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Pages et croquis : 1914-1918 (couv.-1)Pages& croquis : 1914-1918 /textes de Eugène Mary, Jean Gaument, Lucie Delarue-Mardrus, Émile etLouis Bréhier, Ernest Tisserand, J.-L. Lanfant, Maurice Renard, ÉtieneDeville, Bruhier, Pierre Lévy-Falco, Achille Berl, J. Fillion, AugusteBunoust, Florent Fels, Charles Hanier, Remy de Gourmont, GabrielPierre-Martin, préface de Louis Lumet ;illustrés par Jean-Charles Contel, Paul-Elie Gernez, Raymond Bigot, G.Le Meilleur, Le Poitevin, Maurice Berty, Pasquet, André Frémond, HenriMarret, Pierre Mourier, Robert Salles, R. de Saint-Delis ; musiqued'andré Caplet et René Vierne.- Lisieux (22, rue du Bouteillier) :Morière,1918.- 5 fascicules n. p. sous couv cartonnée illustrée : ill. ;planches h. t., musique notée ; 34 cm.

        I: Autour du clocher, lesGardes-Voies, la Mobilisation, les Belges.
        II: le Front occidental.
        III: le Front oriental.
        IV: les Anglais, l'Arrière,Prisonniers allemands.
        V: Musique écrite au Front.

Saisie du texte du texte : O Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (04.IX.2013)
[Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusionlibre et gratuite (freeware)
Orthographeetgraphieconservées.
Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : NORM gf 1963) Ex.n°24/250 en noir. Pour visualiserl'intégralité des illustrations,télécharger la version image auformat .PDF (114 Mo).


PAGES & CROQUIS

1914-1918

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Pages et croquis 1914-1918 - fasc 3 couv.

III

Le Front Oriental


Pages et croquis 1914-1918 - fasc 3


SALONIQUE

(Impression d'Orient)


LE long et frémissant appel de la sirène vibra longuement dans l'airmatinal et presqu'aussitôt le « Duc d'Aumale » se mut. Le bastingagesur lequel j'étais accoudé me communiqua aux bras le tremblementdésagréable de l'hélice : nous étions partis.
        
La radieuse matinée qu'il faisait. Salonique apparaissait blanche etor, toute festonnée de voiliers aux toiles claires et qui dansaientdoucement. Là-bas sur l'Olympe un voile rose bordé de violet sombres'étalait. J'admirais l'Orient ; dans cet instant, j'aimais lesminarets effilés et nombreux, l'inextricable fouillis de maisonsescaladant la colline, les vieux cyprès tremblants qui silhouettaientla cîme...

Le beau décor ! me dit un voisin.

Le beau décor en vérité ! Et pourtant quelle impression mauvaisej'emporte de cette féerie. Je crains hélas que tous ceux de l'Arméed'Orient ne pensent pareil.
        
Le Régiment donne une énorme monotonie à tous les paysages, que ce soitaux marais de la Somme ou à la forêt d'Argonne, aux craies de Champagneou aux cols d'Alsace. Le soldat n'a pas le temps de se mettre àl'unisson avec l'harmonie des différents pays. Il est toujours entouréde la même façon, il entend toujours parler le même langage, il atoujours la même besogne banale à accomplir. Il est le soldat, il resteainsi sans pouvoir être touriste et admirateur. Aussi nous auronsregardé ce prestigieux pays trop à travers la guerre, nous aurons ététrop anxieux, nous aurons trop souffert du climat et de l'éloignementpour apprécier un charme tout fait de langueur, de paresse et decoloris…

Je me souviens. Nous débarquâmes à Salonique pendant un tristeaprès-midi d'hiver. C'était un de ces jours où l'averse a noyé labeauté des choses. Les rues étaient muées en lit de boue. On avançaitavec jusqu'aux genoux ce liquide écœurant et gris. J'avais lu Aziadédepuis bien longtemps mais j'en gardais assez le souvenir pour songerque Monsieur Loti avait eu bien de la chance de voir Salonique belle etla décrire ainsi….

Nous marchâmes durant une heure sur une route encombrée de véhicules detous genres. Des camions-autos militaires, des « arabas » à deux roues,des voitures oblongues à quatre roues que tiraient une paire de bœufmaigres et où trônait un grec accroupi à la façon des tailleurs, derapides et élégantes voitures de liaison ; tout cela passait, secroisait, s'arrêtait, sautait dans les ornières profondes, sousl'averse continue et sale….

En arrivant le soir, nous étions un paquet de boue. Nous couchâmes aucamp de Z... sous la tente, il faisait horriblement froid : je haïssaisl'Orient. Je l'ai revu sous des jours meilleurs. J'ai eu des enviesd'applaudir devant l'extraordinaire richesse des levers et des couchersde soleil, nulle part ailleurs je n'ai vu des nuits aussi lumineuses etaussi prodigues d'étoiles ; n'importe je garde de ce pays l'impressiontragique d'un « bled » interminable et triste. Les villages macédoniensbâtis en terre molle ne m'ont jamais rappelé qu'ils étaient voisins desDieux ; les puces, les moustiques, le vent du Vardar porteur dupaludisme m'ont trop souvent fait oublier Alexandre et l'Olympe...
        
Pourtant que de beautés incontestables demeurent sur ce sol nu. Sous lesoleil brutal, des couleurs les plus prodigieuses s'harmonisent. Lestons les plus heurtés se fondent et ne semblent jamais des oripeaux decarnaval. La saleté, la lèpre, l'ignoble, tout disparaît, setransfigure...
       
Que de fois j'ai regardé descendre un cortège de femmes revenant de lafontaine et portant sur la tête l'amphore pleine. Elles renouvelaientsans le savoir le geste sculptural et biblique de la Samaritaine… Quede fois j'ai trouvé du charme aux minarets blancs calottes de noirs, oùhélas les muessins ne viennent plus appeler les fidèles, à l'heure dela prière.... Que de fois j'ai souri et envié la nonchalance de cesconsommateurs attablés devant un petit café et fumant le narguilé dansle calme du soir... oui, mais à côté passent et bourdonnent destroupes, des troupes de toutes les nations alliées dans le fouillis leplus formidable de langues et d'uniformes. A côté de la visionarchaïque du vieux juif emmitouflé dans sa robe crasseuse et barioléeest un gendarme grec... et la laideur de celui-ci détruit le charme decelui-là. Et les odalisques ? les petites désenchantées voilées quivont

« Fantômes frêles et noirs sous le soleil rouge…. »

Oui, toujours du rouge et du noir... le sang et le deuil partout... Ah! ceci me rappelle trop l'immense blessure du monde qui va saignant ets'élargissant depuis trois ans et qui fait que trop de femmes sontmaintenant des « fantômes frêles et noirs sur la terre rouge ».

Le beau décor !
        
Je regarde la mer qui, sous le soleil, fait courir le long du bateau unfrisson de flammes claires, nous sommes déjà loin, le rose de l'Olympea blondi, les minarets sont petits, petits... et je réponds à monvoisin : Le beau décor, en vérité ; mais quel dommage qu'on ne puisse,comme autour d'un tableau de maître, dans un Musée, faire courir devantcelui-ci une rampe de velours avec cet avertissement :

« Défense d'approcher trop près »
« Défense de toucher »

ACHILLE BERL,
Aspirant au 176e (Armée d'Orient).

*
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CIMETIÈRE TURC
(Salonique)


Près des remparts brisés qui dominent la ville,
A peine clos d'un mur, ombragé de cyprès,
Le Cimetière Turc dort un sommeil tranquille,
Pieusement veillé par un vieux minaret.

Tout est paix et repos. Un silence discret
Enveloppe les morts qui sont ici par mille ;
Les vivants restent loin de ce lugubre asile
Et les Turcs sont chassés qui peut-être viendraient.

L'horizon est voilé de blonde mousseline,
Un aigle dans le ciel tourne, noir et puissant,
La mer miroite au pied de la longue colline,

Les fuseaux des cyprès frissonnent... le soir tombe
Et je vois, tandis qu'il paraît pleuvoir du sang,
D'immobiles corbeaux sur le marbre des tombes.

ACHILLE BERL
Zeitenlick,  le  28  Mars 1917


*
* *

LE PRINTEMPS
(Air Serbe)


Le printemps, le printemps va venir !
Dans les champs les fleurs apparaissent,
Un air vivifiant caresse
Les arbres qui vont reverdir    

Le printemps, le printemps va venir !

Mais toi, ô mon cher fiancé
Quand te reverrai-je passer
Le soir avec ton troupeau et tes chiens
Dans la plaine qui est au bas de la montagne grise.

Le printemps, le printemps va venir !

Mais l'amour est encor bien loin.
Il faut nettoyer nos campagnes
Des ennemis qui les ont souillées….
De sang, de sang notre terre est imprégnée
Nos ruisseaux sont rougis qui jadis étaient bleus….    
A mon père et à mon frère j'ai fermé les yeux Mais ils m'ont dit :Vengeance ! Vengeance !

Le printemps, le printemps va venir !

La lumière blonde danse
Sur les neiges qui fondent….    
Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je te supplie
Fais aussi revenir l'amour
Et mon fiancé bien vivant
Et mon pays libre et puissant !

Le printemps, le printemps va venir !

A Pâques, les jeunes, les vieux et tout le monde
Danseront autour
Des arbres aux branches fleuries    
Vers nos hommes en exil nous lancerons des baisers
Les yeux des filles seront séchés….    
Le printemps, le printemps va venir !
Mon Dieu Mon Dieu surtout !
Veille sur nous, protège nous !

ACHILLE BERL


I :Autour du clocher, lesGardes-Voies, la Mobilisation, les Belges.
II : le Front occidental.
 III : le Front oriental.
IV : les Anglais, l'Arrière,Prisonniers allemands.
V : Musique écrite au Front.

Pages et croquis : 1914-1918 (couv.-4)