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LEPIC,Vicomte Ludovic Napoléon (1839-1890) : LesArmes et les outils préhistoriques reconstitués: texte et gravures.- Paris : C. Reinwald et Cie,1872.- 58 p.– [24] f. de pl. ; 35 cm.

Saisie du texte etrelecture : O. Bogros pour lacollectionélectronique de la MédiathèqueAndréMalraux de Lisieux (04.XII.2004)
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Texteétabli sur l'exemplaire de laMédiathèque (Bm Lx : 127)
 
LES ARMES
ET
LES OUTILS PRÉHISTORIQUES
RECONSTITUÉS

TEXTES ET GRAVURES

par
LeVicomte Lepic

Vers l'image agrandie (306 ko)

Dédiéà Monsieur de Saulcy
Membre del’Institut

Par son toutdévoué élève,
Le Vicomte Lepic
1870.


RECONSTITUTIONDES ARMES ET OUTILS PRÉHISTORIQUES.

Lorsquel’on parcourt lessalles du musée de Saint-Germainet que l'on voit alignés dans les vitrines cetteénorme quantité de haches en pierres, cesmarteaux, ces pointes de lances, ces flèches, cespercuteurs, on se demande comment tout cela pouvait s'utiliser, età quoi pouvaient être bons de semblables outils oude pareilles armes. Cette question, faite par le visiteur,n’ayant pasencore reçu de réponse, un grand nombre decurieux quittent les salles en haussant les épaules et en semoquant de cette collection de cailloux. Le public est comme lesenfants ; il ne faut jamais lui dire : « Je ne sais pas ;» mieux vaut lui dire une chose fausse ou incertaine, surtoutquand son intérêt ou sa curiosités'attachent à une science aussi neuve que la science dupréhistorique. On a donc essayé, àl'aide des trop rares documents encore subsistants, de refaire tout oupartie de ces outils ; les gens fort compétents qui onttenté des essais jusqu'à ce jour n'ont obtenu quedes demi-résultats, parce qu'ils avaient plutôtrecours à une théorie savante qu'à unepratique irréfléchie, mais plus certaine.

Ayant été souvent à même demanier, grâce à la parfaite obligeance de MM.Bertrand et Morillet, conservateurs au musée, les nombreusespièces de la collection et de pouvoir les observer deprès, j'ai été moi aussi, pris dudésir d'essayer une reconstitution possible et pratique,sinon probable,  de ces outils primitifs, et c’estlerésultat de mes travaux que je viens aujourd’huifaireconnaître et placer sous les yeux du public qu'ilsintéressent, heureux si j'ai pu trancher unedifficulté utile à la science ; et si mes travauxpèchent sur certains points, ce qui est probable,j’espère que la discussion à laquelleilsdonneront lieu pourra faire avancer cette question.

Voici comment j’ai procédé durant toutle coursde mes recherches : quand j'avais ébauché unehache, je la portais à un bûcheron, qui lacritiquait au point de vue pratique ; rentré chez moi, jemodifiais ou complétais mon oeuvre, puis, une foisterminée elle était reportéeà l'ouvrier, qui s'en servait devant moi. Si elle ne sebrisait pas, si elle remplissait bien le but, auquel je la croyaisdestinée, je la tenais comme bonne, et je passaisà une autre ; de la sorte, en portant au charpentier leshaches de bronze, au jardinier les outils aratoires, lescognées au bûcheron, j’ai pu bienm'assurer que sije n'avais pas retrouvé des choses sur lesquelles iln’existe souvent aucune donnée, j’avaisau moinscréé des objets parfaitement pratiques, et quenos manoeuvres pourraient encore employer utilement, si par impossiblele fer ou l’acier venaient à disparaître.

J’ai tenu à faire mes reconstitutions sans meservir enriend'outils modernes : un vieux ciseaux en silex du Danemark, des couteauxde la Dordogne et du Grand Pressigny, tels furent mes auxiliaires. Monapprentissage fut long ; dans le principe, je coupais plus facilementmes doigts que le bois ; mais la pratique me vint avec de la patience,et je me mis alors sérieusement àl’oeuvre.

Le choix de mes bois m’arrêta longtemps ; je dusproscriretous les bois blancs et tous les arbres à fruits ; lechêne, l'orme et le frêne seuls medonnèrent de bons résultats. Il se peut que biend'autres soient également favorables ; mais, ne les ayantpas expérimentés, je n’en parle pas ;si pourtantje devais avoir une préférence, c'est lefrêne que je choisirais, parce qu'en séchant ilest moins enclin à se fendre.

La première question à se faire étaitcelle-ci : les hommes primitifs employèrent-ils des boisverts ou des bois secs ? A cela je crois pouvoir répondrequ'ils employaient certainement du bois sec, et qu'ils en mettaient enréserve chez eux, soit dans leurs grottes, soit dans leurshuttes, plusieurs années d'avance. N’ayant pu meprocurerdubois convenable remplissant les conditions voulues pour le montage,j'ai dû travailler avec du bois frais : le retrait, lesfentes, l'humidité de la sève, m'ontcréé souvent des difficultés qui ontmis ma patience à une rude épreuve ; mais jesuis pourtant parvenu à mes fins, et ce que j'ai pu faireavec du bois vert, on peut le faire, à plus forte raison,avec du bois sec.

Une fois mes bois trouvés et mes outilsemmanchés, je n'avais encore qu'un instrument incomplet, quise brisait facilement, ou dont le manche se fendillait en huit ou dixjours, quand bien même il était de bonnequalité ; l'outil était donc impossible avec lebois seul : que manquait-il ? Une arme de laNouvelle-Zélande me montra dans quelle voie je devais entrerpour vaincre cette difficulté : il me fallait des nerfsd'animaux pouvant tout à la fois consolider lapièce après l’avoir ajustéeau manche,et presser sur le bois pour l'empêcher de se fendre, ou toutau moins empêcher cet incident si fréquent depréjudicier à la solidité de l'arme oude l'outil.

Les nerfs d'animaux étant difficiles à seprocurer, je me suis rejeté sur la corde faite en boyau dechat, dont se servent les tourneurs pour leur tour, et sur le nerf deboeuf ; les résultats que j'ai obtenus ainsi m'ontpleinementsatisfait, et toutes mes pièces ontété garnies de la sorte, sauf les haches debronze, que j'ai monté avec de la corde graisséeet cirée, ce qui est aussi bon. Si je n'aiemployé que rarement, ce dernierprocédé, c'est que le chanvre est venu tard enEurope, et que, pour rester dans les données vraies, je nepouvais faire cet essai d’attache que sur un outilrelativementmoderne. J'ai donc employé la corde de chanvre pour lebronze et la pierre polie, bien qu'on ne soit pas certain que cetteplante fût alors connue dans les pays d'Europe qui nousfournissent des armes préhistoriques.

On s'est souvent demandé comment les sauvages pouvaienttendre autour de leurs armes ces lianes, ces cordes qui les serrent etleur donnent une solidité nouvelle ; employaient-ils leursmains seules pour arriver à ce résultat, ou bienavaient-ils un procédé à eux ? Je puisencore répondre à cette question, car c'est avecmes mains que j'ai tendu les boyaux ou nerfs qui entourent mes outils,et ils ne le cèdent en rien, comme tension, aux oeuvres dessauvages de l'Afrique, ou de l’Océanie. Leprocédé, pour cela, est bien simple : il suffitde laisser quelques jours dans l’eau le lien dont on veut seservir ;il se gonfle, se détend, et quand il est ainsi amolli, on leserre autant que possible autour de la partie de l’arme qu'onveutconsolider ; lorsque l'évaporation a lieu, le nerf ou leboyau se retire en pressant uniformément sur le bois ; etquand il est sec, il acquiert une rigidité extraordinaire.Je dirai la même chose pour les cordes ; seulement il faut,après les avoir mouillées, avoir bien soin, avantde s’en servir, de les graisser et de les cirer ; sans quoiil yatoujours dans le chanvre quelques fils qui se relâchent,d'autres qui se cassent, et la pression qu’on attend estmanquée.

Maintenant que j'ai parlé des objets indispensables aumontage d’une arme ou d'un outil, à savoir dumanche etdescordes ou boyaux, je passe à quelquesconsidérations sur les outils que j'ai eus à madisposition pour mon travail. J'avouerai d’abord qu'ilsn’étaient pas brillants. Un ciseau en silex,pièce de rebut du musée, et quelques couteauxégalement de rebut, plus un marteau fait avec une racine dechêne. Pour utiliser le ciseau, je l'ai introduit pour lesdeux tiers dans une gaine de bois, destinée àrecevoir les coups du percuteur ; sans quoi il eûtcassé. Malgré cette précaution, j'aidit l'employer avec les plus grands ménagements.

J’ai constaté alors qu'un ciseau en silex coupeles bois,même les plus secs et les plus durs, et peut en enlever delarges copeaux à une profondeur assez grande ; le bois demon établi, fait d'un vieux chêne, et qui avaitquatre-vingts ans au moins de sécheresse, 30centimètres d'épaisseur, ne résistaitpas mieux que les écorces des arbres. Ce ciseau entameégalement la corne de cerf, et c’est avec un outilpareil,sans aucun doute, que l’homme primitif a percé lestrouscarrés sur les andouillers qu’il utilisait pourmonter seshaches. L’entaille n'est pas nette ; quelle que soit laperfection del'outil, elle est comme arrachée et toujoursirrégulière ; pourtant le résultatobtenu est bon, et j’ai vu un menuisier intelligent, au boutdequelques jours d'essais, se servir du mien, absolument comme s'ilétait en acier.

Quant aux couteaux, j’ai dû, pour les utiliser avecfruit,faire une étude fort ennuyeuse. Mon premier soin aété de les monter ; mon résultat alorsétait des plus défectueux : ou lapièce se brisait ou le manche se détachait ;bref  j'ai fini par supprimer tout montage, et je les aiemployés simplement en les tenant à la main ;alors, j'ai réussi. Peut-êtrel’emmanchementest-il indispensable pour ces silex en demi-cercle, comme on en trouvedans le Danemark ; mais je n’en ai pas eu à madisposition,je ne puis donc rien en dire.

M. de Mortillet m’ayant rappeléqu’àl’expositionde 1867 un anglais avait exposé un couteau en silex garni demousse fraîche pour être manié sansdanger; j’en ai refait l'expérience. Je doisavouer quel'outil est très-facile à manier alors, et queles doigts sont protégés quand le tranchant estfrais ; maintenant, je n'ose pas dire que l’on s'en servaitainsi; nulne le sait, pas plus moi qu’un autre, et jerépéterai ce que je dis sans cesse dans ce livre: « C'est possible, sinon probable. »

Comment doit-on se servir du couteau ?  Doit-on tailler,doit-on scier ? Voici ce que l’usage m’a appris.

Quand on vient de détacher une lame d’unnucléus,cette lame a un fil d’un coupant extraordinaire, tel que nosmeilleursrasoirs. On doit alors prendre les plus grandes précautionspour manier l’outil, sans quoi on se couperaitjusqu’à l’os,et l’on pourrait s’estropier ; mais au bout dequelquesinstants, cetranchant disparaît ; le fil est interrompu par de nombreuxpetits éclats, et le couteau ne coupe plus, ildéchire ; son vrai usage est alors celui d’unescie ; ilfaut frotter diagonalement, croisant les lignes, et de la sorte onenlève le bois par petits triangles. Ce travail est long,demande beaucoup de patience, sans compter que le couteaus’usefacilement et qu’il faut en changer toutes les dix minutes ;c’est cequi explique la prodigieuse quantité de lames,d’éclats et de nucléusretrouvés dansles gisements. Le couteau s’échauffe vite ; il nepeutplusservir alors, et on ne peut travailler si l’on n’ena pasune vingtainedevant soi, qu’on prend et rejette au fur et àmesure. Ensomme mes observations peuvent se formuler ainsi :

1° Toute scie n’est pas un couteau, et tout couteauest unescie.
2° C’est par exception seulement que le couteau coupeetenlève les copeaux ; son usage le plusgénéral doit être analogue àcelui de la lime, à moins qu’un gisement voisin nepermetteà l’ouvrier de faire à chaque instantdes lamesnouvelles.

Une dernière question qui se posed’elle-même dansle travail des reconstitutions d'armes et outilspréhistoriques, est celle-ci : L'emmanchementétait-il uniforme, soit par époque, soit par type? A cela je crois pouvoir répondre : non, avec certitude.

Que les sauvages, qui possèdent d’autres genres deboisqueles nôtres poussant souvent dans des formes invariables etrégulières, puissent trouver dans les branches detel ou tel arbre un emmanchement commode et toujours toutprêt pour tel ou tel outil, j'en suis persuadé.Mais pour nous, avec les arbres de nos forêts et de notrezone, c'est presque impossible ; c'est très-rarement, et parexception seulement, que j'ai pu employer les branches ; presque tousmes spécimens sont faits avec le tronc et le noeudd’où partent les racines ; ce tronc et ce noeudont desformes variables dont il faut profiter utilement, etl’armaturede lapièce que l’on veut monter doit changer suivantlesaccidents qu’on rencontre dans le bois : je crois doncàuntype général pour le Saint-Acheul, le Danemark,Abbeville ou tel autre centre de fabrication, mais avec des variationsaccidentelles infinies. Dans mes essais, j’ai dûtantôt consolider une hache avec des tendons, avec deschevilles même, tandis que d’autress’enfonçaientdans le manche pour s’y fixer d’unemanièreindestructible.Du reste, si je peux aller chercher une preuve dans les raresspécimens subsistants encore, on verra que parmi les hachesretrouvées, soit dans les lacustres, soit dans les dolmens,il n’en est pas une seule pouvant êtrecomparéeexactement à une autre. Dans quelle condition faut-ilemployer le bois pour obtenir de bons résultats pratiques ?Il y en a deux sortes : ou le bois de brin, qui est le tronc ou labranche même, dégrossijusqu’àl’épaisseur voulue, et dont on respecte le coeur,ou leboisfendu en deux ou en quatre, dont on utilise les diverses parties en letaillant et l’arrondissant, et qu’on appelle boisde bout.De ces deuxmanières, la première est la seule bonne ;c’estdonc le bois de brin dont il faut se servir, sanss’inquiéter des fentes qui s’y forment,malgréqu’on l’emploie sec ou vert, ce qui ne compromet enrien sasolidité et sa dureté. Du reste, tous les outilsdes bûcherons sont ainsi faits, et leur force derésistance est énorme, sans être enrien compromise par de nombreuses fentes ou sillons, quipénètrent souvent jusqu’au coeurmêmedes manches. Comme les haches préhistoriques servaient sansaucun doute presque exclusivement à abattre les arbres oufendre les troncs renversés, j'ai pensé,justement je crois, que l'on pouvait s'en rapporter àl'expérience des bûcherons.

Telles sont les observations générales que j'aipu faire, et que je relate ici comme renseignement scientifique etcomme aide pour les personnes qui voudraient essayer aprèsmoi et mieux faire, ce qui me rendra très-heureux : ce mesera une preuve que la question que j'ai soulevée peut avoirune sérieuse et réelle utilité.
 
J'ajouterai encore que toutes les armes que je vais décrireont été données par moi aumusée de Saint-Germain, après avoirété essayées de toutesfaçons, soit sur des bois secs, soit sur des arbres surpied, et qu'elles sont à l'épreuve.J’avertiraiencore ceux qui voudront faire d'autres essais que moi que le maniementde ces outils est très-spécial, etqu’il fautagir avec précaution ; sans quoi la pierre se casse, en deux; on doit frapper toujours de biais, de haut en bas autant quepossible, légèrement avec les petites haches etsans roideur avec les grandes ; si l’on agissait avec ellescommeaveccelles en fer, on briserait, je le répète, lapierre en deux morceaux.

PLANCHE I.: HACHES D'ABBEVILLE.
PLANCHEII. : HACHES D'ABBEVILLE.
PLANCHEIII. : HACHESFIGURÉESDANS LES DOLMENS.
PLANCHEIV. : HACHES DE BRONZE.
PLANCHEV. : OUTILS TROUV
ÉSDANSLES PALAFITTES.
PLANCHE VI.:  OUTILSTROUVÉSDANSLES PALAFITTES.
PLANCHE VII.: HACHE DUDANEMARK.
PLANCHE VIII.: HACHENORMANDE.
PLANCHE IX.:HACHE DU DANEMARK.
PLANCHE X.: MARTEAUX ET OUTILSDES TOURBIÈRES.
PLANCHE XI.: FLÈCHES.
PLANCHE XII.: HARPONS.
PLANCHE XIII. : OUTILSET OSPROVENANT DES TOURBIÈRES.
PLANCHE XIV.: HACHES ETPOIGNARDS DU DANEMARK.
PLANCHE XV.: HACHESDES PALAFITTES, MARTEAUX.
PLANCHE XVI.: OUTILSDIVERS.
PLANCHE XVII.: HACHESDE PIERRES.
PLANCHE XVIII.: HACHESDIVERSES.
PLANCHE XIX.: HACHESET ARMES DIVERSES.
PLANCHE XX.: HACHES ETPOIGNARDS.
PLANCHE XXI.: HACHESDE BRONZE.
PLANCHE XXII.
PLANCHE XXIII.

Toutles modèles d'armes et d'outils que j'ai décritset gravés dans ce livre ont étélonguement expérimentés par moi ; chacun d'euxest resté pendant deux mois entre les mains d'ouvriers quiles ont mis à de rudes épreuves, et je les aidéposés au musée de Saint-Germain,juste dans l'état où il m'ontété rendus, sans rien y vouloir changer. Onpourra donc voir par leur détériorationmême quels efforts mes haches ont supportés, etcela victorieusement, je dois le dire. Un certain nombre d'entre ellesont été fendues, mais sans que leursolidité ait été en rien compromise,ces fentes étant le produit du retrait des bois verts quej'avais employés, sur le conseil même desouvriers. La solidité de mes haches, je lerépète, n'a donc pas étécompromise ; au contraire, les pièce les plus fendues sontcelles où le resserrement a été leplus fort, et le silex est presque impossible à arracher. Onremarquera encore que certaines de ces haches ont leurs manches garnisde cordes ou de boyaux ; c'était une habitude chez lespeuples de l'ancienne Égypte et de nos jours encore dans lesîles de l'Océanie, de garnir ainsi quelques armes,ou certains outils ; mais pour les miennes ce n'est ni ledésir d'imiter ces peuples, ni une vaine ornementation, quim'ont engagé à ce surcroît de liens.

La nature seule de mes bois m'a forcé d'agir ainsi. Quand,après quelques semaines d'essais, je voyais que l'armesouffrait d'un côté ou d'un autre, que la force ducoup porté tendait à faire échapper lemanche malgré l'effort de la pression des doigts, j'avaisalors recours à une garniture soit de corde soit de boyau,et je m'en suis bien trouvé ; une hache qui semblait devoirse détériorer assez vite, pouvait alorsrésister aux coups des plus violents. Je ne crois pas quel'on puisse donner une règle fixe pour établir cegenre de lien : l'usage, le besoin, la commodité, doiventseuls indiquer à l'ouvrier comment il doit enrouler sescordes.

Ainsi la figure A de la planche 17 que j'ai gravée sanscordes ni tendons, et dont je me servais en cet état, unefois entre les mains d'un bûcheron a dûêtre, pour la commodité journalière del'ouvrier, garnie dans toute la longueur de son manche par une corde ;de plus, l'homme qui s'en servait étanttrès-robuste et frappant le bois avec sa hache àcoups secs et violents, j'ai dû par précautionentourer le noeud et décrire un 8 autour de mon silex, avecune corde bien cirée, de crainte d'accident ; cesprécautions une fois prises, j'ai obtenu une arme bienconditionnée.

L'observation précédente se rapporte àtoutes les haches qui auront étéconsolidées par des liens supplémentaires, venantaugmenter la force de ceux qui existent sur la gravure ; du reste,cette addition ne change rien à la forme ni à ladisposition de l'emmanchement du silex, et, je lerépète, doit forcément varier suivantles bois, la grosseur du silex, le travail à faire, et letempérament de l'ouvrier. Quand à la question desmanches garnis ou non, il n'y a pas de règles : c'est encorela commodité ou le caprice de celui qui doit manier l'outilqui décidera de la chose.

DES ARCS.

Il est une arme dont on n'a jamais rien retrouvé : c'est l'arc,et cependant son usage devait être très-répandu,à en juger par la prodigieuse quantité de flèchesque l'on retrouve partout. Ce qui doit nous consoler, c'est que saforme a peu varié, pour ne pas dire point, et qu'on peutretrouver les modèles probables de nos ancêtres, parmi lesnombreux spécimens de nos collections ethnographiques. J'aidonné au musée de Saint-Germain une dizaine demodèles en bois différents, qui complèteront pourle public la série des armes préhistoriques, sans compterceux qui s'y trouvent provenant d'achats ou d'autres donations. Nousignorons encore si la corde de l'arc était en corde, boyau ouliane ; c'est trois modèles existent chez les peuples sauvages,et je recommande surtout aux visiteurs un arc de laNouvelle-Guinée, dont la corde est faite par une lianearrêtée de la façon la plus ingénieuse, etqui donne une haute idée de l'esprit inventif de l'homme mis auxprises avec la nécessité et les besoins journaliers.

PLANCHE XXIV.
INSTRUMENTS ARATOIRES.


Une chose à constater, c'est le  petit nombre d'instrumentsaratoires parvenus jusqu'à nous. Sauf deux ou troismodèles retrouvés dans les palafittes, on estréduit à des conjectures ; j'ai fait ceux qui meparaissaient probables, par leur simplicité même, maisj'avoue que la bêche, la fourche, le râteau, m'ontarrêté ; quant à la charrue, sans doute faite touten bois dans le principe, plus tard munie de bronze puis de fer, onn'en sait absolument rien. Quelques débris, retrouvés auhasard, et d'un usage inconnu, ont été classéscomme socs de charrue, mais sans preuves certaines. La herse faite avecdes silex ou des andouillers de cerf était également unoutil probable ; mais, les deux essais que j'ai faits n'ayant pasréussi, j'ai abandonné mes recherches de cecôté. Peut-être chez les Kabyles, et dans l'Inde,pourrait-on retrouver quelques souvenirs de ces instruments primitifs,en examinant ceux qu'on emploie encore de nos jours ; de même enconsultant les sculptures ou gravures égyptiennes, mais encoredans ce cas le modèle est bien loin de nos contrées pourqu'on ose dire que tels on les retrouve, tels ces instrumentsétaient chez nous à l'origine des temps.

Je ne parle ni des vases ni des filets, tissus, etc., retrouvésdans les palafittes. Ces objets mêmes se voient àSaint-Germain, et s'expliquent à la vue bien mieux que ne lesaurait faire une description ; on y voit également des moulinsà moudre le blé gallo-romains, et en tout sembablesà un moulin kabyle, qui est exposé près d'eux,avec tous ses accessoires, voire même du bléécrasé par lui, et débordant entre les pierres. Dechaises et de tables, il n'en est pas question à cetteépoque ; les huttes étaient basses, le foyer au milieu del'unique pièce où l'on habitait, et la fumées'échappant par un trou de la toiture faite en branches ou enroseaux ; cet disposition forçait les habitants à setenir couchés pour éviter l'asphyxie, parconséquent pas de sièges. On a pourtant retrouvédans les palafittes des bois, portant les traces de trois trous servantsans doute à introduire des supports ; mais servaient-ils desièges ou de tables pour les gens accroupis ? On a trouvéégalement des troncs d'arbres creusés, en forme d'auge ;à quoi servaient-ils ? eux aussi étaient supportéspar quatre pieds.

Les lits étaient, dans les palafittes, appliqués le longdu mur, et formés de trois planches, formant une sorte deboîte garnie d'herbes sans doute, et sur lesquelles ons'étendait ; la tête reposait sur un de ces croissants,qui furent pris d'abord pour des emblêmes religieux, et oùl'on devait dormir au moins aussi bien que le soldat en campagne, latête sur son sac ; les cheveux nattés se rejetaient enarrière, et n'étaient pas salis par l'herbe et lapoussière.

PLANCHE XXV.
BATEAUX.

Le premier usage que j'ai fait de mes haches, a été derefaire des bateaux, d'après les modèles que l'onretrouvés. J'en ai fait cinq qui sont également àSaint-Germain. Ils mesurent à peu près 1 m,20 de long. Laforme la plus simple, dite forme d'auge, retrouvée en France, enSuisse et en Irlande, a été faite par moi, dans un troncd'arbre, creusé au feu, et gratté au silex. Peucompliquée à construire, cette pirogue se tient bien surl'eau ; mais on devait s'y tenir accroupi, et sans trop bouger, carelle tourne très-facilement. J'ai reproduit ensuite la piroguede Robenhausen, celle de Saint-Jean-des-Près, prèsd'Abbeville, celle retrouvée dans le marais de Calioue, sur lacôte de Wexford, celle d'Italie, munie de deux poignéesà chaque extrémité, pour pouvoir êtrefacilement transportée, et une dernière d'aprèsles modèles de la Scandinavie.

La rame servait sans doute à manoeuvrer ces frêles etdangereux esquifs ; on a bien retrouvé des indices demâtures, mais comment étaient-elles établies ? lavoile était-elle en natte ou en toile ? autant de questionsencore irrésolues pour nous.


Enfin, pour la poterie, si j'avais eu des cornes de cerf assez fortes,j'aurais essayé d'y creuser un vase comme ceux qu'on aretrouvés, faits de cette matière : je n'ai pas pu. Quantà ceux faits en bois, ils devaient avoir une formed'écuelle, ou garder les contours du bois dans lequel on lescreusait. Ce genre de vase dut précéder de beaucoup lespots en terre, mais on conçoit que le temps aitempêché qu'un seul arrivât jusqu'à nous.