Corps
VESLY,Léon de (1854-1927) : Les Superstitions de la maison(1902). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (23.V.2012) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@cclisieuxpaysdauge.fr, [Olivier Bogros]obogros@cclisieuxpaysdauge.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographe etgraphieconservées. Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 3ème année,1902. LesSuperstitions de la maison par Léon de Vesly ~*~IL y a quelques jours, un de mes élèves entrait chez moi en coup devent et s'écriait : « Monsieur, venez donc assister à un sacrificeantique!... La mère P... va immoler un coq sur le seuil de la maisonque je viens de construire » Venez vite, répétait-il. Poussé par la curiosité et comme il s'agissait de se rendre à Déville,à trois kilomètres de Rouen, que le trajet peut être effectué enquelques minutes, je suivis mon interloculeur, intrigué et heureux deme rendre à un sacrifice païen. Nous montâmes en tramway. Pendant que le trolley se coiffait d'une aigrette lumineuse et que lesroues du car faisaient jaillir et crépiter l'étincelle électrique, jeme retraçais, par la pensée, la locomotion dans l'antiquité : le charet la litière. Je me remémorais les diverses superstitions quiaccompagnaient le culte des dieux d'Athènes et de Rome. Dans ce travailmental je reconstituais la maison romaine ; l'atrium où se trouvait lefoyer domestique que nul étranger ne pouvait atteindre sans avoir étésalué par le croassement d'une corneille apprivoisée ou par desinscriptions propitiatoires gravées dans le seuil du logis. Je revoyaisles esclaves des riches patriciens soutenant le visiteur pour franchirla porte des palais et conjurer les mauvais présages. Je cherchais lesnoms des dieux qui, au nombre de trois, protégeaient la porte, car il yavait celui de l'ais, celui du gond et celui du seuil. Les sonneries alternées du wattman me tirèrent de ma rêveried'archéologue nous étions arrivés rue Louis-Besselièvre, devant unecoquette maison que les ouvriers venaient d'achever. C'est là que lacérémonie devait avoir lieu. Je crus d'abord que j'étais victime d'unemystification. Rien, en effet, n'indiquait dans la façade joliette etbourgeoise de la maisonnette, la solennité architecturale d'un temple,ou l'aspect mystérieux d'une loge maçonnique. Cependant la porte s'ouvrit laissant passer une vieille femme tenant àla main un poulet noir. C'étaient la prêtresse et la victime dusacrifice. Dès que la commère eut franchi le seuil de la maison, elleassujettit le poulet entre ses jambes et d'un couteau à la lameaiguisée elle lui trancha le cou. Le sang gicla : la femme en arrosa ledevant de la maison, et lorsque l'animal fut sur le point d'expirer,elle versa les dernières gouttes sur le seuil. La bête morte devaitensuite être rôtie et servie au repas qui suivait l'holocauste. - Pourquoi, demandai-je à la sacrificatrice, observez-vous ces coutumes? - Mais, monsieur, me répondit-elle, c'est pour éviter qu'un deslocataires de cette maison ne meure dans l'année. J'agis de même pourtoutes les constructions neuves et il n'est personne ici qui neconsente à habiter une maison, à en essuyer les plâtres, sans qu'aupréalable quelques gouttes de sang d'un pigeon, d'un canard ou d'unlapin n'aient été répandues sur le seuil du nouveau logis. Tenez,ajouta-t-elle pour me convaincre, vous pouvez demander à Mme X…, routede Dieppe, n°... Cette dame avait négligé de suivre l'usage ; et sonmari est décédé quelques mois après son installation dans sa nouvelledemeure. On ne saurait méconnaître, dans la coutume de Déville, une tradition dupaganisme. Le poulet est, en effet, l'oiseau favori des aruspices,celui que surveillent les pullarii, l'hostia des Sacra privata.Ici, il est immolé la tête tournée vers la terre : c'est à une divinitéinfernale que le sacrifice est offert et de suite il faut abandonnerl'hypothèse qui pourrait le rattacher au culte de Vesta. L'autel de ladéesse du foyer ne voyait que les libations de grains d'épeautre et desaumure et le sang du CHEVAL vainqueur n'y était répandu qu'aux Ides demars (1). En présence de pratiques du paganisme arrivées jusqu'à notre XXesiècle, j'ai recherché si l'usage d'immoler un animal sur le seuil desmaisons existait encore dans d'autres localités de la Seine-Inférieure.Enfin, j'ai voulu connaître si d'autres pratiques superstitieuses serattachant aux divinités des Portes (Propyléonides) étaientégalement observées dans notre contrée. A la première question de mon enquête, il m'a été répondu que l'usaged'inonder de sang le seuil des habitations était encore conservé dansquelques communes des cantons de Boos et de Gournays (2). Cependant,mon enquête, quoique bien imparfaite, m'a fait aussi connaître d'autresparticularités concernant le seuil des maisons (Limen inferum), C'est ainsi qu'en continuant les préceptes de Platon, qui ne voulaitqu'aucune action des hommes ne fût entreprise sans être offerte auxdieux pour se les rendre favorables, les maçons de nos campagnesplacent sous le seuil des maisons une médaille ou une amulettequelconque. L'ancienneté de cette coutume est attestée par les exemples suivants : A Martot, petite commune du département de l'Eure, un brave cantonnier,en démolissant une vieille masure, trouva sous l'énorme grès erratique,en formant le seuil, une belle hachette néolithique. Elle sertaujourd'hui de presse papier à M. Marie, agent-voyer cantonal àPont-de-l'Arche. Une autre découverte a été faite, dans des circonstances à peu prèsidentiques, à Vatteville, paroisse aujourd'hui réunie à Brionne (Eure).Sous le seuil en pierre d'une très vieille maison, depuis longtemps àusage de presbytère, les ouvriers trouvèrent un petit phallus enbronze avec anneau de suspension qui m'a été remis par le propriétaire. A Martot les nombreuses hachettes de pierres trouvées au Fanum duCatelier (3) indiquent de quelle vénération étaient entourés cesobjets à l'époque gallo-romaine. A Brionne, le Breviodurum des Romains, les nombreuses découvertesfaites sur les rives de la Risle, le tertre appelé Tombeau desDruides et les monuments mégalithiques signalés sur son territoireproclameraient l'antique origine de cette station, si elle n'étaitinscrite sur l'itinéraire d'Antouin et sur la Table Théodosienne. Ces deux exemples peuvent donc suffire pour prouver que l'usage deplacer des amulettes sous le seuil des maisons (limem inferum)remonte à une haute antiquité. Je ne veux pas terminer cette étude sans mentionner les Lustrationsou ASPERSION DES MAISONS, pratique qui parait se rapporter au culte dufoyer. Les Vestales étaient chargées de procéder aux lustrationsquotidiennes en aspergeant le temple de la déesse avec l'eau de lafontaine Egérie et l'aspergillum à queue de cheval. J'ai déjà raconté, dans la Normandie Monumentale, la traditionconservée à Gisors et que G. Dubreuil, qui a été l'historien de saville natale, avait fait connaître. La voici : Chaque dimanche, après la grand'messe, les diacres, en aube, allaientde maison en maison les bénissant en prononçant les prières del'exorcisme. Les enfants de chœur, en costume de ville, remplirentensuite cet office dont l'usage a cessé complètement aujourd'hui. NOTES : (1). Voir Notice sur l'Ecourtement des chevaux, Bulletin de la Sociétéd'Emulation. (2) Abbé TOUGARD, Géographie de la Seine-Inférieure, (3) Voir Bulletin de la Sociétélibre d'émulation, année 1898, le Catelier de Criquebeuf, par V.QUESNEY et L. DE VESLY. |