Aller au contenu principal
Corps
Denis Bogros : Histoire du cheval de troupe de la cavalerie française : 1515-1918. (6)
Liminaire - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI.

CHAPITRE VI

LES CHEVAUX DE LA CAVALERIE METROPOLITAINE DE LA IIIè REPUBLIQUE : LESANGLO-NORMANDS

Les chevaux du Maghreb (Nord du Sahara) avaient bien servi la France, partout dans le monde,et en particulier en sauvant son honneur à Sedan (le 1er septembre 1870). Mais les éleveurs de notrepays étaient protectionnistes. Profitant de la période troublée qui suivit la défaite, ils firent interdirel'importation (?) (1) des chevaux barbes, pour la cavalerie métropolitaine. L'Algérie n'était pas la France !Trente années plus tard le secrétaire du Syndicat des chevaux limousins, reconnaîtra les buts lucratifs decette opération de "lobbying", comme on dirait de nos jours en franglais, "(citation) cet abandon (du barbefut) imposé, pour mieux servir (sic) les intérêts des éleveurs de Métropole" (2)

La loi sur les "haras et remontes"

C'est dans un esprit semblable que les notables des provinces de l'ouest profiteront de ladéstabilisation de la société française après 1871. Ils feront voter une loi créant une rente de situation pourleurs électeurs, éleveurs de "chevaux de charrettes !". L'histoire vaut la peine d'être racontée. Elle estédifiante.

En 1870, l'effondrement du Second Empire, la perte cruelle de l'Alsace-Lorraine, la révoltesanglante du peuple de Paris... firent trembler la société française sur ses bases. Ces événementsengendrèrent la 3ème République. Au plan militaire la réflexion a entraîné une série de réformes : la loi derecrutement (5 ans de service militaire - 1872) ; la loi d'organisation (18 régions militaires - 1873). Lescritiques avaient noté qu'une fois de plus notre "industrie chevaline" (formule de l'époque) n'avait pu fournirque 80 000 chevaux médiocres, à la mobilisation ; dont moins de 20 000 à la cavalerie ! alors qu'il en fallaitau total 120 000. On se procura les 40 000 manquants, à l'étranger... une fois de plus !

Le projet de loi : le moment était favorable. Le 25/01/1873, le député normand Delacour,déposa un projet de loi sur "les haras et remontes" (loi d'initiative parlementaire qui n'est pas comptéedans la réforme des armées).

Le voici :

1. Le nombre des étalons de l'Etat sera porté à 2 500 (il était de 1 087).
2. Le service des haras donnera chaque année des primes de l'état aux producteurs (dechevaux).
3. Les taxes à l'importation des chevaux seront augmentées ou instituées.
4. Désormais les officiers des haras seront recrutés par examen, objet d'un règlementd'administration publique. Ces questions intéressant (citation) "à un si haut point l'agriculture et l'armée"...l'honorable député demande "l'urgence". Il faut battre le fer quand il est chaud. Nous sommes en pleinediscussion des lois militaires ! La commission désignée pour l'étude du projet fit son rapport le21/VII/1873.

Le rapporteur est l'ancien préfet du Calvados, le député Bocher. La loi prendra son nom.

Le rapport est un chef-d'oeuvre du discours politique. Sa dialectique est exemplaire (il est publiédans trois livraisons du J.O.R.F. de décembre 1873 - pages 8047 passim). Trente et une pages au total : -deux concernent la remonte de l'armée et vingt neuf établissent un "nouveau système de haras".

C'est la raison pour laquelle cette loi est surtout connue sous l'appellation "loi organique sur lesharas", titre employé par le ministre de l'agriculture lui-même, au cours des débats.

Le rapporteur Bocher soutient les thèse, antithèse, et synthèse suivantes :

1. Etant donné les besoins de l'armée, il faut augmenter la production de chevaux et enmême temps les améliorer.
2. Or, on ne peut fournir en grande quantité qu'un cheval d'un seul type approprié auxservices de l'armée. Cheval qui doit déjà être en production dans le pays, car "la défense" ne peut attendre!!
3. D'où : une question fondamentale quant à l'espèce des étalons à choisir pour cetteproduction, étant admis que si l'idéal, comme chacun sait, serait soit l'Anglais, soit l'Arabe, soit les deux :C'est à dire les "pur-sang"... Cela n'est pas possible pour une production de masse.
4. Donc, là est le dilemme franco-français, il faut s'adresser aux "races intermédiaires" (sic)de "demi-sang" que l'on produit en France.
5. La première (et la meilleure) est l'anglo-arabe du midi. Mais il est peu produit en 1873... etl'on ne peut attendre, cela va de soi !
6. Mais, par chance, la seconde "race intermédiaire" (citation) : est en plein développement,en pleine prospérité" c'est l'anglo-normand ! Or, c'est exactement le type réclamé par l'armée, affirme lerapporteur qui cite un ministre de la guerre anonyme (est-ce du Barail ? Est-ce de Cissey ?) "C'est le typedu cheval français (retenez cette formule)... C'est le cheval des Dragons ; de plus c'est le cheval d'Artillerie"(op. cit. p. 8047). C'est enfin "le type de cheval de cavalerie de ligne" (ibidem p. 8201). Bref, c'est le chevalà deux fins... L'expression fera flores !

Ce qu'il fallait démontrer.

Géniale cette dialectique. On ne peut pas ne pas être admiratif pour l'habileté de l'ancien préfetdu Calvados. Quel aplomb ! Quelle superbe ! pour un ancien administrateur d'affirmer cela, devant desdéputés ignorants, dans leur majorité de ce que peut être un cheval de selle, mais parmi lesquelscependant, il y a des hommes de cheval. On va le voir ! Qu'importe... ils seront emportés par la majorité.En effet, après dix mois de réflexions, ou d'intrigues (?), l'Assemblée Nationale discutera mollement lerapport triomphaliste du rapporteur Bocher. Ce sera au cours des séances des 28 et 29 mai 1874 (J.O.29.V.1874).

Le débat - Les interventions essentielles

- Grivart, ministre de l'agriculture : Vous devez voter "cette loi organique sur les haras" de mêmeque "vous avez voté la loi d'organisation de l'armée" (loi du 24.VII.1873) - Quelle symétrie !

- Kerjegu (de), député : avoue qu'il a eu de la peine à se laisser convaincre de ce quel'augmentation des haras était le moyen le plus efficace pour obtenir... une bonne remonte de cavalerie".Ce gentilhomme a compris la manoeuvre masquée... En honnête homme démocrate, il le dit... Il a vujuste.

- Cissey (de), ministre de la guerre : fait remarquer pour le principe (c'était un carriériste) que :vous ne trouverez pas ces "étalons capables de faire des chevaux de selle" car c'est "ce qui nous manquepar-dessus tout". Le lecteur se rappellera l'opinion de Napoléon Ier sur le même sujet. Il se souviendra quesur un constat semblable Louis XIV avait fait importer, et avait distribué des étalons barbes.

- Bocher, rapporteur, se défend de travailler pour des intérêts locaux et particuliers : "on cite laBretagne, la Normandie" dit-il... et se drapant dans sa dignité : "il s'agit de la défense... du pays".

- Dampierre (marquis de ), député des landes s'exclame le 29 : "Vous avez besoin de chevaux deselle et vous n'avez pas d'étalons pour en produire". Terrible constat !

- Bastard (Octave de), député, fait une mise en garde d'une extrême gravité : "une fois entréedans cette voie, l'administration (de l'agriculture) sera obligée d'en prendre la responsabilité entière".

La "loi sur les haras et remontes" est adoptée ; la responsabilité de la fiabilité des chevaux pourl'armée est donc donnée au ministère de l'agriculture. Cette loi sera publiée au journal officiel de laRépublique française du 30.V.1874.

Analyse de cette loi

- Article 1-2-3 : réorganisent le service des haras de l'agriculture.
- Article 4 : fixe l'effectif des étalons à 2 500.
- Article 5 : établit des primes versées par l'Etat, pour les étalons et les poulinières ; pour lescourses aussi, dont les Arabes, et les Anglo-arabes (pour la première fois).
- Article 6 : rétablit la jumenterie de Pompadour, pour y produire des étalons arabes et anglo-arabes. Car cette dernière race (?) doit être "relevée" (sic) et développée, comme il a été dit par le rapporteur.

Telle est l'histoire du vote de la loi dite Bocher en 1874. L'élevage privé, protégé des importations,encouragé par des primes du contribuable, assisté par l'administration de l'agriculture, s'engagea àaugmenter sa production et à la qualifier pour satisfaire les besoins de l'armée en chevaux fiables. Dumoins, tel est l'esprit de cette loi, déduit du rapport et des débats. Mais sa rédaction occultera ce butfondamental. Ainsi la lettre n'est pas conforme à l'esprit... Etrange loi, en vérité.

Quoiqu'il en soit, après les étalons royaux (de l'ancien régime) voici les étalons républicains. Ilsseront choisis dans leur immense majorité parmi les demi-sang (ou demi-trait) anglo-normands, trotteurs(une épreuve de trot est exigée pour leur achat !) Les parlementaires ont admis qu'ils convenaient aussibien à l'artillerie, qu'à la cavalerie. Et pourtant, depuis 1757 (Rossbach) face aux hussards prussiens,depuis 1812 (Russie) face aux cosaques, nos cavaliers avaient chèrement payé pour que l'on sache queles chevaux de carrosse, avec leurs dérivés les chevaux de trot, ne sont pas des chevaux de cavalerie. Carceux-ci doivent être des galopeurs endurants.

Mais au Parlement on travaille trop vite, et personne n'a écouté messieurs : de Kerjegu, deCissey, de Dampierre, de Bastard... Allons maintenant sur le terrain.

La mise en oeuvre de la loi Bocher

En 1880, les notables de Normandie firent contacter Gambetta (3), futur chef de gouvernement(1881-1882), pour le convaincre de ce que le demi-sang de trot était bien l'étalon qu'il fallait pour -selon laformule de l'homme d'Etat - "produire de meilleurs chevaux d'armes" (c.a.d : "de troupe de guerre") ; carGambetta était un patriote. Le consensus politique était donc réalisé provisoirement. Cette année-là lesharas doubleront leurs effectifs d'étalons par rapport à 1874. On comptera dans leurs écuries : 2 164étalons de l'Etat, dont 1 641 demi-sang Anglo-normands et seulement 212 Arabes et Anglo-arabes. LaFrance produira donc essentiellement des trotteurs. Cette prépondérance de fait (constatée ici) du chevaldu Nord-Ouest, pèsera lourd sur l'avenir de notre cavalerie, malgré les efforts des rénovateurs.

Cette même année, en effet, le ministre de la "guerre" et son "comité de cavalerie", prenant encompte les données nouvelles de la guerre moderne : le feu à tir rapide et à longue portée, le feu qui tue,(selon une formule célèbre...) conclue à la "suppression de l'arme des cuirassiers...". (rapport demandépar le ministre le 15 mai 1880). Ils seront transformés en régiments "aptes au même service que lacavalerie légère ou les dragons" (ibidem).

12 régiments de cuirassiers à 750 chevaux cela faisait : 9 000 chevaux et c'était un problèmepour les éleveurs normands. C'est pourquoi leurs intérêts avaient été pris en compte par le comité dansles termes suivants (rapport cité) "considérant, d'ailleurs, qu'il serait impossible de priver nos provinces duNord-Ouest des débouchés (sic) que leur offre l'armée au point de vue éle- vage ; le comité..." estimequ'il faut conserver cette espèce de chevaux. On notera le poids "économique" des éleveurs du Nord de laLoire, qui influe directement sur l'équipement de l'armée, et par là, sur son efficacité. Car de ce fait, laréforme devait se réduire, dans un premier temps, à se débarrasser de la cuirasse, à armer ces cavaliersde carabines, et à changer l'emploi de l'arme. (Il était convenu aussi que, peu à peu, la taille des hommesserait diminuée, lors des recrutements). Eh bien... les pesanteurs sociales et économiques seront tellesque la réforme ne se fera pas ! Pourtant le ministre tentera de la faire entériner par les généraux decavalerie.

Ce fut le colloque des généraux, appelé le concile de Tours (16-17 mai 1881) (Procès-verbauxpubliés par Berger-Levrault en 1881).

La discussion fut sévère. Le général l'Hotte, célèbre écuyer, à la tête des conservateurs, défenditles cuirassiers. Il dut entendre le promoteur du projet, le général de Galliffet héros de Sedan, lui dire que :le jugement de ceux qui ont fait la guerre... doit avoir une autorité particulière..." (L'Hotte n'a pas faitcampagne !)

Les conservateurs l'emportèrent : "le bon sens (sic) prévalut, les cuirassiers gardèrent leurscuirasses" écrit triomphalement le vieux du Barail dans "ses souvenirs" (Plon-Paris 1896). Mais la cavaleriey perdit sa fiabilité, sans parler de la performance. On va bientôt le voir, hélas. Car elle partira à la guerreen 1914, avec le sabre, la cuirasse, et... le cheval du "nord-ouest".

Si l'armée avait des états d'âme, l'agriculture poursuivait sans désemparer la mise en oeuvre de la"loi organique". En 1892 le Directeur général des Haras publie, en mars, son rapport de résultats. L'effectifdes 2 500 étalons est atteint : 1738 anglo-normands, 271 Arabes et anglo-arabes (le reste en traits et enAnglais). On notera qu'un petit effort a été fait pour le sud-ouest de la Loire. Il était peut-être lié auscandale de 1887.

Cette année-là "le brave général Boulanger" (selon la chanson populaire), ministre de la guerre,avait fait promulguer une loi portant création de : six régiments de cavalerie légère.

Le général Inspecteur des remontes ne put trouver la quantité nécessaire de chevaux de sellepetits et légers. Aussi le gouvernement fit en 1890 une loi rectificative. On ne créa que 2 régiments deHussards, et 4 de cavalerie lourde. On constate donc, là est le scandale, que la production chevaline,prévue par la loi de 1874, a été détournée de sa finalité militaire : produire des chevaux de selle aptes àfaire campagne ! des chevaux : petits, sobres, et galopeurs endurants.

Ce détournement est à mettre sur le compte du négoce et de la facilité. On produit ce que le paysfabrique depuis toujours : le roussin, et on refuse une action adaptée à la production d'un cheval petit etrustique.

Il faut ajouter une raison plus profonde. Dans la culture charretière et non cavalière française, il n'ajamais été admis que le véritable cheval de guerre doit être petit. Et pourtant Marbot et Brack l'avaient faitcomprendre à leur retour de Russie. D'ailleurs, bien avant, le roi Louis XIV l'avait lui aussi proclaméofficiellement. Dans son ordonnance du 25 octobre 1680 : citation "considérant que (les chevaux) ceux demoindre taille subsistaient plus aisément (facteur "résistance") et supportaient mieux la fatigue (facteur"endurance") ordonne..." de remonter la cavalerie avec des chevaux de petite taille. En 1890 (deux sièclesplus tard), l'année du scandale, le bon général Bonie, qui depuis 1871 cherchait les raisons de notredéfaite, écrit dans "les remontes françaises" (Paris 1890 - page 17) "les petits chevaux supportant mieux lafatigue que les grands". On le voit l'idée a été débattue tout au long des siècles, dans la société françaisedes temps modernes et des temps contemporains. Mais elle n'a jamais atteint les esprits et ébranlé lescertitudes des éleveurs influents du Nord de la Loire. Ils en sont toujours restés au concept du cheval :grand et gros (4).

L'état des achats du service des remontes de l'armée, pendant l'année 1890, confirme cettetendance vers le cheval grand et "charnu"..., celui qui est produit majoritairement en France.

- Achats en France : Total : 13 668 ; Chevaux lourds : 11 013 (au Nord, Nord-Ouest, et nord-estde la Loire : Normandie - Bretagne - Lorraine - Charolais). Chevaux légers : 2 655 (Sud-Ouest de la Loire).

La philosophie de ce bilan désastreux nous est donnée par N. de Blomac (L'Arabe, Paris, 1978)(op. cit.). "Ce XIXè siècle à qui l'on doit le pur-sang, va se terminer dans l'apothéose du demi-sang". Etcela se passera dans une lutte d'influence farouche. C'est ainsi que le rapport triomphaliste de l'agricultureparaît, en 1892, au moment où les faits prouvent déjà les méfaits de la loi Bocher ; et où le consensus despolitiques va être désavoué par les professionnels.

En effet, ceux ci vont se dresser pour s'opposer à la société politico-agricole qui nie la qualité pourla quantité, au nom du profit. Et ceci dans une question qui intéresse d'abord la défense nationale.

En Normandie, le grand homme patriote de cette fin de siècle est Maurice de Gasté (5),hippologue, né à Lisieux en 1859. Il eut le courage exceptionnel de combattre les idées dominantes deson propre milieu, celui des éleveurs normands. Il publia de nombreuses études qui en font, sur le cheval,le meilleur zootechnicien de l'époque. En 1888, Du recrutement du cheval de cavalerie. Dans cetouvrage, il examine les causes de la rareté des chevaux de selle en France... En 1896, Courses au trot et au galop pour chevaux de trois quarts de sang. En 1898, La question du cheval d'armes et du demi-sang galopeur. La déformation du modèlepar les étalons trotteurs.

La Société du cheval de guerre

Cette même année 98, il fonde avec des cavaliers éleveurs patriotes : La Sociétéd'encouragement à l'élevage du cheval de guerre français. (Paris 43 Rue de Lisbonne). Ainsi il aura fallutrois siècles et demi (depuis du Bellay) pour qu'on décide d'agir pour produire, en France le chevalnécessaire à l'armée. C'était proclamer que jusqu'alors on l'avait remontée avec n'importe quoi ! Oncomprend de ce fait que la nouvelle association se heurta aux bonnes âmes de la classe dominante. Sesdébuts furent "tourmentés et laborieux" et toutes les embuscades lui furent tendues. Elle triompha, et fit lemaximum dans ces années qui précédèrent la Grande Guerre. En 1913 elle organisait dix concours ; elleavait 2 000 membres. Mais c'était trop tard. Saluons le courage civique de ces hommes de cheval ! Pourbien comprendre le pourquoi de cette fracture du milieu hippique, il faut évaluer l'importance des analysesqui fondent l'opinion de ces professionnels lucides, à la veille du conflit que l'on sentait venir...

La Période de 1898 à 1912

Le service militaire passa de 5 ans à 3 ans, puis à 2 ans en 1905 (6) - période très troublée au planintérieur : affaire de Panama, affaire Dreyfus, affaire des fiches dans l'armée, inventaires des biens del'Eglise etc... Cette réduction du service militaire ajoute aux difficultés de la cavalerie. Les capitainesinstructeurs ont dû faire flèche de tout bois. On remarquera, d'ailleurs, que ce fut le temps dufoisonnement des enrênements qui ont souvent des noms de capitaines : Colbert - Féline - Charvet -Chambon - de la Baume parce qu'il fallait utiliser, vite fait, de mauvais chevaux, avec des cavaliersignorants. Ce fut aussi l'époque du foisonnement des traités de dressage, par des écuyers de valeur : Fillis- Faverot de Kerbrech - l'Hotte - de Benoist - de St Phalle - de Beauchesne - Champsavin... d'Urbal et,pour couronner le tout du seul traité officiel d'équitation de toute l'histoire de la cavalerie : Le manueld'équitation et de dressage de 1912 (rédigé par l'écuyer en chef Blacque Belair et signé du MinistreMessimy) (7).

Toute cette activité fébrile indique qu'un drame est en train de se nouer. Elle montre l'ardeur deséleveurs cavaliers et hommes de cheval lucides, avec les officiers instructeurs, pour tirer le possible,l'indispensable d'un mauvais système !

1906 : le premier bulletin de la Société d'encouragement à l'élevage du cheval de guerre paraît enlibrairie. Il proclame : "la cavalerie a besoin de 5 000 chevaux de selle (par an)..." "(-) l'armée nesaurait admettre (-) qu'on la considère comme le dépotoir de l'élevage (-) et (qu'on lui réserve) tous lesdéchets, tous les ratés, en disant "çà fera toujours bien un troupier..." (-)". Cette expression (encoreentendue par l'auteur en 1966 dans la Manche) fait honte à ceux qui l'ont inventée, parce qu'elle montreleur mépris de la troupe (faite de citoyens soldats dans cette république) et parce que le cheval de troupe"est au contraire le chef-d'oeuvre de l'espèce" (op. cit.). Le slogan de la S.C.G. sera : "du sang sous lamasse". C'est sans doute insuffisant. Mais il est tard, et il faut faire avec ce que l'on a. Alors, avec nosjuments "viandeuses" du nord de la Loire, croisées avec l'Anglais, essayons de faire, vite fait, ... desgalopeurs. C'est urgent !

En 1907 - Maurice de Gasté assène la vérité la plus dure. Il publie : La faillite du trotteurnormand... comme cheval de selle. Titre à connotation pamphlétaire. Brochure de 20 pages, avec démonstration expérimentale de cette inaptitude !!! La guerre approche. On multiplie les concours avec primes pour les chevaux de selle de 3, 4 et 5, et 6 ans.

En 1911 l'armée achète les chevaux qui partiront en campagne de guerre, en Août 1914. Nousavons l'état officiel de ces achats (Jacoulet et Chomel) (8)

Total achetés en France 10 646

Ouest et Charolais - Champagne - Ile de France Demi-sang dits "Anglo-normands" 6 701
Sud-Ouest - demi-sang du midi dits "Anglo-arabes" 3 945

Du demi-sang Anglo-arabe (réf. Loi Bocher - 1874)

On notera avec plaisir l'augmentation sensible des demi-sang anglo-arabes sur les contrôles del'armée dès 1906.

Tardive, elle ne permettra que la remonte de quelques régiments de cavalerie légère dereconnaissance de corps d'armée. Au cours de la retraite qui précéda la bataille de "la Marne", ilscouvriront les mouvements des troupes de l'infanterie. Les Allemands les ont reconnus comme lesmeilleurs des régiments de la cavalerie française (op. cit. Chambe). Mennessier de la Lance, qui faitautorité, avait écrit en 1913 (op. cit.) que : l'anglo-arabe était le meilleur cheval jamais reçu par la cavalerielégère (métropolitaine) ; cheval "qui n'existait pas il y a 30 ans) (c'est-à-dire en 1883), qui n'est pas encoreparfait surtout dans son dessus... mais qui le deviendra (?)..." Il ajoute qu'il serait souhaitable de modifierson caractère "nerveux et irritable".

Nous allons consacrer un chapitre à ce cheval réputé.

 
NOTES :

(1) 1873 - Sous la pression de l'association normande représentée au Parlement de Versailles parles députés de la région (comme Delacour et Bocher), le ministère de la guerre publie une I.M.(instruction ministérielle) en date du 21 décembre 1873.
Analyse : L'I.M. réglemente les achats de chevaux en Algérie (qui est encore sous la juridictionde ce ministère) ; les achats de chevaux en Algérie sont interdits pour remonter la cavalerie deMétropole. Par contre ils sont autorisés (à condition qu'ils soient castrés) pour la remonte desofficiers de l'Infanterie métropolitaine ; ainsi que pour le train des équipages.
(2) Référence : Bulletin de la direction de l'agriculture et du commerce - année 1903 - numéro 24 - Tunis.
- La question chevaline en Tunisie (page 30) par Félix Pichon-Vendeuil - Secrétaire général duSyndicat des éleveurs de chevaux du Limousin.
(3) Référence : Les Haras Nationaux, vol. III - Paris : Lavauzelle, 1986, page 141.
En 1880, Gambetta président de l'Assemblée nationale est contacté par le journaliste Ed. deCavaillon, mandaté par la "chapelle normande" ; il rapporte la réponse de Gambetta : "croyez-vous,me dit-il, que les courses en général, et les courses au trot en particulier, soient un bon moyen defaire produire de meilleurs chevaux d'armes que nous n'en avions en France lors de la surprisenavrante de 1870... ?"
Gambetta est mort en 1882. Avec lui disparaissait un des rares hommes de gouvernement français,ayant le souci d'une défense nationale performante.
(4) Les artistes français ont partagé ces idées reçues. Elles ont défiguré plusieurs chevaux deGéricault qui ont une tête orientale fine, mais hélas, des fesses occidentales massives.
(5) Maurice de Gasté - hippologue français né à Lisieux (Calvados) en 1859 a écrit de nombreuxouvrages sur le cheval de selle dont : La faillite du trotteur normand comme cheval de selle. Il futl'un des fondateurs en 1898 de : - La Société d'encouragement à l'élevage du cheval de guerrefrançais.
(6) C'est le moment de rappeler que si les députés légifèrent alors sur les hommes de laconscription appelés au service dans les armées (service dit "militaire") ils avaient avant légiférésur la mobilisation des chevaux !
Conscription des chevaux et mulets : loi du 3 juillet 1877 (réquisitions) - Comme pour leshommes, chaque année les chevaux et juments devaient être recensés dans chaque commune deFrance. Une fois par an une commission de réforme décidait de leur maintien ou leur radiationdes listes de la conscription. A la mobilisation tous les chevaux inscrits (ou conscrits) devaientrejoindre le centre de rassemblement.
Instruction du 23 mars 1897 "relative à la vente à des éleveurs de juments de selle reformées, susceptibles d'être employées àla reproduction".
C'est ainsi que deux gisements de bons chevaux de selle se sont créés dans la première moitié duXXè siècle : Le Maine et Loire et la Saône et Loire, avec les juments réformées de l'armée.
(7) Le manuel d'équitation et de dressage - Ministère de la guerre - Paris, 1912.
a) - avant-propos : "... méthode écrite (destinée aux jeunes officiers)... pour mener à bien leur tâched'instructeurs".
b) - Le manuel comprend trois grandes divisions :
1 - Education du cavalier
2 - Education du cheval
3 - Emploi du cheval dressé
c) - On doit constater que depuis 25 ans à ce jour, les organisme qui ont la mission d'instruire lesjeunes générations dans la discipline équestre ont totalement éliminé de leurs programmesd'enseignement : le "dressage du cheval" - Ce qui a stérilisé, c'est-à-dire rendu inefficaces et nonperformants tous les représentants officiels de l'équitation française olympique en cette fin de siècle.Le problème est récurrent. Il se posait déjà à l'Ecole de Cavalerie à la fin de l'autre siècle. Il fautméditer ce rappel des faits (Essai de Bibliographie hippique sur le cheval et la cavalerie par legénéral Mennessier de la lance - Tome II - page 403 - op. cit).
A propos de la mise à jour du "règlement sur les exercices de la cavalerie" la commission désignéeen 1912 pour ce faire, dans son rapport au ministre écrit "qu'elle a noté que la commission de 1899n'avait pas cru devoir rédiger un manuel de dressage."
Aussi réparant cette carence la commission annonce (citation) qu'elle même a "comblé cette lacune(sic) en élaborant, en dehors du règlement et en complète concordance avec lui : un manuel spécial(sic) d'équitation et de dressage".
Aujourd'hui, comme il y a un siècle (hier) l'enseignement de l'équitation aux cavaliers élèves estindissociable de l'enseignement à ces élèves de la pratique du dressage du cheval. Cela paraît êtreune évidence ! Eh bien nous venons de voir que cela n'est pas le cas... en France.
(8) Jacoulet et Chomel, Traité d'hippologie - Saumur, ancienne maison Millon, J.B. Robert, 3èmeédition, 1912.


Liminaire - I - II - III - IV - V - VI - VII - VIII - IX - X - XI.
retour
table des auteurs et des anonymes