car ces paysannes dévouées ne serencontrent pas journellement.

S'il meurt, les parents n'auront qu'à s'en prendre au médecin qui a tuél'enfant, ou à l'enfant lui-même qui avait un tempérament de pauvrediable. La nourrice n'a qu'à se féliciter des soins donnés, ets'offrira de prendre un nouveau nourrisson, pour le faire crever d'uneautre façon !

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Mères, gardez vos chérubins près de vous, si vous ne voulez un jourverser des larmes en suivant un petit cercueil recouvert d'un drapblanc, cheminant entre les haies d'aubépine en fleurs qui bordent lesentier des cimetières de vos hameaux normands !


II. - LE CACHEUX DE BŒUFS

De grand matin je suis réveillé par des cris et un bruit particulier queje reconnais bien. C'est le hurlement guttural et le claquement sec dufouet du cacheux (1). Je me lève en maugréant. Les cris se multipliententremêlés dejurons et de nouveaux claquements de fouet ; puis un bruitsourd d'animaux qui foulent la chaussée légèrement humide.

Voilà une cache. Et le troupeau de boeufs que conduit un, rarement deuxgrands gars, est parfois considérable. Les bêtes sont douces àconduire, plus traitables souvent que celui qui les pousse. Les plusfortes marchent en tête, les cornes menaçantes;  d'autres restent enarrière, fatiguées de la route sans doute. Le cacheux les aperçoit,devine la cause de leur retard et, sortant de sa poche uncouteau-serpette, il saigne le traînard qui reprend sa place dans lerang. Seulement une longue tramée rouge indique le passage de lacache, et parfois les bovidés aux pieds ensanglantés font pitié.

Mais de nouveau les cris se font entendre, les claquements de fouetrecommencent. Dans quelques heures ce sera pire encore.

Au prochain mastroquet, notre homme à la face rougeaude et bestiale vas'arrêter pour se transformer en brute avinée, zigzaguant sur la routeet laissant le bétail errer comme il l'entend.

Quand le soir descend, le cacheux sort de sa torpeur. Il songe en effetau gîte qui l'attend. C'est une ferme pourvue d'étable ou de pacage, oùse reposent les boeufs harassés tandis que le conducteur trouve toutpréparés un bon feu dans l'âtre, l'andouille et le lard à côté de lamiche de pain et du pichet de cidre. A peine est-il entré dans lamaison que sa grosse voix fait trembler la faïence du dressoir - lesgamins qui somnolaient sur une chaise se réveillent effrayée mais serassurent bientôt en le reconnaissant, et les maîtres du logiss'attablent près de lui, versant le cidre et l'eau-de-vie jusqu'à ceque la fatigue et les fumées de la boisson, engourdissant la brute, lajettent enfin vaincue dans un lit aux draps rugueux.

Alors toute la nuit un ronflement sonore troublera le silence de laferme jusqu'à ce qu'à l'aurore les premiers beuglements réveillent ledormeur qui s'en va finir de cuver son alcool au grand air.

(1) Ce mot cacheux est un vocable patois qui signifie chasseur.Cacheux désigne donc celui qui pousse les boeurs. Le verbe cacher esttrès employè en Normandie. Il n'est pas rare par exemple d'entendre les femmes qui allaitent dire « qu'elles vont cacher leur lait »,c'est-à-dire faire passer leur lait.


II. - LE VOLEUR DE SAPINS

Marchant lentement, s'arrêtant de temps entemps pour épier le garde vigilant, le maraudeur, en veste brunedéchirée, de gros souliers aux pieds, s'avance au milieu des taillis.

A quelques pas derrière lui, un compagnon le suit, observant sesmoindres gestes, et, d'un air de connaisseur, ils examinent tous deuxchaque sapin, choisissant celui qui semble de meilleur profit.

Il fait déjà presque nuit et la forêt s'étend effrayante et sombredevant les deus hommes silencieux.

Ce ne sont ni des brigands, ni des paresseux, des propre à rien, pourparler comme chez nous, mais le plus souvent il s'agit de pauvresinfortunés chargés de famille qui terminent leur rude journée de labeuren tâchant d'économiser l'argent du chauffage ! Le bois coûte si cheraujourd'hui, l'existence est si dure et la chaumière si pleined'enfants !

Voilà notre affaire, dit l'un d'eux à voix basse. Au même instant luitla lame d'une scie. Préalablement on l'enduit d'un peu de graisse, caril ne faut pas que le moindre bruit. attire l'attention de « l'hommebleu » . L'entaille est faite à vingt centimètres du sol ; chacun saisitun bout de l'outil, et la crainte, chose étrange, décuplant leursforces, l'acier semble trancher un corps mou.

L'arbre penche, c'est bon. D'un vigoureux coup de main, le conifèreoscille et s'abat avec fracas sur le sol qui rend un son sourd.

Mais nos audacieux ont déjà disparu. Ils se tiennent cachés dansquelque buisson voisin. Si le garde n'a pas entendu, tout est pour lemieux : comme les lézards sortant de leur retraite, les maraudeursquittent en rampant leur cachette, et rapides comme l'éclair ils scientla tête du sapin, puis sans mot dire, d'un même effort, ils saisissentchacun une extrémité du tronc vésineux, pour regagner à pas furtif le village qui s'endort dans la brumedu soir.

La sueur perle sur leurs fronts ; la charge est lourde et leur marcheaustère.

Pas un arrêt, pas une plainte jusqu'à la lisière de la forêt. Alors sesentant plus en sûreté, ils déposent leur fardeau sur quelque brouetteou même sur une petite charrette à bras qu'ils ont prudemment laisséedans l'ombre, et tous deux, parlant déjà du butin à partager, rient àgorge déployée de la bonne farce qu'ils ont jouée au garde-forestier.


III. - LE BRACONNIER

Plus sinistre est le braconnier, plus terrible que le voleur de sapins.Pour lui le meurtre n'est pas une épouvante ; il tuera s'il le le fautl'imposteur qui le prive du gibier convoité. Et d'ailleurs il rapinepar commerce et non plus par besoin. Or chacun sait toutes les vileniesque l'amour de l'argent peut faire commettre.

Aussi le garde ferme-t-il l'oeil parfois sur la fuite des sapins, dontil s'explique facilement la brusque disparition dans le triage tant defois traversé ; mais en revanche il s'ingénie pour surprendre lesposeurs de collets.

Le braconnier sait qu'on le guette ; il se fâche tout rouge quand on le prend la main dans le sac ; ilriposte et s'arme d'un couteau, prét à répandre le sang, si le fusil dugarde ne le tient en respect.

J'en ai connu pourtant de cesdévastateurs de garennes qui n'étaient point, aussi terrifiants!

L'un d'eux surtout (je le vois chaque jour encore passer sous mafenêtre), est un vieux matois, aux cheveux blancs embroussaillés, enéternelle blouse bleue toujours sale, avec un béret de garçonnet surl'oreille, riant à tous, petits ou grands, et racontant à qui veutl'entendre le récits de ses exploits.

Un jour qu'il opérait dans le bois Cany, sis aux portes de Ronen, etqui jouit d'une si mauvaise réputation, bien méritée d'ailleurs, cejour-là, dis-je, notre homme avait pris six beaux lapins et sans plusse gêner les portait dans une potiche roulée en bandoulière. Survint legarde qui l'avait vu.

Le braconnier le reconnut. Plusieurs fois déjà, c'était le même qui luiavait dressé procès-verbal. Il s'agissait alors d'un lapin ou deux.Mais cette fois, pensez-vous, il avait là sur son dos six de cescharmants animaux si délicats en rôts ou en civets ; le braconnier,d'habitude assez bonasse, était furieux. Etant grand et robuste, arméd'un solide gourdin, il crut bon d'intimider son adversaire et de luiposer ses conditions. « Tenez, lui cria-t-il sans sourciller, j'ai six lapins qui me sont commantdés ; je vous en donnerai deux, laissez-moi les autres ! »

Le garde commença, àrécriminer. L'autre se fâcha de plus belle. « Inutile de protester,mon petit, reprit-il, ou ton affaire est faite. »

Et diable, il l'eût bien faite, sans mal et sans regrets !

Le garde oublia sa consigne. Ne l'accusons pas trop : les gardes sont des hommes comme nous ; tous nepeuvent être des héros du devoir. Il partit l'oreille basse, emportantses deux lapins, et mon vieuxbraconnier qui me contait la chose se tenait les côtes, en me jurantqu'il recommencerait !


Dr Ed. SPALIKOWSKI.