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VESLY,Léon de (1854-1927) : Le Buisson deSaint-Sauveur à Boos, Seine-Inférieure(1901).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (08.XI.2011)
Relecture : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe etgraphieconservées. Les illustrations ne sont pas reproduites.
Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 2ème année,1901.

LeBuisson de Saint-Sauveur à Boos
(Seine-Inférieure)
par
Léon de Vesly

~*~

J’AVAIS, commetous les oisifs de mon espèce, visité l’ancien manoir de Boos et soncolombier, et examiné les vieux tableaux qui décorent les murailles dela modeste église du bourg.

Après tant d’autres j’avais lu les mots du Pater et de l’Ave que les pieuses filles deSt-Amand ont inscrits, en une mosaïque de briques, sur les murs de leurmanoir : aumône d’une prière qu’elles demandaient à ceux qui lesvisitaient ou qui quittaient leur logis après y avoir reçu unehospitalité chrétienne.

J’allais quitter le séjour de Guillemette d’Assy et d’Anne de Souvrélorsque la pensée me vint de demander à mon cicerone s’il n’existaitplus de superstitions à Boos, car je me rappelais que le pays avaitjadis possédé un sorcier célèbre.

« Oui, me fut-il répondu, il y a le BuissonSt-Sauveur ! (1) » et nous partîmes immédiatement pour letaillis merveilleux.

Nous longeâmes les murs du couvent et suivîmes un petit chemin tracésur le plateau conduisant au Camp des Pierres. A la naissance duvallon, le chemin s’enfonce dans une cavée bordée de hauts talusboisés. Nous nous arrêtâmes. C’est sur le talus de droite, à la hauteurde la Croix (altitude 156mètres) que se trouve le buisson vénéré. Il ne représente aucuneanomalie dans son aspect ; seule une sentine, suivie par les pèlerins,trace un ovale irrégulier et le délimite.

Chaque année, la violette, la jacinthe et la primevère ouvrent leurscorolles aux premières caresses du soleil et embaument le buissonSaint-Sauveur. L’aubépine, le cerisier, le prunier, le néflier sauvagesépandent leurs corolles au souffle des brises tièdes. Les oiseaux ysifflent leurs trilles, mais n’y construisent pas de nids, car lebuisson est très visité. On y vient de tout loin en pèlerinage, pour laguérison des tranchées des chevaux.

Saint Sauveur paraît même s’intéresser particulièrement aux animaux delabour et, en cela, il est bien le saint vénéré, car pour l’homme deschamps, rien n’est au-dessus de la vache et du cheval. Puis le bonsaint n’est pas exigeant. Il suffit que la personne qui conduitl’animal ait confiance (sic).C’est la condition exigée ; puis commencent les pratiques légendairesqui consistent à faire tourner trois fois autour du buisson, mais ensens inverse du soleil, l’animal malade. Cette opération estaccompagnée de la récitation d’une prière et notamment du Pater et de l’Ave Maria. L’animal tombequelquefois pendant la cérémonie, se débat, s’ébroue, se secoue unedernière fois... se relève guéri.

C’est par centaines que l’on compte les chevaux qui ont été amenésmalades et qui tous ont regagné leur écurie après avoir été guéris. Cescures merveilleuses ont créé des dévots au Buisson Saint-Sauveur, etparmi ceux-ci des gens instruits et des moins prédisposés aux pratiquessuperstitieuses.

Cependant la charité du saint patron du Buisson ne pouvait s’arrêter ausoulagement des animaux et elle s’est étendue au soulagement des jeunesenfants souffrant de l’intestin. Aussi voit-on, noués aux branches dutaillis, des rubans en toile, ce symbole des conventions passées avecle Ciel.

Des monnaies d’argent et de billion sont également jetées en offrandeau bon saint, mais les gamins du pays qui n’ignorent pas les habitudesdes pèlerins, s’emparent des sous et des piècettes et vont les échangercontre des bonbons chez l’épicier du bourg.

Malgré les larcins et les profanations de l’âge sans respect, il nefaudrait pas chercher à détruire ou même à amoindrir la vénération dontjouit à Boos le Buisson Saint-Sauveur, car il impose le respect.

Personne ici n’oserait attenter à sa conservation. La crainte d’unchâtiment céleste retient ces profanateurs, et l’exemple d’un habitantnommé Maudetour, qui, ayant porté la serpe dans le taillis, fut frappéde paralysie, est resté dans toutes les mémoires (2). J’ai cherché,j’ai questionné beaucoup pour savoir d’où pouvaient provenir desemblables craintes et pratiques superstitieuses ; mon enquête ne m’arien révélé de probant. Néanmoins, je crois devoir en transcrire ici lerésultat.

« Saint Sauveur est le patron de l’Église de Boos et y est l’objetd’une grande vénération. Une confrérie de Charité, sous son vocable,existait avant la Révolution, et il était alors d’usage de porterprocessionnellement, chaque année, la statue du saint chez le frèreprésident (3). Celui-ci la conservait pendant la durée de son mandat.Lors de la Terreur, la statue fut cachée dans un buisson jusqu’aumoment où les églises furent rendues au culte. L’image de saintSauveur, sortie de terre où elle avait été enfouie, fut remise à saplace ; mais, à partir de cette époque, le buisson qui l’avait abritéedevint l’objet d’une vénération spéciale que la superstition atransformée en un pèlerinage miraculeux.

L’homme d’étude ne saurait s’arrêter à ce récit. La Révolutionfrançaise, qui a renversé tant d’institutions, qui a fait disparaîtrede nombreuses coutumes contre lesquelles les édits de l’Église étaientrestés sans effet, n’a pas créé la superstition de saint Sauveur. Celasemble inadmissible, et la vénération dont jouit le BuissonSaint-Sauveur a une origine plus ancienne et qui est aujourd’huioubliée.

L’histoire du bourg de Boss,par MM. H. Saint-Denis et P. Duchemin, relate qu’avant l’égliseactuelle, qui date du XIIIe siècle, s’élevait à Boos un clocher dontl’érection était antérieure à l’année 1035. Le clocher projetait sonombre de paix sur un village assez important et dont l’existencepouvait remonter aux invasions normandes.

Or, église et village ont aujourd’hui complètement disparu, et c’est aumilieu des taillis et des ronces que l’archéologue cherche lesfondations des murs et les valonnements du château (4). Qui donc pourrafixer l’emplacement de l’antique Boès ? Alors seulement, on pourrareconnaître sous le Buisson miraculeux des substructions sur lesquellesHugues de Bayeux planta la croix, et que la croyance populaire désignecomme la mystérieuse cachette de l’image Saint-Sauveur.

Léon DE VESLY.

NOTES :
(1) Mlle A. Bosquet : Normandieromanesque, cit. par H. Saint-Denis et Duchemin (Notice sur Boos).
(2) Le 7 février 1631, Jean Maudétour donna à la fabrique deFranquevillette une pièce de terre pour divers services religieux (Notice sur Boss, p. 176).
(3) Ce titre de Président est synonyme de Maître, d’Antique, de Prévôt,d’Échevin, porté par le premier frère dans la hiérarchie des Confrériesde Charité (Normandie Illustrée,t. II, p. 22).
(4) Dans une charte de 1230, il est fait mention du Cartelez de Boos,et aujourd’hui on voit encore dans les bois les retranchements d’uneforteresse et les ruines d’un puits. (Noticesur Boos).