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![]() I: Autour du clocher, lesGardes-Voies, la Mobilisation, les Belges. II: le Front occidental. III: le Front oriental. IV: les Anglais, l'Arrière,Prisonniers allemands. V: Musique écrite au Front. Saisie du texte du texte : O Bogros pour la collectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (04.IX.2013) [Ce texte n'ayantpas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement desfautes non corrigées]. Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux,B.P. 27216,14107 Lisieux cedex -Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01 Courriel : mediatheque@lintercom.fr, [Olivier Bogros]obogros@lintercom.fr http://www.bmlisieux.com/ Diffusionlibre et gratuite (freeware) Orthographeetgraphieconservées. Texteétabli sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : NORM gf 1963) Ex.n°24/250 en noir. Pour visualiserl'intégralité des illustrations,télécharger la version image auformat .PDF (235 Mo). PAGES & CROQUIS 1914-1918 ~*~![]() IV Les Anglais L'Arrière Prisonniers Allemands LES ANGLAIS
……. J'ai vécu trois mois avec l'armée anglaise, de févrierà mai 1916. Le service des mines ne pouvant être entièrement assuré àcette époque par les « Royal Engineer », nous étions demeurés dans cesecteur qui vient d'être illustré une fois de plus par la prise deVimy, pour y pousser activement les travaux de contre-attaquesouterraine, l'ennemi menaçant très sérieusement notre première ligne. Du jour où les Anglais arrivèrent, ce fut à notre popote « uneavalanche de confitures et de bacon ». Les marmelades et le jambon sontla base de leur alimentation. Ajoutez-y beaucoup de fromage une espècede Chester rougeâtre, exquis. Je ne me souviens pas avoir fait plus devingt mètres dans la tranchée sans rencontrer quelque cuisine, unbrasero, beaucoup de fumée et là-dessus une gamelle où, invariablement,rissolait une tranche de jambon. On se rase beaucoup : blaireaux, savons, rasoirs, tubes métalliquess'étalent au long des boyaux. Tel sybarite confortablement assis devantun puisard, sur une vieille caisse à grenades, trempe avec délices sonblaireau dans l'eau qui croupit là depuis une semaine. Chacun est roseet frais, le passant n'imaginerait pas qu'il s'est lavé avec de la boueou presque... Il y avait près d'une de nos entrées de mines (que nous appelions la Rdans notre langage alphabétique) un petit poste de garde et beaucoup detrous d'obus. L'un de ces trous voisinait avec une tombe et les pluiesrécentes y avaient formé une petite mare d'aspect assez suspect. Unmatin, à l'aube à peine naissante, je passai près de cette tombe et j'yvis un soldat anglais fort occupé à remplir son bidon. Un dialogue s'engage : — What do you intered to make ? demandai-je. — Tea, sir. — That water is very bad. Sans plus s'émouvoir le soldat me répond : « O boilad... très bonne ». Voilà évidemment un thé qui a dû être excellent. J. FILLION, Bois des Loges, Juin 1916 LA DERNIERE MINUTE Donc, maintenant que c'est la nuit, Que l’indicible reste à dire, Le pauvre homme de guerre attire Sa pauvre femme contre lui. L'éternité manque à sa bouche, Il va laisserl’adieu qu’il peut, Et courbant la lumière un peu, Voici qu'au visage il la touche. Il la possède rudement, Farouche, il met dans la pesée Dont gémit sa jupe empesée Le poids de ce dernier moment. Et dans l'orageuse caresse Qui se crispe à son châle à fleurs, Il met des rages, des douleurs, La peine à mourir qui l'oppresse. Elle, appuyée au bras viril, L'œil rempli par sa brusque lèvre, Sent fondre à ce baiser de fièvre Jusqu'à la peur du grand péril. L'ouragan de cette minute Qui le gonfle, elle n'en connaît, La simple femme au blanc bonnet, Que ce beau souffle ardent de brute. Elle est de chair et ne sait pas Démêler dans l'instant qu'il l'aime La splendeur du geste suprême Qu'il lui communique tout bas, Et ne voit pas, lorsqu'il l'enlace, Lorsque son triste amour la mord, L'éclair des canons de la mort Livide, balafrer la glace. AUGUSTE BUNOUST * * * VIEUX LISIEUX (Fin de Permission, Mars 1918) Une à une et comme à regret, graves et lentes, les notes tombent du vieux clocher de Saint-Jacques... L'église est pleine d'ombres lentes et de formes agenouillées. Source d'espoirs et de consolations, refuge de ceux dont les âmesfrêles ont besoin de forces hors d'eux-mêmes, y viennent puiserla raison de vivre. Comme je suis loin... Neuf heures. La place revêt sa teinte des vieux temps... Doux soir de printemps. La Ville est comme un visage de femme amoureuse, sa face s'éclaire des reflets de la lune. Elle en a la mobilité et les feuillages semblent des cheveux voilant un visage. Les maisons ont des airs penchés de confidentes, elles chantent des complaintes du temps. J'ai ce soir une âme de moine. Le soir, l'homme est près des choses de la nature et comme penché vers le cœur de la terre. L'âme écoute. Le jour mort a éparpillé les désirs vers un monde inconnu. ...Un sifflet au loin... oui... je sais... l'horreur des régulatrices,le wagon sordide, la tranchée... toute la boue, toute la misère, la guerre enfin. Adieu, vieilles demeures médiévales, le rêve est fini. Ceins tes reinset hausse le sac, pars, on t'attend, Là-bas ! FLORENT FELS, Sapeur, C.H.R., 74e d'Infanterie. PRISIONNIERS ALLEMANDS AU CAMP DE PRISONNIERS DE TR…..-SUR-MER Journal de Herr Doktor Ghiessel (Fragments) " Ab uno disce omnes ". 21 Février 1916. — « Deutschland über alles ! » Le Kaiser est venu nousharanguer ; le Kronprinz est à notre tête. Huit corps d'armée sontrassemblés. Nous sommes électrisés. Hoch, Hoch, Hoch ! Nous allonsprendre Verdun, leur citadelle d'acier. 25 Février. — Vainqueurs, nous entrons à Douaumont. Français, nos canons ont vaincu vos baïonnettes. 26 Février. — Moi, Herr Doktor Ghiessel, de l'Université de Berlin,j'ai crié : « Kamerad ». J'ai crié « Kamera » à ceux qu'ils appellentleurs diables bleus. Teufel, ya ! Diables plus noirs que ceux desenfers, noirs de crasse et de boue, noirs comme la Mort qui grouilletout autour d'eux. Kamerad…. Je les hais ! 15 Mars. — Kriegsgefangenen, horrible réalité. Ce n'est pas la prison,c'est la glèbe et les honteuses promiscuités de la chiourme. 25 Mars. — Bismark a dit : « A la guerre, tous les moyens sont bons. »Hurlez donc, chiens d'alliés ; hurlez les neutres, hurlez toute lameute, nous resterons les maîtres. Ce n'est pas seulement la mitrailleou l'assaut qui assurent la victoire, l'incendie, l'effroi, la Terreursont les auxiliaires du conquérant. Une main d'enfant tombée sur le solne portera point le fusil ! Prévoir, c'est conquérir. « Gott mit uns ». 1er Avril. — L'uniforme de la Garde m'a été retiré. Vêtu d'une buresouillée des deux lettres « P. G. », moi, Herr Doktor, moi,intellectuel, je dois, ravalé au rang de brute, porter sur l'épaule delourds madriers qui me déchirent les mains, me meurtrissent la tête.Tout le jour, mes muscles se tendent pour le service de la France !Besogne impie, tâche odieuse ! Puissent ces planches servir à voscercueils, Français maudits ! 15 Avril. — Matin et soir, nous traversons la ville. Les femmes, lesenfants, les vieux que nous croisons détournent les regards. La haineles ferait nous tendre le poing, le mépris ne peut s'éveiller en leursâmes viles, c'est la peur qui les guide. Prisonniers, désarmés, sansdéfense aucune, nous inspirons toujours la crainte. C'est ainsi quenotre race dominera le monde. 21 Mai. — Printemps. Dans les prés qui bordent notre camp, desFrançais blessés vont s'étendre. Ils rôdent autour de nous ainsi quedes chacals. Nous épiant, sans paraître nous voir ils surveillent nosgestes. Sous vos uniformes bleus où reluisent vos croix, Franzosenblessés, que n'êtes-vous tous dans la tombe. 12 Juin. — O race sans kulture qui, pour t'éteindre, voulut unflamboiement, race vile tes efforts seront vains. Les représaillesstigmatiseront ton nom devant l'Histoire. Votre rage d'être desvaincus, Français, vous fait nous torturer……… représailles !Représailles, c'est la misère que nous devons endurer, c'est la faimqui nous tenaille, c'est l'ordure dans laquelle nous croupissons.Représailles... voilà le crime, voilà la honte. 8 Juillet. — Une lettre de ma femme tant aimée. O mon Eisa, ton chersouvenir me réconforte. Hans, mon frère, part pour se battre, est,dis-tu, rempli d'ardeur guerrière. Que Gott le protège. Ta génération,Hans, mon petit, va cueillir les lauriers que nous avons semés. LaVictoire va te sourire. Sois fort, sois sans pitié autant que sansremords. Verse sans regret le sang, meurtris le sol, massacre, brûle etque tout s'écroule sur ton passage……….. c'est la guerre. 22 Juillet. — Une page sombre sur notre histoire glorieuse... le Kronprinz a renoncé à prendre Verdun. 2 Novembre. — Les sentinelles sont peu nombreuses à nous garder. Rienne me sépare de l'espace libre. Travailler chaque jour pour le servicede la France, n'est-ce pas être traître à ma Patrie…….. Fuir, c'est ledevoir. 15 Novembre. — O ma chère Eisa, que ne puis-je t'écrire ce que mon cœurressent. Je vais m'enfuir... alors je te lirai ces lignes, et tucomprendras combien j'ai pu souffrir. Malheur à l'homme seul, lit-ondans l'Ecriture ! Oui, malheur ! Je n'en puis plus, mon cerveau éclate; Eisa, Eisa, ce sont des larmes d'amour que je verse en rêvant, chaquenuit ton image est devant mes yeux, Eisa ! ton nom bourdonne à mesoreilles, oui je te vois me tendre les lèvres pour un baiser, Eisa queces quelques jours vont me paraître longs. 20 Novembre. — Voltaire, un Franzose que l'amitié d'un roi de Prusserendit célèbre, écrivait : « Dans notre égalité, nous chérissons nosfrères ». En cette nuit où l'orage secouait notre camp, dans ce fracasdu tonnerre et l'éblouissement des éclairs, j'ai fraternisé avec OttoKrüg, le Saxon, ….Kolossal ! Je ne montrerai point ce carnet à Eisa. 4 Décembre. — Mon cher Otto refuse de s'enfuir……. Gott mit uns. Le camp des prisonniers est un vrai Paradis. 25 Décembre. — Noël ! Soir de fête où chez nous la bière moussait dansles pots. O Noëls de famille, nuits de ripailles et de chansons, quetout me semble beau dans le recul du temps. Amer, désabusé, je suisseul ! Otto vient d'être changé de camp. Représailles, sans doute. Kantn'a-t-il pas affirmé : « Un animal déraisonnable ne pratique aucunevertu ». Que devais-je donc attendre des Français qui ne soit unemesquinerie. 26 Décembre. — Je voudrais être triste, mais j'ai trop bien mangé. Demon Eisa, chère femme au cœur intelligent, j'ai reçu un kolossal pâté.Dans son imagination, que son amour pour moi rend féconde, la chériepour confectionner son pâté a sacrifié Fritz, mon chien favori. Lebrave animal vieillissait. Jadis, me tirant d'une rivière aux sablesenlisants, il m'a sauvé la vie. Il m'aimait et devenait fou de joie àma vue. L'âge l'eût peut-être rendu aveugle. Sa chair était blanche etgrasse et de haute saveur. Le plaisir de la bouche est grand et moncœur se dilate en même temps que mon ventre. Fritz vraiment était unbon chien. 9 Janvier 1917. — Un souvenir me harcèle. Comme ils se hâtaient lesnôtres pour crier Kamerad aux diables bleus, il y a presque un an !Comme ils se hâtaient, les bras levés, m'entraînant, me portantpresque, au devant de ces Franzosen pour se rendre ! 8 Avril. — Dix mois de captivité, Les visions héroïques s'effacent demes yeux. La gloire ? L'honneur ? Mirages trompeurs, prétextes à cecrime odieux qui est la guerre, moisson faite du sang du peuple querécoltent les grands. La Croix de fer ? Hochet de vanité où les dentsqui eussent voulu mordre se brisent ! La Croix de fer, ô mein Gott,pourquoi ai-je vu tant de croix de bois ! 11 Mai. — Nos gardiens nous disent railleurs : L'Amérique va marchercontre vous. Hermann Fürst ricane : Bon casse-croûte pour les requins.L'angoisse m'étreint. Chaque jour, un nouvel ennemi. « ArmesDeutschland » quelle force il te faut pour les vaincre tous ! 1er Juillet. — Les Franzosen sont en joie. Les Yankees débarquent enFrance. Que font donc nos sous-marins. Après nos déceptions avecles zeppelins, c'en est trop. Notre Kaiser n'eut-il pas tort de vouloirrégénérer le monde ? 12 Juillet. — Une triste nouvelle que m'envoie Eisa. Mon frère Hans esttué. Il est mort en brave…… en brave, ya, pour le roi de Prusse. 14 Juillet. — Leur fête nationale. Le triomphe de la République. Lepeuple de Russie aussi crie : Vive la République. LesFrançais de 1793 étaient-ils donc vraiment des précurseurs ? En leurstombeaux ces gueux doivent tressaillir…. Pour moi, la guerre estfinie. Un seul problème à résoudre : celui de l'après-guerre. Quede misères en cet avenir sombre. Des hommes qui passent chantent : Les Républicains sont des hommes Les esclaves sont des enfants Serait-ce un rêve d'enfant que tous nous aurions fait ? N'est-ce pastrop de sang versé ? Et nos hobereaux déments et notre Kaiser tropfaible n'en sont-ils point assez gorgés ? Le souffle de la Liberté quis'élève en tempête des quatre coins du monde ne va-t-il point leurfaire courber le front ? Périssent les auteurs de cette guerre si lerésultat ne doit être que d'asservir des peuples. Bénie soit la Paixqui marquera l'heure féconde de la fraternité. Ubi bene, ibi patria..., là où je vis heureux, là est ma patrie. Un peuple qui veut dominer est voué à l'exécration, à la haine, à la ruine. « Deutschland über alles"... vaine utopie qu'il nous fautremplacer par la devise universelle : Kamerade, tous Kamerad, tous. Doktor Ghiessel, de l'Université de Berlin. P.C.C. CHARLES HANIER | ||