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RENKIN, Jean-François(1872-1906) : Croquis(1894-1898). Saisie du texte : O. Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (06.IV.2006) Relecture : A. Guézou. Adresse : Médiathèque André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros]obogros@ville-lisieux.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusion libre et gratuite (freeware) Orthographe et graphie conservées. Texte établi sur un exemplaire(coll. part.) des Ecritswallons de François Renkin , traduits enfrançais par Emma Lambotte et publiésà Liège en 1912 chez Robert Protin avec desornements d'Auguste Donnay. [Versionoriginale] [Bibliographie] Croquis par Jean-François Renkin ~~~~ |
L'affûteur qui s'est accroupi Au clair de lune, contre un bouleau, Attend qu'il passe un beau lièvre Tout en mâchonnant une vieille chique. On dirait qu'il s'est endormi, Ramassé dans sa camisole, L'affûteur qui s'est accroupi Au clair de lune, contre un bouleau. Il fait si bon, par les nuits d'août... La bête vient, saute et caracole. Paf !... il se dresse comme un écureuil, Au clair de lune, contre un bouleau, L'affûteur qui s'est accroupi. |
Les Abeilles qui essaiment
(1894)
ALLONS ! vite ! vite ! voilà lesabeilles qui essaiment- Hie ! oui, da. -
- Courez tout de suite chercher les couvercles de marmite et lechaudron troué qui est au fournil.
Vite ! appelez Hubert pour venir tintamarrer avec nous. Donnez-lui levieux bidon et le tisonnier.
C'est cela. Frappez, frappez encore plus fort
Je vous l'avais bien dit, n'est-ce pas, qu'elles essaimeraientaujourd'hui ! Celles de Jacques ont essaimé avant-hier, etdepuis ce matin, celles-ci « font la barbe » (1).
Allons donc, mes amis, si vous ne frappez pas plus fort, elles vonttantôt s'en aller.
C'est bien dommage qu'on ne sache pas les paroles qu'il faut dire !
Regardez quelle armée d'abeilles ! Il y en a encore mille etmille !
Ecoutez un peu quel bourdonnement, quelle rumeur il y a làdedans !
Faites du bruit, encore !
Elles vont se jeter dans la haie ou sur le petit groseiller !
Elles tombent dans la haie : Il n'y a plus besoin de tintamarrer, c'estbon ainsi !
Nous aurons bien difficile de les rassembler. Allez chercher la vieilleruche qui est derrière le rucher et rapportez-moi moncapuchon en même temps.
Laissons-les un instant tranquilles. Elles vont se rassembler et nousles aurons toutes.
Tenez ! voilà le capuchon, les moufles et la ruche.
Faites doucement, savez ! tâchez de les secouer d'un pleincoup, - et prenez garde à vous, qu'elles ne vous piquent !
Voilà l'affaire faite.
Laissons la ruche en paix jusqu'à la nuit.
Et maintenant, Hubert, venez boire la goutte ! Nous l'avons biengagnée.
Les abeilles ont essaimé !
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(1) Se dit des abeilles quand elles se suspendentà un arbre, en grappe, en forme de barbe.
Bohémiens
(1898)
DEPUIS deux jours la Meuse est prise et ilfait un froid de diable.Le pays est blanc sous la neige. Les petits oiseaux ne saventoù s'abriter. Les corbeaux, eux, tournoient àtravers la campagne en croassant. Dans les hautes branches des arbres,la bise se déchaîne à vous rendre fou.
A Engis, une roulotte toute démantibulée, et quine tient plus pièce ensemble s'estarrêtée.
L'homme, un grand noir frisé, a dételéle cheval. Laissant voir des cuisses comme des cercles de tonneau, lapauvre bête, qui n'en peut quasi plus, pèle avecses dents les buissons d'alentour.
Prés du pont du ruisseau, deux gamins à genoux,soufflent de toutes leurs forces et se mettent en sueur pour allumerdes branchettes qui ne veulent pas brûler.
Auprès d'eux, leur mère, assise sur une chaisequi n'a que trois pieds, tresse une manne, avec un tas d'osiers sur lesgenoux.
Accroupie contre la roue de la roulotte, avec sur sesépaules un grand vilain surtout de soldat, une vieillefemme, sûrement la mère de l'homme, fume dans unecourte pipe de terre, et déplume la poule grasse qu'elle alarronnée en passant le matin au village de Ramet.
C'est elle qui tire les cartes dans les fêtes du Condroz.Elle passe pour avoir plus de nonante ans. Une mèche decheveux gris sort de son bonnet sale et le vent fait voltiger autourd'elle le duvet de la poule qu'elle tient dans ses doigts crochus.
Au milieu d'eux, une pie, les ailes coupées, sautille et vade tous côtés. Par la porte, on voit àl'intérieur de la roulotte, un pauvre vieux singerecroquevillé dans une camisole, et qui grimace tout entoussant.
Et, debout au milieu du chemin, les deux bras croisés,l'homme aux yeux verts de chat regarde au-dessus de la Meuse une bandede canards sauvages qui s'envole du côté du soleil.