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SELECTIONSMENSUELLES :janvier 2009 - ...... (archives : juin 1996 - décembre 2008).
CONNEXIONSINTERNET ETINTERTEXTUELLES (11.VII.00) [En pause depuis le 31.12.2010] : Vous pouvez voir et examinertousles contextes d'un mot, d'un nom delieu ou de personne, dans l'ensemble des textes en interrogeant lesbasesLexoTor (textes lexoviens indexés à Toronto).Pour vousdonner une idée de l'intérêt de LexoTor, vouspouvez regarder aussi deuxmodèles de pistes indicatives d'explorations individuelles : lemotlettresdans les Archives des Sélections mensuelles; accusateurpublic et maîtressedans Le Réquisitionnaire de Balzac.

(05-06.19)  La Mort du furet(1941) par Lucie Delarue-Mardrus ( 1874-1945) : "C’ÉTAITau temps où nous étions six petites filles dont l'aînée n'avait pasdouze ans. L'ouverture imminente de la chasse remplissait d'agitationle vieux manoir normand, enfoncé dans ses bois balsamiques. Vous voyez,grande et sombre, avec son odeur ancienne, la salle à manger de cheznous, encombrée d'attributs passionnants. Ce sont des carnassières etdes filets pendus de-ci, de-là, des tire-cartouches, des guêtres, desgourdes, des fusils débordant de la vaste table du milieu. II y a desboîtes entr'ouvertes d'où s'échappent des cartouches de différentescouleurs, amusants et dangereux jouets qui tentent, mais dont on a trèspeur ; il y a des laisses neuves pour accoupler les chiens courants, uncollier de force pour la jeune griffonne qui va débuter cette année...Mais ce qu'on regarde surtout, le cœur battant, ce sont lescarnassières. Les deux sœurs aînées sont fières de les toucher avec desmains savantes. Aux jours qu'on les emmenait à la chasse, ellespartaient à l'heure où le soleil va se lever au-dessus des champstrempés et blafards..."

(03-04.19) Le Roulier (1841) par Charles Durand (18..-18..) : "VERSminuit, quand tout le monde se livre enfin au repos dans l’auberge dela commune de ***, et que la lune semble blanchir encore les longuesmurailles blanches qui bordent la route, on entend de loin comme unbruit vague et sourd ; le bruit s’accroît et devient distinct ; lemurmure des larges roues de la charrette qui tournent lentement enbroyant quelques cailloux se mêle au tintement aigu des sonnettes del’attelage ; puis un sifflet commence un air que la servante Madeleinea entendu siffler vingt fois : Portrait charmant… et un grand coup defouet interrompt la mélodie… portrait de mon amie…et un épouvantable juron menace les bêtes pour les engager à donner undernier coup de collier. C’est bien Gaspard ! Il s’arrête devant laporte ; Madeleine s’avance, reçoit un baiser du roulier, lui appliqueun grand coup de poing entre les deux épaules, et va préparer sonsouper..."

(01-02.19) : Morte la bête... (1921) de Henri Duvernois (1875-1937) :  " Asix heures, Marcel Ourdinneau griffonna sa dernière signature. — Il y aencore... murmura l'employé qui se tenait devant lui. — Je m'en fiche !Je n'ai pas l'intention de crever à la peine. Vous prenez deux heurespour déjeuner et vous êtes forcé, le soir, de rattraper le temps perdu! Idiotement perdu ! Mauvais système, mon ami ! Un système decélibataire. Débrouillez-vous. Moi, ma femme m'attend. Je file. Et autrot ! Il repoussa les paperasses. Le petit bureau où arrivait l'odeurdes draperies et des cotonnades sentait le magasin de nouveautés etl'étude de notaire, un mélange de flanelle mouillée, d'encre moisie, decigare froid et de Chypre. La grande table était couverte de dossiers,de factures, de lettres et d'échantillons d'étoffes ; dans un cadred'argent, une tête blonde de jeune femme souriait, avec des yeuxtristes. Sur des casiers aux cartons verts défoncés s'alignaient desboites de bonbons destinées aux acheteuses importantes. Un jourpoussiéreux tombait des hautes fenêtres aux vitres sales, sansrideaux..."

(11-12.18) : Le Parisien en province (1841) par Moléri (1802-1877) :  " ONa souvent tourné en ridicule le provincial qui vient à Paris ; on s'estplu à le faire le héros des histoires les plus facétieuses, et pourtracer son portrait, on a fait choix des masques les plus grotesques.Je crois que si le provincial tenait à ne pas être en reste de bonsprocédés, il lui serait facile de prendre une belle revanche. LeParisien en province n'offre pas une figure moins originale et moinsamusante que celle du provincial à Paris ; et s'il a été permisd'assaillir outre mesure celui-ci des traits de la satire et de lamoquerie, je ne sache pas qu'il existe, en faveur de celui-là, aucunprivilège qui le mette à l'abri de justes représailles. Mais laraillerie, dira-t-on, a prétendu seulement atteindre, parmi lesprovinciaux, ceux qu'elle pouvait à bon droit considérer comme faisantpartie de son domaine ; elle a constamment respecté les hommes qui,apportant à Paris leur tribut d’esprit et de science, ont fait de cettecapitale le centre des arts et des lettres, et lui ont donné lasuprématie sur les villes les plus éclairées de l'Europe. A la bonneheure ; je ne prétends pas non plus que tout Parisien, quel qu'il soit,passant en province, doive y fournir le sujet d'une caricature. Je mebornerai à exercer mon crayon sur les physionomies qui me paraissentquelque peu prêter à la charge, et celles-ci, je les résumerai toutesdans la figure d'un original de ma connaissance, Anacharsis Bobinard..."

(09-10.18) : Les Amis de Collège (1841) par Francis Guichardet :  " LEdroguiste le plus accompli, le marchand de briquets phosphoriques, lefabricant de veilleuses, et le garçon de bureau, vous diront, pour peuque la nature et leurs femmes les aient gratifiés d’un héritier : «Nous mettrons notre fils au collège ! Outre les avantages qu’il pourraen retirer, il y fera de belles connaissances, et les amitiés decollège sont les amitiés les plus solides. » Assurément, les gens quiont donné cours à ce lieu commun n’ont jamais touché les bancs del’école, et, s’ils ont tiré par hasard quelque bénéfice del’instruction, ce n’est certes pas celui des liaisons qu’ils y ontcontractées. En effet, sauf quelques heureuses exceptions, ces amitiéspassagères, formées par l’habitude de se voir et la nécessité de vivresous les mêmes règlements et la même discipline, ces liaisons,inspirées par le caprice et une certaine conformité de goûts enfantins,ne résistent jamais à une séparation de quelques mois..."

(07-08.18) :  Le Maire de village(1841) par Moléri (1802-1877) :  " D'APRÈS une dernièrestatistique, la France n'a pas moins de trente-cinq mille communes :elle possède donc autant de maires, c'est-à-dire trente - cinq millecitoyens, respectables au premier chef, puisqu'ils payent, en général,d'assez gros impôts, mais d'ailleurs, éclairés, impartiaux, exempts defaiblesses humaines, dignes enfin : de votre vénération, qui que voussoyez, le tout en vertu d'une ordonnance royale contre-signée de M. leministre de l'intérieur. C'est un heureux pays que la France ! Il n'estpas possible de rapporter à un type commun tous les membres de cetteintéressante famille, si variable qu'elle se recrute dans toutes lesclasses de la société, si mobile qu'elle dépend toujours du capriced'un homme, et que la loi la soumet à un renouvellement périodique.D'ailleurs, si les positions modifient le caractère, ce n'est jamaisaux dépens des préjugés et des mœurs : le maire d'une ville maritimedifférera toujours de celui d'une ville de l'intérieur ; la populationmanufacturière et la population lettrée ne chercheront ni la mêmemanière de voir, ni les mêmes qualités, chez l'homme chargé dereprésenter leurs intérêts..."

(06.18) : Forme et couleurs (1930) par Lionel Landry (1875-1935) : " Sortant du muséede Cluny, l’œil encore charmé par le chatoiement des faïenceshispano-mauresques, Pierre Ghislain tournait à droite dans la rue desÉcoles, quand son regard s’accrocha à une tache de bronze ardent –juste l’effet lumineux auquel il songeait depuis quelque temps –couronne étroite de cheveux dépassant le feutre serré d’une jeune femme– celle-ci, grande, bien faite, avec la démarche un peu raide qu’ontsouvent les femmes bien faites et n’étant autre – il s’en aperçut endernier lieu – que sa cousine Lucienne Bernet. Cousine germaine, et que pourtant il ne voyait qu’à de longsintervalles – leurs mères s’étaient mariées dans des milieux différents– retrouvant chaque fois, d’emblée, le sentiment d’intimité confiantequ’avaient développé, lorsqu’ils étaient plus jeunes, des voyagesaccomplis ensemble, des étés passés en commun au bord de la mer... "

(04-05.18) : Marcelle aux yeux d’or (1885) d'Anatole France (1844-1924) : " J’AVAIScinq ans et une idée du monde que j’ai dû changer depuis, et c’estdommage, car elle était charmante. Un jour, tandis que j’étais occupé àdessiner des bonshommes, ma mère m’appela sans songer qu’elle medérangeait. Les mères ont de ces étourderies. Cette fois, il s’agissaitde me faire ma toilette. Je n’en sentais pas la nécessité et j’envoyais le désagrément. Je résistais, je faisais des grimaces ; j’étaisinsupportable. Ma mère me dit : - Ta marraine va venir : ce serait jolisi tu n’étais pas habillé ! Ma marraine ! je ne l’avais pas encore vue; je ne la connaissais pas du tout. Je ne savais même pas qu’elleexistât. Mais je savais très bien ce que c’est qu’une marraine ; jel’avais lu dans les contes et vu dans les images ; je savais qu’unemarraine est une fée."

(03.18) Le Dîner de Beethoven (1834) par Jules Janin (1804-1874) et autres Mélanges et Variétés : " EN 1819, j’étais à Vienne. Vienne, quoi qu’on dise, estune ville allemande et française, plus française même qu’allemande ;ville intelligente, et qui donne aux beaux-arts et aux plaisirs tout letemps que Paris donne à la politique. Vienne, vous le savez, est laville musicale par excellence ; on y sent la musique ; l’air est chargéd’accords. Tous les grands musiciens, tous les grands chanteurs, ontpassé par Vienne. De là une espèce de bien-être qu’on éprouve sanssavoir pourquoi. Mais, le jour dont je vous parle, il se faisait ungrand silence dans la ville de M. de Metternich. Ce jour-là j’erraisdans les rues au hasard, attendant l’heure de partir ; je devaisquitter la ville le même soir... "

(01-02.18)  Le Cadeau de la Petite Noël (1885) par Catulle Mendès (1841-1909) et le Conte du chevalier fol qui voulait faire le bonheur d'autrui (1926) par Ernest Pérochon (1885-1942) : " Leroi avait eu déjà bien des enfants de bien des femmes qui constituaientla parure de son palais, mais tous étaient nés sans façon, le pluscommunément du monde, la tête en avant et les mains dans les poches.Tandis que celui-ci, qui serait le premier né d’une princesse bellecomme le jour de gloire, semblait vouloir naître à reculons. - Quelinsolent petit lascar ! s’écriait le roi. - Vous pourrez vous vanter,madame, disait-il à la princesse, de m’avoir donné un fils furieusementoriginal ! Il affectait d’être choqué ; mais, tout au fond de son cœurde père, il y avait beaucoup de contentement et de fierté. Il nepouvait s’empêcher de le laisser voir ni de poser aux matrones desquestions ridicules.- Vous dites qu’il se cramponne ?... Alors, on peutcrier au miracle !... Est-ce bien vrai qu’il agite les bras ?... Avouezque c’est tout de même un peu rigolo !... Qu’est-ce qu’il peut bienfabriquer, ce petit crapaud-là ? ... "

(12.17) De l'influence de la plume de fer en littérature (ca1839) par Jules Janin (1804-1874) : " NOUS étions l’autre soir fort occupés, au coin du feu, à ne rien faire,et, qui plus est, à ne songer à rien. Chacun de nous avait fini sajournée et se reposait des mesquines agitations de ces quatre ou cinqheures de chaque jour, qu’on appelle la vie. A force de ne songer àrien nous en vînmes à traiter sérieusement plusieurs questionssérieuses ; et, si l’un de nous écrivait ses Tusculanes, nul doutequ’il n’eût écrit d’un bout à l’autre toute notre conversation cesoir-là. Tout d’un coup l’un de nous, dont le nom n’a rien defantastique, qui ne s’appelle ni Frantz ni Puzzi (il s’appelle Thomas),saisissant du pouce et de l’index un fragile morceau de métal tailléqui brillait devant l’âtre comme une épingle noire tombée des cheveuxde quelque belle fille italienne..."

(11.17) Amours noires (1885) par Armand Silvestre (1837-1901) :"  QUE pensez-vous de l’amour des négresses, Amiral ? Interpellé par la commandante avec cette brusquerie toute militaire,notre vieil ami Le Kelpudubec en eut un tel saisissement que ses dentsse choquèrent dans sa bouche comme les dominos que mêle la mainimpatiente des joueurs. Mais bientôt remis : - Le plus grand bien, madame, répondit-il avec une solennité quin’était pas sans ironie, et un bien absolument motivé. Premier point :la couleur est loin d’avoir, en amour, la même importance que la forme,ce qui permet aux aveugles eux-mêmes d’en goûter les plastiquesdélices, et j’ai connu des femmes noires dont la ligne était la plusharmonieuse du monde. Les exagérations elles-mêmes que comporte ledessin de leur personne ne sont pas pour déplaire aux gens de goût :car, une fois assises, ce qu’on appelle l’assiette pour les autrespourrait se nommer, chez elles, le plat, voire même : la soupière.Second point : les hommes de bon sens d’ancien temps ne les ont pasméprisées : témoin le roi Salomon, qui reçut fort bien la reine deSaba, malgré qu’elle n’eût pas le teint d’un lys, et le doux Virgilequi écrivit ce vers fameux : Alba ligusta cadunt : vaccinia nigra leguntur..."

(10.17) Ammena (1932) par Henri Duvernois (1875-1937) :" AlexisGégouette trouva son ami Fouche si malheureux, qu’il ne résista pas àl’envie de lui montrer son bonheur. - Viens chez moi, lui dit-il ; tuverras l’appartement d’un collectionneur et une femme délicieuse quiest Mme Gégouette. Tu déjeuneras avec nous. - Je te remercie, soupiraFouche ; j’accepte avec joie, c’est bon de se retrouver. Tu te souviensdu régiment et de nos projets d’avenir ? A moi, rien n’a réussi ; c’estpour cela que tu ne me reconnaissais pas tout à l’heure, quand je t’aiabordé… Je te parle en architecte : comment distinguer dans une maisonratée l’ébauche du plan initial ?... Mais toi ! Toi… Tu m’avais dit quetu te ferais un nom dans le linge de table, et tu t’es fait un nom dansle linge de table ; que tu épouserais une femme délicieuse, et tu l’asépousée. Regarde : je ne ressemble plus au jeune enthousiaste qui étaitclairon de compagnie à la cinquième du deux, il y a vingt ans…"

(09.17) Jeanne (1929) par Henri Duvernois (1875-1937) :" Elleétait sa maîtresse depuis un mois qu’elle l’appelait encore « MonsieurAndré ». Elle disait  « Ah ! monsieur André, je vous aime trop ! »Il souriait, flatté et effrayé à la fois, car il était vaniteux, maisles sentiments excessifs lui faisaient peur. Le 18 mai, jour de lasainte Juliette, il chercha un cadeau à lui offrir. Il choisit, chezune revendeuse, un fichu tout coton, mais bleu de ciel. Il voulait yadjoindre un porte-monnaie en simili-crocodile, avec fermoir enimitation d’émeraude. A la réflexion il y renonça, car deux présents sedétruisent, l’un semblant toujours destiné à racheter la modicité del’autre. Il enveloppa le fichu de cette phrase : « A partir demaintenant, tu pourras m’appeler André et me tutoyer quand nous seronsseuls », et elle faillit s’évanouir de joie...."

(07/08.17) Le Crime d’une nuit (1926) par Emmanuel Bove (1898-1945) :" C’étaitla veille de Noël. Assis sur la banquette usée d’un restaurant, HenriDuchemin attendait que la pluie cessât. Les longs cheveux quichatouillaient ses oreilles ainsi que les poches trouées de sonpantalon lui rappelaient à tout moment sa pauvreté. Las d’êtreimmobile, il s’apprêtait à sortir, lorsqu’il se souvint du couloirobscur de sa maison, de la cour humide, des marches étroites del’escalier, et de sa chambre, sans feu, sous les toits. A tout cela, ilpréféra la tiédeur du restaurant. Quelques habitués lisaient lesjournaux du soir. Un courant d’air balançait la chaînette du manchon àgaz. La bonne, accoudée sur le buffet, souhaitait de partir. Soudainles clients levèrent la tête : un mendiant venait d’entrer...."

(06.17) Deux mois à l’Hôpital Saint-Antoine (1931) par Marie-Louise Epely :" Mes paupières lourdement se soulevèrent : une demi-obscurité violâtredans laquelle trois masses rougeâtres se détachent. Une toux… ungémissement… En face de moi, une silhouette sombre s’agite, étouffantun bâillement. Je distingue mieux : l’alignement méthodique des lits ;au milieu,alternant avec une rangée de grabats, les trois poêles de fonte ;dehors, perçant la nuit sombre, une vague lueur électrique. Une boufféede chaleur brûlante me plaque au visage… un ronflement… descraquements. Je brûle. J’essaie de faire un mouvement ; une pesanteurme paralyse tous les membres. J’ai soif… Je n’ai qu’à tendre le braspour me désaltérer ; la bouteille de bière est là… le verre… ; aveceffort, je me soulève, un souffle glacé, derrière moi, me faitfrissonner : de chaque côté, une fenêtre ouverte, et, presque à mespieds, m’arrivant de face, la brûlante haleine du poêle. La bouteillede bière est glacée… Tant pis ; j’avale avec avidité laboisson gelée. Sur la table de nuit se trouve également un breuvageendormeur : l’infirmière en a versé la moitié du verre hier au soir ;je sais qu’un doigt à peine suffit pour vous donner un sommeil deplomb… pourtant mon verre est presque vide…Combien de temps ai-je dormi ?... "

(05.17) Le Retour à la Terre(1928) par Ernest Pérochon (1885-1942) :" Auteur deplusieurs romans-feuilletons, il portait encore un doigt de moustacheet des pantalons étroits. Il refusait d’acheter une auto. Avec cela,sentimental comme un églantier. Elle devait le quitter : c’était aussisûr qu’une éclipse. Elle le quitta entre quatorze et seize heures,alors qu’il était alléfaire au soleil sa cour parmi les autobus et les tramways. Quand ilrevint, il constata, dès l’antichambre, un désordre aussicomplet que de coutume, mais cependant nouveau. Il ouvrit une porte,appela : - Adèle ! Adèle ! Adèle ! Puis il ouvrit une autre porte etfut dans la cuisine. Il appela : - Sophronisbe ! Mais une seule fois,sans conviction, simplement pour l’acquit de saconscience. Sonore comme un tambour, l’appartement ne répondit pas.Alors il fut tout à fait certain de son malheur. L’infidèle étaitpartie et, avec elle, la petite bonne. Jamais il ne se fût attendu àcela de la part de la bonne ! ..."

(04.17) La fin - enfin ! - des Leçons d'amour dans un parc (1925) par René Boylesve (1867-1926) :" Comme il faut peu de chose pour que le sort d’un homme soit renversé !On dit le monde obstiné dans ses idées ; cela peut bien être, mais, leplus souvent, quelle erreur ! Je vous composerais des volumes avec lesseuls exemples des revirements accomplis en un tournemain par les plusrouillées des girouettes, pour peu qu’un élément, un certain élément,ait été employé à diriger le vent. Quel élément ? Ah ! pardi, c’est toujours le même. On vous le vadémontrer sans tarder. Au cours de nos historiettes concernant Jacquette de Fontcombes, sapoupée Pomme d’Api et la marquise de Chamarande, peut-être n’êtes-vouspas sans avoir gardé mémoire de cette gracieuse maman, nommée Ninon, etdes extrêmes faiblesses de chair auxquelles la trop tendre femme futsujette. Il me semble que voici longtemps que je ne vous ai d’elle soufflé mot..."

(03.17) Un père et sa fille (1928) par Emmanuel Bove (1898-1945):"Jean-AntoineAbout passait pour un homme étrange dans le quartier de la placeVintimille. Son âge était difficile à déterminer. « Moi, je suis sûrqu’il a soixante ans bien sonnés », disaient certains. D’autresvoyaient en lui un homme mûr prématurément vieilli. Bien qu’il fût venuhabiter ce quartier au commencement du siècle, ce n’était que depuiscinq ou six ans que tous le connaissaient de vue. Sa mise négligée, sasaleté, son air hagard avaient attiré l’attention. Mais ce quiintriguait surtout les boutiquiers des rues avoisinantes, c’était qu’ildemeurât dans un immeuble bourgeois, flanqué au deuxième et cinquièmeétage d’un balcon de la longueur de la façade."

(02.17) Petits Pachas en exil (1927) par Elissa Rhaïs (1876-1940) :"Devant un palais solitaire, à quarante kilomètres de Taroudant, àquelques journées de marche du Sénégal, parmi des feuillagesluxuriants, des orangers émaillés de fleurs, des bananiers alourdis derégimes sous la chaleur immuable, une puissante voiture automobilevenait de stopper. Le chauffeur, vêtu à l’européenne, hormis le fezincliné sur le front, les pieds nus dans des babouches de cuir jaune,sauta de son siège et ouvrit la portière avec déférence. Une tête deguerrier apparut, farouche en même temps que gracieuse, le turban devoile fin roulé autour du crâne. De taille moyenne, hardiment campédans une djellaba de drap-satin, le voyageur portait, suspendus à descordelières, contre les flancs, d’une part le livre de prière, del’autre le poignard à gaine d’or, à manche serti d’émeraude et dediamant noir. Bien qu’il eût passé la quarantaine, il avait un visageimberbe, très brun, des yeux vifs qui paraissaient sourire toujours.C’était le pacha de Taroudant..."

(01.17)  L'hommequi voulait être invisible (1923) par Maurice Renard (1875-1936) :" -Naturellement, dit M. Patpington, ce n’est pas à Iping que ces chosessont arrivées ? Hopkins le regarda d’un air effaré. - Eh bien, quoi !reprit l’oncle. Je veux dire : depuis le temps que je viens ici, jesuppose qu’on m’aurait parlé de tout cela, si tout cela s’y était passé! Hopkins restait bouche bée, écarquillant les yeux. M. Patpington sebalançait dans un rocking-chair. C’était un court bonhomme replet, vêtude noir. Il avait des joues roses et rebondies, un frontmerveilleusement développé, et ses cheveux blancs recouvraient endésordre le col de sa redingote. Une grosse petite vieille damehabillée en homme, voilà bien à quoi ressemblait M. Patpington ; et, àvrai dire, quand le docteur Hopkins contemplait son oncle, il éprouvaitparfois la sensation troublante d’avoir devant lui feu sa mère, néePatpington, étrangement ressuscitée et travestie..."

(12.16) Vous qui l'avez connue.... (1934) par Marcel Rouff (1877-1936) : " Le21 février (de l’année 1932), à huit heures, quand il rentra pour lerepas du soir, Arsène Milloche fut accueilli par sa femme avec cet airde mélancolie pincée dont il savait bien qu’elle annonçait l’orageimminent. A l’ordinaire, elle ne posait le polissoir qu’elle promenaiténergiquement et inlassablement sur des ongles parfaitement luisantsque pour éclater. Ces brutales colères à symptômes manucuraux avaientceci de redoutable : elles étaient sans raisons immédiates, du moinsperceptibles. La futile cause directe n’était que le point decristallisation de rancœurs lointaines et longtemps remâchées. En sorteque les amertumes, les accrocs, les malentendus de la vie conjugaledéjà longue d’Arsène et de Florie Milloche, loin de se diluer et des’ensevelir dans le passé, reprenaient à chaque explosion uneconsistance, une forme, des couleurs nouvelles. Ainsi, ce soir-là,parce que Milloche était en retard de quelques minutes au dîner, dansle va-et-vient du polissoir une querelle plus grave, mais déjà vieillede quelques années, s’était réinstallée dans la cervelle de Florie..."

(11.16) La Fiancée de l'ombre (1925) par J.H. Rosny aîné (1856-1940) : "La tante Elisabeth Barzac nichait dans une manière de château, sur leplateau d’une montagnette, où prospéraient des oliviers, des pins, desherbes odoriférantes, enfants d’une terre avare qui nourrit plus defleurs que de fruits. Des étages supérieurs, on jouissait d’un sitehargneux, annonciateur du désert qui naîtrait ici dans un millénaireprochain, mais les fées et les enchanteurs foisonnaient. François, parun matin d’avril, retrouva un visage que son enfance avait vu jeune etoù son adolescence comptait, à chaque visite, quelque nouvelle ravine.La petite tante ruineuse était la figure du Temps et l’ultime asile dessouvenirs primitifs. Auprès d’elle seulement, il retrouvait l’amer etdélicieux vestige de ce qui avait sombré dans le gouffre des formesperdues. Ses gros yeux évoquaient les élytres du hanneton, son visagesec et bistré frétillait comme une truite, et, au demeurant, celafaisait une femme du gros tas, point sotte, point fine, qui chérissaitFrançois pour l’avoir un peu élevé et parce que, maternelle pardestination, elle n’avait point de descendance... "

(10.16) Uzcoque (1930) par Renée Dunan (1892-1936) : "C’est une jolie mer que l’Adriatique, et qui abonde en paradoxes. Ellebaignait jadis Sybaris, pays de la vie heureuse, et la Macédoine, terreroide autant que barbare. Elle unit Venise à la Dalmatie, l’impérialeRavenne à la sauvage Tchnernagore. Toutes les races d’Europe ont passésur ses rives. Or, au sommet de l’Adriatique, le golfe vénitien a laforme d’un sac mal retourné. Le milieu du fond ressort. C’est l’Istrie.A gauche et à droite de cet apostème sont deux dépressions, où viventdeux ports célèbres, au nord Trieste, au sud Fiume. Ces deux cités,comme toute la côte est de l’Adriatique, furent, un temps, coloniesvénitiennes. Aujourd’hui, elles constituent deux beaux ports decommerce, très florissants, tandis que Venise est morte. Ainsi va lecours de l’histoire humaine ! Je fus à Fiume peu avant que Gabrieled’Annunzio y vînt régner et transformer en possession effective uneconquête d’ailleurs judicieuse, mais à laquelle nul Italien ne songeaitavant 1914. En tout cas, Fiume est une ville italienne. Le Croate y estexceptionnel et sans relief. Évidemment, derrière la côte règne unmétissage de races innombrables : Turcs, Slavons, Finnois, derniersrestes des peuples originaux si mêlés qui habitent encore la Dalmatie.Tout cela grouille magnifiquement. Mais enfin, quand ils auront fondule Colleone, bâti le Palais des Doges, signé des toiles de Tiepolo,Véronèse ou Titien et imaginé quelques menus bibelots civilisateurs, onpourra les citer à la barre... "

(09.16) L'île endormie (1935) par Jean Dorsenne (1892-1945) : "-Sapristi ! s’écria John Jackson, en jetant des regards curieux surl’île, épanouie comme une gerbe de verdure sur les eaux, c’est le paysdu sommeil ici ! Sa femme s’approcha de lui, hocha la tête et partitd’un joyeux éclat de rire. - Ma parole ! ils doivent tous dormir ! j’aibeau écarquiller les yeux, je ne vois pas un chat dehors… - Eh bien, çapromet ! constata Jackson. Qu’est-ce que nous allons pouvoir «fabriquer » ? Je crois que nous aurions mieux fait de renoncer à cettetournée dans les îles… Je serais bien étonné que nos talents soientappréciés de cette population de marmottes et de loirs… - Bah !qu’importe, après tout ! rétorqua avec gaieté la jeune femme. Cette îlea l’air merveilleuse… Admettons donc que nous fassions un voyaged’agrément. Jamais je ne me suis sentie de meilleure humeur… - Et moi,riposta allégrement Jackson, jamais je n’ai autant goûté la joie devivre. Pour montrer qu’il disait vrai, il entonna à tue-tête d’une voixchaude, vibrante et sensuelle, une romance sentimentale que tous leshaut-parleurs et tous les disques avaient popularisée. Cependant lagoélette s’était approchée doucement de l’embarcadère vermoulu de Tiva.Il devait être à peu près quatre heures de l’après-midi : le soleiltapait d’aplomb sur le rivage qui semblait flamber dans l’air embrasé.La mer, unie comme une plaque d’émail azuré, réverbérait une lumièrecrue qui brûlait les yeux..."

(07-08.16) Un Raskolnikoff (1931) par Emmanuel Bove (1898-1945) : "Changarniers’assit dans le seul fauteuil de sa chambre misérable. Il neigeaitdepuis la veille et des flocons venaient se poser sur les vitres desfenêtres ainsi que des insectes sur un mur. Changarnier regarda seschaussures usées. « Je vais être mouillé si je sors, pensa-t-il, maissi je reste, que vais-je faire ? » Il se leva, alluma une cigarette. Iln’avait pas soif et il avait envie de boire. Il n’avait pas faim et ilavait envie de manger. Il jeta sa cigarette, car il n’avait pas enviede fumer. Dans l’air froid de sa chambre pourtant close, une odeurdésagréable flottait. « Je ne suis tout de même pas un zéro »,murmura-t-il. Il s’approcha d’une glace. « Toi, un zéro ! » Avec unebrusquerie inattendue, comme s’il eût voulu blesser un ennemi, iltourna le dos à son image, hésita quelques secondes. Il ne savait quefaire. Se rasseoir dans le fauteuil ? Il ramassa la cigarette qu’ilavait jetée, la ralluma. « Où suis-je ? » se demanda-t-il en souriant.Finalement, il se laissa tomber dans le fauteuil..." et en cadeau bonus : La Fugue (1922) par Henri Duvernois (1875-1937)

(06.16) Un Malentendu(1930) par Emmanuel Bove (1898-1945) : " Lorsque François Vaillant setrouva seul, il ne put croire que Simone Henné lui avait réellementdonné rendez-vous pour le mardi suivant. Il se répéta la phrase que lajeune femme avait prononcée au moment où il prenait congé le plussimplement du monde. - Venez donc me voir un après-midi… un après-midipas trop éloigné… mardi, par exemple… Si vous pouvez mardi, je vousréserve ce jour… Pour être plus sûre, je vais même le noter. Enregagnant son domicile, François Vaillant réfléchissait. « Elle alaissé partir ses amis sans les retenir. Et moi, qu’elle connaît àpeine, elle voudrait me revoir. C’est extraordinaire. Je ne peux luiêtre utile en rien et, pourtant, elle m’attend mardi prochain. Je necomprends pas ». Il imaginait ce beau jour. Elle l’attendait seule, lerecevait avec une gentillesse plus grande encore. Puis FrançoisVaillant se souvint tout à coup d’André Privat. Ce dernier seraitprésent, certainement, et lui jetterait des regards méchants..."

(05.16) Le Revenant(1924) par Henri Duvernois (1875-1937) : " Lamaison Pavilland, maroquinerie de luxe, comptait dans l’aristocratiecommerciale des boulevards. Des boutiques clinquantes avaient pus’ouvrir qui resplendissaient, la nuit, de tous leurs feux électriques; les enseignes lumineuses s’étaient multipliées, rouges, bleues,vertes, ici fixes, là clignotantes ou à éclipses, ce magasin, dontl’enseigne discrète portait Au Levant comme en 1857, date de lafondation, demeurait tel qu’on avait pu l’admirer sous le secondEmpire. De modestes ampoules n’y jetaient pas beaucoup plus de lumièreque les lampes de jadis ; les objets d’art étaient restés à peu prèsles mêmes. La boutique, embellie de casiers et de solides comptoirs enchêne massif, sentait bon l’encaustique et le cuir. Là s’étaitinstallé, en 1857, Auguste-Casimir Pavilland. Fils de richescultivateurs, il avait eu une jeunesse orageuse, coupée de fréquentsvoyages en pays lointains. Une petite photographie encastrée dans lechêne, près de la caisse, montrait le fondateur, bel homme aux favorisabondants, à la moustache retroussée, à la chevelure ondulée, le typede ces calicots qui jouaient aux militaires et faisaient sonner leurséperons sur le trottoir, après avoir vendu de la toile ou de lacassonade. On l’appelait le beau veuf..."

(04.16) Loin des Blancs (1933) par Jean Dorsenne (1892-1945) : "Le sentier où venait de s’engager la petite troupe longeait, au milieud’une vallée rocheuse, un torrent dont l’écume, par moments, voltigeaitautour du visage des deux hommes. Le paysage était d’une magnificenceinoubliable, mais que la nature était hostile ! Le résident Maloine etson secrétaire le petit Morin avaient dû abandonner l’auto qui lesavait amenés de l’Annam civilisé jusqu’à la chaîne montagneuse derrièrelaquelle s’étendait le sauvage pays des Moïs. C’était là, sur unplateau isolé au milieu de la forêt quasi impénétrable, que vivait lechef de poste Jean Dubard, potentat au petit pied, mandataire del’autorité française sur une population primitive réfractaire à lapénétration des mœurs occidentales. Le résident Maloine n’appréciaitguère les tournées d’inspection dans des régions d’un accès aussidifficile. Mais c’était un homme consciencieux, qui ne reculait pasdevant son devoir… Il avait reçu l’ordre d’aller visiter le poste isoléde Nuoc où Jean Dubard avait été nommé plus de cinq ans auparavant et,tout en rechignant, il s’était mis en route avec son secrétaire..."

(03.16) Un parfum dans la nuit (1930) de Jean Dorsenne (1892-1945) : "Il existe dans le cerveau de chacun de nous le souvenir de quelquespersonnages familiers à notre enfance. Nous aimons nous rappeler, aumilieu des agitations de l’existence, leur figure qui, à elle seule,fait surgir une bouffée de passé, et cette évocation ne va pas sanss’accompagner de quelque attendrissement. Notre imagination orne cesvisages, qui sont mêlés à l’éveil de notre intelligence et de notre vieaffective, du prestige embrumé qu’on les vieilles photographies jaunieset à demi effacées. Des diverses personnes qui fréquentaient chez mes parents, il en estune dont l’image est restée particulièrement vivace dans ma mémoire.C’est celle d’un petit vieillard méticuleusement soigné, dont la figureridée et jaunie ressemblait à ces pommes que l’on retrouve après unhiver sur l’étagère d’un placard. Dès que j’étais averti de la présencechez nous de ce brave homme, j’accourais, ce qui ne laissait pasd’étonner mon père et ma mère qui me reprochaient souvent ma sauvagerie..."

(02.16) M'sieu Gustave (1921) par Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) : "Bercéedans le ciel, c’est la pommeraie de mai. Elle semble une forêt decorail blanc remuant au fond de la mer. Chacune des mille fleurssorties des branches crochues et sèches porte, au milieu de ses cinqpétales, un petit cœur qui sent bon. Et, côte à côte, ils sont silégers, les pommiers, qu’on pense qu’un souffle effeuillera tout.L’herbe tendre monte d’en bas vers ces vastes bouquets de noces ; unevoie lactée de pâquerettes continue par terre la blancheur en suspensau-dessus du sol ; et les nuages ronds qui traînent dans le ciel bleusont blancs aussi, copie des arbres immaculés. Ainsi s’exalte unherbage solitaire de Normandie où les oiseaux qui chantent paraissentêtre enfermés dans des cages fleuries. L’ombre est bleue autour deslarges taches de soleil vacillant partout. N’est-il personne pours’enivrer de la fête fugitive ? Que si ! Il y a quelqu’un qui parle, unhumain tout seul dans la splendeur printanière : c’est M’sieu Gustave,assis sur sa brouette. Il lève le nez vers l’azur :- Fait-y beau, an’hui ! Fait-y beau !... ."

(01.16) La Pirane (1931) par Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) : "Nousrevoyons sans peine, bien avant l’entrée de l’auto dans le monde, unHonfleur assez peu différent de l’actuel, et, parmi ses rues rétrécies,au bas de ses deux clochers, la belle poissarde qui rendait fou tout lemasculin du port. Lors de ma naissance, des vieillards qui l’avaientvue quand ils étaient petits se souvenaient encore d’elle avec émotion.Ses cheveux noirs à reflets, ses yeux couleur d’océan, ses dents parhasard magnifiques au pays des chicots, sa belle encolure, sa démarchede gaillarde qui n’a peur de rien, tout cela fit que, dès ses seizeans, le pêcheur nommé Jean Piran se dépêcha de l’épouser pour l’avoir àlui tout seul. Maître de son bateau, La Bonne Nouvelle,il représentait pour la fille un destin inespéré. Elle était née d’unmatelot pauvre et d’une débardeuse, unique enfant, et vouée tout desuite à vendre la crevette et la sole à la poissonnerie..."

(12.15) Les Deux boutiques (1905) par Fernand Rivet (1876-19..)  : " M. Bergogne est charcutier. De père en fils, la boutique mire sessaucisses, ses galantines, ses jambons de Mayence dans le ruisseau grasde la rue des Capucins. Une boutique luisante comme un sou neuf, avecune enseigne en lettres d'or, une vitrine flamboyante où toutes sortesde bonnes choses réjouissent les yeux et l'odorat ! Il travaille commeon travaillait autrefois, c'est-à-dire en artiste, avec une méticuleuseprobité. Il tient de son père Honoré Bergogne, de son grand-pèreCyrille ; et les culinaires traditions de ses ascendants se sontperpétuées en sa personne. M. Bergogne est heureux, son commerceprospère... "

(11.15) Parmi les Lettres qu'on n'envoie pas  1 & 2(1921-1922) par Anna de Noailles (1876-1933) : Ma main, ent'écrivant, voile les mots que je trace, et c'est unepudeur bien nécessaire, mon amour, comme lorsque tu abaisses laturbulence de tes cheveux foncés sur ton bleu regard, devant ta mère ettes sœurs, quand tu devines que ce regard me fascine et m'attendritautant que si je n'avais jamais cru qu'il y eut des yeux bleus, et quemon cœurs te sût gré de ce miracle de limpidité, qui dévoile plusd'âme. Tout devrait m'empêcher de t'aimer : ton caractère et le mien,tafaiblesse d'oiseau nerveux qui recherche son libre vol, son librerepos, et ma force triste, souvent découragée ; la jeune fille quipourrait être ta fiancée, et qui m'émeut jusqu'à la poésie, quand, mepromenant avec elle le soir dans le jardin, j'ai le bras passé autourde son épaule candide et que, pour m'embrasser et me dire adieu, ellerapproche son visage confiant et simple de mon visage..."

(10.15) Le Signe (1929) par Jean Giraudoux (1882-1944) : "DUMASavait trente-sept ans. Depuis six ans il dirigeait les usines et lesmines en France. Le jour où l'on apprit sa mort, onze grandes cheminéesseulement par centaine continuèrent de fumer dans notre pays et pour lapremière fois, aux yeux du voyageur en rubans qui va de Saint-Etienne àLyon, Saint-Chamond apparut. Sur cinq millions trois cent treize milletonnes de fer, les mines de Dumas en donnaient quatre millions huitcent mille. Tous les Français, réunis sur le plateau de la balanceadverse, ne l'auraient pas fait pencher. Il était le Français le plusconnu en Russie et en Amérique, le seul connu en Afghanistan. Dans lemonde entier, on appelait un Dumas le bouton pour pressoir qu'ilinventa à vingt-deux ans..."

(09-15) Berlin (1932) par Jean Giraudoux (1882-1944) : "BERLINn’est plus la capitale de la Prusse. Elle a passé ce rôle à Postdam.Berlin est la capitale de l’Allemagne. L’Allemagne est un empire quicomptait voilà douze ans encore une cinquantaine d’États et unecinquantaine de capitales. Chaque capitale, dans ses mœurs, sesmonuments, ses projets même, était le dépôt vivant d’un passé,l’aboutissement, plus ou moins heureux, d’une civilisation spéciale.Les cinquante passés de l’Allemagne concouraient tous, chacun dans sonuniforme, à cette réussite tardive qu’était l’Allemagne impériale.Enfin, vers 1910, le moyen âge réalisait, au centre de l’Europe, saseule construction réussie. Dans une Allemagne qui, pour la premièrefois depuis les origines, pouvait vivre cinquante ans sans être unchamp de pillage et de bataille pour Allemands ou invités..."

(06.15) La Prière sur la Tour Eiffel (1923) de Jean Giraudoux (1882-1944) " C’EST le premier mai. Chaque mal infligé à Paris est guéri aujourd’huipar le grand spécialiste. Quand un plomb saute dans un ministère, c’estle fondateur même de l’École supérieure d’électricité qui accourt.Quand un tramway déraille, c’est l’équipe des dix premierspolytechniciens qui vient le remettre dans sa voie. Chaque bourgeois,vers midi, après ces cures merveilleuses, a le sentiment que si sonbouton de pardessus sautait on alarmerait la rue de la Paix, etl’Observatoire si sa montre s’arrête. Il est gonflé de plénitude, en cejour d’ouvriers parfaits, comme au temps, qu’il a oublié, où pour lemoindre chagrin il alertait Schopenhauer, pour la moindre joieRabelais. C’est que les grandes puissances sont seules aujourd’hui faceà face avec les grands hommes, le feu en face du Directeur du Creusot,le gaz du Directeur du Gaz, la vapeur face à face avec l’Écolecentrale. La journée de Paris, que trois millions d’ouvriers ontreposée, tourne sur ses huit rubis..."

(05.15) Gaspard Hauser (1835) de Jules Janin (1804-1874). "ONse plaint de la stérile fécondité des auteurs. Il vous vient des livresde ci, de là, de partout. Vous avez déjà trop de romans ; on va doncvous en donner de nouveaux.  Il y a chroniques sur chroniques ; enconséquence on en compose de plus belle. Du drame, vous n’en voulezplus, du vaudeville vous n’en faites qu’un : hélas ! de la littératurequelconque, vous ne voulez pas vous baisser pour en prendre ; or sus,voilà des drames, voilà des vaudevilles ; et, pour de la littératurequi ne soit que de la littérature en général, en voici et en voilà.Qu’est-ce à dire, Messieurs les auteurs, vous moquez-vous de moi,public ? Compteriez-vous sur moi ? Me prenez-vous pour dupe de vous,pour dupe de moi, pour dupe de qui Dieu voudra ?  Je ne sais si lepublic parle ainsi, sa voix est si facile à couvrir ! Il lui faut,comme à toutes les autres, pour être entendue, du silence de près et deloin ; et vous savez du reste si la voix publique peut se promettrequelque peu de silence, aujourd’hui où rien ne demeure à sa place. N’endéplaise à bien des gens, à tout le monde peut-être, nulle part lamultitude ne se fait entendre. Elle a trop d’échos pour ne pas setaire..."

(04.15) Le Cerf (1926) par Jean Giraudoux (1882-1944) : "VERSle début de l’année, Fontranges, qui avait vécu depuis la mort de sonfils dans l’affliction, ressentit un malaise contre lequel il sedéfendit d’abord, car il y soupçonna presque une distraction à sondeuil : il lui sembla un jour qu’il aimait moins les chiens. Ilcontinua à les dresser, à les caresser, mais il dut bientôt s’avouerque ses gestes étaient machinaux, que les chenils ne l’intéressaientplus. Il était le premier Fontranges auquel pareille aventure arrivât.Il en fut honteux et désolé. Les chenils des Fontranges étaient plusanciens que la plupart des familles nobles de France. Le remords queressentit le premier Montmorency qui se détacha des armes, le premierRacine qui renia la poésie, le premier Lauzun qui n’aima plus lesfemmes, Fontranges l’éprouva. De même que ce dernier Lauzun, pour enavoir le cœur net, ne quittait plus la maîtresse sur laquelle avaitpéri la fougue des Lauzun, il redoublait ses visites aux chiens. Leschenils ne contenaient, à part quelques rares achats en bassets et encockers, que des chiens que Fontranges avait vus naître, dont pas unecanine ne lui était ignorée, qu’il connaissait aussi dans leurcaractère comme ses pensées… Mais ils ne l’intéressaient plus. Il ne sedoutait pas que c’était ses pensées qui ne l’intéressaient plus…"

(03.15) Jenny la Bouquetière (ca1830) de Jules Janin (1804-1874) : "L’HISTOIREde Jenny est une histoire extravagante et bizarre. Elle a fait unmétier que je ne saurais trop vous expliquer, Mesdames. Cependant,comme Jenny avait un bon cœur et une belle âme, il faut qu’elle ait,elle aussi, sa biographie à part, moins que rien, une page dans notrerecueil d’artistes. Jenny a été si utile à l’art !Je dis Jenny la Bouquetière,parce qu’elle vint à Paris vendant des roses et des violettes pâlescomme elle, la pauvre enfant ! Pour le débit des fleurs, il n’y a quedeux ou trois bonnes places à Paris : l’Opéra, le soir, quandl’harmonie étincelle, quand le gaz éclate, quand les femmes riches etparées s’en vont en diamants, en dentelles, se livrer aux mollesextases de l’harmonie. Alors il fait bon avoir à part soi un magasin deroses et de violettes : le débit est sûr. Mais quand vint Jenny àParis, elle ne put vendre ses fleurs que sur le pont des Arts, desfleurs sans odeur et sans couleur, image trop réelle de la poésieacadémique ; des fleurs de la veille à l’usage des grisettes quipassent. Avec un pareil commerce il n’y avait aucune fortune à espérerpour Jenny..."

(02.15) La Double méprise (1832) de Jules Janin (1804-1874) : "VOUS savez la vieille maxime : Les mariages se font dans le ciel. Il en est de ce proverbe comme de beaucoup d’autres proverbes que je n’ai jamais pu comprendre. La sagesse des nations estembrouillée à faire peur ; on la  prendrait souvent pour unsystème de philosophie allemande appliqué à l’histoire. Voilà pourquoij’estime beaucoup l’honnête Espagnol qui a le premier arrangé desvariations sur les vieux proverbes. A force de vieillir, le thème étaitusé jusqu’à la corde. A mon sens il serait temps de faire quelqueschangements indispensables au proverbe dont je parle : Les mariages se font dans le ciel. Enfait de mariage aujourd’hui, on s’en fie beaucoup moins à la Providencequ’au notaire royal. On se marie encore plus devant ses témoins quedevant le prêtre. Le cabinet de l’officier public est visité avantl’église ; le sacrement est devenu une superfluité vulgaire, un vain etfactice cérémonial. Le hasard lui-même, ce grand marieur d’autrefois, aperdu toute son influence. Pour se marier, vaut encore mieux s’en fieraux entrepreneurs de mariage dans les journaux qu’au hasard..."

(01.15) Voyage à Montbard (1785) par Hérault de Séchelles (1759-1794) : " J’AVOIS uneextrême envie de connoître M. de Buffon. Instruit de ce désir, ilvoulut bien m’écrire une lettre très honnête, où il alloit de lui-mêmeau-devant de mon impatience, et m’invitoit à passer dans son château leplus de temps qu’il me seroit possible. Ilest à propos, comme on le verra dans un moment, que je fasse icimention de la lettre que je lui répondis. Elle finissoit par ces mots : Maisquelle que soit mon avidité, Monsieur le comte, de vous voir et de vousentendre, je respecterai vos occupations, c’est-à-dire une grandepartie de votre journée. Je sais que, tout couvert de gloire, voustravaillez encore ; que le génie de la nature monte avec le lever dusoleil au haut de la tour de Montbard, et n’en descend souvent que lesoir. Ce n’est qu’à cet instant que j’ose solliciter l’honneur de vousentretenir et de vous consulter. Je regarderai cette  époque  comme la plus glorieuse de ma vie, si vous voulez bien m’honorer d’un peu d’amitié, si l’ interprète de la nature  daigne quelquefois communiquer ses pensées à celui qui devroit être l’ interprète de la société...."

(12.14) Mon grand chien ! extrait de Mes Mémoires par Alexandre Dumas (1802-1870) : " C’est vous qui êtes M. Dumas ? me dit la personne qui était dans le fiacre. - Oui, madame. - Eh bien, montez ici, et embrassez-moi… Ah ! vous avez un fier talent, et vous faites un peu bien les femmes ! Je me mis à rire, et j’embrassai celle qui me parlait ainsi. Cellequi me parlait ainsi, c’était Dorval ; Dorval, à qui j’aurais purenvoyer ses propres paroles : “Vous avez un fier talent, et vousfaites un peu bien les femmes ! „ Dorval demeurait alors boulevard Saint-Martin, dans une maison ayant une sortie sur la rue Meslay. Par chance, elle était toute seule. On m’annonça ; elle fit répéter deux fois mon nom. - Eh bien, oui, criai-je de la salle à manger, c’est moi ! Après ?... Est-ce que je suis consigné à la porte, par hasard ? -Ah ! tu es gentil ! me dit-elle avec cet accent traînard qui avaitquelquefois dans sa bouche un si grand charme ; il y a six mois qu’onne t’a vu ! -Que veux-tu, ma chère ! dis-je en entrant et en lui jetant les brasautour du cou, j’ai fait, depuis ce temps-là, un enfant et unerévolution, sans compter que j’ai manqué deux fois d’être fusillé… Ehbien, voilà comme tu embrasses les revenants, toi ?..."

(11.14) Siméon Charlerie (1876) par Catulle Mendès (1841-1909) : "D'une paisible ménagère, quin'avait de sa vie lu d'autre livre que son paroissien, estimant quelorsqu'une femme a, tout le jour durant, surveillé sa cuisine, lavé,peigné, habillé ses enfants et ravaudé les chemises de son mari, ellen'a rien de mieux à faire que d'aller reposer son front, dès la nuittombante, sur un oreiller plein de rêves honnêtes ; — d'une excellenteménagère et d'un brave homme, percepteur depuis douze ans à trois millefrancs d'appointements, naquit, une après-midi de juillet, dans unetrès-petite ville du nord de la France, un gros et fort garçon, qui futbaptisé sous les noms de Charles-Anselme-Siméon Charlerie..."

(10.14) 1830 (1930) par René Crevel (1900-1935) : "Laligne droite va trop vite pour éprouver quoi que ce soit cheminfaisant. Elle atteint tout de suite son but, et de son triomphe même,meurt, et, sans avoir jamais pensé, aimé, souffert, joui. Laligne brisée, elle, ne sait pas ce qu'elle veut. Ses caprices hachentle temps, martyrisent les routes et, de leurs angles, lacèrent lesfleurs joyeuses, crèvent les fruits paisibles. Pour la ligne courbe, c'est une autre chanson. La chanson de la ligne courbe s'appelle bonheur. Ainsi,de toutes les années de l'ère chrétienne, 1830 fut la meilleure àvivre. Sur quatre des chiffres qui la désignent, trois étaient ronds. Bonnesjoues et taille fine, 8 fait la révérence, 3 est le chiffre d'amour,non parce qu'il compté les éléments indispensables à toute histoiresentimentale, mais ses deux boucles ressemblent comme des sœursd'écriture à celles des cheveux dont les femmes du siècle dernieravaient toute une provision pour faire cadeau à leurs amants. Dans lecercle son symbole, zéro est la plus consolante image du néant, puisquepar le vide, il nous donne notion de l'infini..."

(09.14) Feuillets de l'album d'un jeune rapin (1845) par Théophile Gautier (1811-1872) : "Jene répéterai pas cette charge trop connue qui fait commencer ainsi labiographie d'un grand homme : « Il naquit à l'âge de trois ans, deparents pauvres, mais malhonnêtes, » — Je dois le jour (le leurrendrai-je ?) à des parents cossus, mais bourgeois, qui m'ont infligéun nom de famille ridicule, auquel un parrain et une marraine, nonmoins stupides, ont ajouté un nom de baptême tout aussi désagréable. —N'est-ce pas une chose absurde que d'être obligé de répondre à uncertain assemblage de syllabes qui vous déplaisent ? Soyez donc ungrand maître en vous appelant Lamerluche, Tartempion ou Gobillard ? Avingt ans l'on devrait se choisir un nom selon son goût et sa vocation.On signerait, à la manière des femmes mariées, Anafesto (né Falempin),Florizel (né Barbochu), ainsi qu'on l'entendrait ; de cette façon, desgens noirs comme des Abyssins ne s’appelleraient pas Leblanc, et ainside suite..."

(07/08.14) Variations sur l'épiderme des femmes(1920) par Henri de Noussanne (1865-1936?) : "Je ne sais pourquoi, lafine remarque, placée ici en épigraphe, me revenait à l'esprit.J'allais du Cours vers la Gare. C'était l'heure de ma promenade, aprèsmon déjeuner. Un vent aigre balayait le sol englué de neige fondue.L'air fut sabré d'un coup de sifflet, puis secoué d'un tintamarre : untrain s'annonçait. J'eus la curiosité de regarder quels gens allaienten descendre. L'espèce humaine est intéressante à considérer, délivréede l'encagement d'un voyage. Lancée à la queue leu leu, sur un mêmechemin, chargée de paquets et l'air affairé, elle ressemble à desfourmis qui déménagent. Au nombre de ces fourmis transformées en êtreshumains, il y avait une jolie femme. Je l'aperçus et ne vis plusqu'elle. Jolie ? Oui, certainement. Mais elle passait d'une allure siprompte, que je devinais, plus que je n'étais sûr. Un certain troublem'envahissait. On n'ignore pas de quelles conséquences peut être, surun jeune homme bien portant, la vue de deux mollets en liberté sous latrame complaisante d'une soie ventre-de-souris,..."

(06.14) Discours du Roi Bacchus auxChevaliers de la Table Ronde, nos Rubicons, Avaleurs de Vin sans corde,Tondeurs de napes, Rouges trognes et bons frères de la jubilation,prononcé à la convocation générale et pleine assemblée des bonsBuveurs, qui se tient ordinairement à l'Hôtel Saint Valéry (1821) :  " C’EST ence jour grand et solennel, mes chers Auditeurs, que je vous ai faitassembler dans ce lieu somptueux & magnifique, où les plus dégoûtésne manquent point d'appétit, puisqu'il est toujours garni deSaupiquets, de friants ragoûts, de Bisques, de Cours-bouillons & dela plus noble & plus exquise tapisserie d'Ortolans, de Becasses, deChapons, de Faisans & tout gibier le plus rare, au lieu de hauteslices & de tapis de Turquie. J'aide plus, cers Auditeurs, pris soin d'y faire venir un régiment deflacons, de bouteilles, de brocs & d'autres vaisseaux à mon usage,remplis de la plus excellente liqueur Bachique, pour en ce grand jourGaudeamus, à rubi sur l'ongle, & pour vous expliquer les motifs de mon discours prophétique. Vous ne m'y voyez pas, chers Auditeurs, assis dans une chair élevée ; ex suggestus comme un docteur pédantesque qui va tenir un discours amphibologique..."

(05.14) Le Trompette (1908) par A. Le Brun : "EN RENTRANT àla chambrée, Leguern, le trompette du deuxième peloton, accrocha sonsabre à la tête de son lit, et machinalement, les yeux vagues, lapensée lointaine, il se prépara pour l’appel de neuf heures. Dans l’airchaud de cette soirée de juillet, les hirondelles passaient avec descris, emplissant la cour du quartier d’une joie de vie. Les hommes,autour de lui, se poussaient riant haut, comme des gamins lâchés, à lasortie de l’école, et Coupu, le brigadier d’escouade, son voisin, quiremontait de la cantine, une chanson aux lèvres, surpris de le voir sitriste, s’arrêta devant lui, l’interrogeant du mot familier dessoldats. « Eh bien ! mon pays ? » Leguern,arraché à sa rêverie, le regarda comme s’il ne l’avait jamais vu, puisretrouvant sa pensée, laconiquement répondit : « Mal… bien mal ! » Ilparlait de Marinette, la fille du cabaretier Goarec qui, tout proche duquartier Murat, derrière le mur de l’infirmerie des chevaux, tenait lepetit café propret et pas cher, où, d’année en année, les classes dehussards qui se succédaient dans cette garnison bretonne, venaientboire la dernière bolée avant l’extinction des feux..."

(04.14) La Queue du Diable, conte du bocage normand (1892) par A. Almagro : "Lecteurbénévole et charmante lectrice, je viens vous raconter une histoire quivous semblera peut-être un conte, tant elle est invraisemblable, maisqui doit être vraie de tout point, car je l’ai tirée d’un recueild’anciennes légendes, et je suis persuadé que le pieux anonyme qui nousles a transmises pour notre instruction et notre édification était unhomme véridique, qui n’aurait jamais voulu compromettre le salut de sonâme en cherchant à nous faire prendre les vessies pour des lanternes. Lalégende étant écrite dans un style vieillot et peu intelligible, je mesuis dit qu’il serait utile de lui donner une forme plus jeune et de latraduire dans le style du jour ; et c’est ici qu’a commencé monembarras. Quel genre de style devais-je adopter ? Le genre sentimental,vaporeux et nuageux ? Il est quelque peu démodé et j’aurais ennuyé meslecteurs qui ont bien assez de sujets d’ennui. Le genre réaliste ?J’aurais fait rougir les dames. Un instant je me suis arrêté à l’idéede recourir au genre décadent, aujourd’hui fort en vogue et qui seglisse comme un serpent sous la prose fleurie de maint auteur detalent. En mettant mon esprit à la gêne, je serais parvenu, moi aussi,à trouver de ces phrases péniblement niaises, de ces tours inattenduset de ces locutions extravagantes, qui font les délices du décadent quiles écrit et causent au profane qui ose les lire un étonnement voisinde la stupéfaction. Toutefois, si séduisant que fût ce projet, j’ai dûy renoncer par crainte qu’on ne crût que je parlais charabia, ce quim’eût profondément humilié..."

(03.14) Mabile de Talvas (1845) par Louise Vallory (1824-1879) : "Légendes, ballades, vagues poésies du passé, flottant à travers lessiècles et s’attachant en passant à une vieille ruine, à une croixrenversée, comme ces blancs fils de la vierge qui arpentent les airs aumilieu des brumes de l’automne, et que l’on trouve au matin, s’enlaçantau feuillage d’un arbuste étiolé, faites entendre vos notes plaintives,quand notre âme est triste, quand les nuages s’amoncellent au ciel,quand le vent frissonne à travers les sapins ; ou bien le soir d’unjour d’été, lorsque les cloches tintent l’Angelus, que les fleurs sefermant exhalent leurs parfums, dernier soupir d’amour que la natureenvoie vers Dieu avant de s’endormir, et que l’ombre en s’abaissant,semble unir dans un baiser les cieux avec la terre. Jeunes filles rieuses qui folâtrez dans la montagne, éparpillant desfleurs autour de vous, enlaçant de vertes bruyères à vos blondscheveux, faites silence et signez-vous en approchant de cette croix depierre que vous voyez là-bas, au haut du mont, puis asseyez-vous surcette roche qui domine le ravin et demandez au vieux pâtre l’histoirede la pauvre Mabile..."

(02.14) Decalandrier (1927) par X*** : "J’EN demande bien pardon à M. Tristan Derème, mais j’aivoulu, moi aussi, entendre et publier les propos de M. ThéodoreDecalandre. Sous le prétexte de lui rapporter un parapluie qu’il avait oublié aurestaurant, j’ai sonné à la porte de son ermitage de Passy. J’ai passéune après-midi avec cet homme, qui, d’une pipe noire, enfume sa barbeblanche. Dans sa chambre, qui lui sert de cabinet de travail, devestibule et de salon, et dont les murs sont tapissés d’un papier rougeoù chantent mille mésanges noires, j’ai recueilli quelques-unes de sesharangues. Car il ne parle point : il harangue. J’ai rencontré, autourde lui, Mme Baramel et M. Lalouette. J’ai pris, à la dérobée, des notessur mes manchettes..."

(01.14) Chasseurs de nomades (1927) d'Emile Zavie (1884-1943) : "BONSOIR, Fabre-Souville. C’estWassermann, un petit sous-officier antipathique, qui m’arrête ainsi cesoir, sur la route d’Eckmuhl, dans les faubourgs d’Oran. - Bonsoir… Je reste sur la défensive. Si Wassermann se montre aimable, c’est parce qu’il a quelque nouveauté désagréable à m’apprendre. - Vous savez que vous partez demain… - Demain ? - On ne vous a pas prévenu ? - Prévenu ?... - J’ai envoyé un planton à Eckmuhl. Il a dû vous laisser des ordres. - Quels ordres ? - Vous partez demain matin, 5 juin, pour Alger. Vous rejoignez le bataillon destiné au Sud-Tunisien. - Depuis quand ? -Je ne sais pas. La feuille de route que j’ai établie et que l’on vousremettra spécifie que vous prenez le premier train du matin. Jeregarde Wassermann. Il y a encore assez de lumière dans cette rue, lestrois becs du café d’en face, la lampe d’un épicier maltais, pour queje puisse voir le pâle visage de ce garçon qui m’observe avec unecuriosité agressive. L’habitude de ne pas laisser paraître d’émotionsvraies – ce n’est qu’une habitude à prendre… Et les lèvres et les yeuxdurcis, je réponds, la voix posée : - Très bien. Je m’en doutais..."

(12.13) Histoire d'un livre (1900) par Lucien Biart (1829-1897) : "LE 17 mars 1859, vers neuf heures du soir, j’appris lamort de mon excellent ami le licencié Perez, décédé, muni dessacrements de l’Église, dans sa petite maison de la place de laCathédrale, à Puebla. Trente ans auparavant, lorsque je m’étaisprésenté devant l’Académie de médecine de la République Mexicaine, lelicencié Perez avait été un de mes examinateurs. Dès cette époque, sabibliothèque, une des plus complètes du Nouveau Monde, renfermait,entre autres curiosités, l’Historia general de las Indias, parFrancisco Lopez de Gomara. Il possédait la rarissime édition originale,imprimée en 1552 à Saragosse, chez A. Millan. Lopez de Gomara – je notele fait, car j’ai rencontré quelques personnes paraissant l’ignorer –est le premier écrivain espagnol qui se soit occupé du Mexique. Enoutre, circonstance qui n’a été relevée par aucun auteur, le livreparut l’année du traité de Passaw, au moment où Charles-Quint se vitforcé d’accorder la liberté de conscience aux luthériens..."

(11.13) L'Hôtel de la Brigade (1900) par Tancrède Martel (1856-1928) " LE colonel Collassier, commandant le 31e chasseurs, àPort-Léon, enpleine Normandie, reçut ce matin-là une lettre du général Bourrasche,l’informant que, favorisé d’un congé de trois mois, il allait passer cecongé à Paris et lui remettait le commandement de la brigade, avecjouissance de tous  « les locaux ». Le soir même, le colonel s’installait à l’hôtel de la Brigade, unebonne et massive bicoque de province, qui servit jadis d’évêché, autemps où Port-Léon était un diocèse. Collassier, vieux troupier de la bonne école, ravi d’exercer uncommandement supérieur, et d’avoir sous ses ordres deux superbesrégiments : 31e chasseurs, 37e dragons, s’occupa fort activement desaffaires de la brigade. Mais une fois que le plaisir de la nouveautéfut passé, il commença à se trouver un peu seul dans le vaste hôtel,qui prenait à ses yeux un air et des dimensions de palais...."

(10.13) Le Sac de La Ramée par Charles Deulin (1827-1877) : " AU temps jadis, il y avait un vieux soldat du nom de La Ramée, qui revenait de la guerre avec son congé. Ilfaut croire qu’en ce temps-là le roi n’était pas riche, car le brave LaRamée n’avait eu, pour toute récompense, qu’un pain de munition etseize sous. Ayantle pain dans son sac et les sous dans sa poche, le vétéran avait prisla route de la Boucaude, qui était son hameau de naissance. Il n’eutpas fait une demi-lieue de pays, qu’il rencontra un mendiant aveuglequi lui demanda l’aumône. « En voilà un, se dit La Ramée, qui est encore plus mal loti que moi. » Et, comme il était bon diable, il partagea avec le mendiant son pain de munition et ses seize sous. Unedemi-lieue plus loin, il avisa un autre mendiant, aveugle comme lepremier, et qui, de plus, était manchot. La Ramée fut ému de pitié, etdonna au pauvre marmiteux la moitié du pain et des huit sous qui luirestaient. Ilchemina encore une demi-lieue, et vit sur la route un troisièmemendiant qui, aveugle et manchot, était boiteux par-dessus le marché.Il partagea avec le clopineux le restant de son pain et ses dernierssous..."

(09.13) La Dame à l'œillet rouge (1874) par Jules Janin (1804-1874) : " IL yavait déjà six mois que M. de Frémiet, second avocat général, étaitassis sur le banc des enquêtes, parmi messieurs les gens du roi,attendant quelque belle occasion de montrer qu'il était éloquent, justeet courageux, lorsqu'un matin on vint lui dire qu'une jeune fille, uneinconnue, sollicitait son audience. Lesecrétaire du jeune magistrat lui dit que la dame était fort belle etqu'elle voulait expliquer elle-même sa cause à l'avocat général. — Vous dites qu'elle est belle ? — Belle comme le jour ! Un miracle de grâce et de distinction... — Je ne veux pas la voir. — Des yeux bleus couleur du temps... — Fermez la porte ! — Et un sourire divin..."

(07-08.13) Nadia(1922) par Claude Anet (1868-1931) : " Le jeune lieutenant de dragons,Alexandre Naudin, avait suivi pendant un an l’excellent cours de russeque professe, à l’Ecole des langues orientales vivantes de Paris, M.Paul Boyer. Il savait la grammaire, la syntaxe et les lois compliquéesde la phonétique russe. Il était capable de lire un texte facile, maisil parlait avec peine. Il décida de se perfectionner dans cette langueardue, demanda et obtint un congé de trois mois pour un voyage d’étudesau pays des tsars. Il faut avouer qu’il était attiré aussi en Russiepar les récits des camarades qui l’y avaient précédé et en avaientrapporté des souvenirs bien séduisants. Alexandre Naudin avait desrentes suffisantes (il était fils d’Edouard Naudin, de la maisonLeredu, Naudin, Jouaust et Cie, bonneterie en gros, à Troyes, lepremier crédit de la place) pour se permettre de voyager agréablementsans être obligé de consulter à chaque fin de journée l’état de sabourse. Il se rendit directement de Paris à Moscou par Varsovie..."

(06.13) L'Auvergnate (1922) de Jean Viollis (1877-1932) :"Hubert d’Outrepigny quitta la ville d’Aurillac, l’esprit gai, le cœurcontent, et rempli d’estime pour les Auvergnats. « Ils sont forts,pensait-il, mais un Normand les roule ». Hubert s’enorgueillissait desa qualité de Normand ; il lui attribuait les succès de sa vie. Sonvoyage avait eu pour but d’offrir la bague de fiançailles à uneenfant d’Aurillac, Blanche Torrillon. La bague avait plu, c’était unsaphir de prix. On avait mis au point les conditions du contrat. Cettefamille Torrillon s’était bien défendue : elle était pourtant privée deson chef, Benoît Torrillon, le père de Blanche, décédé depuis dix mois,mais la maman Emma et les deux frères de la fiancée formaient un rudebloc pour préserver leurs intérêts ; la maman Emma portait mitaines ;elle se coiffait d’un bonnet de dentelles noires, dont elle nouait lesbrides sous son menton dans les moments ardus ; chacun des frères avaitun front court sous une toison rougeâtre et frisée ; ils étaientassociés dans un commerce de bois à Bordeaux ; quand la mère et lesfils discutaient d’argent, tous trois posaient sur la table leurspoings garnis de poils et de verrues ; ils savaient parler et se taire,regarder le plancher, s’entortiller dans des phrases inutiles et lâcherbrusquement le mot puissant qui frappait l’adversaire au cœur."

(05.13) Nuit de printemps (1883) par Paul Alexis (1847-1901). : :"Au commencement d'avril, il a fait quelques soirées magnifiques. Parune lune pleine, toute ronde, suspendue dans la direction du Champ deMars, comme un superbe louis d'or, les Champs-Elysées, vraiment dignesde leur nom, semblaient un lieu de délices surnaturelles. Devant lescafés-concerts, qui n’avaient pas fait leur réouverture, des promeneursattardés respiraient avec émotion les effluves du renouveau. Soudain, àl’entrée de « l'Allée des Veuves », un fiacre, contenant une femmeseule, s’arrêta. Le fiacre était payé. La femme se contenta de refermerbruyamment la portière et s'éloigna, non sans avoir adressé au cocherun familier signe de tête. — Eh bien ! dit celui-ci du haut de son siège, il n ya qu'à la regarderse carapatter… Mince ! elle vous a une jolie cuite, la particulière ! ...."

(04.13) l' Histoirede l'intrépide Capitaine Castagnette... (1862) par Ernest L'Épine (1826-1893) : :"Iln'y a pas un seul d'entre vous, mes amis, qui n'ait entendu parler del’homme à la tête de bois. Dans ma jeunesse, je suis allé plusieursfois aux Invalides pour voir ce brave entre les braves ; mais unefatalité dont il m'est impossible de me rendre compte ma toujoursempêché de le rencontrer. L'homme à la tête de bois était,m'a-t-on assuré, très mauvaise tête ; il aimait passionnément lejeude boules, et presque tous les jours, sur l'esplanade, on le voyait sequereller avec ses anciens compagnons d'armes. C'est sans doute ce quil'a décidé, en mourant, a leur léguer cette tête si précieuse, leurdemandant de s'en servir en mémoire de lui. Il voulait, par ce moyen,prendre part, même après sa mort, à son jeu favori. C'est l'histoire dubrave capitaine Castagnette, neveu de l'homme à latête de bois, que je vais vous raconter...."

(02/03.13) La Lorette (1853) d'Edmond et Jules de Goncourt (1882-1896 ; 1830-1870) :"Elle a un père à qui elle dit : «Adieu, papa ; tu viendras frotterchezmoi dimanche. » — Elle a une mère qui prend son café au laitquotidiennement sur un poêle en fonte. Elle est née avec l'instinct dela truffe, de l'acajou, du remise. Elle prend son nom dans un romantaché de graisse. Elle a des cartes en porcelaine, une Léda en plâtresur sa cheminée, uncorset à la paresseuse, assez d'orthographe pour en mettre surl'adresse d'une lettre, un appartement à double sortie. — Elle a uneamie laide..."

(01.13) Vieilles filles (1922) nouvelle de Maurice Level (1875-1926) :"Mademoiselle Solange leva les yeux de dessus son ouvrage, regarda parla fenêtre la porte enchâssée dans le mur du jardin et le mur où lelierre venait de trembler. Une seconde, le jeu de ses doigts etl’escrime des aiguilles se ralentirent. Mademoiselle Mathilde, qui luifaisait vis-à-vis, demanda en dévidant sa pelote de laine : - Qu’est-ceque c’est ? - Je croyais qu’on avait sonné, répondit Mlle Solange. MlleMathilde prêta l’oreille et dit : - Tu t’es trompée. Dans le mêmeinstant, le lierre frissonna pour la seconde fois et unson de cloche retentit, mais si grelottant, si rouillé, qu’il fallaitconnaître les moindres bruits de la demeure pour ne pas le confondreavec le craquement d’une branche ou la dégringolade d’une pierre sur letoit. Alors, Mlle Solange croisa son châle sur sa poitrine et sortit..."

(12.12) Au pays des sables : contes et souvenirs (1944) par Isabelle Eberhardt (1877-1904) : "Aujourd’hui, la soirée étaittiède et de longs nuages blancs flottaient au-dessus des denteluresencore neigeuses du Jura. Il y avait pourtant dans l’air une grandelangueur, une paix d’attente,avant la grande poussée de vie de mai. Je sais bien qu’en passant les heures indéfiniment prolongées assise àma fenêtre, à contempler, à travers le paysage familier de cettebanlieue mélancolique, ma propre tristesse, je perds les fruits dulabeur acharné, presque sincère de tout le semestre d’hiver... Maisl’ennui du présent et sa monotonie m’accablent et, comme toujours, jeme plonge dans la vie contemplative. ... Tandis que je réfléchissais à toutes les inutilités moraless’accumulant de plus en plus autour de moi, on frappa. C’était une jeune fille inconnue, petite et frêle, avec un pâle visagetriste encadré de cheveux bruns et bouclés, coupés d’assez près. Elle m’aborda en russe, avec un sourire doux..."

(11.12) Mire lon la(1882) de René Maizeroy (1856-1918) : "Que vous paraissiez lasse etennuyée – ce jour-là – Madame ; lasse à en mourir, ennuyée comme sivotre miroir ne vous eût pas répété pour la centième fois que vousétiez la plus blonde des blondes et la plus jolie des Parisiennes deParis, avec vos larges yeux dont les prunelles semblent desgouttelettes de café figé, votre nez fripon qui se moque de tout, etvos lèvres rouges, sans cesse entr’ouvertes à l’essor des riresquerelleurs. Vous étiez étendue sur le canapé noir, brodé de dessinsJaponais, où se prélasse votre paresse savante. Vos mains toutespetites, si petites qu’on dirait des mains de baby, creusées defossettes roses, retombaient inertes, n’ayant même pas la force detenir un écran. C’était l’heure assoupissante où l’on n’apporte pasencore les lampes, où il fait de la nuit vague dans le jour vague, oùdes silences troublants interrompent par instants le murmure descauseries, où l’on serait heureux de savourer un peu d’amour, – del’amour mieux que tendre, de l’amour où s’endort un rêve – dans la mortlente et douce de la lumière..."

(10.12) La Vierge du Hamel, légende picarde (1917) par Xavier Rousseau (18..-19..) : Cette jolie légende de laVierge du Hamel vient d’être envoyée à la Société historique du Mainepar l’un de nos fidèles correspondants du front, un vaillant caporal dugénie, qui l’a recueillie et écrite « en prose de guerre » entre deuxattaques. Nous n’hésitons pas à demander au Nouvelliste de vouloir bien la publier. Non seulement, elle évoque une tradition populaire intéressante àconserver, et un touchant épisode que bien des femmes de Franceaimeraient en ce moment à voir se renouveler, mais la poésie et lanaïveté même du sujet, par leur étrange contraste avec la situationprésente du narrateur, témoignent une fois de plus de l’excellent moralque garde, comme tant d’autres, ce sapeur de 1917. Il faut assurément une grande liberté d’esprit, beaucoup d’abnégationet un superbe dédain des obus, pour continuer, au milieu des bataillesde chaque jour, à s’intéresser aux souvenirs du passé, pour recueillirles légendes du Moyen âge au bruit assourdissant des bombardements. Ilfaut surtout l’inébranlable confiance qu’affirme notre correspondant àla fin de son récit, confiance dont il convient de le féliciter et quenous nous honorerons toujours, pour notre part, de partager avec lesjeunes de l’avant..."

(09.12) Un accident (1902) de François Coppée (1842-1908) :" Saint-Médard, la vieille église de la rue Mouffetard, qu'ont jadisrendue si célèbre le diacre Pâris et les Convulsionnaires, est une trèspauvre paroisse. Le « Faubourg Morceau », comme on dit par là, n'a pasbeaucoup de religion, et le conseil de fabrique doit avoir assez depeine à joindre les deux bouts. Le dimanche, aux heures des offices, ily a bien peu de monde, et rien que des femmes, ou presque : unevingtaine de bourgeoises du quartier et des servantes en bonnet rond.Comme hommes, on n'y rencontre guère que trois ou quatre vieillards, àvestes de paysan, qui s'agenouillent à cru sur la pierre, auprès d'unpilier, leur casquette sous le bras, et roulent un gros chapelet entreleurs doigts en remuant les lèvres et en levant les yeux vers lesogives, avec des physionomies de donataires de vitrail..."

(09.12) Dames seules (1911) par Paul de Garros (1867-1923).

(07-08.12) Monstres parisiens : VII - VIII - IX & X (1883) de Catulle Mendès (1841-1909) :" MONcher ami, dit le complaisant parleur, je sais beaucoup de choses, parceque j'ai cinquante ans, une perspicacité suffisante, une excellentemémoire et que je ne me grise jamais ! Un homme qui soupe depuis vingtans dans tous les mondes, — chez Mme de Portalègre, à l'hôtel Montagnaou au café Anglais avec Dora Merle, — et qui peut vider impunément,chaque nuit, trois bouteilles de champagne, ne doit plus rien ignorer,à moins qu'il n'ait l'oreille singulièrement dure, de ce qui s'estpassé ou de ce qui se passe dans la société contemporaine. Tournez lamanivelle ! je suis le phonographe de tous les potins d'un cinquième desiècle ; feuilletez-moi ! je suis le Bottin de toutes les adressesmystérieuses, dans tous les quartiers, l'almanach de Gotha de tous lesadultères et de toutes les bâtardises. Je vous dirai — avecl'infaillibilité d'un bon élève qui récite sa fable — le nom, la race,la fortune, le mari, l'amant ou les amants, des cent femmes qui sontdans ce bal..."

(06.12) Monstres parisiens : V & VI (1883) de Catulle Mendès (1841-1909) :"EN six mois, deux palefreniers ont demandéleur congé, parce que Mlle Léa leur avait cinglé la face à grands coupsde cravache ! Enfant encore, seize ans à peine, elle a des violencessoudaines de petite bête fauve. Ses trépignements de fillette, pour unegronderie ou pour un caprice contrarié, sont des attaques de nerfs quiveulent mordre et qui mordent. Ses mains, dans ses colères, empoignentle bois de la table et y enfoncent les ongles. Elle a une façonimpérieuse et méprisante de regarder les gens, qui a l'air de prévoirquelque insulte et déjà d'y répondre. Soupçonneuse à l'excès, elleguette dans les sourires, dans les haussements d'épaules, dans lesparoles mal entendues, des intentions d'outrage ou d'ironie, et sesrages, qui piétinent et cassent les bibelots, n'attendent pas lacertitude de l'offense. Ce sont des enfants pareilles à elle qui ont dûêtre à seize ans les impératrices de Rome et les sanguinairescourtisanes de l'Age de Fer. Un de ses ancêtres, au Brésil, — car elleest de race portugaise — fut un rude fouetteur de nègres, un pendeur demulâtresses, qui, le soir, rentrait à la fazenda avec des taches desang sur son habit blanc de planteur : elle tient de l'aïeul,..."

(05.12) Monstres parisiens : III & IV (1883) de Catulle Mendès (1841-1909) :" Plus vive que les hirondelles et plus fraîche que les fleurs. A lavoir, tous les madrigaux faciles vous venaient aux lèvres, et le plusprécieux des poètes, ennemi des métaphores banales, n'aurait pus'empêcher de dire qu'elle ressemblait à une églantine. Son nom, Clairede Brezolles, et son âge, seize ans. Il fallait qu'il y eût de laclarté dans son nom, et, dans son âge, le printemps. Ses cheveuxblonds, en frisures légères, lui voletaient sur le front comme desanneaux d'or ailés. Deux lueurs bleues, c'étaient ses yeux ; et sabouche, où fleurissait le rire, était un bouton de rose, déchiré. Néed'une grande race, — et toute petite, — elle serait quelque jourmarquise ou princesse ; en attendant : « Bonjour, bébé ! » Ellemarchait touchant le parquet à peine, presqu'en l'air, avec unsouvenir d'avoir sauté à la  corde. Demoiselle et oiselle, onétait tenté de fermer les fenêtres, de peur qu'elle ne s'envolât ! Rienqu'à la regarder, on croyait deviner d'où soufflait le vent, tant elleavait l'air de quelque chose de léger, qu'il emporte ; et rien qu'àl'entendre, on se souvenait qu'il y a des nids dans les arbres. Ellesemblait d'autant plus mignonne qu'elle habitait avec sesgrands-parents dans un hôtel ancien, tout environné de hauts chênes,sombre, austère, qui était en plein Paris comme un morose château deBretagne, où ressuscitent, la nuit, les légendes. Un pastel dans uncadre noir..."

(04.12) Monstres parisiens : II (1883) de Catulle Mendès (1841-1909) :" C'EST vousseules, ô très subtiles Parisiennes, qui savez, des choses les plusviles, tirer la grâce exquise et le charme. Faire du miel avec desroses, la belle malice ! toutes les abeilles, même en province, en sontcapables ; ce qui est vraiment difficile et méritoire, c'estd'emprunter un parfum à la puante jusquiame. Innocentes, vous seriez aimables, trop naturellement ; il vous plaît del'être dans le mal, par le mal ; et vous excellez à ce jeu, délicieusesraffi­nées ! Tout péché, même infâme, vous attire, et vous veut, etvous prend, mais non pas entières : la sensitivité de votre tact, votrehorreur instinctive de l'excès brutal, vous avertit du point extrême oùpeut se hasarder la curio­sité rougissante, et, par une admirableentente de l'idéal, qui fait de vous, mondaines sans coeur ni sens, leségales des plus purs esprits poétiques, vous transformez, développez,exaltez en délicates imaginations, en perverses mais presque chasteschimères, les hi­deurs de la réalité. Même à l'alcool frelaté desbouges, — si le caprice vous prenait d'en boire, — vous ne de­vriezqu'une griserie de champagne ! car telle serait votre volonté. Et voiciqu'à cette heure où d'exécrables Dam­nées, blêmes, aux yeux caves,convoitent et détournent la nubilité des vierges, vous avez inventé, —car il faut obéir à toutes les modes, un peu , — je ne sais quelleingénieuse et rieuse tendresse, parodie irréprochable des malsainesamours ; pas une tache à vos fourrures même après la traversée de laboue : je baise vos pattes blanches, hermines !.."

(03.12) Monstres parisiens : I (1883) par Catulle Mendès (1841-1909) :" LE voile baissé jusqu'au menton, tout emmitoufflée de fourrures, tenantsa jupe à pleines mains comme une femme qui s'est habillée à la hâte,la petite baronne sortit très vite dans la rue où pleurait encore lebrouillard du matin. Elle s'arrêta un instant, sur la pointe des pieds,parut hésiter, regarda à droite, à gauche, avec ces mouvements de coud'un oiseau posé sur une branche,qui ne sait de quel côté prendre son vol ; puis, presque cou­rante,ellemonta dans un fiacre, en jetant une adresse au cocher. Dès qu'elle sefut pelotonnée dans un coin, frileuse, peureuse peut-être, les lèvressous le manchon, parmi la chaleur de la soie et du velours, quelquechose glissa de dessous son manteau, dans une fuite rose et noire : uncorset de satin ; de la peluche courait autour des ron­deurs vides quegonflèrent les seins. Quoi ? la baronne, — une exquise mondainepourtant! — ressemblait à ce point aux petites cocottes matinales qui trottentmenu par les rues, ayant, dans leur paresse, négligé de remettre lafrêle armure de baleine dont les défaites nocturnes ont démontré,d'ailleurs, l'inutilité..."

(02.12) Délires (1927) par André Baillon (1875-1932) :" L’auteur de cette future préface avoue son embarras. Entendez qu’ilsait parfaitement où il veut en venir. Seulement il ignore par quellevoie. En comptant sur les doigts, il y a trois catégories de lecteurs.Ceux qui lisent un livre de bout en bout en commençant par la préface ;ceux qui négligent cette préface ; ceux qui n’y pensent qu’à la fin.L’auteur vise ces derniers. Il voudrait leur démontrer qu’uneintroduction n’est pas une table des matières, qu’il est contraire àtoute logique d’atteler la charrue devant les bœufs, que... Et commentle leur dire à temps, puisque par définition ils liront cettedémonstration lorsqu’il sera trop tard ? Supposons le problèmerésolu.Ce livre s’appelle DÉLIRES. Délires avec un S.Cette lettre en soi n’a rien d’antipathique. Elle prend ici un petitair de pluriel qui ne laisse pas d’inquiéter. Encore s’il s’agissait dedélires amoureux. L’homme et la femme n’en sont pas à quelques déliresprès, paraît-il ; et dix S conviendraient mieux qu’unseul. Mais, dans les deux récits qui suivent, il est question du vraidélire, celui que les dictionnaires sérieux définissent parl’expression : perdre la boule..."

(01.12) Contes satiriques, contes inédits et Lettres parisiennes (1880-1884) par Laurent Tailhade (1854-1919) : " Or, ce soir-là, neuvième du mois de Tebeth, Simon le Pharisien régalaitquelques amis dans sa villa des Sycomores. L’assistance étaitnombreuse, choisie et respectable, composée d’hommes riches et defemmes à qui la durée du putanat rechampissait une virginité. La maisondu Pharisien comptait, à bon droit, parmi les merveilles de Jérusalem.Des chevaux de race et des valets sans nombre en faisaient une demeurecossue, majestueuse et adéquate comme il sied à un notable commerçant.L’usure, le proxénétisme, l’attachement aux dogmes religieuximmatriculaient Simon entre les plus dignes bourgeois. Ses opinionsprépondéraient devant le Sanhédrin. Les vierges impubères n’avaientrien que de favorable à ses désirs... "

(12.11) Femmes châtiées. 2ème Série (1905) par Hughes Rebell (1867-1905) : "Par suite d’un incendie qui s’était déclaré la veille, après lespectacle, et qui, promptement étouffé, avait causé quelques dégâts, lecirque Cusani faisait relâche. Bichot Lagingeole, le clown favori dupublic, dont le nom éclatait en grosses lettres sur tous les programmescomme s’il devait en être l’attrait principal, Bichot qui ne pouvaitmontrer son long corps dégingandé et sa face ahurie, taillée en sabre,sans mettre en gaieté toute une salle, Bichot se reposait ce soir-là deses farces triomphales et fatigantes. Mais habitué à veiller fort tardet ayant dormi tout le jour il n’avait point sommeil ; aussi seleva-t-il à peu près à l’heure de la représentation, plus embarrassépar ce congé inattendu que par les exercices les plus difficiles. Il sedemandait à quoi il allait bien employer son temps..."

(11.11) Contes de Saint-Santin (1881) par le marquis Charles Philippe de Chennevières-Pointel(1820-1889) : "Dans le jardin du petit logis qu’on appelle Saint-Santin, et qui estsis tout à côté de Bellesme en Perche, se trouvait, une fois,rassemblée une troupe nombreuse d’enfants de tout âge, depuis lesbambinets jusqu’à ceux qui savent déjà très-bien lire et très-bienécrire, et même jusqu’à ceux qui vont au catéchisme. C’était àl’occasion d’une fête qui se donnait dans la ville en l’honneur desgens des environs qui avaient amené sur le champ de foire les plusbelles vaches, les plus beaux chevaux, les plus beaux moutons. Onappelle cela un Comice agricole, et l’on en célèbre souvent aujourd’huidans nos campagnes ; mais celui-là était le premier qu’eût jamais vu laville de Bellesme, et M. le maire et MM. les adjoints du maire et M. ledéputé de l’arrondissement n’avaient rien négligé pour que lesbourgeois et les paysans en gardassent longues années la mémoire... "

(10.11)  Mes Fils (1874) par Victor Hugo (1802-1885) : " Un homme se marie jeune ; sa femme et lui ont à eux deux trente-septans. Après avoir été riche dans son enfance, il est devenu pauvre danssa jeunesse ; il a habité des palais de passage, à présent il estpresque dans un grenier. Son père a été un vainqueur de l’Europe et estmaintenant un brigand de la Loire. Chute, ruine, pauvreté. Cet homme,qui a vingt ans, trouve cela tout simple, et travaille. Travailler,cela fait qu’on aime ; aimer, cela fait qu’on se marie. L’amour et letravail, les deux meilleurs points de départ pour la famille ; il luien vient une. Le voilà avec des enfants. Il prend au sérieux toutecette aurore. La mère nourrit l’enfant, le père nourrit la mère. Plusde bonheur demande plus de travail. Il passait les jours à la besogne,il y passera les nuits. Qu’est-ce qu’il fait ? peu importe. Un travailquelconque..."

(09.11) L'Élite ou le Livre des Salons (ca1850) : "Le visage d’un ami, de noblestêtes avec l’empreinte de la vertu ou du génie, de bonnes actions, dedoux souvenirs sur lesquels on reporte sa pensée à mesure qu’on repasseles jours écoulés, voilà ce que j’appellerai les paysages de la vie :je ne parle, comme on voit, que des beaux paysages qui s’offrent dansnotre marche à travers le temps, car il en est de laids et derepoussants que produisent les injustices, les perfidies et lesinconstances humaines. Le voyageur qui a porté sa tente en delointaines contrées, se rappelle ainsi les paysages divers despérégrinations de sa jeunesse ; rendu au lieu natal et même longtempsaprès son retour, il laisse son esprit flotter vaguement sous les cieuxétrangers et se promener de cime en cime, de vallée en vallée,d’horizon en horizon..."

(07-08.11) Jean Revel (1848-1925) : Nouvelles normandes (1901) : "QUEL est ce souvenir qui, tout à coup, me revient et m’opprime ?...Voici la cavée où jadis je fus témoin et acteur d’un drame... Oui, là,c’est bien l’endroit précis où, lorsque j’étais écolier, je tuai uncrapaud... Je revis cette scène, non plus avec la dureté de l’enfant,mais avec lasensibilité, la faculté de compassion qu’ont développées en moi laréflexion et les souffrances... Si dissemblable suis-je devenu de ceque j’étais alors !... J’ai peineà me rendre compte... Tout cela n’est-il point arrivé à un autre ?...D’un pas machinal, l’enfant se dirige vers l’école... Il fait tout àcoup un geste d’effroi et recule ! Il a failli marcher sur un crapaudqui rampe avec lenteur, traversant le chemin ; pustuleux, jaunâtre,remuant lentement ses pattes, qui semblent gonflées de venin,l’amphibien s’évertue, sentant un danger... Un instinct cruel saisitl’enfant : il faut tuer cette bête... Vite un caillou..."

(06.11) Stéphane Mallarmé (1842-1898) : Pages oubliées(1875) : " Depuis que Maria m’a quitté pour aller dans une autre étoile–laquelle, Orion, Altaïr et toi, verte Vénus ? – J’ai toujours chéri lasolitude. Que de longues journées j’ai passées seul avec mon chat. Parseul, j’entends sans un être matériel et mon chat est un compagnonmystique, un esprit. Je puis donc dire que j’ai passé de longuesjournées seul avec mon chat, et, seul, avec un des derniers auteurs dela décadence latine ; car depuis que la blanche créature n’est plus,étrangement et singulièrement j’ai aimé tout ce qui se résumait en cemot : chute. Ainsi, dans l’année, ma saison favorite, ce sont lesderniers jours allanguis de l’été, qui précèdent immédiatementl’automne, et dans la journée l’heure où je me promène est quand lesoleil se repose avant de s’évanouir, avec des rayons de cuivre jaunesur les murs gris et de cuivre rouge sur les carreaux. De même lalittérature des derniers moments de Rome, tant, cependant, qu’elle nerespire aucunement l’approche rajeunissante des Barbares et ne bégaiepoint le latin enfantin des premières proses chrétiennes. Je lisaisdonc un de ces chers poëmes (dont les plaques de fard ont plus decharme sur moi que l’incarnat de la jeunesse) et plongeais une maindans la fourrure du pur animal, quand un orgue de Barbarie chantalanguissamment et mélancoliquement sous ma fenêtre..."

(06.11) Catulle Mendès (1841-1909) : La nouvelle mariée (1883).

(05.11) Catulle Mendès  (1841-1909) : La voix de jadis (1886)  : "C'ÉTAITdans le sous-sol d'une de ces salesbrasseries où la policetolère que l'on boive encore après que tous les cafés et tous lesdébits de vin sont fermés. A des tables de bois, sous la poussièrejaune du gaz, s'accoudaient les lassitudes saoûles des rôdeusesnocturnes qui avaient fini leur besogne et de quelques hommes qui lesavaient attendues tout le soir ; elles, fardées, eux, très blêmes etrasés de près comme des cabotins. Comme nous allions sortir, écoeurésde notre curiosité satisfaite : - Regarde, me dit mon compagnon. Il medésignait, seule, assise au fond de la salle, une femme trèsgrande, très grasse, dont les cheveux roux en touffes bouffaient horsd'une toque à plume. Plus lasse que vieille, et la gorge tombant dansla soie lâche du corsage, elle avait dû être belle, elle l'était encorepar la blancheur laiteuse de sa peau, par ses larges yeux noirs,profonds, fixes, où l'hébétude s'animait quelquefois d'un reste depensée. Une fille, certainement, comme ses voisines ; on voyait de lacrotte de trottoir au bas de son jupon, à la semelle de ses bottines ;mais, énorme, et pesamment assise avec l'air d'une colossale idole,elle semblait, cette créature, le type exagéré, la personnificationpresque grandiose de toute une espèce..."

(05.11) Armand Silvestre (1837-1901) : Une demande en mariage (1886).

(04.11) René Maizeroy (1856-1918) : Les Montefiore (1886)  : "CAMPARDIN – « l’intelligent directeur des Édens-Réunis, comme l’appelaientinvariablement les courriéristes de théâtres – comptait sur un succès,et il avait jeté ses derniers sous dans l’affaire, sans penser aulendemain et à la guigne qui le poursuivait depuis des mois avec uneâpreté inexorable. Pendant une semaine, les murs, les kiosques, lesdevantures des boutiques, les troncs des arbres, apparurent placardésd’immenses affiches aux enluminures criardes, où le même titre revenaitcomme une musique de charlatan, et, d’un bout à l’autre de Paris,traînèrent, d’un pas de procession, de lourdes voitures-réclames quedécorait aux quatre flancs une maquette fantaisiste de Chéret..."

(04.11) Le Guillois (18..-1886) : Trois consciences (1859).

(03.11) Louis Delattre (1870-1938) : Le Jeu des petites gens en 64 contes sots(1908) : "MAtante Babette-Zoé d’Habay-la-Neuve, qui attendait sa belle-fille àdîner, le dimanche de la Trinité, se décida à tuer son vieux coq pourle bouillon. Elle mit du petit blé en une forme à pain, monta sur lefumier dans lacour et cria : « Tou-tou-tou-tou... » Les poules s’approchèrent, le coqsuivit digne et fier de sa barbe rouge, et tante Babette s’en saisit.Ensuite, elle fut prendre, dans le tiroir de la table, son plus menucouteau à peler les pommes de terre ; l’aiguisa au passage sur unemarche des montées ; et tenant le coq serré entre ses genoux, ellecherchait le bon endroit où lui couper la gorge. Mais le coeur luimanqua. Elle rejeta la bestiole qui s’enfuit tout criant, aussi hagardet farouche, à présent qu’il était lâché, qu’interdit et penaudl’instant auparavant. Et il courait deci delà, le cou penché en avant..."

(03.11) Victor Hérault : Un remède dangereux (1859).

(02.11) Élie Berthet (1815-1891): Le Pacte de famine par Élie Berthet (1815-1891): "Le 15 novembre 1768, au plus fort de la famine qui désolaParis et la France à cette époque, une foulenombreuse se pressait dans la halle aux blés, quel’architecte Camus de Muzière venaitd’achever. On s’agitait, on se questionnaitl’un l’autre, et sans doute les nouvellesqu’on échangeait à voix bassen’étaient pas satisfaisantes, car la consternationétait peinte sur tous les visages. Il y avait là,contre l’usage, de pauvres femmes couvertes de haillons, auteint pâle, traînant par la main des enfantsdemi-nus ; elles s’approchaient timidement des groupes poursaisir quelques mots au passage, puis elless’éloignaient en donnant des signes dedésespoir. La colère et la menace brillaient dansles regards de quelques hommes du peuple ; mais ils n’osaientélever la voix et ils se serraient la main en silence avecune sombre énergie. Une troupe de soldats armésgardait, le fusil sur l’épaule, les avenues dumarché, et des personnages rébarbatifsparcouraient les groupes, épiant les gestes etl’attitude des mécontents. Cedéploiement de forces comprimait également lescris de rage et les plaintes douloureuses ; il ne sortait de cettefoule mobile qu’un murmure sourd,étouffé par la terreur."

(02.11) Élise Rosière (18..-18..) : Les Trois soeurs vénitiennes (1859).

(01.11) Joseph Méry (1797-1866) : Héva(1844) : "Surla côte de Coromandel, non loin de Madras, dans les terres autrefoisdésertes, on trouve un paysage si beau, que les voyageurs n’en ontjamais parlé, car les phrases leur manquent, et ils aiment mieuxlaisser dans l’Inde une omission qu’une injustice. M. Sonnerat est leseul qui ait hasardé cette exclamation : « Que la nature indienne estbelle dans la solitude de Tinnevely ! » Puis il a fait la statistiquedes factoreries de Madras. J’ai sur mes devanciers un avantageconsidérable pour peindre ce paysage : je ne l’ai pas vu. Si je l’avaisvu, je ne le peindrais pas. Voici donc mon tableau, dont je garantis laressemblance : il y a un lac, bleu comme une immense cuved’indigoterie, qui perce une infinité de petits golfes dans unelongueur de six lieues ; sur trois côtés, l’horizon de ce lac est fermépar une haute montagne, et par des collines vertes en formescapricieuses, ressemblant assez à une succession de dos gigantesques dedromadaires..."

(01.11) Edmond Alonnier (1828-1871) : Augustine(1859).

(12.10) Catulle Mendès (1841-1909) : Don Juan au Paradis(1885) : "QUAND il comparut, - aprèsles formalités, très simplifiées pourlui,de l'agonie et de la mort, - devant le Juge qui, choisissant le bongrain de l'ivraie, ouvre aux élus les portes paradisiaqueset précipiteles damnés à l'éternellegéhenne, Don Juan, selon qu'il est écrit dansle livre de Charles Baudelaire, ne daigna point se montrerému ; etmême, jeune toujours, et si beau, ses lèvresgardaient le sourire dontpleurèrent les Elvires et les Annas..."

(12.10) Arsène Houssaye (1815-1896) : Mademoiselle Fleur-de-Lys(1885) .

(11.10) Jean Lorédan (1853-1937) : Tonton (1904)  : "Vous l’avez peut-être connu, –à Locrouan, chez la mère Le Stüm. Vous savez bien ? l’hôtel à la mèreLe Stüm, sur la place, auprès de l’église, la maison qui a un cadransolaire et une petite tourelle à toit pointu, en poivrière... Tonton !notre oncle, comme on l’appelait ; l’oncle à tout le monde ; AugustinLebris de son vrai nom ; un ancien agent-voyer. Il prenait ses repas dans la salle commune, en bas, avec Mme Le Stüm etson fils, en compagnie des voyageurs de commerce quand il en passait,et, au dessert, il se plaisait à faire des tours, avec des ronds deserviette, avec son couteau, avec des biscuits qu’il lançait en l’airadroitement et qui retombaient dans son verre. Ce qu’il en avalait, deces biscuits ? Tout le monde s’en amusait, sauf la mère Le Stüm bienentendu, que ces jeux d’adresse appauvrissaient, dont la pâtisseries’engloutissait dans ce gros homme..."

(11.10)  par Daniel de Venancourt : Monsieur Barlingue (1902).

(10.10) Émile Blémont (1839-1927) : Vive-la-mort : (1901) : "Versle commencement de juillet 1870, après une journée de soleil sansnuages, la petite ville picarde de Verval-sur-Orle, si calme et siriante, s’ouvrait à l’air tiède du crépuscule, où déjà flottait unecaressante fraîcheur. Et, tandis que les flammes du couchants’éteignaient en lentes dégradations de lumière, en vastes nappesorangées, en glacis d’un vert tendre et limpide, en fines ombresviolettes, la lune montait à l’orient dans l’éther pur, baignant d’unesereine blancheur les coteaux boisés, les champs de blé et de seigle,les prairies, les jardins, les maisons à demi cachées dans lefeuillage. Des souffles apportaient de la forêt prochaine l’odeur destroènes fleuris, et, sur l’eau vive miroitant parmi les branches,faisaient bruire les saules nains et les hauts peupliers, jusqu’auxrampes du pont de pierre qui, là-bas, s’arquait, massif et brun, entreles deux rives, un peu en aval du confluent de l’Orle et de laSorelle..."

(10.10) Jean Mariel (18..-19..) : Le Cliché (1902).

(09.10) Charles Le Goffic (1863-1932) : Le Pilotin (1902) : "Ah ! ah ! Je l'attendais, cette liste dessinistrés de l'Oyapock, je l'attendaissans trop d'impatience, convaincu que j'y rencontrerais tout de suitele nom que je cherchais. Une lame s'était abattue par l'arrière sur lepont du navire : de-ci, de-là, à gauche, à droite, sans se presser,elle avait cueilli quinze hommes de l'équipage. Mais, comme ils étaientsoixante à bord, les survivants faisaient majorité et le gaillard quim'occupait pouvait se trouver parmi eux..."

(09.10) Oscar Jaeggly (1876-19..) : Les Joyeux (1902).

(06.10) Catulle Mendès (1841-1909) : La vie et la mort d’une danseuse (1886) : "A douze ans, la signorina Marietta Dall’ Oro dansait les papillons etles sylphes au théâtre Saint-Charles, à Naples. Par miracle, ellen’avait pas l’air souffreteux qui distingue communément les baladinesde son âge, créatures anormales, vaguement désireuses de lumière viveet de vagabondages dans les bois, opprimées par le monde artificiel oùelles se débattent. Marietta, démesurément précoce, portait en elleassez de sève pour suppléer aux causes extérieures d’épanouissement ;elle avait grimpé aux arbres des portants et s’était chauffée au soleildes toiles de fond... "

(06.10) 
Paul Arène (1843-1896) : Une ingénue (1886)

(05.10) Jules Claretie (1840-1913) : Kadja (1885) :  " TOUS les ans, depuis qu’il était grandgarçon, Pierre Pomério, fermier de Plérin, près de Saint-Brieuc, allaità Jersey faire la moisson et gagner les shillings de ces Anglo-normandsqui ont besoin de bras étrangers pour couper leurs blés et les rentreren grange. En deux semaines, Pierre Pomério gagnait là plus qu’en troismois au pays, et la mère au fond d’un vieux bas glissait les piécettesqu’on cachait derrière les tas de linge, dans le tiroir du grandlit-armoire. Ce Pierre allait maintenant sur ses vingt et un ans ; découplé comme unlutteur de foire, avec des poings à assommer un boeuf et des yeux toutbleus, doux comme ceux d’une fille. Drôle de garçon..."

(05.10) Armand Silvestre (1837-1901)Cinquième acte (1886) 

(04.10) Edmond de Goncourt (1822-1896) : Un aqua-fortiste (1884) :  " DANSce café du boulevard, un jeune hommeétait attablé devant moi. Le feutre de son chapeauabaissé sur lesyeux, le drap sans reflet de son habit, buvaient etflétrissaient lalumière rousse, terne, morne et morte sur tout cet individucomme surun vieux crêpe. Il avait posé ses deux mains sur lesmarges dela Patrie,et sesdeux yeux, qui ne lisaient pas, au beau milieu du journal. Lademoiselle de comptoir comptait les petites cuillers. Un garçoncouvrait le billard ; un autre apportait un matelas roulé sur satête.Minuit avait éteint le gaz. L’or des plafonds et des murs,les éclairsdes glaces, les paillettes des verres, tout cela étaitentré dans lesténèbres..."

(04.10) François Coppée (1842-1908) : L'Invitation au sommeil (1885).

(03.10) Arsène Houssaye (1815-1896) : Une visite à Mademoiselle Camargo (1886) : " UNmatin, Grimm, Pont-de-Veyle, Duclos, Helvétius, se présentèrentgaiement à l’humble logis de la célèbre danseuse. Elle demeurait alorsdans une vieille maison de la rue Saint-Thomas-du-Louvre. Une servantecentenaire vint ouvrir. « Nous désirons parler à Mlle de Camargo, » ditHelvétius, qui avait beaucoup de peine à tenir son sérieux. Lagouvernante les fit tous entrer dans un salon d’un ameublement originalet grotesque. Les boiseries étaient couvertes de pastels représentantMlle de Camargo dans toutes ses grâces et dans tous ses rôles.Cependant elle n’orne point à elle seule le salon : on y voit un Christau mont des Oliviers, une Madeleine au Tombeau, une Vierge au Voile,une Vénus à Cythère, les Trois Grâces, des Amours à demi cachés sousles chapelets et les buis bénits, des Madones couvertes de trophéesd’opéra..."

(03.10) Valréas : Maman Simone (1886).

(02.10) Léon Cladel (1834-1892) : Type de fille (1886) : " TOUTEenfantencore, et déjà rongée par ce mal de misèrequi dévore sespareilles, elle avait été violentée,souillée par le frère de sa mère,une espèce de souteneur, et celui-ci, surpris en flagrantdélit par lepère de sa victime, un veuf trop laid et trop pauvre pourconvoler,avait été si bien rossé qu’il en creva.Déflorée ainsi, puis battue et chassée du taudispaternel, elle erra,rôda, loqueteuse et famélique, assez timidementd’abord ; ensuite, elleraccola sans vergogne. Afin de ne pas être soumise aucontrôle de lapréfecture, elle fut bientôt contrainte de se livrerà divers agents demoeurs et même à des sergents de ville qui, moyennantqu’elle leuraccordât ses faveurs, fermaient les yeux sur son commerce. Und’entreeux lui communiquera le mal dont sont morts un Valois, plusieursBourbons et tant d’autres monarques du globe... "

(02.10) 
Joseph Montet (1852-1919) : L'aumône (1886).

(01.10) Villiers de L'Isle-Adam (1838-1889) : L'agence du Chandelier d'or (1885) : " LArécente loi, votée à plaisir par les deux Chambres, a précisé, dans unarticle additionnel, que « la femme légitime, surprise en flagrantdélit d’inconstance, ne pourrait épouser son complice. » Ce fortspirituel correctif ayant singulièrement attiédi l’enthousiasme aveclequel un grand nombre de ménages modèles avaient accueilli,d’ensemble, la nouvelle inespérée, bien des fronts charmants se sontassombris ; les regards, les silences, les soupirs étouffés, tout dansles attitudes, enfin, semblait dire : « Alors, à quoi bon ?... » - Obelles oublieuses ! Et Paris ?... N’est-il pas autour de nous, tirantson feu d’artifice perpétuel de surprises étranges ? capitale àdéconcerter l’imagination d’une Shéhérazade ? ville aux mille et unemerveilles où se réalise, comme en se jouant, l’Extraordinaire ? Aulendemain de l’ukase sénatorial, voici qu’un actualiste à tous crins,un novateur de génie, le major Hilarion des Nénufars, a trouvé le biaispratique si désiré des chères mécontentes... "

(01.10) 
Georges de Peyrebrune (1841-1917) : Mater ! (1886).

(12.09) Robert de Bonnières (1850-1905)  Bichon (1885) : " C’ÉTAITà Vitry-le-François, il y a quatre ans de cela. Je faisais mesvingt-huit jours au 26e de dragons. Nous avions trimé depuis cinqheures et demie du matin. Le soir venu, rompus, fourbus, abasourdis defatigue, mouillés jusqu'aux os, les jambes roidies dans nos bottes quisemblaient de plomb, nous étions allés, après la soupe, prendre le cafédans un petit cabaret qui se trouvait en dehors d'une des principalesportes de la ville, au delà des fossés, marécages immobiles où lesgrenouilles de septembre chantaient à la nuit tombante, comme pourannoncer de nouveau la pluie pour le lendemain. Mes camarades étaientde toutes espèces. Il y avait dans la bande un commis-voyageur élève deJean-Jacques Rousseau, un ancien employé de la Compagnie d'Orléans, unpaysan des environs de Poitiers, très quartier latin..."

(12.09) Aurélien Scholl (1833-1902) : Uncas de névrose (1885).

(11.09) Théodore de Banville (1823-1891)  Lesservantes (1885) : " EN province, beaucoup d'âmes délicates, douloureusement froissées dansleurs plus légitimes instincts, n'ont d'autre parti à prendre que celuide la résignation, et c'est à celui-là que s'était arrêtée MmeHenriette Simonat, après des luttes inutiles. Mariée à un hommed'esprit grossier, tyrannique, libertin, profondément égoïste et, deplus, avare, elle comprit bien vite qu'elle devait abandonner touteespérance ; et, à vingt-huit ans, merveilleusement belle, et mère dedeux enfants déjà grands, elle avait fait son deuil de la vie. LesSimonat habitaient une campagne nommée les Bernadets, prèsd'Azay-sur-Cher, à quatorze kilomètres de Tours ; mais, en réalité, MmeHenriette était à mille lieues de cette ville, où son fils Françoisétait au lycée, sa fille Julie en pension, et où elle avait laissé sesamitiés d'enfance. Car son mari la tenait à la maison commeprisonnière, n'ayant ni les plaisirs de la compagnie, ni l'âprejouissance de la solitude..."

(11.09) Emile Deschamps (1791-1871) :  L'amiede la mariée (ca1850).

(10.09)  Léon Cladel (1834-1892) Irène (1886) : " ON respireici, se dit tout d'abord à part soi René de Bergoïs, en arpentant à labrune, en mai, les larges trottoirs qui bordent le boulevard desCapucines et celui des Italiens ; ensuite il ajouta, fatigué de samonotone promenade qui durait pendant trente ou quarante minutes : Ah!tout irait bien si je heurtais quelqu'un à qui parler !... Et,machinalement, il regardait à sa droite comme à sa gauche le flotd'oisifs qui, tout en nage, foulaient le bitume et le macadam autour delui. Que de coureuses tendaient leurs amorces et que de désoeuvrés s'yprenaient volontiers ! Assourdi par le roulement des omnibus et desfiacres, ainsi que par la rumeur des passants, et las enfin de cespectacle qui s'offre quotidiennement aux yeux des citadins toujoursdivers et non moins nombreux, il se disposait à franchir la chausséeencombrée par la foule, lorsqu'il avisa sous la tente de l'un desgrands cafés avoisinant l'Opéra certaine figure de sa connaissance...Ah ! c'était bien lui, vraiment, très irréprochablement vêtu, lestick au bout des ongles, le lorgnon ancré sous l'arcade sourcilière,un cigare au bec..."

(10.09) Fanny Richomme :  Irène ou les amours du bon vieux temps (ca1850) .

(09.09) Edmond de Goncourt (1822-1896) : La courtisane au théâtre (1886) : " EN novembre 1774, il suffisait à une femme de l'encataloguement, del'inscription à l'Opéra ou à la Comédie-Française, pour ne plus êtresoumise au bon plaisir de la police, pour jouir de l'inviolabilitécommune, et entrer pour ainsi dire dans une possession absolue de sapersonne. La dernière des filles de choeur, de chant ou de danse, ladernière des figurantes était émancipée de droit : un père, une mère,indignés de son inconduite, ne pouvaient plus exercer sur ellel'autorité paternelle ; et il lui était permis de braver un mari, sielle était mariée. Aussi, de la part de toutes ces femmes, demi-castors, filles de vertu mourante,quelles aspirations vers ces planches qui donnaient l'affranchissement,qui délivraient du pouvoir de la famille, qui sauvaient des rapports del'inspecteur Quidor! Monter là c'était l'effort et l'ambition dechacune. Toutes les protections qu'elles pouvaient capter, elles lesmettaient enjeu pour arriver jusqu'à un Thuret ou jusqu'à un de Vismes,pour franchir la porte de ce cabinet fameux et redoutable, le cabinetdu directeur ..."

(09.09) Clémence Robert (1797-1872) : Un amour historique (ca1850)

(07-08.09) Jean Gascogne (1862-1904) Discrétion(1884) & Ernest d'Hervilly (1839-1911) La Vénusd'Anatole (1883) :  "Anatole est furieux. Pour tout de bon il est furieux. Le grandAnatole, vous le connaissez bien ? Anatole de la rue fontaine !l'Anatole à Nana ! Mais vous ne connaissez que lui. Un grand jeunehomme avec des cheveux roux et une poitrine bombée comme une cuirasse ! Anatole Jubeau, celui qui a exposél'année dernière un tableau si drôle : le Diable dans un bénitier !Anatole enfin !..."

(06.09) Jacques Rochette de La Morlière (1719-1785) : Les Lauriers ecclésiastiques ou campagnes de l'abbé T*** (1748) : " JEvais vous satisfaire, mon cher marquis ; vous voulez un récit exact demes espiègleries depuis mon entrée dans le monde, et du dénouementsérieux qui va bientôt les terminer : au milieu des succès d’unecampagne brillante et d’une ample moisson de lauriers, vous imaginezqu’il en est d’autres qu’on peut cueillir avec moins de peine, et dontles fruits, moins glorieux peut-être, ont des douceurs plus réelles etplus satisfaisantes ; vous croyez enfin que l’amour peut tenir lieu detout dans la vie : ah ! qui mieux que moi doit soutenir ce système ?C’est lui qui a toujours fait mon bonheur, c’est par lui que je toucheà l’instant le plus heureux de mes jours : et par quel chemin m’ya-t-il conduit ? Que de fleurs sur mon passage ! Non, jamais je n’aiconnu ses peines, il ne m’a prouvé sa puissance que par les plaisirscontinuels et indicibles dont il m’a enivré. Que de reconnoissance nedois-je pas pour tant de bienfaits, et comment m’acquitter mieux enverslui, qu’en publiant les faveurs dont il m’a comblé, les charmes qu’il arépandus sur les premières années de ma vie ?..."

(06.09) Ernest Legouvé (1807-1903) : L'armure des comtes de Rottrick (1839).

(05.09) A. Dupin (1804-1876) : Albane (1839). : " Il écrivit àEnguerrand : « Vivre loin d’elle, c’est un effort au-dessus de mon courage. Depuishuit jours je l’essaie inutilement. Chaque matin je mesure avecépouvante la distance qui doit me séparer du soir ; et quand le soirvient, je m’étonne qu’il ne puisse rien pour moi. Il y a dans mon seinje ne sais quoi de funeste, un mal qui le ronge. Mes vêtementss’embrasent sur mon corps ; quelquefois ils deviennent pesants commeces chapes doublées de plomb qui faisaient courber les damnés de Dante.Un matin, je souffrais tant que mon regard a imploré Dieu. Tout à coupj’ai frémi de me voir exaucer. Que ferais-je d’une vie où elle neserait pas ? Tu souris, toi qui es fort. Quand il me vient dans lapensée que je pourrais guérir, j’éprouve l’horreur que tu sentirais àla vue de la terre nue, froide, immobile et sans reflets. Je necesserai pas d’aimer ; mon dernier adieu à la vie sera un cri d’amour ;mon âme emportera son ardeur au-delà du monde périssable. Sais-tuEnguerrand, ce qu’il y a de magie dans la vue d’une femme aimée ? ..."

(05.09) Ernest Fouinet (1799-1845) : La Famine (1839)

(04.09) Louise Colet (1808-1876) : Yolande(1839) : " Il est des femmes qui pensent tard, la penséen’est éveillée en ellesque par le sentiment ; elles ne manquent pas d’esprit, mais leurespritvient du coeur ; avant d’avoir aimé elles n’ont quedes idées vagues,leurs désirs sont sans volonté ; l’amour, lapassion peut seule leurfaire comprendre qu’elles ont un libre arbitre. Telleétait Yolande de Rocmartine, une des plus nobles jeunes fillesdela Provence, cette vieille terre de la grande aristocratie. Lamèred’Yolande avait émigré ; rentrée en France,veuve et presque sansfortune, elle racheta à grand’peine le vieux châteaude ses ancêtresqui dominait  un village dont les habitants, autrefois sesvassaux, étaient devenus, par la confiscation et la vente de sesbiens,ses co-propriétaires. Le malheur avait rendu la marquise deRocmartineplus fière et plus hautaine ; ses prétentionsnobiliaires, renforcéespar une dévotion rigoriste, la faisaient invulnérableà toute idéenouvelle ; elle se croyait encore femme d’un président auparlement etreine de la capitale du comté..."

(04.09) Victor Lottin de Laval (1810-1903) : Les Ruines de Palmyre (1839).

(03.09) Catulle Mendès (1841-1909) : Madamede Ruremonde(1885) : " DEtoutes les flirteuses qui, dans les salons de Paris, de Pétersbourg etde Londres, abandonnent longtemps leur main, avec un frémissement bienimité, entre les doigts de quelque bon jeune homme ébahi, ou,renversées dans un fauteuil, croisent les jambes sous la jupe étroitequi s'applique et se renfle, ou bien, penchées, au dessert, vers leurvoisin de table, avec l'air d'écouter une confidence, lui placent sousles yeux, sous le nez, sous les lèvres, dans son assiette ! le doublefruit vivant de leur gorge qui assoiffe et affame, — Mme de Ruremonde,certes, est la plus parfaitement exécrable! Aucune n'a poussé plus loinqu'elle l'abominable vertu de toujours s'être refusée après s'êtretoujours offerte..."

(03.09) Fanny Reybaud (1802-1870) : Marguerite, épisode du quatorzième siècle (ca1850).

(02.09) Léon Cladel(1834-1892) : Vyr leporion (1884) : " RIEN n'avait pu nous dissuader de ce dessein; aussi lelendemain, vers midi, mon camarade et moi, coiffés d'épais chapeaux decuir bouilli, revêtus de bourgerons de laine bleue et munis chacund'une lampe Davy, nous nous approchions très émus et nous efforçant dene point le paraître, de cette fosse profonde de six à sept centsmètres, quand M. de la Tour-Réal, ingénieur des mines belges et l'undes petits-neveux de l'amiral de ce nom, que la révocation de l'édit deNantes avait contraint à se réfugier aux Pays-Bas, qui lui furent unenouvelle patrie, répondit enfin à la muette interrogation de nos yeux..."

(02.09) Jules Depaquit (1869-1924) : Latoupie-Bottin(1900).

(01.09) Pierre Loti (1850-1923) : Viande de Boucherie [suivie de] Chagrin d’un vieux forçat(1891). : " AU milieu de l’océan Indien, un soir triste où le ventcommençait à gémir. Deux pauvres boeufs nous restaient, de douze quenous avions pris à Singapoor pour les manger en route. On les avaitménagés, ces derniers, parce que la traversée se prolongeait,contrariée par la mousson mauvaise. Deux pauvres boeufs étiolés,amaigris, pitoyables, la peau déjà usée sur les saillies des os par lesfrottements du roulis. Depuis bien des jours ils naviguaient ainsimisérablement, tournant le dos à leur pâturage de là-bas où personne neles ramènerait plus jamais, attachés court, par les cornes, à côté l’unde l’autre et baissant la tête avec résignation chaque fois qu’une lamevenait inonder leur corps d’une nouvelle douche si froide ; l’oeilmorne, ils ruminaient ensemble un mauvais foin mouillé de sel, bêtescondamnées..."

(01.09) Jean Madeline : Toujours... [suivi de] La Robe (1899).