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CHAPITRE X
LE CHEVAL DE SELLE EN FRANCE
LA CAVALERIE ET LES MOEURS DES FRANÇAIS
Durant quatre siècles, la remonte de la cavalerie a posé un problème difficile à la sociétéfrançaise.
Les plus anciens spécialistes : du Bellay et Tacquet aux XVIème et début du XVIIème siècles,nous ont renseignés sur ce fait fondamental : l'Europe occidentale, et singulièrement la France, ne furentjamais, dans le passé, pays d'élevage du cheval de selle ! (à l'exception de la péninsule ibérique que lagéographie et l'histoire ont longtemps fait appartenir au Maghreb);
La réalité française : le cheval de trait
La raison en est simple. Organisée à partir de l'Ile de France, notre patrie a toujours été un paysde sédentaires des plaines et des hauts plateaux. Ses habitants ont utilisé le cheval pour son énergieexploitée dans la traction, grâce à l'invention du "collier d'épaules".
Ce fait est constaté dès le XIIème siècle dans la tapisserie de la Reine Mathilde à Bayeux. Lacaptation de cette énergie servit, d'abord pour les travaux des champs (labourage) ; ensuite, pour letransport des fardeaux et des marchandises (tirage).
Il va de soi, que c'était le même animal qui, débarrassé de ses traits et de ses palonniers servaitaussi au portage au pas ! Ceci se situait dans les temps anciens, avant l'invention de la voiture detransport à quatre roues, celles de devant étant directrices... (en italien : Carroce = 1574).
Cette invention du "système carrosse" autorisa le transport de charges plus importantes à unevitesse plus grande, le problème du tournant étant ainsi résolu. C'est cela qui est intéressant à noter, carde ce fait cette invention engendra la construction des "routes carrossables", précisément durant les XVIèet XVIIè siècles.
Auparavant, les transports se faisaient, soit par portage à travers le pays et les sentiers, mais àpetites charges ; soit par le charroi sur les chemins de terre, et les pistes avec des charrettes (1080) àdeux roues libres (ce qui permettait de tourner l'effet différentiel se réalisant spontanément).
Dès le bas moyen-âge, après l'invention du collier d'épaules, on se servait du "tombereau" pourles gros travaux à courtes distances.
Dans la mémoire collective, sous produit de notre histoire nationale une question se poseimmédiatement : celle des "chevaliers". J'ai traité de l'histoire équestre et hippique de la chevalerie dans unlivre : Des hommes, des chevaux, des équitations (1). Les chevaliers utilisèrent le cheval de trait appeléCaballus (1080) en latin (Dictionnaire étymologique latin - Ernout, 1954), d'où Caballarius : chevalier.
En vieux français ce cheval fut appelé : Roussin ; animal "encombré de muscles", suivantl'expression de Lefebvre des Noëttes, (op. cit.) (2). Cet érudit ajoute " (monture) capable de porter du poids,de fournir une courte charge et de bousculer l'adversaire, mais (-) impropre aux randonnées lointaines et àla manoeuvre rapide et souple, en terrain varié". Ce jugement pertinent nous conduit au problème ducheval de selle dans le royaume.
La question du cheval de selle en France
Elle se posa, peu à peu, au cours du bas moyen-âge. On vérifie, une fois encore, qu'il fautobserver les faits et les choses sur la longue durée.
Qu'il faut absolument rejeter les affirmations acceptées jusqu'alors sans examen, (l'une des pluscélèbres est l'affabulation de Jules César à propos d'une cavalerie gauloise mythique). Par contre, quandle chroniqueur Froissart (XIVè siècle) parle des "fleurs de roussins", chevaux choisis par Duguesclin pourremonter son "commando" qui fit le raid : Sainte Sévère-Poitiers (plus de 120 km d'une traite) à la barbedes anglais, cela indique que ce vrai guerrier recherchait les chevaux coureurs et endurants . Ainsi leconcept du cheval de selle fait pour "courir" sous l'homme s'est formé progressivement en France. Nousl'avons vu, c'est en Italie, que nos ancêtres trouvèrent el "cavallo". Il est remarquable qu'au retour de cesguerres de la péninsule on appelle les nouveaux cavaliers des "Chevau-légers". Opposition saisissante auxderniers chevaliers : les "gens d'armes" (3) qui montaient des chevaux lourds. Dès ce moment historique, leretour d'Italie nous l'avons vu, la question de la production d'un cheval de type selle est posée dans leroyaume de France.
Par qui ? par les militaires, et seulement par eux !
Ainsi, dans notre pays de cultivateurs sédentaires, la notion de cheval de selle est d'abordmilitaire. Ceci donne à cette étude sur le cheval de selle de troupe de la cavalerie française une autredimension : celle d'une recherche sur l'élevage du cheval de selle en notre pays !
Cette perspective permet de poser la question d'une façon plus pertinente : comment la sociétérurale a-t-elle répondu à la demande de mise en production d'une nouvelle catégorie de chevaux : leschevaux de selle ?
C'est toute la question de la remonte en France.
L'intervention de l'Etat - Pourquoi ?
Nous avons observé que c'est précisément le constat de l'incapacité de l'économie agricole àproduire suffisamment de chevaux - tant pour la cavalerie (question déjà évoquée par Colbert) que pourles activités civiles - qui détermina l'Etat monarchique à intervenir de façon directe. Ce qui, notons le,n'était pas son "idéologie". Les Etats, des différents régimes, qui lui succédèrent dans les temps ditscontemporains, ne pourront se dispenser d'en faire autant. Cependant ils préciseront (plus ou moinsclairement, hélas) : Intervention de la puissance publique, mais en faveur de la production de chevaux detype selle... car la production des chevaux de travail a toujours était prospère chez nous (4).
Après le fiasco de la Révolution dans sa tentative de suppression du "régime prohibitif" des haras(administration des "étalons royaux" répartis sur le territoire pour aider la production), il a bien fallu revenirà cette assistance du secteur privé. Les faits sont têtus ! Ce fut alors, la création d'une administration detype napoléonien, plus développée et plus interventionniste. Donc, pas de chevaux de selle en Francesans l'intervention de l'Etat. Bien sûr, il est entendu que les "chevaux anglais de course" (que l'on appelle :pur-sang anglais de nos jours) se passent et se sont toujours passés de l'aide de l'Etat. Ce furent, et cesont encore, des chevaux de selle de riches.
On doit distinguer deux périodes historiques dans cette intervention de l'Etat. Avant 1789 et après1789.
AVANT
- L'évolution de la guerre depuis du Bellay s'étant traduite par la primauté de l'infanterie, lacavalerie n'était -jusqu'à Rossbach (1757) qu'une force complémentaire, qui réussit parfois à êtredéterminante, comme à Rocroi et Fontenoy. L'Etat qui, dans le même temps, avait opté pour l'arméepermanente eut fort à faire pour entretenir cette structure qui lui coûtait cher. Ceci peut expliquer qu'il nes'intéressa à la question chevaline, qu'au plan de la quantité.
Colbert n'a eu qu'un seul but : limiter les importations de chevaux, globalement.
Cependant, quelques esthètes, dont Louis XIV, et quelques vieux soldats, dont Maurice de Saxe,s'intéressèrent au cheval de selle. Ils firent des expériences positives dans leurs haras de St Léger, et deChambord ; elles n'eurent pas de suite. Ce qui est bien dommage.
En vérité la qualité des chevaux de notre pays était si médiocre (pour la selle) que le maître del'équitation militaire, d'Auvergne, fit de cette médiocrité la base de son analyse d'où il a déduit saméthode. L'équitation des militaires sera une équitation réduite à sa plus simple expression.
Les responsables de ce temps acceptèrent ce fait incontournable en France, et portèrent leursefforts sur la mise en ordre de la gestion des achats, et sur l'instruction des cavaliers, des capitaines, etdes colonels (ministre Choiseul, Inspecteur général de Castries).
Rappelons que d'Auvergne devait dès 1769, exprimer la vérité fondamentale de toute cavalerie :"le cheval fait le cavalier". Or, le cheval français de selle était mauvais. En 1781, le Baron de Bohan (op.cit.) confirmait ce jugement en qualifiant le cheval de notre élevage national de "lâche, mou et défiguré". Ils'agissait, bien sûr c'est notre sujet, des montures fourni aux troupes à cheval...et non des chevaux de"tête" acquis très chers par les généraux, les notables et les princes.
APRES 1789
Cette médiocrité de la remonte des troupes à cheval avait une conséquence militaire grave. Lacavalerie française devait, de ce fait, limiter ses interventions à l'action en masse sur le champ de bataille.Ce qui a été, nous l'avons vu, un handicap qui atteindra le niveau d'une infirmité face aux Cosaques en1812... car, elle était incapable de faire la "petite guerre" (mot du XVIIIè siècle) avant et après la bataille.Et ce fut la triste réalité en France pour la cavalerie métropolitaine jusqu'en 1870 y compris. La mentalitémilitaire en a été imprégnée, confortée par les affabulations des historiens professionnels et les tableauxsuspects des peintres officiels. De ce fait, malgré les conseils avisés des généraux ayant fait campagne(Morand - Brack - Galliffet) les gouvernants choisirent toujours la cavalerie lourde (sauf Boulanger, quiéchoua d'ailleurs).
L'esprit dit de "chevalerie", que l'on aime cultiver, au moins dans le verbe des discours, a eu unepart dans cette mentalité désastreuse ! C'est elle qui inspira si fâcheusement Napoléon. Il recréa en 1803une cavalerie pesante. Alors que Louis XVI l'avait supprimée en 1787. Il est vrai que l'artilleur Bonaparten'avait jamais pratiqué la guerre des cavaleries.
Franco Adravanti (5) pense qu'il n'avait pas étudié les campagnes du grand conquérant Mongol :"Gengiskhan".
En 1881 les généraux conservateurs du "Concile" de Tours l'emportèrent et sauvèrent de ladisparition cette cavalerie obsolète. Ils ont pris une grave responsabilité face à l'histoire.
On retrouve encore, de nos jours, les traces de ce sentiment irrationnel, qui a porté nos anciensvers la cavalerie lourde. Le musée dit "de la cavalerie" à l'école de Saumur en est le témoignage. Outrequ'il y est montré Louis XIV comme fondateur de la cavalerie française (ce qui est une erreur), on y voitd'abord et avant tout des souvenirs de cuirassiers... non-sens historique ! Alors que, confirmation del'évolution au cours des âges, le parler populaire français montre peu de considération pour la "grossecavalerie".
En effet, dans l'imaginaire du peuple, c'est "la cavalerie légère" qui emporte les suffrages. Ce sontles hussards et même les dragons, jamais les cuirassiers, qui font rêver le peuple patriote. Certainslecteurs se souviennent du chant de nos grands-parents Le rêve passe... avec son vers célèbre :
"Les voyez-vous ?
les hussards, les dragons, la garde !
etc...
Grâce à l'étrange expédition d'Alger en 1830, et à ses conséquences, la cavalerie qui y futengagée trouva enfin sur les terres du sud de la Méditerranée, un véritable cheval de guerre de troupe.
Le dernier siècle de l'histoire de la cavalerie française fut ainsi glorieusement éclairé par les faitsd'armes de la cavalerie française d'Afrique.
A la fin du XIXè siècle et au début du XXème, la remonte des troupes à cheval sera enfin résoluepositivement en Afrique du Nord. Les régiments de Chasseurs d'Afrique et les régiments de Spahis,convoqués par l'empire et la république sur tous les territoires d'opérations, donneront à la cavaleriefrançaise ses meilleurs certificats de fiabilité et de performance.
L'infanterie, la reine des batailles, eut enfin l'arme de mêlée complémentaire qui lui a fait sisouvent défaut.
Ses efforts furent préparés, poursuivis et exploités par la cavalerie, la reine des grands espaces.Enfin, l'infanterie a eu ses lignes d'opérations et de ravitaillement, ses itinéraires d'approche et de retraite...reconnus et protégés.
En plus, comme à Sedan, cette cavalerie légère sut faire, sur le champ de bataille, le sacrifice descharges, le sabre à la main, jusqu'alors réservées à la "grosse cavalerie".
Les circonstances l'exigeaient, les hommes surent le faire avec et grâce à leurs chevaux barbes dela remonte d'Afrique du Nord.
La fin de la cavalerie française
Elle se raconte selon deux aventures différentes : celle de la cavalerie de Métropole et celle de lacavalerie d'Afrique. Nous demandons pardon aux abonnés du Musée de l'Armée et de l'Histoire telle qu'onla raconte ! Mais cette différence entre ces cavaleries vient très peu des hommes, mais surtout deschevaux. Les compromis des commissions officielles avec les groupes d'influences officieux, engendrèrentla mise en place au Nord et au Sud de la Méditerranée, de deux systèmes des "haras et remontes". Ilsfonctionneront selon des principes très différents. L'un a conduit la cavalerie métropolitaine à l'échec...l'autre celle d'Afrique à la réussite.
En métropole
La mise en pratique de l'étrange loi de 1874, dont nous avons parlé dans le chapitre VI a eu pourrésultat, le "non sens" d'une cavalerie remontée de chevaux de tirage, inaptes à faire la guerre sous laselle. Un expert a noté en 1890 : "depuis 1870 l'impulsion donnée à l'élevage (du cheval) n'a pas été dansle sens des besoins de l'armée". (Bonie, Les remontes françaises, Paris).
Cet état de choses fut le fait d'une société rurale, de cultivateurs sédentaires, encadrée par desgroupes d'intérêts agro-commerciaux. Ce qui faisait écrire au même auteur (Bonie, op. cit.) que la questioncomplexe de l'élevage, des haras, et des remontes, était traitée presque exclusivement par "l'élément civil"de la société française.
Plus tard, pendant la première guerre mondiale, ces paysans (6), citoyens de base de la républiquequi étaient majoritaires dans le pays, le furent aussi dans les armes dites de "mêlées" ou, du "champ debataille". Ce seront les principales victimes de cette politique de défense contestable. En effet, après lavictoire (non exploitée) de l'infanterie, et l'échec de la cavalerie à la Marne où la première invasion futarrêtée (1914)..., ce sont les paysans, martyrs de la guerre des "tranchées" qui, avec leurs poitrines,stopperont définitivement la seconde invasion à Verdun (1916). La cavalerie n'y aura aucune part !
Cet ensemble de phénomènes de société que nous venons de décrire, défie l'analyserationnelle... Les pesanteurs historiques d'une nation ont rarement été illustrées de façons aussi terribles.
Au Maghreb
Dans ce prolongement de la république, au sud de la Méditerranée, l'histoire de la cavaleriefrançaise est, au contraire, celle d'une réussite. Là-bas, le système militaire de l'élevage du cheval et desremontes de l'armée, soutenu par la société civile (7) (voir le rapport Muller, conseiller général d'Alger en1892, dans Aureggio, op. cit.) a pleinement réalisé la mise en oeuvre du plan "Oudinot" de 1847, pourrétablir l'élevage du cheval de guerre en Algérie (voir le Cheval barbe - Caracole - 1987, op. cit.). Enpartenariat avec la société traditionnelle des bédouins et des berbères, les services des "remontes del'armée" mirent en production dans tout le Maghreb, en assurant l'amélioration par les étalons arabes etl'achat des produits : le cheval de guerre barbe. Cheval qui est agile, docile, sobre, porteur, résistant,endurant.
L'armée d'Afrique put en remonter toute sa cavalerie légère qui fut utilisée dans toutes lesexpéditions en Europe et Outremer sous le second empire et la IIIè république.
L'armée française eut enfin, après tant de siècles, une cavalerie légère fiable et performante.
Cette cavalerie sauva l'honneur de la France à Sedan en septembre 1870. Elle donnera enfin ànotre pays sa plus belle victoire à Uskub (Macédoine) en septembre 1918.
C'est à ce moment glorieux pour nos armes que nous choisissons de clore cet essai sur l'histoirede la cavalerie française..., ayant établi la contradiction de ses deux systèmes de remonte, et de ce fait, ladifférence de qualité de ses chevaux de troupe.
Le contraste extraordinaire des résultats durant la "Grande Guerre", s'explique d'abord et surtoutpar cette différence de qualité des chevaux.
Nous devions le dire. C'était notre sujet.
Car encore une fois, le courage des cavaliers des armées françaises a toujours été exemplaire.Tout le monde l'a dit, même Wellington à Waterloo.
Ce sont donc les chevaux de troupe qui ont fait la différence. Souvenons-nous, d'Auvergne a écriten 1769 "le cheval fait le cavalier"...
Nous pouvons ajouter, après cette étude historique, que ce sont les bons chevaux qui font lesbonnes cavaleries !
Ce furent : celle des Arabes, celle des Mongols, celle des Cosaques, et celle de l'Armée d'Afrique :chasseurs et spahis. Ceux-là ont galopé sur les théâtres d'opérations du monde entier sous les couleursde la France : honneur aux cavaliers et à leurs chevaux.
NOTES
(1) Denis Bogros, Des hommes, des chevaux, des équitations : Petite histoire des équitations pour aider àcomprendre l'équitation" - Paris-Lausanne : Favre-Caracole, 1989.
(2) Lefebvre des Noëttes, L'Attelage, le cheval de selle à travers les âges : Contribution à l'histoire del'esclavage - Paris : A. Picard, 1931.
(3) Gens d'armes (gendarmes) (d'après Richelet 1680), gentilhommes cavaliers des compagnies d'ordonnanceattachés à la Maison du Roi (existeront jusque sous Louis XVI, 1787).
(4)Par contre le cheval de tirage rapide : le carrossier n'existait pas ; raison pour laquelle Louis XIV importades étalons de Danemark et de Frise pour les placer dans ses provinces de la mer, du Boulonnais à laGascogne (référence Arrest de 1665) en passant par la Bretagne !
(5) Franco Adravanti - Gengiskhan, premier empereur du Mirabile Dominium - Paris : Payot, 1987.
(6) Au début du XXè siècle : huit français sur dix étaient des "ruraux" ce sont eux que la république a recrutépour combattre les envahisseurs.
(7) Dans ce rapport le conseiller Muller s'élève contre la tentative de l'Administration des Haras de métropoled'annexer lélevage du cheval en Algérie. Ainsi les choses restèrent en l'état. La gestion de l'élevage du chevalau Maghreb resta militaire jusqu'en 1946.
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