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VILLETTE, Pierre(18..-19..) : La Cravate Illustrée(1902).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (24.V.2012)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
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Orthographe etgraphieconservées.
Texte établi sur l'exemplairede laMédiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Paysnormand, revue mensuelle illustréed'ethnographie et d'artpopulaire, 3ème année,1902.

LaCravate Illustrée
par
Pierre Villette

~*~

AU deuxième acte de l'Aiglon, d'E. Rostand, Flambeau voulant donnerau duc de Reichstadt une preuve de la popularité dont il est entouré enFrance, lui présente, avec d'autres objets usuels servant à lapropagande napoléonienne - bretelles, pipes, assiettes, tabatières,etc. - un grand mouchoir comme en vendaient alors les colporteurs.Après avoir étendu l'étoffe sur le dos d'un fauteuil, l'ex-grenadier duton goguenard qui lui est familier s'écrie :

- Que pensez-vous de ce grand mouchoir bleu. Hein ! Ça fait bien, leRoi de Rome au beau milieu ?

« Ça faisait bien ! », en effet, l'image du gracieux prince, caracolantsur un large foulard, ce simple bout de tissu de coton ou de soie,d'une vulgaire utilité mais qui a tenu au milieu du siècle dernier unesi grande place dans la classe populaire.

Non seulement la cravate jouait alors un rôle important dans lacomposition du costume de nos grand'mères, mais elle avait, de plus,l'avantage de servir, bien souvent, de journal illustré et de souvenirhistorique.

Pour s'en rendre compte il suffit d'une visite au graveur rouennaisAlfred Buquet, qui tient à la hauteur d'une réputation artistiquepresque séculaire l'atelier d'où sont sorties la plupart des planchesdestinées à l'impression des cravates en usage dans notre régionnormande, cravates dont quelques-unes eurent un réel et long succès.

Ce succès dépendait beaucoup de l'habileté du graveur mais surtoutaussi de la composition du dessin et du choix des sujets.

Les fabricants d'indiennes demandaient généralement à desartistes-dessinateurs plus ou moins en renom l'ornementation de leurstissus; mais cependant il arrivait parfois que certains genres dedessins, tels que les images d'actualité par exemple, étaient entièrement créés par le graveurlui-même, s'inspirant des événements du jour.

Il composait d'abord un croquis sur papier, croquis qu'il reproduisaitsur une planche plate de cuivre de la grandeur d'un mouchoir; puis,selon les traits de ce dessin, il gravait le métal dont les creuxremplis de couleur fixaient sous l'influence de fortes pressionsl'image sur l'étoffe.

Les encadrements et parfois certains ornements accessoires quiaccompagnaient le motif central étaient imprimés à la planche de bois.

Par ce procédé on obtenait assez rapidement une gravure qui, suivantl'intérêt de la scène représentée, devait avoir plus ou moins de vogue.

Il n'était pas de paysans et d'ouvriers qui, pour une dizaine de sous,se refusaient le plaisir de posséder un mouchoir imagé. Mais, selon lerespect et l'intérêt qu'ils portaient au personnage ou à l'événementreprésenté, ils l'étalaient en bonne place contre le mur de leurchambre ou, plus familièrement, s'en couvraient le cou et les épaules.

*
* *

Rien n'est d'ailleurs plus intéressant que l'examen d'une collection decravates illustrées.

Sur l'humble mouchoir de cou, aux bordures criardes, en des tableauxvraiment saisissants s'évoque en effet tout un passé avec ses gloireset ses passions. Voici, tout d'abord, nos soldats s'emparant d'Anvers,puis grimpant à l'assaut de Constantine, nos zouaves se ruant àMalakoff ou délogeant les Kabyles. Voici nos troupes à Pékin, et Pueblasoumise à nos armes ; voici enfin nos braves fantassins enlevantBac-Ninh, Sontai et Hung-Hoa.

Tels sont les souvenirs qui fixés sur un vulgaire mouchoir en font unesorte de drapeau.

Mais tous les événements qui ont fait passer dans notre peuple unfrisson de regret, d'espérance ou de révolte sont, comme nos victoires,consignés sur les foulards imagés. L'épopée impériale, la Révolution de1848 succédant brusquement au Gouvernement de ,juillet, la guerre deCrimée, l'insurrection de la Pologne, la délivrance de l'Italie, etc.,ont inspiré beaucoup de tableaux, tels que : Le Retour des Cendres deNapoléon Ier ;l'Accident du duc d'Orléans à Neuilly ; le Procès desaccusés de Mai ; Lamartine haranguant la foule ; le Trône brûlé ; la Barricade ; les Rois de Pologne ; le Siège de Sébastopolla Bataille de Magenta et bien d'autres encore où revit toutel'histoire d'un siècle.

Inutile de citer toutes les compositions qui ont été tirées desévénements politiques. On ne peut cependant pas oublier L'Etat del'Europe en 1854 où l'empereur Nicolas est vivement pris à partie ; les Conférences politiques entre le missionnaire Pritchard et la reinePomaré ; une Députation des bagnes remerciant Proudhon de son fameux« La Propriété c'est le vol » ; et enfin, toujours d'actualité : L'égoïsme Britannique ; les Anglais en Chine et les Socialistesaspirant à la Présidence ! ! ! (1849).

Tousles gouvernants de la France depuis Napoléon Ier jusqu'à M. Loubetexclusivement, Béranger, Cavour, Garibaldi, Cavaignac, Pie IX,Galliéni, etc., et quantité d'autres personnages célèbres ont leurstraits à jamais popularisés et leur renommée consacrée dans la sériedes portraits sur cravates.

D'ailleurs, les sujets ne manquaient pas au graveur dont l'habile burintraçait aussi bien les plans des expositions universelles que desprières religieuses, la carte de France que des recueils de « Conseilsutiles ».

Tout une catégorie de cravates est même consacrée à la reconstitutiondes anciens costumes normands, reconstitution opérée sur les dessins dugrand artiste rouennais Hyacinthe Langlois.

Comme en France la bonne humeur ne perd jamais ses droits, beaucoup defoulards sont « pour rire », tels de nombreuses caricatures politiques: Le retour du Matelot  et un certain tableau des Droits de la Femmeen 1900 qui ravirait ces dames de La Fronde !

A Rouen, la maison Buquet avait fondé une sorte de publicationhebdomadaire qui, chaque semaine, reproduisait un dessin d'actualité,surmonté du titre La Cravate Illustrée, titre qu'agrémentait une vuede Rouen avec cette inscription : « Se vend partout, excepté enAngleterre ».

La plupart de ces gravures étaient accompagnées de légendes etd'explications fort claires et parfois même de vers d'une certainesaveur.

La Cravate Illustrée a même eu son poète dans la personne d'AntoniusDuval, un bohème rouennais, qui a sauvé son nom de l'oubli par sontalent égalant sa paresse, mais aussi par son habit de collégien qu'ilporta, paraît-il, jusqu'à près de trente ans.

Antonius eut une vie assez courte mais agitée. Toujours dans une puréenoire, il vécut chichement du produit de ses leçons, de ses vers et deses chansons dont l'une - une charmante romance - est dans toutes lesmémoires :

Quand reviendront les marguerites
Sur le gazon se balancer,
Venez, venez, ô mes petites
Venez, venez, venez danser!...

En 1848, Duval, qui s'était fourvoyé dans la politique, dut se réfugierdans les grottes d'Orival où il fit un séjour assez prolongé.

Peut-être est-ce dans cette solitude forcée qu'Antonius trouval'inspiration des vers délicats qu'il publiait dans La CravateIllustrée ?

Toutefois, sa muse ne lui souffla pas que des élégies, témoins les verssuivants placés sous une image de foulard représentant : LeTambour-Major Nicolas Bombardement, haranguant ses lapins qui sont defameux lapins, sous les murs de Sébastopol :

              I
Au bivouac, à la cantine,
Sachez que je ne veux pas,
Enfants, que l'on me débine
En m'appelant Nicolas.
Nommez-moi Bombardement.
Cela sonne joliment.
Rataptan (ter)
Tambour battant.

 
             II                                            III
Nicolas de Moscovie              Pour tâter à nos gamelles,
Est un grand homme, dit-on.    Il faut être le plus fort;
Eh bien je ledéfie                  Contentez-vous de chandelles
D'atteindre à mon ceinturon.    Dans vos cavernes duNord.
Que bal-il au régiment ?          Mais, après cet aliment,
La retraite seulement.              Vous verrez le tremblement.
Rataplan (ter)                        Rataplan (ter)
Tambourbattant.                   Tambour ballant.
 
Autres temps, autres sentiments.

Rappelons en terminant que partout se rencontrent les foulardsreprésentant ces scènes populaires entre toutes : Le Départ et leRetour du Soldat. Il est vrai que la composition de la gravurereprésentant sur une place de Normandie les Adieux d'un jeuneConscrit, à sa fiancée en coiffe, puis la Scène du Retour, est aussigracieuse que les vers qui accompagnent les deux tableaux et qui sontd'un tour délicat et bien français


LE DÉPART                             LE RETOUR
         III                                             III
Le tambour vient de battre     A d'autres de payer leurdette
Son dernier roulement.           Moi, j'ai fini mon temps.
Avant d'aller combattre,         Il me faut une maisonnette,
Un baiserseulement.             Ma femme et des petits enfants,
Et voilà le seulgage              Un banc de pierre sous l'ombrage
Qu'un jour tout triomphant     D'une treille au soleilcouchant
De retour auvillage              Où, du travail me reposant,
Vous rendra votre amant!      Je verrai les jeux duvillage.

Moins heureuse encore que sa contemporaine, la gravure sur bois, LaCravate Illustrée - si l'on n'en excepte les mouchoirs d'instructionmilitaire - est aujourd'hui complètement disparue. Cette disparitionest cependant relativement récente puisque nos cuirassés et le voyagedu Président Faure en Russie ont fourni les sujets des derniersfoulards imagés.

Désormais la vogue est aux journaux et aux périodiques illustrés qui,avant même que les événements ne se soient produits, nous en donnentdes représentations ! tel le Couronnement du Roi Edouard VII.

D'autre part la mode toujours capricieuse a rejeté l'usage de l'ancienmouchoir de cou illustré qu'elle a remplacé par de frissonnants boas oudes ruches seyantes, mais peut-être reviendra-t-elle un jour â lavieille parure aujourd'hui dédaignée

Souvent mode varie,
Bien fol est qui s'y fie.